Attaques terroristes à Bamako : Les leçons à en tirer

Le 17 septembre 2024, la capitale malienne est secouée par une double attaque. L’École de la gendarmerie et l’aéroport de Sénou sont visés par des assauts revendiqués par le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM – JNIM). Deux jours après le premier anniversaire de l’AES et à quelques jours du 64ème anniversaire de l’indépendance du Mali, ces attaques ont montré la vulnérabilité face au fléau du terrorisme et peut-être la nécessité d’une réadaptation du dispositif actuel.

Dans un communiqué diffusé sur les ondes de la télévision nationale, l’État-major général des armées a qualifié de « tentative d’infiltration » l’attaque survenue très tôt, vers 5 heures du matin. Appelant les populations à rester calmes, l’État-major a souligné que les ratissages continuaient et que la situation était sous contrôle. En visite sur les lieux, à l’École de la gendarmerie le chef d’État-major, tout en se voulant rassurant, a tenu rappeler aux élèves gendarmes leur mission. « Le combat continue et il faut tirer les leçons. Le terrorisme doit être combattu. Nous sommes en guerre et vous êtes durement alertés », a-t-il notamment martelé devant des éléments qui rejoindront bientôt des unités combattantes.

Alerte

Si Bamako avait, il y a quelques années, subi des attaques terroristes ayant visé plutôt des cibles civiles, la capitale vient d’être touchée par des attaques visant des cibles militaires au cœur de la cité. Une première qui rappelle que la menace n’est jamais loin et qu’il s’agit bien d’une « guerre d’usure », selon le ministre de la Défense et des anciens combattants, Sadio Camara, à l’issue de sa rencontre avec le Président de la Transition le 23 septembre 2024. Reçu avec le ministre de la Sécurité et de la protection civile ainsi que les chefs d’États-majors et les chefs des services militaires par le Président Assimi Goïta, il a déclaré qu’il s’agissait de faire un « examen exhaustif du dispositif sécuritaire, réévaluer la menace et donner les orientations complémentaires ». S’il s’est dit plutôt satisfait de la rencontre, qui a permis de constater l’engagement des autorités politiques et militaires pour faire face au fléau ainsi que le soutien du Président de la Transition au dispositif opérationnel en cours pour la lutte contre le terrorisme, cette rencontre n’occulte pas le sentiment d’un retour en arrière, observe Jean-Hervé Jezequel, Directeur de projet à International Crisis Group (ICG).

Ces attaques qui nous ramènent quelques années derrière sont tout de même inédites, en ce qu’elles ont été dirigées contres des installations militaires. En 2015, la première attaque qui avait visé la capitale avait ciblé un bar restaurant, avant un hôtel la même année. Deux autres attaques sur des sites d’hébergement en 2016 et 2017 avaient aussi fait des victimes. Plus récemment, en juillet 2022, c’est une attaque complexe à la voiture piégée qui avait visé le camp militaire de la ville garnison de Kati, à 15 km de Bamako, faisant 8 morts et des blessés. Une attaque audacieuse qui avait fait dire aux autorités qu’il s’agissait de tentatives désespérées des groupes terroristes en débandade. Les forces armées étaient alors en pleine campagne de reconquête du territoire national. Après cette frayeur, qui avait convaincu les habitants de la capitale de l’imminence de la menace, Bamako avait plusieurs fois fait l’objet d’alertes plus ou moins réelles. Dans son discours à la Nation à l’occasion du 22 septembre 2024, le Président de la Transition a affirmé que les attaques du 17 septembre 2024 « rappellent l’impérieuse nécessité de rester vigilants et de garder une posture opérationnelle exemplaire en toutes circonstances ».

Dispositif en cause ?

La double attaque du 17 septembre 2024 est  survenue entre deux dates importantes. D’une part au lendemain du premier anniversaire de la Confédération des États du Sahel (AES), mise en place le 16 septembre 2023, avec notamment pour objectif de mutualiser les forces des trois États membres (le Burkina Faso, le Mali et le Niger) pour lutter contre le terrorisme. D’autre part à quelques jours du 64ème anniversaire de l’indépendance du Mali, célébré le 22 septembre. A priori une période d’alerte, « même si c’est difficile de sécuriser une ville comme Bamako », on peut y voir une faille du dispositif sécuritaire, note M. Jezequel.

Du côté des groupes terroristes, on peut avoir une double lecture de cette situation, selon l’analyste. C’est une stratégie habituelle pour ces groupes de forcer l’État à concentrer ses forces pour défendre les villes et donc à leur laisser un peu le champ libre dans les campagnes, où ils ont leur principal champ d’action. Secundo, il peut s’agir d’un changement de mode opératoire de leur part, mais il est encore trop tôt pour faire une telle conclusion, tempère-t-il.

Si elles affichent leur détermination, la réaction des autorités souligne la nécessité d’une vigilance accrue. En effet, au lendemain des attaques les autorités ont envisagé un certain nombre de mesures urgentes. Parmi lesquelles la fermeture de 7 marchés à bétail à Bamako et environs, des marchés soupçonnés d’avoir servi à favoriser l’infiltration de certains terroristes, et l’injonction faite aux propriétaires des camions citernes stationnés le long des axes voisins des lieux de l’attaque de les déplacer.

Enseignements 

Engagé dans une lutte acharnée contre le terrorisme depuis plusieurs années, le Mali a enregistré des succès importants, notamment dans la reconquête de l’intégrité du territoire national. Des victoires militaires qui n’ont pas pourtant endigué la capacité de nuisance des groupes terroristes. Malgré une présence effective et le redéploiement des forces armées maliennes (FAMa) dans plusieurs localités du pays, les groupes armés et terroristes continuent d’exercer une pression sur les populations. Des pressions qui se sont multipliées dans les régions de Mopti et de Ségou à l’approche de l’hivernage, obligeant de nombreux habitants à abandonner leurs localités et leurs activités champêtres.

Cela signifie donc que la stratégie actuelle a des limites. « On peut dire que la stratégie de miser sur l’outil militaire, y compris au temps des autorités civiles, n’arrive pas à endiguer la menace terroriste.   Peut-être qu’il  est temps, c’est ce que pense International Crisis Group, de donner plus de moyens à une réponse politique à ces expansions armées », suggère M. Jezequel. Une offre de dialogue politique  qui va s’adresser aux  groupes armés ou à certains des groupes terroristes disposés à discuter. Une « offre de dialogue mais pas de reddition, dans laquelle chaque partie exprime ses positions et cherche à faire des compromis ».

L’attaque du 17 septembre est justement, selon lui, un moment de réflexion qui souligne le besoin d’ajustement de la stratégie de sécurisation. « Il ne s’agit pas pour nous de dire qu’avant cela se passait bien et que maintenant c’est moins bien ». Sans nier les acquis dans la lutte contre l’expansion terroriste, l’analyste explique qu’il faut explorer les recommandations du Dialogue Inter-Maliens. Des recommandations parmi lesquelles figurait la nécessité d’une réponse politique. Il faut donc donner des moyens à cet outil du dialogue. Depuis le début de la crise, des moyens ont été accordés à la « réponse militaire, qui reste indispensable ». Mais il faut en donner aussi au dialogue. « Même si ce n’est pas une solution magique », il faut investir dans cet outil et le soutenir à nouveau.

Pour les autorités, il y a aussi des leçons à tirer. Outre la vigilance à observer comme en temps de guerre, il faut une « collaboration de la population », a insisté le chef d’État-major. Une collaboration qui doit surtout aider les forces de l’ordre dans la traque des terroristes en termes de renseignements. Mais elle doit également éviter tout amalgame, ce qui serait totalement contre productif et servirait plutôt les intérêts des terroristes.

Fatoumata Maguiraga

CSP-JNIM : les conséquences d’un pacte « réchauffé »

Depuis la réunion qui a consacré son changement de dénomination et l’assignation de nouveaux objectifs, fin avril dernier, le Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l’Azawad (CSP-PDA) a entamé des discussions de « coexistence pacifique » avec le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (JNIM) d’Iyad Ag Ghaly. Ce rapprochement, aujourd’hui à un stade « avancé », pourrait impacter la situation sécuritaire sur le terrain et redéfinir les priorités des différentes entités en guerre.

Dans un message audio qui circule sur les réseaux sociaux depuis le 17 mai 2024, Algabass Ag Intalla, « Chargé de la réconciliation, de la cohabitation et des relations avec les autorités traditionnelles » au sein du CSP, demandait aux combattants du Cadre de ne pas s’opposer aux discussions en cours avec le JNIM. Selon ses propos, le haut cadre touareg avait déjà obtenu certaines avancées par ce biais et en espérait d’autres avec le groupe terroriste.

À en croire le porte-parole du CSP, Mohamed Elmaouloud Ramadane, dans des propos relayés par un quotidien étranger, ce rapprochement entre les deux entités n’est pas pour autant une alliance, mais « un pacte tacite de non agression ».

En effet, selon une source au Cadre, Alghabass Ag Intalla, qui présidait le Cadre jusqu’au changement de nom fin avril, a été mandaté par le Directoire du CSP pour obtenir un pacte de non agression afin de permettre non seulement la libre circulation des combattants, mais aussi un partage d’informations sur les mouvements de « l’ennemi commun », l’armée malienne et ses partenaires.

« Il n’est pas question d’une réconciliation à proprement parler, mais de mettre en place des mécanismes pour éviter la confrontation et de pouvoir coexister sur un même territoire », a confié un cadre du CSP à un média étranger. Joint par nos soins, le Porte-parole du Cadre n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Une  « coexistence » redéfinie

Si aujourd’hui les rebelles du CSP-PDA et les terroristes du JNIM sont en discussion pour ne pas en venir aux affrontements, un pacte de non agression existait déjà entre les deux entités depuis 2012, selon plusieurs observateurs, lorsque les groupes armés contrôlaient une grande partie du Nord du Mali. En effet, pendant les années où la CMA tenait Kidal, aucun affrontement n’a opposé les deux camps.

La « coexistence » pacifique entre le CSP-DPA et le JNIM a été seulement mise à mal le 5 avril 2024, lors de combats à Nara entre les deux entités. Les terroristes du JNIM avaient enjoint aux rebelles du CSP de ne pas mener des opérations dans le centre et le sud du pays, zones qu’ils considèrent comme étant leur « terrain ».

Mais, dans leur tentative de riposte à l’armée malienne après leur long silence depuis qu’ils avaient été défaits à Kidal en novembre 2023, les groupes armés rebelles du CSP ont tenté d’attaquer un camp des FAMa à partir des environs de la forêt du Wagadou, à la frontière entre la Mauritanie et le Mali. Ils sont tombés sur des combattants du JNIM et des affrontements s’en sont suivis entre les deux camps.  Bilan, une dizaine de morts de part et d’autre.

C’est suite à cet accrochage qu’une médiation a été lancée entre les deux groupes, dès le lendemain. Leader du Haut conseil pour l’unicité de l’Azawad (HCUA), dont le mouvement figurait parmi ceux du CSP à s’être alignés sur la demande du JNIM de ne pas mener des opérations sur leur « terrain », et anciennement proche d’Iyad Ag Ghaly au sein du groupe Ansar Dine, Algabass Ag Intalla a été tout naturellement  chargé de mener les discussions pour éviter de nouveaux affrontements et éventuellement  obtenir la libération de prisonniers et la restitution de véhicules.

« Il nous faut nous concentrer sur les ennemis qui menacent notre existence, en l’occurrence les mercenaires de Wagner et l’armée malienne. Nous n’avons pas de temps à perdre avec d’autres conflits parallèles », affirme un cadre du CSP, cité par le média étranger précité.

Quel impact sur le terrain ?

Selon des sources au CSP, le rapprochement avec le JNIM n’inclut pas des attaques conjointes de la part des deux entités. « Éviter la confrontation avec le JNIM ne signifie pas coopérer sur le terrain avec lui. Nous n’avons pas la même idéologie que lui », clarifie d’ailleurs le cadre cité plus haut.

En quoi ce pacte de non agression et ce rapprochement entre le CSP-PDA et le JNIM pourrait-il impacter la situation sécuritaire sur le terrain, notamment les rapports de force avec l’armée malienne, « l’ennemi commun » des deux entités ? Cette nouvelle donne constituerait-elle une menace pour les Forces de défense et de sécurité maliennes engagées depuis plusieurs mois dans une dynamique offensive sur le terrain ?

Pour Soumaila Lah, Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la Sécurité, les réponses à ces interrogations sont négatives. « Je ne pense pas que ce rapprochement puisse avoir un impact assez décisif sur les actions de l’armée malienne. Le JNIM et le CSP ne sont pas dans la même logique. Même si tous les deux décident d’aller à ce rapprochement, leurs agendas ne concordent pas au point de faire évoluer les deux camps ensemble », argue-t-il.

« L’impact est plutôt à rechercher du côté du CSP, qui a adopté une nouvelle stratégie et qui, pour la mener à bien, doit chercher des accompagnements. Ce type d’action vise plutôt à avoir l’aval du JNIM pour se déplacer dans des parties du territoire considérées comme des chasses gardées du JNIM. Le CSP cherche à minimiser les risques en terme de déplacements de ses troupes », poursuit cet analyste.

Nouvelle marge de manœuvre ?

Après la reprise de Kidal en novembre 2023, même si globalement tous les groupes armés terroristes actifs sur le territoire national sont dans le viseur des FAMa, les offensives de l’armée semblent beaucoup plus cibler l’État islamique au Sahel (EIS) dans son fief de la Zone des trois frontières. Plusieurs chefs terroristes de l’EIS ont d’ailleurs été neutralisés ces derniers mois, tandis que certains combattants ont été contraints à la reddition. Le 26 mai, les FAMa ont toutefois neutralisé une trentaine de terroristes du JNIM qui avaient attaqué leurs positions.

Sur le terrain, un affaiblissement de l’EIS, qui subit des frappes ciblées de l’armée malienne, pourrait dans une certaine mesure offrir une nouvelle marge de manœuvre au JNIM et au CSP-PDA, tous deux ennemis déclarés de l’État islamique, qui pourraient se libérer d’éventuels nouveaux affrontements avec l’EIS et concentrer leurs différentes actions entièrement contre les FAMa.

« Ce sont des groupes qui ont la capacité de s’adapter par moment aux réalités du terrain et de se réinventer. Aujourd’hui, ils sont dans une logique de repositionnement et le fait de pouvoir tirer profit d’un éventuel affaiblissement de l’EIS va dépendre de l’évolution du contexte sur le terrain », estime Soumaila Lah.

Par ailleurs, selon Mohamed Elmaouloud Ramadane, la priorité du CSP est de « combattre l’État malien et Wagner » en déplaçant les combats vers le sud, « pour se rapprocher du cœur du pouvoir de l’ennemi, c’est-à-dire de Bamako ».

Pour M. Lah, cette progression annoncée du CSP-PDA, vers le sud du pays sera très difficile pour les rebelles touaregs, même avec l’aval du JNIM pour leur « libre circulation ».

« Je ne pense pas que le CSP et le JNIM soient suffisamment outillés pour mener des actions de grande envergure vers le sud. Je pense que c’est possible sur une partie du nord et du centre, mais au sud je les vois mal prospérer », glisse le spécialiste des questions sécuritaires.

FAMa : la dynamique offensive

Depuis plusieurs mois, les Forces armées maliennes (FAMa), engagées dans la sécurisation de l’ensemble du territoire national, multiplient la traque des groupes armés terroristes. Ces opérations, qui ont permis la neutralisation d’importants chefs terroristes ces dernières semaines, s’intensifient dans la zone des trois frontières, où ces groupes armés radicaux semblent de plus en plus acculés.

Le Président de la Transition, le Colonel Assimi Goïta, avait donné le ton le 14 novembre 2023, après la reprise de Kidal par l’armée malienne à la suite d’un raid déclenché quelque jours plus tôt en direction de la ville, contrôlée depuis plusieurs années par les groupes armés rebelles.

« Notre mission n’est pas achevée. Dans les jours qui viennent, nos FAMa poursuivront leurs interventions et bénéficieront de toute la confiance de notre vaillante peuple », avait averti Assimi Goïta, rappelant que cette mission consistait à « recouvrer et à sécuriser l’intégrité du territoire, sans exclusive aucune, conformément aux résolutions du Conseil de Sécurité ». « Cette opération n’a pas d’autres buts que la lutte contre le terrorisme et la sécurisation de notre pays », avait assuré le Président de la Transition.

Depuis, dans cette lutte contre le terrorisme, les Forces armées maliennes maintiennent une dynamique offensive, avec des résultats significatifs.

Chefs terroristes neutralisés

Au moins cinq importants chefs terroristes ont été neutralisés au cours des deux derniers mois dans les régions du nord et du centre du pays. Le 29 avril 2024, l’armée a annoncé avoir tué Abou Houzeifa, alias Hugo, haut responsable de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), au cours d’une opération de grande envergure dans le Liptako-Gourma. La tête de ce terroriste étranger, « auteur de plusieurs exactions sur les populations civiles innocentes et d’attaques contre les Forces armées des pays de l’AES et des forces étrangères », avait été mise à prix par les États-Unis pour sa responsabilité dans la mort de quatre soldats américains des Forces spéciales au Niger en 2017.

« Sa disparition pourrait être un coup dur pour l’État islamique au Grand Sahara, tant sur le plan moral que logistique, c’est-à-dire la capacité de l’EIGS d’organiser et d’élaborer de nouvelles embuscades contre l’armée », estime l’analyste sécuritaire Dr Ahamadou Touré. Pour ce chercheur en Sciences politiques, paix et sécurité, la neutralisation d’ Abou Houzeifa pourrait également impacter l’architecture militaire de l’EIGS. « Cette architecture pourrait connaitre une déstabilisation temporaire durant le temps de deuil et avant la nomination d’un nouveau chef militaire », analyse-t-il.

Une semaine avant la mort d’Hugo, un autre terroriste, Akalifa Sawri, a été neutralisé entre Douetiré et Acharane, dans la région de Tombouctou. « Ce redoutable criminel impliqué dans toutes les attaques contre les FAMa, y compris des tirs d’obus et des braquages contre les civils le long de la route Tombouctou – Goundam, était vivement recherché », a indiqué dans un communiqué l’État-major général des FAMa le 22 avril.

Dans un autre communiqué, en date du 18 avril 2024, l’armée a annoncé la neutralisation le 12 avril d’Ali Sékou alias Diouraydi, chef terroriste du secteur de Dogo, dans la zone de Youwarou, ainsi que de plusieurs autres terroristes aux environs de Laounia, dans la région de Mopti. À en croire l’État-major général des armées, ce terroriste vivement recherché, qui était l’adjoint d’un autre chef terroriste, Hassane Alias Cheik Oumar, était responsable de plusieurs exactions sur les populations et de pose d’engins explosifs improvisés (EEI) dans le secteur.

La mort d’Ali Sékou alias Diouraydi a été suivie quatre jours plus tard, le 16 avril, de l’interpellation à Niono d’Almahdi Ag Almahmoud, un autre « chef terroriste de renommée ». L’offensive, menée au nord-est de Niono, a également permis la découverte de deux refuges des groupes armés terroristes et la saisie d’un important lot de matériel de guerre, composé entre autres de grenades artisanales, de munitions 12,7mm, de tenues et rangers militaires, de batteries et de détonateurs, a indiqué l’armée.

Un mois plus tôt, le 18 mars, les FAMa neutralisaient un autre chef terroriste, Boura Lobbi, originaire du village de Tana, qui sévissait dans une grande partie de la région de Douentza, particulièrement au nord, jusqu’à Diona. « Il a été tué ainsi que plusieurs de ses gardes au cours d’un accrochage avec les FAMa dans la forêt de Niabi. Ce chef terroriste, auteur de plusieurs exactions sur les populations et d’attaques contre les FAMa dans la région de Douentza et activement recherché, a été formellement identifié parmi les terroristes neutralisés », précise un communiqué de l’armée en date du 8 avril.

En janvier dernier, Aboul Wahab Ould Choghib, l’un des plus grands dirigeants de l’EIGS, ainsi que deux de ses lieutenants avaient été également neutralisés par l’armée malienne. La mort de ce chef terroriste, principal instigateur du massacre de plusieurs centaines de civils dans la région de Ménaka entre 2022 et 2023, ayant occasionné le déplacement de milliers d’autres civils, est intervenue après celles d’autres figures de ce groupe, survenues au début du mois de décembre 2023. Parmi elles, l’émir militaire de l’EIGS Oussama Dallo alias Modallo.

Zone des 3 frontières ciblée

Dans la nouvelle dynamique enclenchée depuis quelques mois par l’armée malienne dans la lutte contre le terrorisme et la sécurisation du territoire national, les offensives se multiplient dans la Zone des trois frontières, avec le Burkina Faso et le Niger, dans le cadre des opérations de la Force conjointe de l’Alliance des États du Sahel (AES).

Si des opérations conjointes, d’une part entre le Mali et le Burkina Faso et de l’autre entre le Mali et le Niger, se menaient déjà ces dernières années, elles se ont intensifiées, avec des résultats plus probants depuis la création de la Force conjointe de l’AES, en mars dernier, même si jusqu’à présent ces opérations ne sont pas menées sous un commandement commun.

En avril, au moins trois grandes opérations coordonnées des trois armées dans cette zone ont conduit à la neutralisation de plusieurs groupes terroristes et à la destruction d’importantes bases logistiques.

Selon les informations de l’État-major général des armées du Mali, le 13 avril 2024 dans le secteur de Douna, à la frontière entre le Mali et le Burkina Faso, une action conjointe impliquant des vecteurs  maliens et burkinabé a permis de démanteler une importante base logistique.

Le même jour, une importante quantité de matériels de guerre a été détruite, ainsi que plusieurs terroristes neutralisés, aux environs du village de Hourara, situé à environ 12 km au nord-ouest de Labbezanga, à la frontière entre le Mali et le Niger.

Trois jours plus tôt, le 10 avril, la coordination entre les armées malienne et nigérienne a permis de procéder à une frappe nigérienne qui a détruit un important lot logistique et neutralisé plusieurs terroristes dans la zone de Amalawlaw, dans le secteur de Labbezanga.

« C’est dans cette partie frontalière que l’on a une présence marquée des hommes de l’État islamique. Donc il faut comprendre que les trois armées veulent réduire de façon drastique les capacités de nuisance de ce groupe terroriste. Jusqu’ici, c’est Al-Qaïda qui a le plus subi de pertes. Les récentes opérations se concentrent davantage sur l’État islamique », expliquait récemment dans nos colonnes Dr Aly Tounkara, Directeur exécutif du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S).

Mais si les FAMa enchainent et réussissent des opérations portant des coups durs à l’organisation et à la capacité de nuisance de l’État islamique dans le Liptako-Gourma, elles ne sont en retour pas à l’abri des ripostes, mais aussi d’autres attaques venant du Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans ( JNIM) et de la menace des groupes rebelles du CSP-DPA.

Sans actions d’envergure depuis leur défaite à Kidal, ces derniers, désormais tournés de nouveau dans une lutte indépendantiste, préparent activement leur retour au combat contre l’armée malienne et sur tout le territoire malien.

Bandiagara : jusqu’où ira le mécontentement ?

Depuis plusieurs années, la région de Bandiagara fait face à des enlèvements de bus de transport en commun sur l’axe Bandiagara – Bankass de la  RN15. De nouveaux  enlèvements, le 16 avril 2024, sur le même axe ont provoqué l’ire des forces vives de la région, qui ont depuis entamé plusieurs actions dont l’arrêt est conditionné à la satisfaction de plusieurs doléances qu’elles ont soumises aux autorités.

Suite à un mot d’ordre de désobéissance civile, les populations du cercle de Bankass étaient dans les rues le 18 avril 2024, bloquant par la même occasion l’axe Bandiagara – Bankass sur la RN15. Plusieurs véhicules dont des cars, des camions et des minibus se sont ainsi retrouvés bloqués à l’entrée de la ville pendant deux jours, avant la levée du blocus dans la matinée du 20 avril 2024.

« Nous avons décidé de lever le blocus  à la demande d’un grand leader religieux de notre région. Mais les autres décisions que nous avons prises sont maintenues », explique Mamoudou Guindo, Président du Conseil local de la jeunesse du cercle de  Bankass.

En effet, ces jeunes ont décidé de boycotter la phase régionale du Dialogue inter-Maliens et de maintenir le mot d’ordre de désobéissance civile jusqu’à la prise en charge totale de leurs doléances. Même la levée du blocus de la route est temporaire, comme l’explique M. Guindo. « Le blocus est levé juste pour quelques jours. Si nous n’avons pas de réactions des autorités, nous nous réunirons le 24 avril pour nous mettre d’accord sur la conduite à tenir pour la suite ».

L’État interpellé

En plus des actions entamées dans le cercle de Bankass, l’ensemble des forces vives de la région de Bandiagara est monté au créneau dans un communiqué en date du 19 avril 2024, en dénonçant la persistance des attaques terroristes dans la région, les récents enlèvements et prises d’otages de civils au niveau de Parou  Songobia sur la RN15, le nombre croissant de déplacés dans les grandes agglomérations de la région, « l’inaction » des forces armées et de sécurité dans la région, « malgré la montée en puissance de nos vaillantes armées », et la lenteur dans le processus de dialogue avec les différents groupes armés. « Plusieurs rencontres et dénonciations ont été faites et des promesses ont été tenues par les plus hautes autorités du pays, mais le constat demeure amer », soulignent les forces vives de la région de Bandiagara.

Dans le même communiqué, transmis au Gouverneur de la région, elles demandent aux autorités de la transition d’installer un camp militaire au niveau de Parou Songobia sur la RN15, d’engager une patrouille mixte d’envergure sur tout le territoire de la région de Bandiagara, de libérer la route Koro – Ouahigouya, de diligenter les actions en vue de la libération de tous les otages et d’accélérer le processus de dialogue pour faciliter le retour des déplacés.

Enlèvements récurrents

Selon des sources locales, au moins 110 civils sont retenus en otages par des terroristes présumés suite à l’enlèvement des bus du 16 avril 2024 sur l’axe Bandiagara – Bankass. C’est la 4ème fois depuis 2021 que des enlèvements ont lieu  dans cette zone.

« Le 10 novembre 2021, 3 de nos cars ont été enlevés et jusqu’à présent les otages ne sont pas libérés, parmi lesquels un maire adjoint, un chef de village et le premier Vice-président du Conseil local de la jeunesse », raconte Mamoudou Guindo.

Pour rappel, deux ans plus tard, le 7 novembre 2023, 3 véhicules appartenant à différentes compagnies de transport avaient été également enlevés sur le même axe.  Les assaillants avaient libéré toutes les femmes à bord, avant d’amener avec eux tous les hommes. Un véhicule et ses passagers avaient été par la suite libérés sous caution. Quelques jours plus tard, un autre car avait été à nouveau intercepté au même endroit et ses passagers masculins emmenés vers une destination inconnue.

Soumaïla Lah : « Rien ne laissait présager des affrontements entre le CSP et le JNIM »

Le CSP et le JNIM se sont affrontés le 6 avril dernier à Nara, occasionnant des pertes des deux côtés. Comment comprendre cet affrontement inédit entre deux groupes que beaucoup d’experts présentaient comme alliés ? Est-ce un tournant ? Soumaïla Lah, Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la sécurité répond.

Plusieurs sources indiquent des affrontements entre le CSP et JNIM le 6 avril dernier à Nara. Comment l’interpréter ?

Ces affrontements sont difficiles à justifier quand on sait la collusion entre le CSP et le JNIM depuis la suspension par les groupes armés de leur participation à l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, sur fond de rétrocession des camps de la MINUSMA. Pour rappel, les deux entités, à plusieurs reprises, ont convergé pour s’opposer à la récupération des camps par les Famas. Pour autant, au regard de l’historique des relations entre elles, ce n’est pas la première fois que des alliances de circonstance sont nouées et dénouées selon le contexte du moment. Cependant, rien ne laissait présager ces affrontements entre le CSP et le JNIM au moment où le contexte est favorable à la logique de la continuité d’une alliance de circonstance. Des différents idéologiques ou territoriaux peuvent justifier ces affrontements. 

Alors que la collusion était avérée entre ces deux groupes, ces affrontements marquent-ils un tournant ?

Absolument, même s’il est difficile pour l’heure d’en déterminer les tenants et les aboutissants. En 2012 déjà, ce type d’alliance avait été scellé pour finalement éclater sur fond de différents idéologiques et sécuritaires irréconciliables. 

Le CSP, dont la base se trouvait au nord, notamment à Kidal, a voulu s’incruster vers Nara? Comment comprendre cette stratégie ? Pourquoi ?

Le CSP n’a plus accès à Kidal depuis un moment. Il a trouvé un point de chute aux  confins de la frontière entre le Mali et l’Algérie. Cette perte de repères, perçue comme un repli stratégique, ouvre forcément la voie à la recherche de nouvelles positions. Nara est stratégique et facilite le transit entre le Mali, la Mauritanie et l’Algérie, mais c’était sans compter sur la volonté du JNIM de ne pas laisser un mouvement, fût-il un allié de circonstance, prendre position dans une zone où il a posé ses bagages depuis un moment, sa zone de confort. 

Nara n’est pas loin de la frontière mauritanienne. Peut-on supposer que des combattants du CSP se réorganisent en Mauritanie plutôt qu’en Algérie ?

Nara constitue aujourd’hui un carrefour et le CSP est à la recherche de zones stratégiques pour se réorganiser. Cette hypothèse n’est donc pas à exclure.

Terrorisme : le JNIM multiplie les attaques dans le centre

Des terroristes du JNIM ont attaqué hier mercredi le poste FAMa de Dinangourou dans le cercle de Koro. L’armée a confirmé l’attaque ce matin mais n’a pas fourni de bilan, assurant dans son communiqué que les évaluations sont en cours. Certaines sources locales affirment qu’une dizaine de militaires ont été tués au cours de l’attaque. Le nombre de terroristes neutralisés n’est pour l’instant pas connu. Selon l’agence d’information du Burkina, les terroristes après leur attaque ont fui vers le Burkina Faso. Dans un village nommé Windeboki, ils ont marqué un temps d’arrêt, c’est là que le vecteur aérien burkinabè a procédé à des frappes toujours selon l’agence tuant plusieurs terroristes. Les rescapés sont retournés au Mali où les attendaient les vecteurs aériens des FAMa qui ont également procédé à des frappes. L’attaque du poste de Dinangourou est intervenue quelques heures seulement après l’annonce par l’armée de son entrée dans la ville d’Aguelhok. Depuis plusieurs semaines, les terroristes du JNIM multiplient les attaques contre les positions de l’armée. Le chef du groupe terroriste, Iyad Ag Ghaly, apparu pour la première fois dans une vidéo depuis deux ans, le 12 décembre dernier a annoncé une nouvelle phase dans le conflit au Sahel. Le jour de la diffusion de la vidéo, le JNIM a attaqué le camp de l’armée à Farabougou, village symbole, longtemps sous blocus terroriste. Des sources locales évoquent là aussi des victimes civiles et militaires mais dans sa communication, l’armée dit avoir mené avec succès une riposte vigoureuses qui a permis de repousser l’attaque. Toutefois, des militaires ont été fait prisonniers à la suite de cette attaque. Le groupe terroriste a diffusé le 19 décembre des vidéos de certains d’entre eux. L’armée a dénoncé un acte lâche qui a pour but de démoraliser les troupes et assure que tout sera mis en œuvre afin de permettre aux otages de recouvrer leur liberté.

Terrorisme : Iyad Ag Ghaly annonce une nouvelle phase au Sahel

Silencieux depuis août 2021, le chef du JNIM vient de réapparaitre dans une vidéo de propagande diffusée le 12 décembre 2023. Alors que la justice malienne a ouvert une enquête le visant, ainsi que d’autres chefs locaux d’Al-Qaïda et des séparatistes touaregs, le 28 novembre dernier pour « actes de terrorisme, financement du terrorisme et détention illégale d’armes de guerre », Iyad Ag Ghaly décrit un changement dans le conflit au Sahel, citant de nouvelles alliances et appelant à la mobilisation régionale. Ag Ghaly prédit également « l’échec » des gouvernements sahéliens alignés sur la Russie, semblable, selon lui, au sort de l’intervention française. Il soutient que les atrocités présumées commises par ces forces conduiront à une présence djihadiste accrue. Cette réapparition d’Iyad Ag Ghaly coïncide avec la reprise de Kidal, auparavant bastion des groupes rebelles du CSP-PSD, par l’armée malienne. Selon certains analystes, le chef du JNIM cherche à exploiter les dynamiques changeantes, les mécontentements et les réalignements géopolitiques dans le Sahel.

Alliance des États du Sahel : la pleine opérationnalisation en marche

Instituée le 16 septembre dernier par la signature de la Charte du Liptako-Gourma entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, dans l’objectif d’établir une architecture de défense collective et d’assistance mutuelle aux parties contractantes, l’Alliance des États du Sahel (AES) vient d’amorcer à Bamako sa pleine opérationnalisation.

Un peu plus de deux mois après sa création, l’opérationnalisation de l’Alliance des États du Sahel est en marche, conformément aux dispositions de la Charte du Liptako – Gourma qui prévoyait à son article 15 qu’elle serait « complétée par des textes additionnels, en vue de la mise en œuvre des dispositions prévues à l’article 3 », qui lui-même stipulait que « les Parties contractantes mettront en place ultérieurement les organes nécessaires au fonctionnement et mécanismes subséquents de l’Alliance et définiront les modalités de son fonctionnement ».

Aller vite et bien. Tel semble être le mot d’ordre des plus hautes autorités du Burkina Faso, du Mali et du Niger dans la mise en place de cette nouvelle Alliance, dont la phase de concrétisation est enclenchée depuis le 23 novembre 2023, avec des concertations ministérielles à Bamako.

Accélérer l’intégration économique

Une première réunion ministérielle de l’Alliance des États du Sahel sur le développement économique dans l’espace du Liptako-Gourma s’est tenue le 25 novembre 2023 dans la capitale malienne, réunissant les ministres chargés de l’Économie et des Finances, de l’Énergie, du Commerce et des Industries des pays membres. Cette réunion ministérielle sur les questions de développement économique visait à créer une synergie d’actions pour l’accélération du processus d’intégration économique et financière de l’Alliance.

Précédée de la rencontre des experts, les 23 et 24 novembre, qui ont échangé sur différentes thématiques telles que les échanges commerciaux, la circulation des personnes et des biens au sein de l’AES, la sécurité alimentaire et énergétique, la transformation industrielle, les potentialités et perspectives, le financement,  l’intégration économique, l’arsenal réglementaire et les réformes nécessaires, elle a accouché de plusieurs recommandations.

Celles-ci portent sur l’accélération de la mise en place de l’architecture juridico-institutionnelle et des mécanismes de financement des instances de l’AES, l’amélioration de la libre-circulation des personnes dans l’AES et le renforcement de la fluidité et de la sécurité des corridors d’approvisionnement, en luttant notamment contre les pratiques anormales et les tracasseries dans l’espace AES.

Les ministres ont aussi opté pour l’accélération de la mise en œuvre de projets et programmes énergétiques, agricoles, hydrauliques, de réseaux de transport routier, aérien, ferroviaire et fluvial dans les États de l’AES, la création d’une compagnie aérienne commune, le développement des aménagements hydro-agricoles d’intérêt commun, pour booster la production agricole, la construction et le renforcement des projets d’infrastructures et la mise en place d’un dispositif de sécurité alimentaire  commun aux trois États de l’AES à travers des organes dédiés.

Ils ont en outre recommandé la réalisation d’infrastructures adaptées pour le développement du cheptel et la mise en place d’abattoirs modernes pour l’exportation de la viande et des produits dérivés de l’espace AES, le développement des stocks de sécurité pour améliorer les capacités de stockage en hydrocarbures, la mise en place d’un fonds pour le financement de la recherche et des projets d’investissements énergétiques et en matière de substances énergétiques, notamment à partir de l’exploitation des ressources minières.

Parmi les autres recommandations figurent la réalisation des projets de centrales nucléaires civiles à vocation régionale, l’élaboration d’une stratégie commune d’industrialisation des pays de l’Alliance, la promotion du financement d’infrastructures communautaires par la diaspora, la mise en place d’un Comité d’experts pour approfondir les réflexions sur les questions de l’Union économique et monétaire, la promotion de la diversification des partenariats et la création d’un fonds de stabilisation et d’une banque d’investissement de l’AES.

Les ministres de l’Économie et des Finances des pays membres ont également décidé de la mise en place d’un Comité de suivi de la mise en œuvre de toutes les recommandations issues de leur réunion. « Il y a de bonnes idées, comme le G5 Sahel. Maintenant, il s’agit de les matérialiser. C’est cette matérialisation qui pose beaucoup de problèmes. Il ne s’agit pas de se réunir ou de seulement planifier », estime Hamidou Doumbia, porte-parole du parti Yelema.

Une architecture institutionnelle en gestation

En prélude à la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’Alliance des États du Sahel qui s’est tenue le jeudi 30 novembre, toujours à Bamako, les experts des trois pays se sont réunis les 27 et 28 novembre et se sont penchés sur des propositions pour une structure institutionnelle de l’Alliance, avec les différents organes à mettre en place et l’articulation entre ces organes, à travers des mécanismes de fonctionnement et d’articulation clairement établis.

Ils ont en outre eu pour tâche de compléter la Charte du Liptako-Gourma, texte constitutif de l’AES, pour intégrer aux aspects de défense et de sécurité la dimension diplomatique et les questions relatives au développement économique de l’espace commun aux trois États. « Nous vous chargeons de nous proposer les bases pour faire de l’AES cette Alliance que nos populations attendent, cette Alliance qui leur fera sentir et vivre des conditions améliorées, en œuvrant à la paix et la stabilité ainsi qu’au développement harmonieux de nos États », a dit le Chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, à l’ouverture des travaux.

« Nous attendons de vous des recommandations pour que le Burkina, le Mali et le Niger, liés par une histoire, une culture et des valeurs communes, mais surtout liés par une relation stratégique particulière, puissent parler d’une seule et même voix partout où cela sera nécessaire », a-t-il ajouté.

Les travaux des experts étaient organisés en différents sous-comités, dont « Diplomatie et questions institutionnelles », « Défense et Sécurité » et « Questions de développement économique ». Selon une source au ministère des Affaires étrangères du Mali, leurs recommandations, qui n’ont pas fait l’objet de communication, seront soumises à l’examen des ministres des Affaires étrangères lors de la réunion de ce jeudi, avant d’être rendues publiques à la fin de la session ministérielle.

Bras de fer en vue avec la CEDEAO ?

Le processus d’opérationnalisation de l’AES est enclenché à quelques jours de la tenue du prochain sommet ordinaire de la CEDEAO, avec laquelle sont en froid les 3 pays membres de l’Alliance. D’ailleurs, l’AES, née dans un contexte où l’institution sous-régionale ouest africaine brandissait la menace d’une intervention militaire au Niger pour réinstaller le Président déchu Mohamed Bazoum, s’apparente pour certains observateurs à une organisation « rivale » de celle-ci.

« L’alliance des États du Sahel est en train de prendre une autre forme, qui peut peut-être sembler être une substitution à la CEDEAO ou une alliance qui accepte ceux qui ne sont pas forcément en ligne droite avec les principes démocratiques. Cela me semble très circonstanciel », glisse le politologue Cheik Oumar Doumbia.

Selon nos informations, au cours du sommet de la CEDEAO prévue le 10 décembre prochain à Abuja, au Nigéria, les Chefs d’États vont à nouveau se pencher sur la situation dans les pays en transition et exiger le retour à l’ordre constitutionnel dans les délais convenus. Les sanctions contre le Niger pourraient être maintenues et le Mali pourrait en subir de nouvelles, suite au report sine die en septembre dernier de l’élection présidentielle, initialement prévue pour février 2024.

Mais, selon certains observateurs, l’opérationnalisation enclenchée de l’AES pourrait contribuer à freiner les ardeurs des Chefs d’États de la CEDEAO dans la prise de sanctions contre les trois pays de l’Alliance, qui pourraient alors claquer la porte de l’organisation sous-régionale.

« Un éventuel éloignement de l’Alliance des États du Sahel pourrait remettre en question la cohésion et la solidarité au sein de la CEDEAO. Ces trois pays sont géographiquement situés en plein cœur de la région et leur intégration est essentielle pour la mise en œuvre des projets régionaux, tels que les infrastructures de transport et le commerce transfrontalier. Leur départ pourrait donc ralentir ou compromettre ces projets », avertit un analyste.

JNIM : le groupe terroriste veut-il couper le nord du reste du pays ?

Le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (JNIM, acronyme arabe) cible de plus en plus les différents moyens de transport, laissant penser à la mise en œuvre d’une stratégie visant à couper le nord du reste du pays.

En se prenant au bateau « Tombouctou » le 7 septembre et à l’aéroport de Tombouctou 4 jours plus tard, le JNIM semble être dans une stratégie globale d’isolement des régions du nord du reste du pays.  

« L’objectif est clairement de couper le nord du pays. Je pense que contrairement à 2012, où ils ont massivement et brutalement occupé les régions du nord jusqu’à Konna, cette fois-ci ils sont en train de reconquérir les mêmes zones, avec beaucoup plus de subtilité », estime le journaliste Tiégoum Boubèye Maiga.

« Le blocus au niveau de Léré, qui va jusqu’à Nampala en passant par Konna et Douentza, signifie, qu’on le veuille ou non, que le Mali est coupé est deux. Le bateau était le seul moyen ces derniers temps, les routes sont coupées et maintenant les avions sont menacés. Cela veut dire que quelque part aujourd’hui la mobilité est inexistante », poursuit-il.

L’analyste politique et sécuritaire Soumaila Lah est du même avis. « Il y a le nord aujourd’hui qui est au centre de toutes les préoccupations. Je pense que le fait de s’attaquer à ces moyens de transport dénote de la volonté du JNIM de s’affirmer d’une part et d’envoyer un message clair à Bamako de l’autre, pour dire qu’ils ont toujours une certaine préséance et qu’ils se battront jusqu’au bout », analyse-t-il.

Ces attaques surviennent par ailleurs dans un contexte où le groupe d’Iyad Ag Ghaly a placé la ville de Tombouctou sous blocus depuis quelques semaines, arrêtant les approvisionnements de l’extérieur, en provenance notamment de l’Algérie et de la Mauritanie.  

Dans cette stratégie, le JNIM a visiblement un allié de taille, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), déterminée de son côté à ne pas céder les zones sous son contrôle à l’armée malienne, qui est en train de reprendre toutes les emprises de la MINUSMA.

Pour M. Lah, la collusion entre la CMA et le JNIM dans les attaques récentes est avérée. « Ce n’est pas un fait nouveau. En 2012 il y avait déjà cela. Je pense que le fait d’être aujourd’hui en position de faiblesse oblige ces organisations à cheminer ensemble pour éventuellement prendre le pas sur les FAMa », souligne le Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la Sécurité.

Sécurité : la guerre entre dans une nouvelle phase

La situation sécuritaire dans le nord du pays s’est considérablement dégradée depuis le début du mois de septembre, avec la multiplication des attaques terroristes visant des positions des Forces armées maliennes (FAMa) mais aussi des civils. Par ailleurs, alors que l’armée s’apprête à reprendre les camps de la Minusma dans la région de Kidal, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), de son côté, est déterminée à garder les zones sous son contrôle.

49 civils et 15 militaires tués, des blessés et des dégâts matériels. C’est le bilan provisoire donné par le gouvernement de la double attaque terroriste revendiquée par le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (JNIM) le 7 septembre 2023, contre le bateau « Tombouctou » reliant Gao à Mopti et la base militaire des FAMa à Bamba, dans la région de Gao.

407 rescapés de cette attaque sont arrivés le jour suivant à Gourma-Rharous, où dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, ils appelaient les autorités de la Transition à l’aide. « Tous mes enfants sont morts, ma famille entière, il ne me reste plus que mon petit-fils, que vous voyez avec moi », se lamente un vieil homme devant un groupe de rescapés qui scande : « nous voulons quitter ici ». « Nous avons perdu beaucoup de personnes, des enfants tout comme des adultes et des personnes âgées. Nous sommes fatigués. Nous n’avons ni à manger ni à boire, nous avons tout perdu dans cette tragédie. Nous voulons rentrer chez nous », confie, très remontée, une femme. Ce sont les affres, les dernières d’une guerre qui s’étend et devient de plus en plus meurtrière.

Le 8 septembre, au lendemain de cette double attaque, le camp militaire de Gao a été à son tour la cible d’une attaque terroriste faisant une dizaine de morts et des blessés parmi les Forces armées maliennes, suivie 3 jours après, le 11 septembre, de tirs d’obus à l’aéroport de Tombouctou occasionnant des dégâts matériels dans le camp de la MINUSMA s’y trouvant.

Guerre ouverte

Au même moment où les attaques du JNIM se multiplient, la CMA, de son côté, mène des actions dans le but d’empêcher la perte des zones qu’elle contrôle dans le nord du pays. Dans un communiqué en date du 10 septembre, le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), regroupant la CMA et d’autres mouvements signataires de l’Accord pour la paix, « tout en désignant la junte au pouvoir à Bamako comme seule responsable des conséquences graves qu’engendrera sa stratégie actuelle de rompre le cessez-le feu », déclare « adopter dorénavant toutes mesures de légitime défense contre les forces de cette junte partout sur l’ensemble du territoire de l’Azawad ».

« Le CSP-PSD appelle les populations civiles à s’éloigner au maximum des installations, mouvements et activités militaires et les assure que ses forces feront de la sécurisation des personnes et de leurs biens leur priorité contre toutes sortes de menaces », poursuit le communiqué, signé du Président Alghabass Ag Intalla. Mais le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) et la Plateforme des mouvements du 14 juin d’Alger s’en sont désolidarisés pour n’avoir pas été associé à la rédaction de la déclaration.

Le 11 septembre, dans une « communication en temps de guerre », la cellule d’information et de communication des affaires militaires de l’Azawad, créée quelques jours plus tôt, demandait « à tous les habitants de l’Azawad de se rendre sur le terrain pour contribuer à l’effort de guerre dans le but de défendre et protéger la patrie et ainsi reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire national azawadien ». Pour concrétiser ses menaces, la CMA est passé à l’acte le 12 septembre en s’attaquant à une position de l’armée malienne à Bourem, dans la région de Gao. Selon certaines sources, le dispositif de l’armée malienne qui doit reprendre les camps de la MINUSMA dans la région de Kidal est stationné dans cette zone. Les combats violents ont duré plusieurs heures et la CMA s’est repliée suite à l’intervention des vecteurs aériens de l’armée, qui ont effectué de nombreuses frappes. L’État-major général des armées, qui n’évoque pas la CMA dans son communiqué, parle « d’une attaque complexe aux véhicules piégés de plusieurs terroristes à bord de plusieurs véhicules et motos ». Bilan, « 10 morts et 13 blessés dans les rangs des FAMa et 46 terroristes neutralisés, plus de 20 pickups détruits, y compris ceux équipés d’armes ». Signe que la collusion réelle entre la CMA et le JNIM, comme ce fut le cas en 2012, est désormais bien intégrée dans la communication de l’armée. Ces affrontements directs entre les deux principaux protagonistes signent aussi la « mort cérébrale » de l’Accord pour la paix signé en 2015, du moins en l’état, à moins que la communauté internationale, en l’occurrence l’Algérie, chef de file de la médiation, jusqu’alors silencieuse, ne tente de faire rasseoir les parties autour de la table.

Nouveau tournant

En attendant, pour l’analyste politique et sécuritaire Moussa Djombana, la montée des tensions dans le nord s’explique par une combinaison de facteurs, notamment la volonté d’occupation de l’espace laissé par le départ progressif de la MINUSMA et le renforcement des capacités militaires des FAMa, qui envisagent des offensives, y compris dans les zones couvertes par le cessez-le-feu de 2014. « Cela a provoqué la colère de la CMA, qui interprète cela comme une violation du cessez-le-feu et une agression », souligne-t-il.

La reprise des hostilités, qui semblait inévitable entre les deux camps, fait basculer la situation sécuritaire dans le pays dans une nouvelle phase depuis la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation en 2015.

À en croire M. Djombana, elle risque de se détériorer davantage par la suite. « Pour les autorités maliennes, les opérations visent les groupes armés terroristes, pas la CMA. Cependant, pour la CMA, la violation du cessez-le-feu de 2014 et la caducité de l’Accord pour la paix sont une réalité depuis quelque temps. Les FAMa ont pris Ber grâce à une opération militaire d’envergure, un bastion de la CMA depuis 2012, ce qui augmente la probabilité de nouveaux affrontements », analyse-t-il.

Même son de cloche chez le géopolitologue et expert des groupes extrémistes au Sahel Dr. Alpha Alhadi Koïna. « On sait qu’aujourd’hui les groupes armés ne veulent pas du tout laisser l’armée s’installer confortablement dans certaines zones qu’ils prétendent être leurs fiefs. Ber était l’une d’elles. Aujourd’hui, l’armée est aussi déterminée à occuper Aguelhok, Tessalit et plus tard Kidal. S’il n’y a donc pas de négociations, il est fort probable que des affrontements aient lieu », avance-t-il.

Pour Dr. Koïna, la position et la posture actuelle des groupes armés s’expliquent par le fait que la MINUSMA étant en train de partir, « ils essayent d’occuper le plus tôt possible le terrain et d’harceler l’armée avant qu’elle ne puisse se positionner. Pour y parvenir, il est important pour ces groupes armés et terroristes de terroriser la population et de faire peur à l’armée ». « La CMA a tout à perdre si l’armée malienne récupère Kidal. Il est tout à fait normal qu’elle essaye de tout faire pour rester sur ses positions », glisse-t-il.

Gao : attaque terroriste contre le camp des FAMa

Seulement 24 heures après la double attaque terroriste contre le bateau Tombouctou de la compagnie malienne de navigation fluviale (COMANAF) et le poste de Bamba, ayant entraîné la mort de 49 civils et de 15 militaires, les groupes armés terroristes ont encore mené une attaque complexe contre le camp militaire à Gao. L’armée a annoncé l’attaque ce matin dans une publication précisant que la riposte et l’évaluation étaient en cours.

Une source sur place jointe par au téléphone affirme que les dégâts causés par les explosions étaient majeurs mais ne peut dire avec exactitude le nombre de décès, car difficile d’avoir accès à la zone aéroportuaire qui est quadrillée par les forces de défense.  D’après lui, ce sont trois véhicules kamikazes qui ont attaqué le camp Fihroun de Gao alors que d’autres sources évoquent plutôt deux voitures. Des terroristes auraient réussi à s’infiltrer dans le camp, et durant l’après-midi, trois d’entre eux auraient été neutralisés. L’aviation malienne a mené des frappes sur des véhicules suspects aux alentours du camp. Des proches de Fahad Ag almahmoud, leader déchu de la plateforme ont annoncé que deux de leurs véhicules ont été détruits.

Ces attaques surviennent dans un contexte de pression grandissante de groupes armés dans le nord du pays, faisant redouter une éruption de violence. Les tensions mettent aussi en péril la survie de l’accord d’Alger, signé en 2015 par l’État malien et les groupes armés du nord, visant à mettre fin aux hostilités ouvertes trois ans plus tôt.

Tombouctou : insécurité grandissante dans la région

Voilà bientôt un mois que l’insécurité croît dans la 6ème région administrative du Mali. Des attaques à répétition et un blocus visant les populations font vivre à Tombouctou des heures difficiles.

S’il fallait un énième incident sécuritaire sur les voies menant à Tombouctou pour prendre au sérieux la volonté des terroristes d’isoler la ville, il a eu lieu. Dans la nuit du 1er au 2 septembre dernier, le Fihroun Ag Alinsar, l’un des bateaux express de transport de passagers de la Compagnie malienne de navigation fluviale (COMANAF), a été victime d’une attaque dans le cercle de Youwarou alors qu’il venait de Mopti pour rejoindre la ville de Kabara, près de Tombouctou. L’attaque, perpétrée à l’arme lourde, a causé la mort d’un enfant de 12 ans et fait plusieurs blessés et des dégâts matériels.

La Cité des 333 Saints est depuis quelques semaines soumise à une pression de la part des Groupes armées terroristes (GAT), notamment le JNIM, qui, selon des sources locales, imposent un blocus à la ville depuis trois semaines.

« Tombouctou est bien sous blocus depuis mi-août. Les denrées de première nécessité n’entrent plus depuis maintenant deux semaines », assène Mohamed Ag Alher Dida, journaliste-blogueur local. « Ça a commencé d’abord par des menaces, à travers des messages vocaux, qui n’ont pas été prises au sérieux au début. Mais nous qui avons vécu la crise ici savons que les terroristes mettent généralement leurs menaces à exécution. Aujourd’hui, Tombouctou est prise en étau, de telle sorte que la ville ne se ravitaille plus via les zones frontalières vers l’Algérie et la Mauritanie. Les voies sont carrément bloquées », ajoute-t-il.

Les camions en provenance des pays frontaliers, mais aussi des voies routières passant par Bambara Maoudé ou Soumpi, qui ravitaillent la ville sont bloqués en pleine brousse ou même incendiés. Le 27 août dernier, l’un d’eux a été calciné en plein jour par des hommes armés à quelques dizaines de kilomètres du quartier d’Albaradjou. Depuis, ils sont nombreux à stationner dans les rues de Tombouctou, comme en attestent des images authentifiées qui ont largement circulé sur les réseaux sociaux le 2 septembre dernier. Sous blocus, la Ville mystérieuse est également prise pour cible. Le JNIM a revendiqué le 30 août dernier des tirs d’obus visant la zone aéroportuaire de la localité. Quelques jours après, le samedi 2 septembre, c’est le cœur de Tombouctou qui a subi les affres du terrorisme. Des obus lancés en pleine ville par les GAT ont fait un mort. « Certains disent qu’il n’y a pas de blocus sur Tombouctou, mais nous, qui vivons dans la ville, savons quelle réalité nous vivons. Les GAT trompent souvent la vigilance des gens. Pendant une à deux semaines ils ne font rien, mais après ils reprennent leurs attaques », explique une source locale, selon laquelle la situation s’est fortement dégradée suite à l’entrée récente des FAMa à Ber.

Face à la situation « dangereuse », les ressortissants de la région se mobilisent. Outre les dénonciations sur les réseaux sociaux, des rencontres « pour trouver une solution » sont en cours sur place et également à Bamako.

Le lundi 9 septembre 2023, l’Association des ressortissants pour le développement du cercle de Tombouctou (ARDCT) et l’ensemble des Présidents des associations de ressortissants des cercles de Diré, Goundam, Niafunké et Gourma-Rharous, avec plusieurs leaders communautaires, ont rencontré le Premier Ministre, Choguel Kokalla Maïga autour de la situation de Tombouctou. Les organisations locales réclament, entre autres, « la pleine implication des structures et des acteurs locaux dans la recherche de toutes les solutions idoines à la situation actuelle que vit la région, le ravitaillement normal des populations en denrées alimentaires et en produits pharmaceutiques, le plein soutien à la COMANAF et à SKY-Mali, en vue de leur permettre d’assurer le transport des personnes et des biens en toute sécurité, et la sécurisation des axes routiers en renforçant le dispositif sécuritaire en place ».

Enlèvements : comment se déroulent les négociations ?

Qu’ils soient Occidentaux ou Africains, les otages des groupes terroristes au Sahel sont rarement libérés sans contreparties. Avant d’aboutir aux libérations, des négociations sont menées. Parfois longues et à rebondissements, elles sont conduites dans une grande discrétion.

Dès la prise d’otages, une première revendication est généralement faite par le groupe qui détient les captifs. « Une  vidéo dans laquelle l’otage s’exprime et qui fait en même temps office de preuve de vie », explique une source proche des négociations avec le JNIM.

À l’en croire, à partir de ce moment, le pays d’où est originaire l’otage cherche un médiateur. Ce dernier se dirige ensuite vers les ravisseurs. « Cela peut être aussi des coups de téléphone, mais c’est plutôt rare, parce que tout le monde écoute tout le monde dans la zone », nous glisse-t-elle.

Les ravisseurs posent ensuite leurs conditions au médiateur, qui  rend compte à son tour à un représentant des pays concernés ou à un diplomate. Les services de renseignement de certains pays sont généralement impliqués, selon notre source.

Le médiateur repart à nouveau vers les ravisseurs, avec une réponse qui est souvent la demande d’une preuve de vie particulière des otages, à travers des questions intimes auxquelles seuls ces derniers peuvent répondre. « Par exemple, la date de son mariage, ou celle de la naissance de son premier fils ». Il revient vers ses employeurs avec les réponses et repart avec de nouvelles questions.

« Cela peut prendre des semaines, voire des mois. Généralement ça bloque sur deux choses. Le montant, parce qu’il n’y a pas de prix fixe. On fait monter les enchères. Ensuite, comme preuve de bonne foi, on peut amener des médicaments à l’otage jusqu’à sa libération ».

Une fois que les deux parties tombent d’accord, le processus de libération est enclenché. Un dispositif de sécurité est mis en place pour s’assurer que toutes les conditions sont réunies. Selon notre interlocuteur, tout est calibré. « Les djihadistes ont le temps de compter l’argent et de se mettre en sécurité et l’otage repart avec le médiateur ou l’intermédiaire ».

Dans la plupart des cas, les otages sont très peu tenus au courant de l’évolution des négociations. Olivier Dubois, otage français libéré des mains du JNIM en mars dernier après près de 2 ans de captivité, assurait dans la longue interview qu’il nous a accordée ensuite qu’il était maintenu dans le flou.

« Seul moment où je comprends qu’il y a des négociations, c’est en novembre 2021. Parce qu’ils viennent me voir pour tourner une vidéo preuve de vie. On me dit qu’ils sont en train de discuter avec les Français et que ces derniers demandent cette vidéo. Mais je n’étais pas tenu au courant de ce qui se passait ».

JNIM : le lucratif business des enlèvements

Même s’il n’en détient pas le monopole, le JNIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) a érigé au fil des années les enlèvements au Sahel en modus operandi. Depuis que sa rivalité s’est accentuée, à partir de février 2020, avec l’EIGS (État islamique au grand Sahara), le groupe d’Iyad Ag Ghaly a multiplié les rapts. Expatriés européens, nationaux de divers profils, la liste des otages passés, ou qui sont encore dans les mains du JNIM au Mali, est longue. Que tire ce groupe terroriste de ces enlèvements ?

Officiellement, pour la libération le 20 mars 2023 de l’ex-dernier otage français dans le monde, Olivier Dubois, détenu pendant près de deux ans par le JNIM, et de l’humanitaire américain Jeffrey Woodke, enlevé au Niger en 2016, les autorités françaises et américaines sont catégoriques : aucune rançon n’a été versée et aucune libération de prisonniers n’a servi de monnaie d’échange.

Mais difficile de s’en tenir à ces versions quand on sait que dans la plupart des enlèvements d’Occidentaux en Afrique, la libération n’intervient qu’après des paiements de rançons et/ou la remise en liberté de terroristes prisonniers. À en croire certaines sources issues du renseignement malien et relayées par des médias locaux, au moins quelques millions d’euros auraient été versés pour obtenir la libération des deux ex-otages.

L’ancien Président François Hollande reconnaissait en 2016  que des rançons avaient été payées pour certains Français retenus en captivité, en l’occurrence les journalistes Hervé Ghesquière et Stéphane Taponnier, enlevés en Afghanistan en 2009 et libérés en 2011, et  Florence Aubenas, enlevée en 2005 en Irak puis libérée quelques mois après.

Comme pour Olivier Dubois, près de 3 ans plus tôt, Paris a toujours démenti avoir payé, en plus d’échange de prisonniers,  pour la libération de Sophie Pétronin, autre otage française longtemps détenue au Mali et libérée en octobre 2020 en même temps que l’ancien Chef de file de l’opposition malienne Soumaïla Cissé et 2 Italiens, Nicola Chiacchio et Pier Luigi Maccalli.

Dans la foulée, sur RFI, Ahmada Ag Bibi, ancien membre d’un groupe djihadiste qui sert quelquefois d’intermédiaire lors des négociations, affirmait que 2 millions d’euros avaient été versés comme rançon au JNIM  pour l’ancien Président de l’URD, décédé depuis.

De l’argent et des concessions

La manne financière que le JNIM et les groupes terroristes tirent des enlèvements est très importante. Une source spécialiste de ces mouvements djihadistes l’estime à « 40 à 50 milliards de francs CFA perçus de 2003 à aujourd’hui ». « La prise d’otages européens  a fait des djihadistes au Sahel des milliardaires en francs CFA, cela ne fait aucun doute », avance cette source, qui a requis l’anonymat. De son point de vue, c’est d’ailleurs pour cette raison que les Occidentaux, et plus particulièrement les Européens, sont les cibles privilégiées du JNIM, parce que les pays d’où ces derniers sont originaires entament vite des négociations pour obtenir leur libération.

« Lorsqu’ils prennent des Européens et des Africains, ils libèrent plus rapidement les Africains pour deux raisons. D’abord, parce que ces derniers n’ont pas de valeur marchande, leurs États n’ont pas d’argent pour payer. Ensuite parce qu’ils font attention à ne pas enlever des locaux dans les zones qu’ils occupent. Cela pourrait amener des relations difficiles entre eux et les autochtones », explique notre source.

En dehors de l’argent qu’il perçoit à travers les rapts, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, affilié à Al Qaeda, tire d’autres avantages. « Les enlèvements rapportent soit de l’argent, soit une occasion de négocier pour aboutir à des concessions ou obtenir des accords. Souvent, ils enlèvent des chefs de villages pour faire un forcing afin d’obtenir un accord local ou un avantage quelconque », affirme un ex-otage malien.

« Dans le centre du Mali, quand le JNIM enlève des personnalités locales, politiques ou influentes dans un village ou dans une ville, il négocie des concessions qui peuvent être endogènes. Si, par exemple, on les empêche de se ravitailler en carburant dans un village qui fait de l’autodéfense, s’ils y enlèvent quelqu’un ils poussent les pions pour qu’on leur ouvre la route, qu’ils puissent quelquefois venir à la foire se ravitailler en denrées, acheter des engins ou vendre leur bétail », confie celui qui a passé deux mois au centre du Mali en 2018 dans les mains d’un groupe affilié au JNIM.

Selon lui, d’autres profils en dehors des Occidentaux intéressent le groupe dirigé par Iyad Ag Ghaly. Administrateurs civils, militaires, politiques ou encore journalistes, « dès  qu’ils jugent pouvoir tirer contrepartie d’une cible, ils n’hésitent pas ». Dans plusieurs cas, les libérations d’otages interviennent aussi après celle de prisonniers, de certaines voies ou encore l’obtention d’une garantie de non coopération avec l’armée de la part des populations.

Manque de ressources ?

C’est inédit. Quatre vidéos de revendication d’otages enregistrées et diffusées sur les réseaux sociaux en l’espace de quelques jours (entre le 28 et le 30 mai 2023). Jamais le JNIM n’avait autant « exhibé » ses captifs dans un délai aussi court. Comme à l’accoutumée dans ce genre de vidéos, le message de fond reste le même. Les otages, 1 Sud-africain et 3 Maliens, appellent les autorités de leurs pays et leurs familles à négocier leur libération.

Dans deux vidéos enregistrées le 26 mai et diffusées deux jours plus tard, le Sud-africain Gert Jacobus van Deventer, 48 ans, demande d’urgence de l’aide ou toute forme d’assistance pour faciliter ou activer toute action qui puisse conduire à sa libération.

Pour sa part Abdou Maïga, ancien député, et proche du Premier ministre Choguel Kokalla Maïga selon certaines sources, appelle également le Président de la Transition, le Colonel Assimi Goïta, et le Chef du gouvernement à tout faire pour négocier sa libération, affirmant souffrir de glaucome, de diabète et de tension.

« J’ai été arrêté par les djihadistes le 18 mars 2023 entre Koala et Nara et actuellement je suis en vie. J’étais blessé le jour où l’on m’a arrêté. Actuellement, je suis en bonne santé. Je veux que le gouvernement m’aide pour que je rentre à la maison », implore de son côté, dans une autre vidéo enregistrée le 28 mai, le Caporal Oumar Diakité, élément du 34ème Bataillon du Génie militaire.

Tout comme lui, le même jour, Abdoulaye Kanté, garde forestier enlevé fin mars dans un poste à Kita, demande dans une autre vidéo de l’aide des autorités, à ses collègues et à sa famille pour recouvrer la liberté.

La nouvelle méthode employée par le JNIM, d’autant plus avec des otages relativement peu connus, suscite des interrogations. Le groupe est-il en manque de ressources financières et est-il en train d’activer des leviers de négociations pour le combler ? Est-il en train d’expérimenter une nouvelle stratégie ? Pour l’analyste sécuritaire, spécialiste des groupes djihadistes du centre et du nord du Mali, Yida Diall, la réponse à ces deux interrogations est négative.

« Pour moi, ces vidéos ne sont  pas pour chercher de l’argent, parce que en général les otages africains ne sont pas susceptibles de faire gagner beaucoup aux terroristes. Je pense qu’ils sont en train de le faire pour un autre motif, un échange de prisonniers. Ces derniers mois, ils ont eu certains lieutenants importants arrêtés, certains, pendant que Barkhane était encore là et d’autres avec la montée en puissance de l’armée ».

Quelques otages occidentaux, dont la « valeur marchande » est réputée plus grande, sont toujours aux mains du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans. Parmi eux, entre autres, le quadragénaire roumain Iulian Ghergut, enlevé en avril 2015 au Burkina Faso puis transféré vers le Mali, et trois Italiens, Rocco Antonio Langone et Maria Donata Caivano, 64 et 62 ans, et leur fils Giovanni, 43 ans, capturés au Mali  le 19 mai 2022.