Dialogue avec les terroristes : Les divergences persistent

Alors que l’État malien mène la guerre contre le terrorisme pour recouvrer l’intégrité territoriale du pays, les appels au dialogue avec les groupes armés terroristes, en tant qu’alternative au retour de la paix, sont fréquents depuis plusieurs années. Cependant, cette question continue de diviser et les autorités de la transition sont loin d’entamer des démarches de discussion avec ces groupes, malgré les recommandations formulées lors de diverses assises nationales depuis 2017. La question revient avec insistance au fil des années. La crise sécuritaire que traverse le Mali depuis 2012 n’en finit pas, malgré les nombreuses actions entreprises pour l’endiguer.

Face à l’insuffisance des réponses apportées jusqu’à présent sur le plan militaire, certains leaders communautaires et religieux ont appelé au dialogue avec les groupes armés terroristes. Une partie importante des populations des zones touchées par l’insécurité manifeste également un grand intérêt pour ce dialogue, parmi les réponses envisagées face à ce fléau.
Depuis la Conférence d’entente nationale en 2017, le Dialogue inter-malien pour la paix et la réconciliation en mai 2024, en passant par le Dialogue national inclusif en 2019 et les Assises nationales de la Refondation en 2021, toutes les rencontres de discussions au plan national ont recommandé le dialogue avec les groupes armés terroristes.
Le dernier appel d’envergure remonte au 15 août 2024. Lors d’une rencontre au ministère de la Défense, le président du Haut Conseil Islamique du Mali, Chérif Ousmane Madani Haidara a demandé aux militaires au pouvoir d’ouvrir le dialogue avec tous les groupes armés maliens, jihadistes ou non. Le leader religieux estime que le tout sécuritaire ne peut pas mettre fin aux violences. Dans la foulée, plusieurs partis politiques et associations ont soutenu cet appel.
Définir les contours du dialogue
Pour Baba Dakono, Secrétaire exécutif de l’Observatoire citoyen sur la gouvernance et la sécurité, ouvrir une possibilité de dialogue avec les acteurs armés, y compris les mouvements qualifiés de terroristes, est une piste à explorer. L’approche militaire menée jusqu’ici a montré certaines limites, autant qu’elle gèle les leviers endogènes pour mettre fin aux violences.
Maître Abdourahamane Ben Mamata Traoré n’est pas contre l’ouverture d’un tel dialogue. Mais pour cet avocat, il est nécessaire de définir avec qui et sur quoi l’État doit discuter. Il s’oppose catégoriquement à toute renégociation de l’architecture institutionnelle du Mali avec des groupes armés, quelle que soit leur puissance militaire.
« On peut négocier avec les groupes armés, non pas sur les questions politiques et institutionnelles ni sur la destinée de la nation, mais simplement sur les conditions du dépôt des armes et leur insertion dans la vie sociale, économique ou professionnelle », argue-t-il.
L’État opposé ?
Bien que les autorités de la transition, qui se sont engagées à mettre en œuvre toutes les recommandations issues des ANR ainsi que du Dialogue inter-malien, n’aient pas officiellement mis de côté le dialogue avec les groupes armés terroristes, elles ne semblent pas disposées à explorer cette option. Le 11 octobre dernier, le Premier ministre Choguel Kokalla Maiga a exprimé son refus du dialogue avec les terroristes devant les membres de la Haute Administration et de la Haute Hiérarchie Militaire, lors de la session d’appropriation du Programme national d’éducation aux valeurs.
Pour le chef du gouvernement, il est hors de question de dialoguer avec ces groupes armés qui ont pris les armes contre l’État. « Nous ne négocierons pas avec les terroristes. Il faut les combattre », a-t-il tranché.
« Certains Maliens soutiennent que l’option militaire, à elle seule, ne suffit pas et qu’il faut négocier avec les terroristes. Personne ne dit le contraire. D’ailleurs, nous n’avons fait que négocier pendant 30 ans. Face au terrorisme, on se bat, on l’écrase et après on négocie. Un État qui se lance dans des négociations sans rapport de force favorable se voit imposer ce qu’on veut », a défendu le Premier ministre.
Mohamed Kenouvi

Centre du Mali : L’interminable instabilité

Alors que la localité de Tinzawatène, dans l’extrême nord du pays, à la frontière avec l’Algérie, mobilise depuis plusieurs semaines les grands moyens de l’armée pour son contrôle, le Centre du Mali continue de s’enfoncer dans la crise. Les conséquences de l’insécurité généralisée qui règne dans les régions de cette partie du pays depuis des années se multiplient, faisant du Centre une zone en constante quête de stabilité.

Le Centre du Mali est-il condamné ad vitam æternam à croupir dans l’instabilité ? Depuis 2015, lorsque la crise sécuritaire s’est intensifiée, elle s’est métastasée au fil des années pour atteindre les régions de cette partie du territoire national. Bien que les régions de Mopti, Bandiagara, Douentza et Ségou, où les groupes armés terroristes subissent de plus en plus fréquemment les ratissages des Forces armées maliennes, continuent d’enregistrer quelques attaques sporadiques, celle de San fait face depuis quelques semaines à une augmentation des incidents sécuritaires visant les forces de sécurité, particulièrement dans le cercle de Tominian.

Le 9 octobre dernier, une mission d’escorte de la Garde nationale a été prise dans une embuscade entre Wena et Ganga, faisant un mort et des blessés dans les rangs de l’armée. Plus tôt, au début du mois d’octobre, une autre mission de la Gendarmerie nationale avait été visée par une embuscade dans la même zone, à Ouan. Fin juillet, une patrouille de la Gendarmerie nationale a également été attaquée par des éléments du JNIM au nord-est de Timissa, causant des morts et des dégâts matériels des deux côtés.

Les civils ne sont pas épargnés. Au cours des derniers mois, plusieurs forains ont été la cible d’attaques de groupes armés. Une église dans la localité de Mandiakuy a également été prise pour cible. Ces groupes armés ont multiplié les incursions dans d’autres villages de la région de San, notamment ceux qui ont refusé de conclure des pactes de soumission avec eux. En conséquence, plusieurs personnes ont été contraintes de se déplacer vers le chef-lieu de la région ou d’autres localités avoisinantes.

Déplacements massifs

Ces récents déplacements dans la région de San viennent accentuer l’épineux problème des personnes déplacées internes auquel est particulièrement confronté le Centre du Mali ces dernières années. Selon la Direction régionale du développement social et de l’économie solidaire (DRDSES) de Mopti, il a été enregistré concernant les personnes déplacées internes (PDI) dans la région au cours du premier semestre de l’année 2024, un total de 465 ménages, regroupant 2 522 personnes, 1 165 hommes et 1 357 femmes. Parmi eux, 1 455 enfants.

Sur la même période, la Matrice de suivi des déplacements (DTM) publiée par la Direction nationale du développement social (DNDS) a recensé plus de 11 500 personnes déplacées internes supplémentaires à Bandiagara, Douentza et Mopti, soit 33% du total des PDI identifiées dans le Centre. Plus globalement, à la date du 31 mai 2024, dans la région de Mopti, 17 611 ménages, soit un total de 57 524 personnes, étaient déplacés. C’est la région qui enregistre le plus grand nombre de ménages déplacés même si, en termes d’individus touchés, la région de Ménaka vient en première position. Avec respectivement 47 122, 38 940 et 15 741 personnes déplacées internes, les régions de Bandiagara, Ségou et San figurent parmi celles qui enregistraient le plus grand nombre de PDI à la même date. Au Centre, celle de Douentza est la moins touchée avec 6 931 personnes déplacées internes. Toutefois, ce chiffre a connu une évolution de 12,79%, puisque seules 6 145 personnes étaient concernées en décembre 2023.

Écoles fermées

Les mêmes raisons sécuritaires à l’origine du déplacement massif à l’intérieur des régions du Centre ont aussi conduit à la fermeture de plusieurs écoles. Dans la région de Mopti, la situation en juin 2024 montrait, selon les chiffres de l’Académie d’enseignement de la région, 262 écoles non fonctionnelles sur un total de 787, soit un taux de 33,29% dans les deux académies de Mopti et Tenenkou.

Selon la même source, 47% de ces écoles sont fermées en raison de la menace des groupes armés et 34% pour absence des enseignants par peur de l’insécurité. Au total, dans la région de Mopti, 745 enseignants ont abandonné leur poste.

À en croire la même source, dans la région voisine de Douentza, 223 écoles ont fermé leurs portes, privant 66 000 enfants d’accès aux classes. Une source locale contactée confirme cette situation mais affirme que la ville de Douentza n’est pas concernée. « À l’intérieur de la région, pratiquement toutes les écoles sont fermées. Mais à Douentza ville, elles ont toutes ouvert l’année passée et sont prêtes à ouvrir cette année » estime-t-il.

Économie au ralenti

La détérioration du climat sécuritaire dans le Centre du Mali a conduit au fil des années à la paralysie totale de l’économie locale. Avec la multiplication des attaques des groupes armés et la persistance de la menace terroriste dans cette zone, le tourisme, qui autrefois participait significativement à la vitalité économique des régions de Mopti et de Bandiagara notamment, ne prospère plus. Plusieurs autres activités génératrices de revenus sont également à l’arrêt.

« En ce qui concerne Bankass, on peut dire que l’économie locale est paralysée. Ni les commerçants ni les opérateurs économiques ne peuvent participer aux foires hebdomadaires des communes », se désole Mamoutou Guindo, Président du Conseil local de la jeunesse de Bankass.

« À cela s’ajoute l’arrêt des activités génératrices de revenus. Les activités des jeunes sont presque au point mort. Les femmes qui épaulaient leurs maris dans les charges des ménages ne peuvent plus tenir de petits commerces dans les foires », poursuit-il.

Ce porte-voix de la jeunesse locale de Bankass affirme par ailleurs que plus de la moitié des terres cultivables du cercle est abandonnée pour des raisons sécuritaires et, plus grave, que la plupart des champs ont été récemment affectés par les inondations. À l’en croire, l’élevage, l’autre principale activité pratiquée dans le cercle, est aussi impacté par la crise, tout le bétail ayant été emporté par les terroristes.

À Douentza, la situation est aujourd’hui un peu moins alarmante, selon une source locale qui confie qu’à l’exception d’une commune, Haïré, qui subit un blocus depuis un an et demi, sans entrée ni sortie de marchandises, « dans les autres localités, les marchés fonctionnent et les commerçants s’y rendent ».

Des initiatives sans résultats concrets

Face à la persistance de la crise sécuritaire au Centre du Mali, le gouvernement a adopté en février 2017 un Plan de sécurisation intégré des régions du Centre. Il concernait uniquement les régions de Mopti et de Ségou et avait pour objectif de pacifier ces régions et d’y réduire de manière significative, voire supprimer complètement, les causes de l’insécurité et du terrorisme par la mise en œuvre d’actions en matière de sécurité, de gouvernance, de développement local et de communication. Mais ce plan a connu des manquements dans la concrétisation des actions définies, au point que malgré son adoption, trois ans après, en 2020, la crise s’est élargie à d’autres localités.

En août 2022, deux ans après le renversement du régime du Président IBK, le gouvernement de transition a à son tour adopté une Stratégie nationale de stabilisation des régions du Centre, avec un lancement officiel en mars 2023 et un plan d’actions 2022-2024. Estimée à 956,1 milliards de francs CFA, elle s’articule autour de quatre axes : le rétablissement de la paix, de la sécurité et de la cohésion sociale ; l’amélioration de la gouvernance et le renforcement de la justice ; la gestion des questions humanitaires et le relèvement économique et la communication et la coordination des interventions. À l’instar du plan de sécurisation intégré des régions du Centre de 2017, cette Stratégie nationale peine également à résoudre définitivement la crise.

Pour Baba Dakono, Secrétaire exécutif de l’Observatoire citoyen sur la gouvernance et la sécurité, cela est dû à un certain nombre de paramètres. « La stratégie n’a jamais véritablement décollé. Elle a été élaborée principalement par le cadre politique pour la gestion de la crise sécuritaire au Centre. Ce cadre était principalement soutenu par des partenaires étrangers, dont la MINUSMA et d’autres acteurs. Avec le retrait de certains de ces partenaires, comme la mission onusienne, et le rétrécissement de l’appui au pays, le cadre politique lui-même a été fermé il y a peu plus d’un an, sans qu’on ait véritablement eu l’occasion d’implémenter cette stratégie », explique-t-il.

Pour cet expert des questions sécuritaires, la crise du Centre du Mali perdure parce que les autorités du pays peinent à trouver une réponse globale et multiforme qui inclurait, en plus de la réponse militaire, une stratégie politique, économique et sociale. « Tant qu’on n’aura pas une réponse intégrée qui prenne en compte les différentes dimensions, il sera difficile de venir à bout de cette insécurité », avertit Baba Dakono. « Il y a la nécessité d’avoir une stratégie globale de sécurisation du pays qui permettra de mettre un peu plus en avant les autres dimensions de la crise pour y apporter des réponses », conclut-il.

Mohamed Kenouvi

 

Attaques terroristes à Bamako : Les leçons à en tirer

Le 17 septembre 2024, la capitale malienne est secouée par une double attaque. L’École de la gendarmerie et l’aéroport de Sénou sont visés par des assauts revendiqués par le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM – JNIM). Deux jours après le premier anniversaire de l’AES et à quelques jours du 64ème anniversaire de l’indépendance du Mali, ces attaques ont montré la vulnérabilité face au fléau du terrorisme et peut-être la nécessité d’une réadaptation du dispositif actuel.

Dans un communiqué diffusé sur les ondes de la télévision nationale, l’État-major général des armées a qualifié de « tentative d’infiltration » l’attaque survenue très tôt, vers 5 heures du matin. Appelant les populations à rester calmes, l’État-major a souligné que les ratissages continuaient et que la situation était sous contrôle. En visite sur les lieux, à l’École de la gendarmerie le chef d’État-major, tout en se voulant rassurant, a tenu rappeler aux élèves gendarmes leur mission. « Le combat continue et il faut tirer les leçons. Le terrorisme doit être combattu. Nous sommes en guerre et vous êtes durement alertés », a-t-il notamment martelé devant des éléments qui rejoindront bientôt des unités combattantes.

Alerte

Si Bamako avait, il y a quelques années, subi des attaques terroristes ayant visé plutôt des cibles civiles, la capitale vient d’être touchée par des attaques visant des cibles militaires au cœur de la cité. Une première qui rappelle que la menace n’est jamais loin et qu’il s’agit bien d’une « guerre d’usure », selon le ministre de la Défense et des anciens combattants, Sadio Camara, à l’issue de sa rencontre avec le Président de la Transition le 23 septembre 2024. Reçu avec le ministre de la Sécurité et de la protection civile ainsi que les chefs d’États-majors et les chefs des services militaires par le Président Assimi Goïta, il a déclaré qu’il s’agissait de faire un « examen exhaustif du dispositif sécuritaire, réévaluer la menace et donner les orientations complémentaires ». S’il s’est dit plutôt satisfait de la rencontre, qui a permis de constater l’engagement des autorités politiques et militaires pour faire face au fléau ainsi que le soutien du Président de la Transition au dispositif opérationnel en cours pour la lutte contre le terrorisme, cette rencontre n’occulte pas le sentiment d’un retour en arrière, observe Jean-Hervé Jezequel, Directeur de projet à International Crisis Group (ICG).

Ces attaques qui nous ramènent quelques années derrière sont tout de même inédites, en ce qu’elles ont été dirigées contres des installations militaires. En 2015, la première attaque qui avait visé la capitale avait ciblé un bar restaurant, avant un hôtel la même année. Deux autres attaques sur des sites d’hébergement en 2016 et 2017 avaient aussi fait des victimes. Plus récemment, en juillet 2022, c’est une attaque complexe à la voiture piégée qui avait visé le camp militaire de la ville garnison de Kati, à 15 km de Bamako, faisant 8 morts et des blessés. Une attaque audacieuse qui avait fait dire aux autorités qu’il s’agissait de tentatives désespérées des groupes terroristes en débandade. Les forces armées étaient alors en pleine campagne de reconquête du territoire national. Après cette frayeur, qui avait convaincu les habitants de la capitale de l’imminence de la menace, Bamako avait plusieurs fois fait l’objet d’alertes plus ou moins réelles. Dans son discours à la Nation à l’occasion du 22 septembre 2024, le Président de la Transition a affirmé que les attaques du 17 septembre 2024 « rappellent l’impérieuse nécessité de rester vigilants et de garder une posture opérationnelle exemplaire en toutes circonstances ».

Dispositif en cause ?

La double attaque du 17 septembre 2024 est  survenue entre deux dates importantes. D’une part au lendemain du premier anniversaire de la Confédération des États du Sahel (AES), mise en place le 16 septembre 2023, avec notamment pour objectif de mutualiser les forces des trois États membres (le Burkina Faso, le Mali et le Niger) pour lutter contre le terrorisme. D’autre part à quelques jours du 64ème anniversaire de l’indépendance du Mali, célébré le 22 septembre. A priori une période d’alerte, « même si c’est difficile de sécuriser une ville comme Bamako », on peut y voir une faille du dispositif sécuritaire, note M. Jezequel.

Du côté des groupes terroristes, on peut avoir une double lecture de cette situation, selon l’analyste. C’est une stratégie habituelle pour ces groupes de forcer l’État à concentrer ses forces pour défendre les villes et donc à leur laisser un peu le champ libre dans les campagnes, où ils ont leur principal champ d’action. Secundo, il peut s’agir d’un changement de mode opératoire de leur part, mais il est encore trop tôt pour faire une telle conclusion, tempère-t-il.

Si elles affichent leur détermination, la réaction des autorités souligne la nécessité d’une vigilance accrue. En effet, au lendemain des attaques les autorités ont envisagé un certain nombre de mesures urgentes. Parmi lesquelles la fermeture de 7 marchés à bétail à Bamako et environs, des marchés soupçonnés d’avoir servi à favoriser l’infiltration de certains terroristes, et l’injonction faite aux propriétaires des camions citernes stationnés le long des axes voisins des lieux de l’attaque de les déplacer.

Enseignements 

Engagé dans une lutte acharnée contre le terrorisme depuis plusieurs années, le Mali a enregistré des succès importants, notamment dans la reconquête de l’intégrité du territoire national. Des victoires militaires qui n’ont pas pourtant endigué la capacité de nuisance des groupes terroristes. Malgré une présence effective et le redéploiement des forces armées maliennes (FAMa) dans plusieurs localités du pays, les groupes armés et terroristes continuent d’exercer une pression sur les populations. Des pressions qui se sont multipliées dans les régions de Mopti et de Ségou à l’approche de l’hivernage, obligeant de nombreux habitants à abandonner leurs localités et leurs activités champêtres.

Cela signifie donc que la stratégie actuelle a des limites. « On peut dire que la stratégie de miser sur l’outil militaire, y compris au temps des autorités civiles, n’arrive pas à endiguer la menace terroriste.   Peut-être qu’il  est temps, c’est ce que pense International Crisis Group, de donner plus de moyens à une réponse politique à ces expansions armées », suggère M. Jezequel. Une offre de dialogue politique  qui va s’adresser aux  groupes armés ou à certains des groupes terroristes disposés à discuter. Une « offre de dialogue mais pas de reddition, dans laquelle chaque partie exprime ses positions et cherche à faire des compromis ».

L’attaque du 17 septembre est justement, selon lui, un moment de réflexion qui souligne le besoin d’ajustement de la stratégie de sécurisation. « Il ne s’agit pas pour nous de dire qu’avant cela se passait bien et que maintenant c’est moins bien ». Sans nier les acquis dans la lutte contre l’expansion terroriste, l’analyste explique qu’il faut explorer les recommandations du Dialogue Inter-Maliens. Des recommandations parmi lesquelles figurait la nécessité d’une réponse politique. Il faut donc donner des moyens à cet outil du dialogue. Depuis le début de la crise, des moyens ont été accordés à la « réponse militaire, qui reste indispensable ». Mais il faut en donner aussi au dialogue. « Même si ce n’est pas une solution magique », il faut investir dans cet outil et le soutenir à nouveau.

Pour les autorités, il y a aussi des leçons à tirer. Outre la vigilance à observer comme en temps de guerre, il faut une « collaboration de la population », a insisté le chef d’État-major. Une collaboration qui doit surtout aider les forces de l’ordre dans la traque des terroristes en termes de renseignements. Mais elle doit également éviter tout amalgame, ce qui serait totalement contre productif et servirait plutôt les intérêts des terroristes.

Fatoumata Maguiraga

Mali – Algérie : Jusqu’où ira la discorde ?

Déjà tendues depuis plusieurs mois, les relations entre le Mali et l’Algérie continuent de se dégrader. Nouveau sujet de crispation entre les deux voisins, les frappes de drones menées le 25 août dernier par l’armée malienne à Tinzawatène.

Le 26 août, au lendemain de ces frappes de drones, Amar Bendjama, le représentant permanent de l’Algérie auprès des Nations Unies, a appelé depuis la Suisse, lors de la table-ronde sur les 75 ans de la Convention de Genève sur le droit de la guerre, à « mettre un terme aux violations des armées privées utilisées par certains pays ».

Le diplomate algérien, qui a également déploré des victimes civiles de ces frappes et réclamé à l’ONU des sanctions contre les auteurs de ces « exactions », faisait allusion à la présence de partenaires russes aux côtés de l’armée malienne. « En Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale, nous essayons de trouver une formule concernant ces agissements et les sanctions qui en découleraient », a-t-il indiqué.

La réplique de Bamako ne s’est pas faite attendre. Dans une déclaration, le 30 août  lors de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU sur la fourniture d’armes par les pays occidentaux à l’Ukraine, le Représentant permanent du Mali auprès des Nations Unies, Issa Konfourou, a accusé M. Bendjama d’avoir fait une affirmation « aussi grave qu’infondée », sur la base de « simples allégations de presse », et de se muer en « relais de la propagande terroriste dans notre région ».

« Je rappelle à mon collègue algérien que les forces de défense et de sécurité du Mali sont des forces professionnelles, qui mènent une lutte implacable contre les groupes terroristes dans le respect strict des droits de l’Homme et du droit international humanitaire pour libérer notre territoire et pour protéger les populations et les biens », a clamé l’ambassadeur malien.

Difficile décrispation

Depuis cette passe d’armes entre le Mali et l’Algérie à la tribune des Nations Unies, les deux pays n’ont plus affiché de positions tranchées dans la brouille qui les oppose depuis de longs mois. Mais l’heure est loin d’être à la décrispation entre Bamako et Alger. Signe des relations toujours dégradées entre les deux voisins, le Président de la Transition malien n’a jusqu’à présent pas adressé de message de félicitations au Chef de l’État algérien, Abdelmadjid Tebounne, réélu le dimanche 8 septembre dernier à la tête de l’Algérie pour un nouveau mandat.

Selon un analyste géopolitique spécialiste des questions sécuritaires au Sahel qui a requis l’anonymat, les relations entre le Mali et l’Algérie ne peuvent pas se normaliser tant que les deux pays sont dans une approche totalement opposée sur la gestion de la crise sécuritaire au Nord du Mali.

« Il faut s’attendre à une stagnation de la situation entre les deux pays. Je ne vois pas d’évolution allant dans le sens d’une décrispation, parce que d’un côté l’Algérie, qui était garante de l’Accord de paix devenu caduc, est toujours dans une posture de solutions négociées avec les rebelles touaregs, alors que de l’autre le Mali, qui taxe ces rebelles de terroristes, est plus que jamais engagé à les neutraliser dans la guerre », estime-t-il.

Mais pour notre interlocuteur, malgré cette différence de fond, les deux pays voisins n’ont pas intérêt et n’iront pas vers la rupture diplomatique. « Je pense que les autorités des deux pays n’iront pas au-delà des déclarations, du moins dans l’immédiat. Il se peut qu’un nouvel incident change la donne à l’avenir, mais je reste persuadé qu’une rupture diplomatique n’est envisagée d’aucun côté ».

En décembre dernier, les deux pays avaient rappelé pour consultation leurs différents ambassadeurs après que le Mali ait protesté contre l’invitation en Algérie de rebelles du CSP-PDA. Mais, après quelques semaines, les diplomates avaient regagné leurs postes dans les deux capitales.

Mohamed Kenouvi

Tinzawatène : Jusqu’où ira la résistance des rebelles du CSP-PDA ?

Ber, Bourem, Anéfis, Aguelhok, Tinzawatène. La liste des théâtres d’affrontements ces derniers mois entre l’armée malienne, résolument tournée vers la sécurisation du territoire national, et les groupes armés rebelles, réunis au sein du Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l’Azawad ( CSP-PDA), ne cesse de croître. D’une rare violence, les récents combats à Tinzawatène, près de la frontière algérienne, marquent un tournant depuis la reprise des affrontements entre les deux camps, en août 2023. Bénéficiant de soutiens multiformes, les rebelles Touaregs, délogés de Kidal en novembre dernier, résistent et s’accrochent.

C’est un affrontement sanglant qui a opposé du 25 au 27 juillet dernier l’armée malienne et les groupes armés rebelles regroupés au sein CSP-PDA à Tinzawatène, localité située à 233 km au nord-est de Kidal.

Dans une dynamique de récupération des dernières localités près de la frontière algérienne, où se sont réfugiés les rebelles du CSP-PDA et d’autres groupes armés terroristes en perte de vitesse, l’armée malienne, appuyée par ses partenaires russes, a lancé à la mi-juillet des opérations dans la zone.

Bataille « perdue »

Le 25 juillet, l’armée malienne et ses partenaires pénètrent à Tinzawatène, 3 jours après avoir pris le contrôle de la ville d’Inafaraq, à environ 122 km de Tessalit, et pris position à Boughessa, dans le cercle d’Abeibara, région de Kidal. Mais la colonne FAMa bute sur les combattants du CSP, fortement positionnés dans la ville-frontière avec l’ Algérie, qui ouvrent le combat.

Après une première attaque repoussée par les FAMa, les conditions météo se dégradent et une tempête de sable limite les mouvements des troupes au sol, empêchant l’intervention des vecteurs aériens de l’armée malienne. En infériorité numérique et limitées sur le terrain, les FAMa sont vites encerclées le 26 juillet par les rebelles du CSP, qui se sont réorganisés et ont été renforcés par des groupes armés terroristes de la zone.

« La bravoure et la détermination exemplaires de nos soldats n’ont pas permis d’éviter un nombre important de pertes en vies humaines et matérielles », reconnaît l’État-major général des armées dans un communiqué publié le 29 juillet. « Le 26 juillet, les combats ont redoublé d’intensité. Les groupes armées terroristes, regroupés dans une coalition opportuniste comprenant l’EIGS et le GSIM, ont lancé plusieurs véhicules kamikazes contre nos forces. L’unité FAMa a été encerclée par la coalition des forces terroristes du Sahel et de violents combats se sont engagés avant l’arrivée des renforts », explique l’armée.

Les combats se poursuivent le 27 juillet et les FAMa, qui subissent d’autres pertes dans une embuscade tendue par le JNIM, se replient sur Kidal le 28 juillet. Si dans sa communication l’État-major général des armées ne donne pas de précisions sur les pertes subies, le CSP-PDA, de son côté, fait état, dans un communiqué en date du 1er août 2024, de 9 morts, 12 blessés et 3 véhicules détruits dans ses rangs et, d’un lourd bilan humain du côté de l’armée malienne et de ses partenaires russes. Des destructions de matériels et de véhicules sont aussi revendiquées. 

Le 31 juillet, le Premier ministre Choguel Kokalla Maiga affirme publiquement que l’armée malienne a perdu la bataille à Tinzawatène mais qu’elle gagnera la guerre.

Nouvelle dimension

« Nous tenons à souligner que cette situation ne saurait remettre en cause la dynamique d’exercice de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national, comme matérialisé par la prise de contrôle d’Inafaraq », avertit l’État-major général des armées dans son communiqué du 29 juillet, laissant entrevoir une nouvelle offensive des FAMa à Tinzawatène.

Lors de sa traditionnelle conférence de presse, tenue le 5 août 2024, le Chef de la Direction de l’information et des relations publiques des armées ( DIRPA), l’a réitéré. « Dès lors que nous avons pu mettre les pieds à Kidal, nous serons à Tinzawatène. Mais nous n’allons pas vous dire quand. Retenez-le, les FAMa mettront pied à Tinzawatène vaille que vaille, au prix de notre sang », a martelé le Colonel-major Souleymane Dembélé devant la presse.

De leur côté, les rebelles du CSP-PDA, qui ont salué une « éclatante et glorieuse victoire » de leurs combattants, savent que l’armée malienne n’abdiquera pas. Ils se prépareraient à toutes les éventualités.

Selon certains analystes, l’ascendant pris lors des récents combats pourrait les galvaniser et, en plus du renfort des groupes armés terroristes de la zone et de l’appui d’États étrangers, notamment l’Ukraine – avec laquelle le Mali vient de rompre ses liens diplomatiques -, les indépendantistes Touaregs pourraient continuer de résister aux FAMa et à leurs partenaires russes dans les futurs combats pour le contrôle de la ville de Tinzawatène.

« Le conflit russo-ukrainien aujourd’hui s’exporte dans le Nord du Mali, parce que les Ukrainiens ont vu en la présence russe au Mali une nouvelle cible à abattre, et il y a de quoi s’inquiéter de l’ampleur que prend cette bataille », s’alarme Dr. Amidou Tidjani, enseignant-chercheur à l’Université Paris-13.

« Nous sommes désormais dans un conflit d’État à État à travers des acteurs indirects qui sont les groupes armés terroristes. Ce ne sont pas les groupes armés de Tinzawatène qui sont l’objet d’inquiétude, mais, à mon sens, le fait qu’ils bénéficient des moyens d’une armée conventionnelle pour attaquer l’armée malienne », poursuit-il, mettant en garde contre des attaques dans des zones beaucoup plus sensibles si ce soutien continue.

Pour sa part, Jean-Hervé Jezequel, Directeur du Projet Sahel à International Crisis Group paraît plus mesuré. « Ce n’est pas étonnant que chaque camp essaye de se trouver des alliés extérieurs, mais le brouillard de la guerre est encore épais sur les derniers épisodes et il faut se méfier de toute conclusion hâtive », glisse-t-il.

Revenir au dialogue ?

Dans la perspective d’autres affrontements dans la zone de Tinzawatène, le sort des civils, que l’armée malienne a d’ailleurs invité à s’éloigner des périmètres de combats, est plus que jamais préoccupant.

« On craint évidemment l’engrenage. Dans les situations de conflit de ce genre, les populations civiles sont de plus en plus touchées par des opérations qui peinent à différencier qui est combattant et qui ne l’est pas, qui soutient un camp et qui soutient l’autre », alerte Jean-Hervé Jezequel.

Dans un rapport publié en février 2024, International  Crisis Groupe mettait déjà l’accent sur le risque de voir la violence contre les civils s’aggraver dans les mois à venir, sans que cela n’apporte une quelconque réponse durable à la situation actuelle.

Pour le Directeur du Projet Sahel à International Crisis Group, il est difficile, sinon impossible, de contrôler durablement le Nord du Mali par de seules actions militaires, même avec de puissants alliés.

« Reprendre et tenir des villes face à des insurrections armées est toujours possible quand on y met les moyens, comme on l’a vu récemment avec la reprise de Kidal depuis novembre 2023. Par contre, tenir les zones rurales et éradiquer toute forme d’opposition armée dans des espaces aussi vastes, où la logistique est un immense défi pour toutes les armées du monde, c’est un objectif peu réaliste », estime M. Jezequel. De son point de vue, seul le dialogue politique peut permettre d’épargner des vies maliennes.

Boni : blocus ou pas blocus ?

Depuis plusieurs mois, la ville de Boni, dans la région de Douentza, est soumise à un blocus imposé par les terroristes de la Katiba Serma, affiliée au JNIM. Malgré les alertes, la désertion de plusieurs habitants de la ville vers les localités avoisinantes et même la présence de l’armée malienne dans la zone, la situation perdure depuis près d’un an.

Le 3 juin dernier, lors de la traditionnelle conférence de presse mensuelle de la DIRPA, le Colonel-major Souleymane Dembélé a indiqué que les FAMa ne constataient pas de blocus à Boni et que dans cette ville l’armée avait sa réalité et les populations la leur. Loin d’être avancés pour nier la réalité sur le terrain, ces propos du Chef de la DIRPA font ressortir la complexité de la situation dans cette ville depuis de longs mois.

En effet, certes les combattants de la Katiba Serma maintiennent Boni sous blocus en bloquant l’axe Sévaré-Gao, empêchant les camions d’entrer ou de sortir de la ville, mais ils ne s’en prennent pas directement à l’armée malienne. Selon des informations recoupées auprès de sources locales, le blocus sur Boni a été initié en représailles contre les habitants de la ville et comme un moyen de pression indirect de la part du JNIM pour obtenir des concessions de la part de l’armée.

Départ exigé de « Wagner »

À en croire nos sources locales, la Katiba Serma a imposé et maintient le blocus en raison de la présence de partenaires russes dans la ville aux côtés de l’armée malienne. « Avec l’arrivée des Russes, la population se réjouissait, parce qu’il y avait de plus en plus de liberté de mouvements. Pour la Katiba Serma, cette joie des populations en raison de la présence des Russes est mal passée. C’est donc pour cela qu’ils ont décidé de faire souffrir la ville en imposant ce blocus », explique une de nos sources.

Après des discussions avec des émissaires de la ville, les combattants de la Katiba Serma ont exigé le départ des partenaires russes de la zone comme principale condition pour la levée du blocus. Mais pas que. Ils exigeraient également, selon nos informations, que les populations de Boni se mobilisent pour obtenir la libération de leurs hommes à chaque fois qu’ils sont capturés par l’armée et qu’elles cessent  toute collaboration avec les FAMa. Des conditions que les habitants de Boni ne peuvent satisfaire.

« Jusque-là, toutes les voies de négociation n’ont rien donné. Les habitants ne cherchent donc qu’à sortir de la ville, là aussi avec des risques de tomber sur des EEI ou d’être arrêtés et pris en otage », glisse une autre source.

Radicaux étrangers

Outre la présence des partenaires russes à Boni, qui dérange les terroristes de la  Katiba Serma, le groupe serait influencé, selon nos sources, par les positions de certains de ses membres étrangers, très radicaux.

Le 30 août 2022, certains combattants avaient accepté de lever  un premier blocus qui était alors en vigueur sur la ville depuis quelques mois. Cette levée du blocus avait été effective après qu’un accord verbal ait été trouvé entre eux et des émissaires de Boni. La Katiba Serma demandait notamment en retour aux habitants de ne plus communiquer d’informations aux FAMa, mais aussi de permettre à ses combattants d’accéder au marché de la ville pour s’approvisionner sans être dénoncés et de ne pas s’interposer entre eux et l’armée malienne.

L’accord durera un peu moins d’un an, avant que le blocus ne reprenne à partir de juillet 2023. « Les premiers acteurs qui avaient accepté la levée du blocus étaient des combattants jeunes, issus pour la plupart de la localité. Mais, après, ils ne se seraient pas compris avec les autres membres du groupe, majoritairement étrangers, qui ont décidé d’imposer à nouveau le blocus », révèle notre source.

CSP-JNIM : les conséquences d’un pacte « réchauffé »

Depuis la réunion qui a consacré son changement de dénomination et l’assignation de nouveaux objectifs, fin avril dernier, le Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l’Azawad (CSP-PDA) a entamé des discussions de « coexistence pacifique » avec le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (JNIM) d’Iyad Ag Ghaly. Ce rapprochement, aujourd’hui à un stade « avancé », pourrait impacter la situation sécuritaire sur le terrain et redéfinir les priorités des différentes entités en guerre.

Dans un message audio qui circule sur les réseaux sociaux depuis le 17 mai 2024, Algabass Ag Intalla, « Chargé de la réconciliation, de la cohabitation et des relations avec les autorités traditionnelles » au sein du CSP, demandait aux combattants du Cadre de ne pas s’opposer aux discussions en cours avec le JNIM. Selon ses propos, le haut cadre touareg avait déjà obtenu certaines avancées par ce biais et en espérait d’autres avec le groupe terroriste.

À en croire le porte-parole du CSP, Mohamed Elmaouloud Ramadane, dans des propos relayés par un quotidien étranger, ce rapprochement entre les deux entités n’est pas pour autant une alliance, mais « un pacte tacite de non agression ».

En effet, selon une source au Cadre, Alghabass Ag Intalla, qui présidait le Cadre jusqu’au changement de nom fin avril, a été mandaté par le Directoire du CSP pour obtenir un pacte de non agression afin de permettre non seulement la libre circulation des combattants, mais aussi un partage d’informations sur les mouvements de « l’ennemi commun », l’armée malienne et ses partenaires.

« Il n’est pas question d’une réconciliation à proprement parler, mais de mettre en place des mécanismes pour éviter la confrontation et de pouvoir coexister sur un même territoire », a confié un cadre du CSP à un média étranger. Joint par nos soins, le Porte-parole du Cadre n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Une  « coexistence » redéfinie

Si aujourd’hui les rebelles du CSP-PDA et les terroristes du JNIM sont en discussion pour ne pas en venir aux affrontements, un pacte de non agression existait déjà entre les deux entités depuis 2012, selon plusieurs observateurs, lorsque les groupes armés contrôlaient une grande partie du Nord du Mali. En effet, pendant les années où la CMA tenait Kidal, aucun affrontement n’a opposé les deux camps.

La « coexistence » pacifique entre le CSP-DPA et le JNIM a été seulement mise à mal le 5 avril 2024, lors de combats à Nara entre les deux entités. Les terroristes du JNIM avaient enjoint aux rebelles du CSP de ne pas mener des opérations dans le centre et le sud du pays, zones qu’ils considèrent comme étant leur « terrain ».

Mais, dans leur tentative de riposte à l’armée malienne après leur long silence depuis qu’ils avaient été défaits à Kidal en novembre 2023, les groupes armés rebelles du CSP ont tenté d’attaquer un camp des FAMa à partir des environs de la forêt du Wagadou, à la frontière entre la Mauritanie et le Mali. Ils sont tombés sur des combattants du JNIM et des affrontements s’en sont suivis entre les deux camps.  Bilan, une dizaine de morts de part et d’autre.

C’est suite à cet accrochage qu’une médiation a été lancée entre les deux groupes, dès le lendemain. Leader du Haut conseil pour l’unicité de l’Azawad (HCUA), dont le mouvement figurait parmi ceux du CSP à s’être alignés sur la demande du JNIM de ne pas mener des opérations sur leur « terrain », et anciennement proche d’Iyad Ag Ghaly au sein du groupe Ansar Dine, Algabass Ag Intalla a été tout naturellement  chargé de mener les discussions pour éviter de nouveaux affrontements et éventuellement  obtenir la libération de prisonniers et la restitution de véhicules.

« Il nous faut nous concentrer sur les ennemis qui menacent notre existence, en l’occurrence les mercenaires de Wagner et l’armée malienne. Nous n’avons pas de temps à perdre avec d’autres conflits parallèles », affirme un cadre du CSP, cité par le média étranger précité.

Quel impact sur le terrain ?

Selon des sources au CSP, le rapprochement avec le JNIM n’inclut pas des attaques conjointes de la part des deux entités. « Éviter la confrontation avec le JNIM ne signifie pas coopérer sur le terrain avec lui. Nous n’avons pas la même idéologie que lui », clarifie d’ailleurs le cadre cité plus haut.

En quoi ce pacte de non agression et ce rapprochement entre le CSP-PDA et le JNIM pourrait-il impacter la situation sécuritaire sur le terrain, notamment les rapports de force avec l’armée malienne, « l’ennemi commun » des deux entités ? Cette nouvelle donne constituerait-elle une menace pour les Forces de défense et de sécurité maliennes engagées depuis plusieurs mois dans une dynamique offensive sur le terrain ?

Pour Soumaila Lah, Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la Sécurité, les réponses à ces interrogations sont négatives. « Je ne pense pas que ce rapprochement puisse avoir un impact assez décisif sur les actions de l’armée malienne. Le JNIM et le CSP ne sont pas dans la même logique. Même si tous les deux décident d’aller à ce rapprochement, leurs agendas ne concordent pas au point de faire évoluer les deux camps ensemble », argue-t-il.

« L’impact est plutôt à rechercher du côté du CSP, qui a adopté une nouvelle stratégie et qui, pour la mener à bien, doit chercher des accompagnements. Ce type d’action vise plutôt à avoir l’aval du JNIM pour se déplacer dans des parties du territoire considérées comme des chasses gardées du JNIM. Le CSP cherche à minimiser les risques en terme de déplacements de ses troupes », poursuit cet analyste.

Nouvelle marge de manœuvre ?

Après la reprise de Kidal en novembre 2023, même si globalement tous les groupes armés terroristes actifs sur le territoire national sont dans le viseur des FAMa, les offensives de l’armée semblent beaucoup plus cibler l’État islamique au Sahel (EIS) dans son fief de la Zone des trois frontières. Plusieurs chefs terroristes de l’EIS ont d’ailleurs été neutralisés ces derniers mois, tandis que certains combattants ont été contraints à la reddition. Le 26 mai, les FAMa ont toutefois neutralisé une trentaine de terroristes du JNIM qui avaient attaqué leurs positions.

Sur le terrain, un affaiblissement de l’EIS, qui subit des frappes ciblées de l’armée malienne, pourrait dans une certaine mesure offrir une nouvelle marge de manœuvre au JNIM et au CSP-PDA, tous deux ennemis déclarés de l’État islamique, qui pourraient se libérer d’éventuels nouveaux affrontements avec l’EIS et concentrer leurs différentes actions entièrement contre les FAMa.

« Ce sont des groupes qui ont la capacité de s’adapter par moment aux réalités du terrain et de se réinventer. Aujourd’hui, ils sont dans une logique de repositionnement et le fait de pouvoir tirer profit d’un éventuel affaiblissement de l’EIS va dépendre de l’évolution du contexte sur le terrain », estime Soumaila Lah.

Par ailleurs, selon Mohamed Elmaouloud Ramadane, la priorité du CSP est de « combattre l’État malien et Wagner » en déplaçant les combats vers le sud, « pour se rapprocher du cœur du pouvoir de l’ennemi, c’est-à-dire de Bamako ».

Pour M. Lah, cette progression annoncée du CSP-PDA, vers le sud du pays sera très difficile pour les rebelles touaregs, même avec l’aval du JNIM pour leur « libre circulation ».

« Je ne pense pas que le CSP et le JNIM soient suffisamment outillés pour mener des actions de grande envergure vers le sud. Je pense que c’est possible sur une partie du nord et du centre, mais au sud je les vois mal prospérer », glisse le spécialiste des questions sécuritaires.

Confédération de l’AES : les défis de la concrétisation

Le Burkina Faso, le Mali et le Niger viennent de franchir une nouvelle étape dans la mise en place de l’architecture de la Confédération regroupant les trois États. Réunis à Niamey le 17 mai 2024, les ministres des Affaires étrangères des trois pays ont adopté les textes de création de la future entité. En attendant la validation des textes par le sommet des chefs d’État, les défis et les attentes sont déjà grands pour cette future alliance.

« Nous pouvons considérer très clairement que la Confédération des États de l’Alliance des États du Sahel (AES) est née », s’est réjouit le ministre malien des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Abdoulaye Diop, à l’issue d’une rencontre avec le chef de l’État du Niger. En effet, le ministre Diop et ses homologues du Burkina Faso et du Niger ont été reçus par le Président de la Transition au Niger après la réunion ministérielle qui a adopté les textes de création de la Confédération de l’AES, le 17 mai dans la capitale nigérienne. Quatrième du genre, cette rencontre des ministres des Affaires étrangères était une étape supplémentaire vers la concrétisation de la Confédération. « La phase d’organisation de la nouvelle entité confédérale se déroule bien », assure un spécialiste.

L’alliance stratégique incarnée par l’AES prendra bientôt forme et la préparation des « documents-cadres donne satisfaction », poursuit notre interlocuteur. Il ne reste plus aux chefs d’État que de « valider leur volonté politique de mettre en place cette Confédération, qui porte les espoirs de la renaissance africaine ». Ainsi, plus qu’une entité politique destinée à répondre à des défis communs, cette Confédération est aussi, pour certains analystes, le début d’une nouvelle ère.

Opportunités

L’Alliance des États du Sahel est le point de départ d’une nouvelle Union africaine, estime pour sa part Ousmane Bamba, modérateur du « Forum du Kénédougou », et invité du plateau du Débat du dimanche sur la chaîne de télévision Africable. Selon lui, quand la Confédération aura démontré ses avantages, elle pourra devenir une fédération. Il suggère ainsi que le traité fondateur de la Confédération soit assez « contraignant », afin de diminuer l’impact des droits de réserve des États, qui pourraient dépouiller l’alliance de son essence. Il doit aussi rester « ouvert » afin de permettre des adhésions futures.

Face aux défis communs, notamment sur le plan sécuritaire, les États de l’AES ont vite envisagé une synergie d’action, concrétisée par l’adoption de la Charte du Liptako Gourma le 16 septembre 2023. Une dynamique poursuivie lors de la 1ère réunion des ministres des Affaires étrangères des trois pays à Bamako, le 30 novembre et le 1er décembre 2023. Elle s’est traduite par la « mise en place de la synergie d’action pour prendre en compte les aspirations profondes des 3 peuples », a expliqué le ministre nigérien des Affaires étrangères, Bakary Yaou Sangaré, dans le communiqué sanctionnant la réunion ministérielle. Le but de la Confédération est de mutualiser les forces afin de résoudre les problèmes communs, auxquels les États pris individuellement ne peuvent faire face. Une réalité que les États de l’AES ont déjà expérimenté sur le plan sécuritaire avec des résultats probants, admettent les observateurs. Appelés à aller au-delà de cette « architecture de défense collective et d’assistance mutuelle », les États de l’AES veulent désormais bâtir une « unité militaire et économique plus poussée ».

Conditions de la réussite

Condamnés à réussir la prise en main de leur destin commun, les États de l’Alliance ont l’obligation de financer leurs propres projets pour ne pas finir comme le G5 Sahel, avertissent les observateurs. L’un des avantages de la future Confédération, comme pour toute intégration, est la mutualisation d’un certain nombre de moyens et l’élaboration de certaines politiques communes », note le Professeur Abdoul Karim Diamouténé, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences économiques et de gestion (FSEG). Ces politiques peuvent permettre l’élimination de certaines contraintes, dans le cadre par exemple de la libre circulation des biens et des personnes. Et, à ce titre, les entraves à la libre circulation dans le cadre de la CEDEAO sont des expériences à capitaliser, ajoute-t-il.

Sur le plan de l’énergie, la décision du Niger de fournir les pays membres de l’AES en carburant est un atout qui n’existait pas forcément entre les pays de la CEDEAO. Ces facilités pourraient aussi permettre la mutualisation de certains investissements, conséquence d’une prise de conscience qui se concrétisera dès que le processus actuellement en cours sera formalisé.

Suite logique du départ des pays de l’AES de l’organisation commune, la CEDEAO, la création de la Banque de l’AES, qui se chargera de certains investissements, est aussi une étape à envisager pour consolider la future alliance. Elle sera en tout cas différente de celle qui existe déjà. Parce que, dans l’ancien espace, la politique et les conditions administratives « nous échappaient ».

La nouvelle Banque de développement devrait donc faciliter la prise de décisions au niveau des pays, avec une prise en compte réelle des critères, ce qui représenterait « une belle perspective » par rapport à ce qui existait auparavant. Les États de l’AES constituent donc un marché pour les pays côtiers qui en dépendent, et non le contraire, soutient M. Diamoutènè. Les résultats dépendront donc de l’efficacité des actions à mener.

Après les menaces et les sanctions suite au départ des pays de l’AES de la CEDEAO, les leaders de l’organisation tentent une médiation pour le retour en son sein des trois États du Sahel. Un retour qui n’est pas souhaitable et qui serait même une régression, estime l’économiste.

Désormais, il faut envisager l’existence de deux entités qui seront donc contraintes à négocier de nouveaux accords. Disposant de ressources naturelles et d’un marché intérieur de 70 millions d’habitants, les pays de l’Alliance peuvent envisager l’introduction de barrières tarifaires à leurs frontières pour développer leur capacité industrielle, en deçà de celle de la zone, et de protéger leurs marchés. Une opportunité qui amènerait plutôt certains pays de la CEDEAO à rejoindre l’AES. Une « autre CEDEAO, qui prendrait mieux en compte les aspirations des pays de l’AES et même de certains de la CEDEAO ».

La panacée ?

La réunion de Niamey a permis la validation des textes du Cadre d’intégration politique, économique et social, à savoir le Traité portant création de la Confédération de l’AES et le Règlement intérieur du Collège des chefs d’État, et constitue la dernière ligne droite vers la tenue de la première session du Collège des chefs d’Etat. Mais le chemin vers la réalisation des ambitions de l’organisation reste semé d’embûches. La principale condition au succès de l’Alliance « est la réalisation de la souveraineté, qui inclut la sécurisation intégrale », note notre analyste. Les autres sont relatives à la définition de politiques adaptées aux problèmes existants déjà dans les pays qui ont créé l’AES, la rigueur dans la mise en œuvre de ces politiques, grâce à des acteurs très engagés, et la garantie du temps long des transformations, ce qui suppose une continuité dans le processus. Parce que, même si l’essentiel est disponible, une volonté politique et un leadership affirmé qui ont permis de franchir des étapes importantes, le chemin vers la prospérité sera long.

Pour le ministre Diop, « le travail principal aujourd’hui est d’avancer pour finaliser et formaliser les actes nécessaires pour permettre à cette Confédération de fonctionner ». Il faut surtout « prendre la juste mesure des défis », suggère un observateur.

La Confédération ne doit pas être une réponse ponctuelle à des défis existentiels mais une solution pérenne aux aspirations de populations déjà intégrées, grâce à des mécanismes de gestion adaptés. Une dynamique des peuples qu’il faut désormais respecter, selon Boubacar Bocoum, analyste politique.

Bandiagara : jusqu’où ira le mécontentement ?

Depuis plusieurs années, la région de Bandiagara fait face à des enlèvements de bus de transport en commun sur l’axe Bandiagara – Bankass de la  RN15. De nouveaux  enlèvements, le 16 avril 2024, sur le même axe ont provoqué l’ire des forces vives de la région, qui ont depuis entamé plusieurs actions dont l’arrêt est conditionné à la satisfaction de plusieurs doléances qu’elles ont soumises aux autorités.

Suite à un mot d’ordre de désobéissance civile, les populations du cercle de Bankass étaient dans les rues le 18 avril 2024, bloquant par la même occasion l’axe Bandiagara – Bankass sur la RN15. Plusieurs véhicules dont des cars, des camions et des minibus se sont ainsi retrouvés bloqués à l’entrée de la ville pendant deux jours, avant la levée du blocus dans la matinée du 20 avril 2024.

« Nous avons décidé de lever le blocus  à la demande d’un grand leader religieux de notre région. Mais les autres décisions que nous avons prises sont maintenues », explique Mamoudou Guindo, Président du Conseil local de la jeunesse du cercle de  Bankass.

En effet, ces jeunes ont décidé de boycotter la phase régionale du Dialogue inter-Maliens et de maintenir le mot d’ordre de désobéissance civile jusqu’à la prise en charge totale de leurs doléances. Même la levée du blocus de la route est temporaire, comme l’explique M. Guindo. « Le blocus est levé juste pour quelques jours. Si nous n’avons pas de réactions des autorités, nous nous réunirons le 24 avril pour nous mettre d’accord sur la conduite à tenir pour la suite ».

L’État interpellé

En plus des actions entamées dans le cercle de Bankass, l’ensemble des forces vives de la région de Bandiagara est monté au créneau dans un communiqué en date du 19 avril 2024, en dénonçant la persistance des attaques terroristes dans la région, les récents enlèvements et prises d’otages de civils au niveau de Parou  Songobia sur la RN15, le nombre croissant de déplacés dans les grandes agglomérations de la région, « l’inaction » des forces armées et de sécurité dans la région, « malgré la montée en puissance de nos vaillantes armées », et la lenteur dans le processus de dialogue avec les différents groupes armés. « Plusieurs rencontres et dénonciations ont été faites et des promesses ont été tenues par les plus hautes autorités du pays, mais le constat demeure amer », soulignent les forces vives de la région de Bandiagara.

Dans le même communiqué, transmis au Gouverneur de la région, elles demandent aux autorités de la transition d’installer un camp militaire au niveau de Parou Songobia sur la RN15, d’engager une patrouille mixte d’envergure sur tout le territoire de la région de Bandiagara, de libérer la route Koro – Ouahigouya, de diligenter les actions en vue de la libération de tous les otages et d’accélérer le processus de dialogue pour faciliter le retour des déplacés.

Enlèvements récurrents

Selon des sources locales, au moins 110 civils sont retenus en otages par des terroristes présumés suite à l’enlèvement des bus du 16 avril 2024 sur l’axe Bandiagara – Bankass. C’est la 4ème fois depuis 2021 que des enlèvements ont lieu  dans cette zone.

« Le 10 novembre 2021, 3 de nos cars ont été enlevés et jusqu’à présent les otages ne sont pas libérés, parmi lesquels un maire adjoint, un chef de village et le premier Vice-président du Conseil local de la jeunesse », raconte Mamoudou Guindo.

Pour rappel, deux ans plus tard, le 7 novembre 2023, 3 véhicules appartenant à différentes compagnies de transport avaient été également enlevés sur le même axe.  Les assaillants avaient libéré toutes les femmes à bord, avant d’amener avec eux tous les hommes. Un véhicule et ses passagers avaient été par la suite libérés sous caution. Quelques jours plus tard, un autre car avait été à nouveau intercepté au même endroit et ses passagers masculins emmenés vers une destination inconnue.

Terrorisme : le JNIM multiplie les attaques dans le centre

Des terroristes du JNIM ont attaqué hier mercredi le poste FAMa de Dinangourou dans le cercle de Koro. L’armée a confirmé l’attaque ce matin mais n’a pas fourni de bilan, assurant dans son communiqué que les évaluations sont en cours. Certaines sources locales affirment qu’une dizaine de militaires ont été tués au cours de l’attaque. Le nombre de terroristes neutralisés n’est pour l’instant pas connu. Selon l’agence d’information du Burkina, les terroristes après leur attaque ont fui vers le Burkina Faso. Dans un village nommé Windeboki, ils ont marqué un temps d’arrêt, c’est là que le vecteur aérien burkinabè a procédé à des frappes toujours selon l’agence tuant plusieurs terroristes. Les rescapés sont retournés au Mali où les attendaient les vecteurs aériens des FAMa qui ont également procédé à des frappes. L’attaque du poste de Dinangourou est intervenue quelques heures seulement après l’annonce par l’armée de son entrée dans la ville d’Aguelhok. Depuis plusieurs semaines, les terroristes du JNIM multiplient les attaques contre les positions de l’armée. Le chef du groupe terroriste, Iyad Ag Ghaly, apparu pour la première fois dans une vidéo depuis deux ans, le 12 décembre dernier a annoncé une nouvelle phase dans le conflit au Sahel. Le jour de la diffusion de la vidéo, le JNIM a attaqué le camp de l’armée à Farabougou, village symbole, longtemps sous blocus terroriste. Des sources locales évoquent là aussi des victimes civiles et militaires mais dans sa communication, l’armée dit avoir mené avec succès une riposte vigoureuses qui a permis de repousser l’attaque. Toutefois, des militaires ont été fait prisonniers à la suite de cette attaque. Le groupe terroriste a diffusé le 19 décembre des vidéos de certains d’entre eux. L’armée a dénoncé un acte lâche qui a pour but de démoraliser les troupes et assure que tout sera mis en œuvre afin de permettre aux otages de recouvrer leur liberté.

Bandiagara : insécurité accrue

Après une relative accalmie ces derniers mois, la région de Bandiagara, au centre du pays, fait face à une nouvelle montée de l’insécurité depuis quelques semaines. Elle se caractérise par des enlèvements ciblés de bus et des prises d’otages sur l’axe Bandiagara – Bankass.

Selon des sources locales, depuis le début du mois de novembre, au moins 7 véhicules ont été enlevés sur l’axe Bandiagara – Bankass. En plus de ces enlèvements, des villages de la région sont également pris pour cibles. Le 11 décembre 2023, le village de Barassoro, dans le cercle de Bankass, a été attaqué. Bilan : 3 morts et des dégâts matériels importants. Moins d’un mois plus tôt, le 25 novembre, 6 personnes ont été tuées, des biens emportés, des boutiques incendiées et des motos brûlées lors d’une attaque perpétrée contre le village d’Allaye Kokola, dans le cercle de Bandiagara.

« On peut dire que du mois de juin à maintenant il y a eu plus de 17 villages attaqués, pas moins de 50 morts et une cinquantaine de personnes enlevées », affirme Adama Diongo, Porte-parole du Collectif des associations de jeunes du pays dogon.

« Depuis un moment, la région de Bandiagara est secouée », a reconnu à la télévision nationale le 5 décembre dernier Sidi Mohamed El Béchir, Gouverneur de la région, lors de la visite de terrain dans la localité du Commandant de la Zone de défense N°6. Le même jour, un minibus avait sauté sur une mine dans le cercle de Bankass, entre Garou et Doundé, faisant 2 blessés.

Quête de financements

Les enlèvements répétés de bus et les prises d’otages sur l’axe Bandiagara – Bankass suscitent des interrogations sur une éventuelle nouvelle stratégie adoptée par les groupes armés terroristes dans la zone. Selon Adama Diongo, c’est clairement une « nouvelle stratégie pour se faire financer ». « D’après nos informations, depuis plus d’une année, les financements extérieurs ne viennent plus. Le fait aussi d’enlever le bétail et de le vendre ne donne plus satisfaction comme avant. Pour ces groupes armés terroristes, une autre façon de se financer est d’enlever des personnes et de demander aux parents de payer pour renflouer leurs caisses », explique-t-il. « Les enlèvements se font de façon ciblée. Ils ont des informations sur le visage de certaines personnes, soit des personnes importantes dans leurs communautés, soit des jeunes influents, soit des grands commerçants, entre autres. Derrière, ils demandent des rançons », poursuit-il.

Une population excédée

Face à la résurgence de l’insécurité dans la région, une marche des femmes et des enfants a eu lieu le 5 décembre 2023 dans la commune de Dimball, dans le cercle de Bankass, aboutissant à un blocus de la RN15 dans les deux sens, Bandiagara – Bankass et Koro – Bankass.

Dans un mémorandum adressé au ministre de la Sécurité et de la protection civile, les responsables de la société civile ont demandé la libération des otages, l’arrestation des hostilités et l’installation « dans un bref délai » d’un poste de sécurité permanant entre Songobia et Parou pour protéger les personnes et leurs biens. Le blocus a été suspendu 2 jours après suite à des négociations entamées par les autorités locales.

Pont dynamité

Le 11 décembre, le Gouverneur de la région a été reçu par le ministre de la Défense et des Anciens Combattants, pour discuter des mesures « rapides et efficaces » à prendre pour restaurer la sécurité et amener la reprise normale des activités dans la région. La veille, dans la nuit du 9 au 10 décembre, le pont de Parou, qui se trouve sur l’axe Bandiagara – Bankass, ciblé à plusieurs reprises par les groupes armés terroriste depuis le début de la crise au Centre, avait été de nouveau dynamité, coupant les localités de Koro, Bankass et Bandiagara du reste du pays.

« Nous avons pris des dispositions et nous sommes en train de tout faire pour que les gens puissent circuler. Pour le moment, beaucoup empruntent la route des falaises. Pour le reste, nous sommes en train de voir avec les plus hautes autorités comment trouver les solutions adéquates pour que la population soit soulagée », assure le Colonel Aly Sidibé, Préfet du cercle de Bankass.

Terrorisme : Iyad Ag Ghaly annonce une nouvelle phase au Sahel

Silencieux depuis août 2021, le chef du JNIM vient de réapparaitre dans une vidéo de propagande diffusée le 12 décembre 2023. Alors que la justice malienne a ouvert une enquête le visant, ainsi que d’autres chefs locaux d’Al-Qaïda et des séparatistes touaregs, le 28 novembre dernier pour « actes de terrorisme, financement du terrorisme et détention illégale d’armes de guerre », Iyad Ag Ghaly décrit un changement dans le conflit au Sahel, citant de nouvelles alliances et appelant à la mobilisation régionale. Ag Ghaly prédit également « l’échec » des gouvernements sahéliens alignés sur la Russie, semblable, selon lui, au sort de l’intervention française. Il soutient que les atrocités présumées commises par ces forces conduiront à une présence djihadiste accrue. Cette réapparition d’Iyad Ag Ghaly coïncide avec la reprise de Kidal, auparavant bastion des groupes rebelles du CSP-PSD, par l’armée malienne. Selon certains analystes, le chef du JNIM cherche à exploiter les dynamiques changeantes, les mécontentements et les réalignements géopolitiques dans le Sahel.

G5 Sahel : le Niger et le Burkina Faso quittent l’organisation

Le Burkina Faso et le Niger, ont annoncé samedi s’être retirés de l’organisation antiterroriste G5 Sahel, suivant l’exemple du Mali, parti en mai 2022. Les deux pays «ont décidé en toute souveraineté du retrait du Burkina Faso et du Niger de l’ensemble des instances et organes du G5 Sahel, y compris la Force conjointe», à compter du 29 novembre, indiquent-ils dans un communiqué. Les deux pays justifient leur retrait par des « lourdeurs institutionnelles, des pesanteurs d’un autre âge qui achèvent de nous convaincre que la voie de l’indépendance et de la dignité sur laquelle nous sommes aujourd’hui engagés est contraire à la participation au G5 Sahel dans sa forme actuelle ». Les deux Etats n’entendent pas non plus « servir les intérêts étrangers au détriment de ceux des peuples du Sahel encore moins accepter le diktat de quelque puissance que ce soit » peut-on lire dans le communiqué. Quelques heures après l’annonce de cette décision, un document de la commission de l’Union européenne a circulé sur les réseaux sociaux. Dans ce document daté du 23 octobre, on pouvait y lire que l’UE qui finance en grande partie le G5 Sahel suspendait son soutien aux composantes nigérienne et burkinabé de la force conjointe du G5 Sahel. La décision est intervenue également alors que les trois pays : Mali, Burkina Faso, Niger renforcent leurs liens au sein de l’Alliance des Etats du Sahel. En mai 2022, le Mali, également gouverné par des militaires depuis 2020, avait quitté le G5 Sahel, invoquant une organisation « instrumentalisée par l’extérieur ».

À sa création en 2014 pour lutter contre le terrorisme au Sahel, l’organisation était composée du Mali, du Burkina, du Niger, de la Mauritanie et du Tchad. La force conjointe a elle été lancée en 2017.

Alliance des États du Sahel : la pleine opérationnalisation en marche

Instituée le 16 septembre dernier par la signature de la Charte du Liptako-Gourma entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, dans l’objectif d’établir une architecture de défense collective et d’assistance mutuelle aux parties contractantes, l’Alliance des États du Sahel (AES) vient d’amorcer à Bamako sa pleine opérationnalisation.

Un peu plus de deux mois après sa création, l’opérationnalisation de l’Alliance des États du Sahel est en marche, conformément aux dispositions de la Charte du Liptako – Gourma qui prévoyait à son article 15 qu’elle serait « complétée par des textes additionnels, en vue de la mise en œuvre des dispositions prévues à l’article 3 », qui lui-même stipulait que « les Parties contractantes mettront en place ultérieurement les organes nécessaires au fonctionnement et mécanismes subséquents de l’Alliance et définiront les modalités de son fonctionnement ».

Aller vite et bien. Tel semble être le mot d’ordre des plus hautes autorités du Burkina Faso, du Mali et du Niger dans la mise en place de cette nouvelle Alliance, dont la phase de concrétisation est enclenchée depuis le 23 novembre 2023, avec des concertations ministérielles à Bamako.

Accélérer l’intégration économique

Une première réunion ministérielle de l’Alliance des États du Sahel sur le développement économique dans l’espace du Liptako-Gourma s’est tenue le 25 novembre 2023 dans la capitale malienne, réunissant les ministres chargés de l’Économie et des Finances, de l’Énergie, du Commerce et des Industries des pays membres. Cette réunion ministérielle sur les questions de développement économique visait à créer une synergie d’actions pour l’accélération du processus d’intégration économique et financière de l’Alliance.

Précédée de la rencontre des experts, les 23 et 24 novembre, qui ont échangé sur différentes thématiques telles que les échanges commerciaux, la circulation des personnes et des biens au sein de l’AES, la sécurité alimentaire et énergétique, la transformation industrielle, les potentialités et perspectives, le financement,  l’intégration économique, l’arsenal réglementaire et les réformes nécessaires, elle a accouché de plusieurs recommandations.

Celles-ci portent sur l’accélération de la mise en place de l’architecture juridico-institutionnelle et des mécanismes de financement des instances de l’AES, l’amélioration de la libre-circulation des personnes dans l’AES et le renforcement de la fluidité et de la sécurité des corridors d’approvisionnement, en luttant notamment contre les pratiques anormales et les tracasseries dans l’espace AES.

Les ministres ont aussi opté pour l’accélération de la mise en œuvre de projets et programmes énergétiques, agricoles, hydrauliques, de réseaux de transport routier, aérien, ferroviaire et fluvial dans les États de l’AES, la création d’une compagnie aérienne commune, le développement des aménagements hydro-agricoles d’intérêt commun, pour booster la production agricole, la construction et le renforcement des projets d’infrastructures et la mise en place d’un dispositif de sécurité alimentaire  commun aux trois États de l’AES à travers des organes dédiés.

Ils ont en outre recommandé la réalisation d’infrastructures adaptées pour le développement du cheptel et la mise en place d’abattoirs modernes pour l’exportation de la viande et des produits dérivés de l’espace AES, le développement des stocks de sécurité pour améliorer les capacités de stockage en hydrocarbures, la mise en place d’un fonds pour le financement de la recherche et des projets d’investissements énergétiques et en matière de substances énergétiques, notamment à partir de l’exploitation des ressources minières.

Parmi les autres recommandations figurent la réalisation des projets de centrales nucléaires civiles à vocation régionale, l’élaboration d’une stratégie commune d’industrialisation des pays de l’Alliance, la promotion du financement d’infrastructures communautaires par la diaspora, la mise en place d’un Comité d’experts pour approfondir les réflexions sur les questions de l’Union économique et monétaire, la promotion de la diversification des partenariats et la création d’un fonds de stabilisation et d’une banque d’investissement de l’AES.

Les ministres de l’Économie et des Finances des pays membres ont également décidé de la mise en place d’un Comité de suivi de la mise en œuvre de toutes les recommandations issues de leur réunion. « Il y a de bonnes idées, comme le G5 Sahel. Maintenant, il s’agit de les matérialiser. C’est cette matérialisation qui pose beaucoup de problèmes. Il ne s’agit pas de se réunir ou de seulement planifier », estime Hamidou Doumbia, porte-parole du parti Yelema.

Une architecture institutionnelle en gestation

En prélude à la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’Alliance des États du Sahel qui s’est tenue le jeudi 30 novembre, toujours à Bamako, les experts des trois pays se sont réunis les 27 et 28 novembre et se sont penchés sur des propositions pour une structure institutionnelle de l’Alliance, avec les différents organes à mettre en place et l’articulation entre ces organes, à travers des mécanismes de fonctionnement et d’articulation clairement établis.

Ils ont en outre eu pour tâche de compléter la Charte du Liptako-Gourma, texte constitutif de l’AES, pour intégrer aux aspects de défense et de sécurité la dimension diplomatique et les questions relatives au développement économique de l’espace commun aux trois États. « Nous vous chargeons de nous proposer les bases pour faire de l’AES cette Alliance que nos populations attendent, cette Alliance qui leur fera sentir et vivre des conditions améliorées, en œuvrant à la paix et la stabilité ainsi qu’au développement harmonieux de nos États », a dit le Chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, à l’ouverture des travaux.

« Nous attendons de vous des recommandations pour que le Burkina, le Mali et le Niger, liés par une histoire, une culture et des valeurs communes, mais surtout liés par une relation stratégique particulière, puissent parler d’une seule et même voix partout où cela sera nécessaire », a-t-il ajouté.

Les travaux des experts étaient organisés en différents sous-comités, dont « Diplomatie et questions institutionnelles », « Défense et Sécurité » et « Questions de développement économique ». Selon une source au ministère des Affaires étrangères du Mali, leurs recommandations, qui n’ont pas fait l’objet de communication, seront soumises à l’examen des ministres des Affaires étrangères lors de la réunion de ce jeudi, avant d’être rendues publiques à la fin de la session ministérielle.

Bras de fer en vue avec la CEDEAO ?

Le processus d’opérationnalisation de l’AES est enclenché à quelques jours de la tenue du prochain sommet ordinaire de la CEDEAO, avec laquelle sont en froid les 3 pays membres de l’Alliance. D’ailleurs, l’AES, née dans un contexte où l’institution sous-régionale ouest africaine brandissait la menace d’une intervention militaire au Niger pour réinstaller le Président déchu Mohamed Bazoum, s’apparente pour certains observateurs à une organisation « rivale » de celle-ci.

« L’alliance des États du Sahel est en train de prendre une autre forme, qui peut peut-être sembler être une substitution à la CEDEAO ou une alliance qui accepte ceux qui ne sont pas forcément en ligne droite avec les principes démocratiques. Cela me semble très circonstanciel », glisse le politologue Cheik Oumar Doumbia.

Selon nos informations, au cours du sommet de la CEDEAO prévue le 10 décembre prochain à Abuja, au Nigéria, les Chefs d’États vont à nouveau se pencher sur la situation dans les pays en transition et exiger le retour à l’ordre constitutionnel dans les délais convenus. Les sanctions contre le Niger pourraient être maintenues et le Mali pourrait en subir de nouvelles, suite au report sine die en septembre dernier de l’élection présidentielle, initialement prévue pour février 2024.

Mais, selon certains observateurs, l’opérationnalisation enclenchée de l’AES pourrait contribuer à freiner les ardeurs des Chefs d’États de la CEDEAO dans la prise de sanctions contre les trois pays de l’Alliance, qui pourraient alors claquer la porte de l’organisation sous-régionale.

« Un éventuel éloignement de l’Alliance des États du Sahel pourrait remettre en question la cohésion et la solidarité au sein de la CEDEAO. Ces trois pays sont géographiquement situés en plein cœur de la région et leur intégration est essentielle pour la mise en œuvre des projets régionaux, tels que les infrastructures de transport et le commerce transfrontalier. Leur départ pourrait donc ralentir ou compromettre ces projets », avertit un analyste.

Sécurité : pour les FAMa, objectif Kidal à « tout prix »

Après les prises d’Anéfis et de Tessalit, tous les regards sont tournés vers la ville de Kidal, dont le contrôle est le principal objectif de l’armée malienne. Alors que la MINUSMA accélère son retrait, « l’inévitable » bataille de Kidal semble plus que jamais imminente.

Dans sa note aux correspondants du 14 octobre dernier, la Minusma alertait sur les « tensions accrues dans le nord du Mali » qui augmentaient la probabilité d’un départ forcé de la Mission de cette région du pays. Une semaine après, le 21 octobre, la Mission onusienne a indiqué avoir achevé son retrait accéléré de sa base de Tessalit, dans la région de Kidal, « dans un contexte sécuritaire extrêmement tendu et dégradé, mettant en danger la vie de son personnel ».

« Avant son départ, la MINUSMA a dû prendre la décision difficile de détruire, désactiver ou mettre hors service des équipements de valeur, tels que des véhicules, des munitions, des générateurs et d’autres biens, parce qu’ils ne pouvaient pas être retournés aux pays contributeurs de troupes auxquels ils appartenaient ou redéployés vers d’autres missions de maintien de la paix des Nations Unies », a précisé la Mission onusienne.

« Les FAMa occupent entièrement le camp de Tessalit. Nous allons défendre corps et âme cette emprise pour honorer le Mali. Il faut aussi savoir que l’ONU n’a laissé aucun matériel de guerre dans le camp. Tous les matériels de guerre ont été soit transportés soit détruits sur place », a confirmé le Chef du détachement FAMa de Tessalit.

La même procédure devrait s’appliquer pour le cas de Kidal, même si le gouvernement de transition, dans un communiqué, le 18 octobre dernier, soupçonne une « fuite orchestrée en prétextant des raisons fallacieuses », visant à « équiper les groupes terroristes en abandonnant délibérément des quantités importantes d’armes et de munitions pour réaliser leur dessein funeste ».

Retrait anticipé

La fermeture du camp de Tessalit, qui marque le premier retrait de la Minusma de la région de Kidal, a été suivie dans la foulée de celle du camp d’Aguelhok. « Nos Casques bleus ont quitté ce jour le camp d’Aguelhok, dans le cadre de notre retrait du Mali et dans la fourchette prévue dans le plan communiqué au gouvernement malien. La situation sur place était devenue très dangereuse pour leur sécurité, avec des informations faisant état de menaces réelles contre eux », a affirmé un communiqué de la Minusma le 23 octobre.

Si à Tessalit l’ex-camp de la Minusma a été rétrocédé à l’armée malienne, ce n’est pas le cas à Aguelhok, où les Casques bleus de l’ONU ont déserté leur ancienne emprise sans rétrocession aux autorités maliennes.

Alors que cette situation faisait craindre une confrontation entre l’armée et le CSP-PSD pour le contrôle du camp, les tensions se sont très vite exacerbées entre les deux parties. Selon un communiqué de l’armée du 24 octobre, qui a souligné que cette situation de départ précipité de la Minusma mettait en péril le processus entamé et menaçait la sécurité et la stabilité dans la localité d’Aguelhok, « les terroristes ont profité de ce désordre pour s’introduire dans le camp et détruire plusieurs installations. Ils ont été neutralisés par les vecteurs aériens des FAMa ».

Quant à la rétrocession du camp de Kidal, qui cristallise les attentions et est source de tensions entre l’armée malienne et la CMA, appuyée par Fahad Ag Almahmoud, la Minusma a indiqué évaluer « attentivement la situation en vue d’ajuster le plan de retrait de sa base dans la ville de Kidal », sans pour autant avancer de date précise. Elle a, selon des sources locales, évacué le 25 octobre une grande partie du personnel du camp de Kidal. Il ne reste plus que quelques soldats tchadiens et togolais qui partiront dans quelques jours. En attendant, la CMA et ses alliés ont pris position autour du camp.

Changement de stratégie ?

Le départ précipité de la MINUSMA de son emprise de la ville de Kidal, contrairement au calendrier initial, pourrait-il impacter le processus de récupération de ce camp par l’armée malienne ?  Pour Ibrahima Harane Diallo, chercheur à l’Observatoire sur la prévention et la gestion des crises au Sahel, bien qu’il aurait été souhaitable que la Minusma s’en tienne au calendrier de départ, ce changement n’affectera en rien les plans des FAMa, qui, selon certains observateurs, pourraient presser le pas et risquer des pertes en n’avançant pas à un rythme mieux « sécurisé ».

« À partir du moment où l’armée est déjà présente dans certaines localités telles que Ber, Anéfis ou encore Tessalit, cela suppose que stratégiquement elle peut s’emparer de Kidal », dit-il. « Cette question de changement de calendrier n’est pas à mon avis déterminante dans la stratégie militaire mise en place. Cela peut peut-être changer la tactique de l’armée, mais je ne suis pas sûr qu’elle apporte un changement de stratégie globale », confie celui qui est également chercheur associé au Timbuktu Institute.

À l’intérieur de la ville de Kidal, la CMA mobilise. Sur ses différentes pages, Alghabass Ag Intalla a lancé un appel à la jeunesse de « l’Azawad » afin qu’elle soit la protectrice de la patrie et des faibles. « Un pays que nous ne protégeons pas ne mérite pas d’y vivre », a-t-il ajouté. Dans une déclaration en date du 24 octobre signée du « Meeting de la population de Kidal », il est demandé à la MINUSMA de céder son emprise aux autorités locales. Le meeting, poussé par la CMA, annonce tenir désormais un sit-in permanent à l’aérodrome de Kidal, pour « empêcher tout atterrissage d’avions autres que ceux impliqués dans le processus de retrait de la MINUSMA ». Ce sit-in, s’il a lieu, pourrait mettre en place des boucliers humains, selon un analyste.

Communication contre communication

Comme nous l’écrivions dans l’une de nos récentes parutions, en prévision de la reprise des hostilités à Kidal plusieurs combattants venus de Libye se sont joints à la CMA. Ils ont apporté avec eux de nombreuses armes, dont des missiles sol-air pour tenter d’abattre les avions des FAMa. À en croire certaines sources, Fahad Ag Almahmoud et ses hommes, qui étaient principalement stationnés aux alentours d’Anefis, se sont rapprochés de Kidal. La tension est très vive et les principaux leaders de la CMA jouent une partie de leur va-tout sur la communication. « Nous nous battons pour défendre notre culture et nos aspirations politiques. Nous continuerons de nous battre jusqu’à obtenir un nouvel accord avec le gouvernement, qui nous garantira une administration en mesure d’offrir une nouvelle gouvernance à nos régions », clamait Bilal Ag Achérif, cadre de la CMA, dans une récente interview accordée à un journal étranger. D’habitude réservé, le Secrétaire général du MNLA multiplie les interviews avec des médias français et britanniques, dans lesquelles il lance des appels à des soutiens matériels et s’évertue à porter des accusations d’exactions sur les FAMa et « Wagner ». La présence du groupe paramilitaire au Mali n’a jamais été confirmée par les autorités, qui évoquent plutôt des instructeurs russes. Sur les réseaux sociaux, notamment X (ex-Twitter) et Facebook, des comptes proches de la CMA relaient des accusations d’exactions supposées sans toutefois apporter de preuves concrètes. Pour tenter de contrer cette communication, l’armée a réajusté sa stratégie. Les « longs » communiqués de la DIRPA sur deux ou trois pages ont été remplacés par des formats plus courts et plus digestes. Face au terme de génocide visant une communauté employé par des proches de la CMA, les autorités utilisent activement l’ORTM. Dans l’une de ses émissions, la chaine nationale a fait intervenir Zeidan Ag Sidilamine, un ancien cadre des mouvements rebelles des années 1990 qui a même été leur porte-parole et qui dément tout amalgame visant des Touaregs à Bamako.

Vers un nouvel accord ?

Une éventuelle prise de Kidal par les FAMa ne signifiera pas non plus la fin de la guerre. Même si, pour beaucoup d’analystes sécuritaires elle permettra de porter un coup aux groupes rebelles et terroristes en les privant d’une base arrière, après l’occupation de Ber. Et pour Bamako ce sera un énorme gain politique. Toutefois, les tactiques de guérilla et de harcèlement se poursuivront certainement. Jusqu’à quand ? La signature ou la relecture d’un Accord pour la paix, répond un analyste en géostratégie. Avec cette fois-ci « l’État en position de force ». Les différents protagonistes ont conscience que cette guerre d’usure ne pourra pas durer éternellement. La voie du dialogue est toujours ouverte, si l’on s’en tient aux différentes déclarations des autorités et des groupes armés. Avec quel médiateur ? L’Algérie toujours, mais son rôle est contesté. La CMA estime « être trahie » par Alger, qu’elle juge beaucoup trop silencieuse et qui ne ferait pas assez pression sur les autorités, qui, de leur côté, n’ont que peu goûté que le Président algérien reçoive une délégation de la CMA.

JNIM : le groupe terroriste veut-il couper le nord du reste du pays ?

Le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (JNIM, acronyme arabe) cible de plus en plus les différents moyens de transport, laissant penser à la mise en œuvre d’une stratégie visant à couper le nord du reste du pays.

En se prenant au bateau « Tombouctou » le 7 septembre et à l’aéroport de Tombouctou 4 jours plus tard, le JNIM semble être dans une stratégie globale d’isolement des régions du nord du reste du pays.  

« L’objectif est clairement de couper le nord du pays. Je pense que contrairement à 2012, où ils ont massivement et brutalement occupé les régions du nord jusqu’à Konna, cette fois-ci ils sont en train de reconquérir les mêmes zones, avec beaucoup plus de subtilité », estime le journaliste Tiégoum Boubèye Maiga.

« Le blocus au niveau de Léré, qui va jusqu’à Nampala en passant par Konna et Douentza, signifie, qu’on le veuille ou non, que le Mali est coupé est deux. Le bateau était le seul moyen ces derniers temps, les routes sont coupées et maintenant les avions sont menacés. Cela veut dire que quelque part aujourd’hui la mobilité est inexistante », poursuit-il.

L’analyste politique et sécuritaire Soumaila Lah est du même avis. « Il y a le nord aujourd’hui qui est au centre de toutes les préoccupations. Je pense que le fait de s’attaquer à ces moyens de transport dénote de la volonté du JNIM de s’affirmer d’une part et d’envoyer un message clair à Bamako de l’autre, pour dire qu’ils ont toujours une certaine préséance et qu’ils se battront jusqu’au bout », analyse-t-il.

Ces attaques surviennent par ailleurs dans un contexte où le groupe d’Iyad Ag Ghaly a placé la ville de Tombouctou sous blocus depuis quelques semaines, arrêtant les approvisionnements de l’extérieur, en provenance notamment de l’Algérie et de la Mauritanie.  

Dans cette stratégie, le JNIM a visiblement un allié de taille, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), déterminée de son côté à ne pas céder les zones sous son contrôle à l’armée malienne, qui est en train de reprendre toutes les emprises de la MINUSMA.

Pour M. Lah, la collusion entre la CMA et le JNIM dans les attaques récentes est avérée. « Ce n’est pas un fait nouveau. En 2012 il y avait déjà cela. Je pense que le fait d’être aujourd’hui en position de faiblesse oblige ces organisations à cheminer ensemble pour éventuellement prendre le pas sur les FAMa », souligne le Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la Sécurité.

Réserve des forces armées : sonner la mobilisation

Le 13 septembre 2023, le Conseil des ministres a adopté un projet de décret fixant le Statut particulier de la Réserve des Forces armées et de Sécurité, concrétisant une dynamique de participation citoyenne à la défense de la patrie en cette période de crise. Si l’initiative salutaire permet de mobiliser les citoyens pour la défense du pays, les modalités de la mobilisation restent des questions à définir.

Alors que les choses semblent s’accélérer pour la mise en œuvre de la Réserve des Forces armées, tout reste encore à définir sur un plan pratique. Selon Fousseynou Ouattara, Vice-président de la Commission Défense du Conseil national de Transition (CNT), interrogé sur la chaîne TM1, il s’agit de permettre aux forces armées d’utiliser de façon optimale tout leur potentiel en cas d’agression ou de catastrophe. 

Le projet de décret, initié conformément à l’article 24 de la Constitution, dispose que « la défense de la Patrie est un devoir pour tout citoyen. Tous les citoyens âgés de 18 ans au moins peuvent être mobilisés aux côtés des Forces armées et de Sécurité pour la défense de la Patrie », précise le communiqué du Conseil des ministres

Son élaboration fait suite à l’application des dispositions de l’Ordonnance n°2023-015/PT-RM du 21 mars 2023 portant Statut général des Militaires, ainsi que de celles de la Loi n°2016- 038 du 07 juillet 2016 portant institution du Service national des Jeunes. N’appartenant pas à l’armée d’active, la Réserve est constituée de personnes appelées réservistes et formées pour renforcer ou apporter un concours aux Forces armées maliennes dans le cadre de la défense nationale. Le décret adopté précise les deux types de réserve, la réserve stratégique et la réserve opérationnelle.

La réserve stratégique est constituée des personnels du contingent du Service national des Jeunes ayant accompli le service militaire, des militaires dont la démission a été régulièrement acceptée, des militaires admis à faire valoir leurs droits à la retraite durant le temps où ils sont soumis à une obligation de disponibilité, qui est de cinq ans, des volontaires ayant souscrit un engagement et de toute autre personne ayant accompli le service militaire.

Lorsque la réserve stratégique est mise à la disposition du Chef d’État-major des Armées, elle est dite opérationnelle. Les réservistes mobilisés sont soumis au Statut général des Militaires et à toutes autres dispositions législatives et règlementaires en vigueur régissant les militaires. L’adoption du décret fixant le statut des réservistes est une nouvelle étape qui permettra désormais de déterminer l’état des réservistes et les conditions de leur mobilisation, d’assurer les garanties d’un renfort capital en cas de crise, de catastrophe naturelle ou de guerre, d’apporter un haut niveau de compétences supplémentaires aux Forces armées et de Sécurité et d’encourager les jeunes à contribuer à la Défense de la Nation.

Renfort naturel

Cet encouragement des jeunes à participer à la défense de la Nation est d’autant plus normal que ces derniers constituent les forces vives dont l’engagement est indispensable à sa vie, remarque Ousmane Abou Diallo, Président de l’Amicale des anciens du Service national des Jeunes (AMA- SNJ). « Le pays a besoin de tous ses fils et filles. La défense est un devoir pour tous parce que nous traversons des moments difficiles et que tout le monde doit jouer sa partition ».

Institué en 1983, le Service national des Jeunes ambitionnait de former des citoyens modèles, compétents et au service de la Nation.  Avec comme devise « Apprendre, servir et défendre », il constituait un véritable creuset pour fortifier l’esprit national civique et inspirer les jeunes générations, selon l’Amicale. De 1985 à 1991, le Service a formé 6 contingents ordinaires et 2 spéciaux, pour un effectif de plus de 6 000 personnes.

Après une interruption de 24 ans, le service a été de nouveau institué en 2016 avec d’autres objectifs. L’une de ses missions est de « contribuer à parfaire l’éducation, la formation physique, civique et professionnelle des jeunes en vue de leur participation effective et entière au développement économique, social et culturel du pays et de leur mobilisation pour les besoins de la défense nationale ». Entre 2018 et 2021, une cohorte de 1 300 jeunes a été formée et une autre, constituée exclusivement des admis au concours de la Fonction publique, également. La dernière promotion est constituée de ceux admis au concours de la Fonction publique en 2022.

Cette deuxième génération doit permettre de former des citoyens pétris de valeurs et capables d’assurer et d’assumer la souveraineté, espèrent les autorités. Souhaitée par l’Amicale des Anciens du SNJ, l’institution de la Réserve des Forces armées complète le dispositif de défense citoyenne voulu par les autorités pour impulser une nouvelle dynamique et former les ressources humaines indispensables à la mise en œuvre du Mali nouveau appelé de tous les vœux.

Devoir citoyen

En contrepartie de ses droits, il est attendu du citoyen l’accomplissement de ses devoirs envers sa patrie. Et l’un des premiers est celui de sa défense, surtout lorsque son existence est menacée. Parce qu’ils seront appelés à diriger le pays, les jeunes doivent en assurer aussi l’existence, car « pour diriger un pays, encore faut-il qu’il existe », note le Dr Bréma Ely Dicko, sociologue et membre de la commission de rédaction de l’avant-projet de nouvelle constitution (juillet-octobre 2022).

Appelés à travailler dans un environnement différent, les réservistes sont invités à compléter leurs connaissances « civiles » par des connaissances « militaires ». Une sollicitation en fonction des compétences, tient à expliquer M. Diallo, le Président de l’Amicale des anciens du SNJ. Il s’agit d’un devoir de servir que tout citoyen doit être fier de remplir. La défense de la patrie est un devoir et il incombe à tous.

« La Réserve n’est pas seulement pour ceux qui ont fait le service militaire », ajoute-t-il. Si tout le monde peut être mobilisé, ce n’est pas tout le monde qui « ira sur le front ». Lorsque le pays traverse les moments difficiles, c’est chaque Malien qui doit jouer sa partition, poursuit-il. Parce qu’à côté des fonctions de combat, d’autres fonctions sont également nécessaires à la défense.

Ce décret, « pris au bon moment », est une occasion pour tous les citoyens de se sentir concernés par la défense de la patrie. Assurant qu’au SNJ, ils « sont prêts » à répondre, il explique que même après leur période de mobilisation, les militaires à la retraite, par exemple, peuvent encore servir. En termes de formations, de conseils ou d’autres types d’appui.

Les jeunes ont suffisamment de droits et un des devoirs est de sauver le pays, renchérit Dr Bréma Ely Dicko. Donc mettre à disposition ces forces permet de créer le cadre officiel qui permettra d’identifier qui de droit le moment venu. C’est une mesure salutaire, parce qu’elle permettra d’anticiper d’éventuels besoins en réservistes.

Cela permettra aussi de raffermir le patriotisme chez les jeunes et de leur faire mieux comprendre comment fonctionne l’armée. « Nous avons besoin de développer l’orgueil national », estime pour sa part le Dr Amadou Traoré, sociologue, Chef de département à la Faculté des Sciences sociales de Ségou (FASSO). Et, pour ce faire, il faut du patriotisme. Ceux qui ont fait la formation militaire sont dotés de ce sens de la responsabilité et de l’amour de la patrie. Déplorant que, malgré la situation de guerre, certains ne se sentent pas concernés, il estime que « tous les Maliens sont des soldats », à différents degrés. Il faut donc construire une « mentalité commune ».

Sur le plan politique, cette formalisation de la Réserve peut constituer un espoir, parce qu’elle peut interpeller les citoyens sur la prise en compte des services régaliens que chacun doit rendre. Selon le Dr Traoré, l’idéal se construit, et pas en un jour. Il faut donc concrétiser notre devise « Un Peuple, Un But, Une Foi » à travers le patriotisme et la confiance en soi. « C’est d’abord aux Maliens de défendre leur patrie ». Si le pouvoir et la liberté appartiennent au Peuple, il doit les assumer au bout d’efforts à capitaliser.

 

Repères

Institution du SNJ : 1983

Suppression : 1991

Re Institution SNJ : 2016

Adoption Statut Réservistes : 2023

 

Sécurité : la guerre entre dans une nouvelle phase

La situation sécuritaire dans le nord du pays s’est considérablement dégradée depuis le début du mois de septembre, avec la multiplication des attaques terroristes visant des positions des Forces armées maliennes (FAMa) mais aussi des civils. Par ailleurs, alors que l’armée s’apprête à reprendre les camps de la Minusma dans la région de Kidal, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), de son côté, est déterminée à garder les zones sous son contrôle.

49 civils et 15 militaires tués, des blessés et des dégâts matériels. C’est le bilan provisoire donné par le gouvernement de la double attaque terroriste revendiquée par le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (JNIM) le 7 septembre 2023, contre le bateau « Tombouctou » reliant Gao à Mopti et la base militaire des FAMa à Bamba, dans la région de Gao.

407 rescapés de cette attaque sont arrivés le jour suivant à Gourma-Rharous, où dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, ils appelaient les autorités de la Transition à l’aide. « Tous mes enfants sont morts, ma famille entière, il ne me reste plus que mon petit-fils, que vous voyez avec moi », se lamente un vieil homme devant un groupe de rescapés qui scande : « nous voulons quitter ici ». « Nous avons perdu beaucoup de personnes, des enfants tout comme des adultes et des personnes âgées. Nous sommes fatigués. Nous n’avons ni à manger ni à boire, nous avons tout perdu dans cette tragédie. Nous voulons rentrer chez nous », confie, très remontée, une femme. Ce sont les affres, les dernières d’une guerre qui s’étend et devient de plus en plus meurtrière.

Le 8 septembre, au lendemain de cette double attaque, le camp militaire de Gao a été à son tour la cible d’une attaque terroriste faisant une dizaine de morts et des blessés parmi les Forces armées maliennes, suivie 3 jours après, le 11 septembre, de tirs d’obus à l’aéroport de Tombouctou occasionnant des dégâts matériels dans le camp de la MINUSMA s’y trouvant.

Guerre ouverte

Au même moment où les attaques du JNIM se multiplient, la CMA, de son côté, mène des actions dans le but d’empêcher la perte des zones qu’elle contrôle dans le nord du pays. Dans un communiqué en date du 10 septembre, le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), regroupant la CMA et d’autres mouvements signataires de l’Accord pour la paix, « tout en désignant la junte au pouvoir à Bamako comme seule responsable des conséquences graves qu’engendrera sa stratégie actuelle de rompre le cessez-le feu », déclare « adopter dorénavant toutes mesures de légitime défense contre les forces de cette junte partout sur l’ensemble du territoire de l’Azawad ».

« Le CSP-PSD appelle les populations civiles à s’éloigner au maximum des installations, mouvements et activités militaires et les assure que ses forces feront de la sécurisation des personnes et de leurs biens leur priorité contre toutes sortes de menaces », poursuit le communiqué, signé du Président Alghabass Ag Intalla. Mais le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) et la Plateforme des mouvements du 14 juin d’Alger s’en sont désolidarisés pour n’avoir pas été associé à la rédaction de la déclaration.

Le 11 septembre, dans une « communication en temps de guerre », la cellule d’information et de communication des affaires militaires de l’Azawad, créée quelques jours plus tôt, demandait « à tous les habitants de l’Azawad de se rendre sur le terrain pour contribuer à l’effort de guerre dans le but de défendre et protéger la patrie et ainsi reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire national azawadien ». Pour concrétiser ses menaces, la CMA est passé à l’acte le 12 septembre en s’attaquant à une position de l’armée malienne à Bourem, dans la région de Gao. Selon certaines sources, le dispositif de l’armée malienne qui doit reprendre les camps de la MINUSMA dans la région de Kidal est stationné dans cette zone. Les combats violents ont duré plusieurs heures et la CMA s’est repliée suite à l’intervention des vecteurs aériens de l’armée, qui ont effectué de nombreuses frappes. L’État-major général des armées, qui n’évoque pas la CMA dans son communiqué, parle « d’une attaque complexe aux véhicules piégés de plusieurs terroristes à bord de plusieurs véhicules et motos ». Bilan, « 10 morts et 13 blessés dans les rangs des FAMa et 46 terroristes neutralisés, plus de 20 pickups détruits, y compris ceux équipés d’armes ». Signe que la collusion réelle entre la CMA et le JNIM, comme ce fut le cas en 2012, est désormais bien intégrée dans la communication de l’armée. Ces affrontements directs entre les deux principaux protagonistes signent aussi la « mort cérébrale » de l’Accord pour la paix signé en 2015, du moins en l’état, à moins que la communauté internationale, en l’occurrence l’Algérie, chef de file de la médiation, jusqu’alors silencieuse, ne tente de faire rasseoir les parties autour de la table.

Nouveau tournant

En attendant, pour l’analyste politique et sécuritaire Moussa Djombana, la montée des tensions dans le nord s’explique par une combinaison de facteurs, notamment la volonté d’occupation de l’espace laissé par le départ progressif de la MINUSMA et le renforcement des capacités militaires des FAMa, qui envisagent des offensives, y compris dans les zones couvertes par le cessez-le-feu de 2014. « Cela a provoqué la colère de la CMA, qui interprète cela comme une violation du cessez-le-feu et une agression », souligne-t-il.

La reprise des hostilités, qui semblait inévitable entre les deux camps, fait basculer la situation sécuritaire dans le pays dans une nouvelle phase depuis la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation en 2015.

À en croire M. Djombana, elle risque de se détériorer davantage par la suite. « Pour les autorités maliennes, les opérations visent les groupes armés terroristes, pas la CMA. Cependant, pour la CMA, la violation du cessez-le-feu de 2014 et la caducité de l’Accord pour la paix sont une réalité depuis quelque temps. Les FAMa ont pris Ber grâce à une opération militaire d’envergure, un bastion de la CMA depuis 2012, ce qui augmente la probabilité de nouveaux affrontements », analyse-t-il.

Même son de cloche chez le géopolitologue et expert des groupes extrémistes au Sahel Dr. Alpha Alhadi Koïna. « On sait qu’aujourd’hui les groupes armés ne veulent pas du tout laisser l’armée s’installer confortablement dans certaines zones qu’ils prétendent être leurs fiefs. Ber était l’une d’elles. Aujourd’hui, l’armée est aussi déterminée à occuper Aguelhok, Tessalit et plus tard Kidal. S’il n’y a donc pas de négociations, il est fort probable que des affrontements aient lieu », avance-t-il.

Pour Dr. Koïna, la position et la posture actuelle des groupes armés s’expliquent par le fait que la MINUSMA étant en train de partir, « ils essayent d’occuper le plus tôt possible le terrain et d’harceler l’armée avant qu’elle ne puisse se positionner. Pour y parvenir, il est important pour ces groupes armés et terroristes de terroriser la population et de faire peur à l’armée ». « La CMA a tout à perdre si l’armée malienne récupère Kidal. Il est tout à fait normal qu’elle essaye de tout faire pour rester sur ses positions », glisse-t-il.

Mali – transition: 64 morts dont 49 civils et 15 militaires dans deux attaques distinctes

Le bateau « Tombouctou » de la COMANAF et un camp de l’armée malienne à Bamba dans la région de Gao ont été visés hier jeudi par des attaques terroristes. Dans un communiqué, le gouvernement a fourni un bilan provisoire de 64 morts dont 49 civils et 15 militaires lors des deux attaques. Un deuil national de trois jours à été décrété à compter de ce vendredi. Dans le communiqué, le gouvernement a annoncé que la riposte des FAMa a permis de neutraliser une cinquantaine de terroristes. Les nombreux blessés ont selon des sources locales été acheminés vers les centres de santé de la région de Gao. Le bateau de la COMANAF en provenance de Gao a été la cible d’une attaque terroriste  aux environs de 11 h 00, entre Abakoira et Zorghoi dans le cercle de Rharous. C’est la deuxième fois en moins d’une semaine que les bateaux de la COMANAF sont attaqués. Le 1er septembre dernier, la compagnie a informé d’une attaque à l’arme lourde ayant entrainé la mort d’un enfant de 12 ans.

 

Bandiagara : les attaques meurtrières se multiplient

A Bandiagara, les jours se suivent et se ressemblent. Depuis le début de l’hivernage, les populations font face à une série de violence meurtrière. Ce 18 août 2023, c’est le village de Yarou qui a subi une attaque par des hommes armés, ayant fait 22 morts, suivi le 20 août 2023 d’une autre dans le village d’Idiely, ayant fait 1 mort. Face à la situation, la société civile exprime sa préoccupation et sollicite un changement de stratégie.

Les assassinats ou attaques ciblées contre des villages qui se vident de leurs habitants, les vols de bétail sont devenus le lot quotidien des habitants de Bandiagara. Les communes alentour de la région sont devenues les cibles d’attaques récurrentes suscitant la colère des populations. Le 9 août 2023, les forces vives de la région avaient organisé une marche et annoncé une journée ville morte.

Depuis le 5 aout 2023 où l’attaque de Bodio avait fait 15 morts, celle de Gari le 7 août 12 morts, un attentat à la bombe à Dianwéli qui a causé 5 morts et l’attaque à Yarou le 18 août où 22 personnes ont été tuées et des bétails emportés, le climat d’insécurité s’accroît et inquiète les populations.

Alors que les attentes étaient grandes en termes de changement dans la situation sécuritaire, « les résultats sont en deçà de ceux espérés », déplore le président des organisations de jeunes de la région, Adama Djongo. Il appelle donc les autorités à un « changement de stratégie », afin d’associer les populations pleinement à la prise en charge de leur sécurité.  Conscient que l’Armée ne peut atteindre l’intégralité du territoire en même temps, il invite les autorités à mettre à profit l’expérience des groupes d’auto défense, pour contribuer à la sécurisation de leur terroir.

Une population traumatisée qui demande à l’Etat de prendre des mesures urgentes afin de les « rassurer », témoigne un habitant. En attendant et par crainte de représailles, plusieurs habitants des localités visées fuient en direction de la région.

Bandiagara : face à la recrudescence des attaques, le ras-le-bol de la population

Bodio, un village situé dans la commune rurale de Doucombo, cercle de Bandiagara, a été la victime d’une attaque terroriste le 5 août 2023. Bilan : 15 tués, 2 blessés, des dégâts matériels importants et une population traumatisée qui fuit la localité. Une énième attaque qui suscite la colère dans le Pays dogon. Pour manifester leur mécontentement, les « Forces vives » de la zone ont organisé une marche et décrété une journée Ville morte le 9 août 2023 à Badiangara. Ces attaques, devenues récurrentes, sont le symbole d’une insécurité qui gangrène le Pays dogon et au-delà et nécessite une analyse approfondie pour des solutions pérennes.

Le lendemain de l’attaque, entre Bodio et une localité voisine, un tricycle transportant deux chasseurs explose sur un engin explosif, causant la mort de ses deux occupants. Pour exprimer leur désarroi, « toutes les forces vives du Pays dogon, jeunes, femmes, commerçants, chefs de village et élus locaux, ont manifesté pour attirer l’attention des plus hautes autorités sur l’insécurité grandissante ». À l’issue de la marche, qui a dégénéré suite aux échauffourées entre manifestants et forces de l’ordre, faisant des blessés, un mémorandum a été remis aux autorités. 

Ce regain de violence était prévisible, selon Adama Djongo, Président du Collectif des associations de jeunes du Pays dogon. À l’approche de chaque hivernage, il s’agit d’un moyen pour les « terroristes de maintenir les populations dans la famine en les empêchant de cultiver ». Malgré les différentes alertes, M. Djongo déplore l’insuffisance des actions et demande à l’État « de mobiliser tous ses moyens pour sécuriser les populations ». Les Forces vives ont donc remis dans ce cadre un mémorandum aux autorités. Elles ne veulent plus se contenter des « décomptes macabres », promettant de se faire entendre si rien n’est fait. La population a décidé mercredi 9 août d’une journée ville morte. Une manifestation a également été organisée. Pacifique au début, elle a par la suite dégénéré. Les forces de l’ordre ont effectué des tirs de sommation selon des témoins faisant 11 blessés dont quatre parmi les forces de l’ordre et sept parmi les manifestants dont un grave. Ce dernier a succombé à ses blessures dans la soirée du 10 août. Les forces vives de la région de Bandiagara ont donc décidé de poursuivre la journée ville morte jusqu’à nouvel ordre. Une mesure qui touche tous les secteurs d’activité hormis les services de santé ; l’EDM ; la SOMAGEP et le transport terrestre et aérien.

Les limites du tout sécuritaire

L’absence des autorités dans les localités reculées et la perte des moyens des milices d’autodéfense, qui assuraient leur propre sécurité, constituent pour certains observateurs les causes de cette insécurité persistante. Il faut donc que l’État analyse cette question sécuritaire complexe en redéfinissant « les paradigmes du conflit malien ».

C’est donc une politique à mettre en place et un processus à entretenir. Il faut que l’État soutienne d’abord un plan d’urgence aux populations, nombreuses à se déplacer, et se focalise « sur le dialogue entre les communautés ». Mais les solutions au conflit malien ne peuvent être que communes avec celles du Sahel, indiquent les mêmes analystes. Ces pays doivent se mettre en synergie et « harmoniser leurs stratégies ».

Enlèvements : comment se déroulent les négociations ?

Qu’ils soient Occidentaux ou Africains, les otages des groupes terroristes au Sahel sont rarement libérés sans contreparties. Avant d’aboutir aux libérations, des négociations sont menées. Parfois longues et à rebondissements, elles sont conduites dans une grande discrétion.

Dès la prise d’otages, une première revendication est généralement faite par le groupe qui détient les captifs. « Une  vidéo dans laquelle l’otage s’exprime et qui fait en même temps office de preuve de vie », explique une source proche des négociations avec le JNIM.

À l’en croire, à partir de ce moment, le pays d’où est originaire l’otage cherche un médiateur. Ce dernier se dirige ensuite vers les ravisseurs. « Cela peut être aussi des coups de téléphone, mais c’est plutôt rare, parce que tout le monde écoute tout le monde dans la zone », nous glisse-t-elle.

Les ravisseurs posent ensuite leurs conditions au médiateur, qui  rend compte à son tour à un représentant des pays concernés ou à un diplomate. Les services de renseignement de certains pays sont généralement impliqués, selon notre source.

Le médiateur repart à nouveau vers les ravisseurs, avec une réponse qui est souvent la demande d’une preuve de vie particulière des otages, à travers des questions intimes auxquelles seuls ces derniers peuvent répondre. « Par exemple, la date de son mariage, ou celle de la naissance de son premier fils ». Il revient vers ses employeurs avec les réponses et repart avec de nouvelles questions.

« Cela peut prendre des semaines, voire des mois. Généralement ça bloque sur deux choses. Le montant, parce qu’il n’y a pas de prix fixe. On fait monter les enchères. Ensuite, comme preuve de bonne foi, on peut amener des médicaments à l’otage jusqu’à sa libération ».

Une fois que les deux parties tombent d’accord, le processus de libération est enclenché. Un dispositif de sécurité est mis en place pour s’assurer que toutes les conditions sont réunies. Selon notre interlocuteur, tout est calibré. « Les djihadistes ont le temps de compter l’argent et de se mettre en sécurité et l’otage repart avec le médiateur ou l’intermédiaire ».

Dans la plupart des cas, les otages sont très peu tenus au courant de l’évolution des négociations. Olivier Dubois, otage français libéré des mains du JNIM en mars dernier après près de 2 ans de captivité, assurait dans la longue interview qu’il nous a accordée ensuite qu’il était maintenu dans le flou.

« Seul moment où je comprends qu’il y a des négociations, c’est en novembre 2021. Parce qu’ils viennent me voir pour tourner une vidéo preuve de vie. On me dit qu’ils sont en train de discuter avec les Français et que ces derniers demandent cette vidéo. Mais je n’étais pas tenu au courant de ce qui se passait ».

JNIM : le lucratif business des enlèvements

Même s’il n’en détient pas le monopole, le JNIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) a érigé au fil des années les enlèvements au Sahel en modus operandi. Depuis que sa rivalité s’est accentuée, à partir de février 2020, avec l’EIGS (État islamique au grand Sahara), le groupe d’Iyad Ag Ghaly a multiplié les rapts. Expatriés européens, nationaux de divers profils, la liste des otages passés, ou qui sont encore dans les mains du JNIM au Mali, est longue. Que tire ce groupe terroriste de ces enlèvements ?

Officiellement, pour la libération le 20 mars 2023 de l’ex-dernier otage français dans le monde, Olivier Dubois, détenu pendant près de deux ans par le JNIM, et de l’humanitaire américain Jeffrey Woodke, enlevé au Niger en 2016, les autorités françaises et américaines sont catégoriques : aucune rançon n’a été versée et aucune libération de prisonniers n’a servi de monnaie d’échange.

Mais difficile de s’en tenir à ces versions quand on sait que dans la plupart des enlèvements d’Occidentaux en Afrique, la libération n’intervient qu’après des paiements de rançons et/ou la remise en liberté de terroristes prisonniers. À en croire certaines sources issues du renseignement malien et relayées par des médias locaux, au moins quelques millions d’euros auraient été versés pour obtenir la libération des deux ex-otages.

L’ancien Président François Hollande reconnaissait en 2016  que des rançons avaient été payées pour certains Français retenus en captivité, en l’occurrence les journalistes Hervé Ghesquière et Stéphane Taponnier, enlevés en Afghanistan en 2009 et libérés en 2011, et  Florence Aubenas, enlevée en 2005 en Irak puis libérée quelques mois après.

Comme pour Olivier Dubois, près de 3 ans plus tôt, Paris a toujours démenti avoir payé, en plus d’échange de prisonniers,  pour la libération de Sophie Pétronin, autre otage française longtemps détenue au Mali et libérée en octobre 2020 en même temps que l’ancien Chef de file de l’opposition malienne Soumaïla Cissé et 2 Italiens, Nicola Chiacchio et Pier Luigi Maccalli.

Dans la foulée, sur RFI, Ahmada Ag Bibi, ancien membre d’un groupe djihadiste qui sert quelquefois d’intermédiaire lors des négociations, affirmait que 2 millions d’euros avaient été versés comme rançon au JNIM  pour l’ancien Président de l’URD, décédé depuis.

De l’argent et des concessions

La manne financière que le JNIM et les groupes terroristes tirent des enlèvements est très importante. Une source spécialiste de ces mouvements djihadistes l’estime à « 40 à 50 milliards de francs CFA perçus de 2003 à aujourd’hui ». « La prise d’otages européens  a fait des djihadistes au Sahel des milliardaires en francs CFA, cela ne fait aucun doute », avance cette source, qui a requis l’anonymat. De son point de vue, c’est d’ailleurs pour cette raison que les Occidentaux, et plus particulièrement les Européens, sont les cibles privilégiées du JNIM, parce que les pays d’où ces derniers sont originaires entament vite des négociations pour obtenir leur libération.

« Lorsqu’ils prennent des Européens et des Africains, ils libèrent plus rapidement les Africains pour deux raisons. D’abord, parce que ces derniers n’ont pas de valeur marchande, leurs États n’ont pas d’argent pour payer. Ensuite parce qu’ils font attention à ne pas enlever des locaux dans les zones qu’ils occupent. Cela pourrait amener des relations difficiles entre eux et les autochtones », explique notre source.

En dehors de l’argent qu’il perçoit à travers les rapts, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, affilié à Al Qaeda, tire d’autres avantages. « Les enlèvements rapportent soit de l’argent, soit une occasion de négocier pour aboutir à des concessions ou obtenir des accords. Souvent, ils enlèvent des chefs de villages pour faire un forcing afin d’obtenir un accord local ou un avantage quelconque », affirme un ex-otage malien.

« Dans le centre du Mali, quand le JNIM enlève des personnalités locales, politiques ou influentes dans un village ou dans une ville, il négocie des concessions qui peuvent être endogènes. Si, par exemple, on les empêche de se ravitailler en carburant dans un village qui fait de l’autodéfense, s’ils y enlèvent quelqu’un ils poussent les pions pour qu’on leur ouvre la route, qu’ils puissent quelquefois venir à la foire se ravitailler en denrées, acheter des engins ou vendre leur bétail », confie celui qui a passé deux mois au centre du Mali en 2018 dans les mains d’un groupe affilié au JNIM.

Selon lui, d’autres profils en dehors des Occidentaux intéressent le groupe dirigé par Iyad Ag Ghaly. Administrateurs civils, militaires, politiques ou encore journalistes, « dès  qu’ils jugent pouvoir tirer contrepartie d’une cible, ils n’hésitent pas ». Dans plusieurs cas, les libérations d’otages interviennent aussi après celle de prisonniers, de certaines voies ou encore l’obtention d’une garantie de non coopération avec l’armée de la part des populations.

Manque de ressources ?

C’est inédit. Quatre vidéos de revendication d’otages enregistrées et diffusées sur les réseaux sociaux en l’espace de quelques jours (entre le 28 et le 30 mai 2023). Jamais le JNIM n’avait autant « exhibé » ses captifs dans un délai aussi court. Comme à l’accoutumée dans ce genre de vidéos, le message de fond reste le même. Les otages, 1 Sud-africain et 3 Maliens, appellent les autorités de leurs pays et leurs familles à négocier leur libération.

Dans deux vidéos enregistrées le 26 mai et diffusées deux jours plus tard, le Sud-africain Gert Jacobus van Deventer, 48 ans, demande d’urgence de l’aide ou toute forme d’assistance pour faciliter ou activer toute action qui puisse conduire à sa libération.

Pour sa part Abdou Maïga, ancien député, et proche du Premier ministre Choguel Kokalla Maïga selon certaines sources, appelle également le Président de la Transition, le Colonel Assimi Goïta, et le Chef du gouvernement à tout faire pour négocier sa libération, affirmant souffrir de glaucome, de diabète et de tension.

« J’ai été arrêté par les djihadistes le 18 mars 2023 entre Koala et Nara et actuellement je suis en vie. J’étais blessé le jour où l’on m’a arrêté. Actuellement, je suis en bonne santé. Je veux que le gouvernement m’aide pour que je rentre à la maison », implore de son côté, dans une autre vidéo enregistrée le 28 mai, le Caporal Oumar Diakité, élément du 34ème Bataillon du Génie militaire.

Tout comme lui, le même jour, Abdoulaye Kanté, garde forestier enlevé fin mars dans un poste à Kita, demande dans une autre vidéo de l’aide des autorités, à ses collègues et à sa famille pour recouvrer la liberté.

La nouvelle méthode employée par le JNIM, d’autant plus avec des otages relativement peu connus, suscite des interrogations. Le groupe est-il en manque de ressources financières et est-il en train d’activer des leviers de négociations pour le combler ? Est-il en train d’expérimenter une nouvelle stratégie ? Pour l’analyste sécuritaire, spécialiste des groupes djihadistes du centre et du nord du Mali, Yida Diall, la réponse à ces deux interrogations est négative.

« Pour moi, ces vidéos ne sont  pas pour chercher de l’argent, parce que en général les otages africains ne sont pas susceptibles de faire gagner beaucoup aux terroristes. Je pense qu’ils sont en train de le faire pour un autre motif, un échange de prisonniers. Ces derniers mois, ils ont eu certains lieutenants importants arrêtés, certains, pendant que Barkhane était encore là et d’autres avec la montée en puissance de l’armée ».

Quelques otages occidentaux, dont la « valeur marchande » est réputée plus grande, sont toujours aux mains du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans. Parmi eux, entre autres, le quadragénaire roumain Iulian Ghergut, enlevé en avril 2015 au Burkina Faso puis transféré vers le Mali, et trois Italiens, Rocco Antonio Langone et Maria Donata Caivano, 64 et 62 ans, et leur fils Giovanni, 43 ans, capturés au Mali  le 19 mai 2022.

Opération Kapidgou 2 : quel impact à la frontière Burkina – Mali ?

C’est l’une des premières retombées du renforcement en cours depuis quelques mois de la coopération bilatérale militaire entre le Mali et le Burkina Faso. L’opération Kapidgou 2, menée conjointement par les armées des deux pays, a été officiellement lancée le 21 avril dernier. Entre ratissages de villes et traque des terroristes, peut-elle contribuer à une sécurisation complète le long des deux frontières ?

L’objectif de Kapidgou 2 est double : augmenter d’une part la pression sur les groupes armés terroristes (GAT) qui sévissent le long de la frontière Mali-Burkina en détruisant leurs bases et d’autre part faciliter le retour des populations et de l’administration tout en promouvant le développement socio-économique de la zone.

Pour le Commandant Abdoul Wahab Coulibaly, chef de Kapidgou 2 côté malien, cette opération diminuera de manière significative l’insécurité dans cette région, parce que « les groupes armés terroristes se trouvent maintenant pris au piège entre deux déluges de feu qui les contraindront à abandonner leur dessein ».

Concernant un premier aperçu des actions menées sur le terrain quelques jours après le début de l’opération, la Direction de l’information et des relations publiques des Armées du Mali (Dirpa), que nous avons contactée à Bamako, n’a pas souhaité communiquer. Il ressort des explications fournies que le PC (Poste de commandement) conjoint qui mène l’opération n’a encore fourni aucun rapport.

Par contre, côté burkinabé, où une première phase était en cours depuis le 3 avril 2023, on en sait un peu plus. Selon une source proche de l’opération, plus de 800 combattants issus du 5ème BIR (Bataillon d’intervention rapide), du 23ème RIC de Koudougou (Régiment d’infanterie Commando), d’un bataillon mixte de marche composé de soldats et de VDP (Volontaires pour la défense de la patrie) et d’une compagnie de marche, le tout appuyé par un vecteur aérien en QRF (Force de réaction rapide), sont mobilisés pour l’occasion.

Roquettes lancées depuis 30 ou 40 km sur les bastions terroristes, ratissages et fouilles systématiques des villes et villages de la zone transfrontalière, démantèlement d’engins explosifs improvisés (EEI), l’armée burkinabé déploie de gros moyens. Résultats, plusieurs localités ont été reprises, des suspects appréhendés et des terroristes neutralisés, selon elle. Toutefois, ces dernières semaines, plusieurs militaires et VDP sont tombés suite à des attaques de GAT dans le pays.

Efficace ?

Les opérations conjointes entre le Burkina Faso et le Mali n’en sont pas à leurs débuts. Elles avaient été arrêtées il y a plus d’un an avant de reprendre en 2023, avec la nouvelle dynamique insufflée par les Présidents de transition des deux pays, le Colonel Assima Goïta et le Capitaine Ibrahim Traoré. L’analyste politique et sécuritaire Siaka Coulibaly, pour lequel la pertinence de l’opération en cours n’est plus à démontrer, est quand même inquiet sur son efficacité finale.

« Les deux pays ne semblent pas se rendre compte de la nature réelle du phénomène terroriste à son stade actuel. Au Burkina Faso, beaucoup plus qu’au Mali, les terroristes, après la destruction de leurs grandes bases, sont rentrés dans la population. C’est cela la dimension communautaire du conflit, qui en appelle plus à un travail de police que d’armée classique », avance-t-il.

« Les deux pays doivent faire preuve d’adaptabilité pour terminer le conflit, sinon il durera longtemps, d’autant que certains acteurs sont préparés à soutenir les irrédentistes », poursuit l’analyste.

Selon un spécialiste des questions sécuritaires qui a requis l’anonymat, pour plus d’efficacité dans cette traque commune des terroristes, essentiellement du Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM), dans la zone transfrontalière, il faut mettre l’accent sur le partage des renseignements et aboutir à des canaux d’échanges assez dynamiques entre les deux pays, sans oublier les formations communes d’éléments des deux armées.

Siaka Coulibaly est du même avis. « Les opérations relèvent maintenant plus du renseignement social que des affrontements directs avec des groupes armés. Si l’on continue avec l’approche militaire, on aura des cas dramatiques parce que l’adversaire est fondu dans la population », prévient-il.

En juin 2021, le Burkina Faso et le Mali s’étaient joint à la Côte d’Ivoire pour mener une opération tripartite dans les zones frontalières des trois pays. Dénommée Tourbillon vert, elle avait permis de de neutraliser 4 terroristes, de détruire 3 motos, d’interpeller 64 personnes et de récupérer des téléphones portables et des matériaux explosifs.

Sécurité : une nouvelle attaque terroriste à Sévaré

Au petit matin, vers 5h20, un énorme bruit réveille les habitants de Sévaré encore endormis. Le début d’une nouvelle attaque dans la ville visant les emprises des Forces de Défense et de sécurité. Les assaillants seraient venus de Bandiagara à bord de véhicules bourrés d’explosifs en direction du camp de la garde nationale et l’aéroport de Sévaré. Ils ont été stoppé selon des témoignages au quartier Sarena où les drones de l’Armée malienne sont rentrés en action pour détruire l’arsenal des terroristes. Selon une source sur place, des hélicoptères de l’Armée ont survolé la ville dans la matinée alors qu’un ratissage était en cours. Une grande partie de la ville a été bouclée par les forces de défense et de sécurité. Plusieurs blessés, notamment des déplacés internes dont le camp se situe à proximité de la zone d’impact ont été évacués vers l’hôpital Sominé Dolo. Certaines sources citant des responsables de l’hôpital évoquent aussi plusieurs morts. L’armée a assuré avoir déjoué une attaque complexe aux environs de l’aéroport mais n’a pas encore communiqué de bilan.

Olivier Dubois : 23 mois de captivité

Ce 8 mars, cela fait 23 mois que le journaliste français Olivier Dubois est retenu en otage par le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans. Enlevé à Gao le 8 avril 2021, le journaliste est apparu dans deux vidéos, deux preuves de vie, en mai 2021 et en mars 2022. Olivier Dubois, père de deux enfants et ancien collaborateur du Journal du Mali est le journaliste français dont la détention est le plus longue depuis 30 ans. Dans une récente interview accordé à un média français, Abou Obeiba Youssef al-Annabi, le chef d’Aqmi a confirmé que son groupe détenait le journaliste et était ouvert à la « discussions ».

Opération de sécurisation du Nord: quel impact dans la zone des 3 frontières ?

Depuis Anéfis, au sud de Kidal, les groupes armés du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement  (CSP-PSD) ont lancé le 20 février une vaste opération de sécurisation des régions du Nord, deux semaines après la fusion en une seule entité militaire et politique des mouvements de la CMA. Objectif : contrer la récurrence d’attaques de groupes armés terroristes et de bandits armés dans les zones sous leur contrôle. Cette opération pourra-t-elle stabiliser la Zone des 3 frontières, en proie à l’insécurité depuis plusieurs années ?

C’est une grande première : près de 2 500 hommes et plus de 300 véhicules mobilisés. Les groupes armés signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation de 2015 issu du processus d’Alger ont déjà mené des patrouilles communes dans certaines régions du Nord, mais jamais ils n’avaient mobilisé autant d’hommes et de moyens. Tous les mouvements de la CMA, de la Plateforme du 14 juin d’Alger et de certains Mouvements de l’inclusivité y prennent part et ont fourni chacun du matériel roulant et des hommes armés. Avec pour centres de gravité Anéfis dans la région de Kidal et Ber dans celle de Tombouctou, l’opération couvrira particulièrement les endroits où les mouvements évoluent et les différentes localités sous leur contrôle.

« C’est pour faire face à toute menace ou inquiétude, que ce soit lié au banditisme ou aux groupes terroristes. Obligatoirement, l’opération  va aller dans les zones où il y a un peu plus de populations, qui font face à des menaces, laissées à leur propre sort », précise  Mohamed el Maouloud Ramadane, porte-parole du CSP-PSD. Quant à la durée des patrouilles, cela va s’étaler sur plusieurs mois, assure-t-il.

« Vues l’étendue territoriale et la distance qui sépare les bases des mouvements, l’opération va prendre du temps, d’abord pour les regroupements et puis pour les départs à partir des points de regroupements », dit-il, n’écartant pas la possibilité qu’elle soit prolongée pour atteindre ses objectifs si le temps qui lui a été accordé n’était pas suffisant.

Freiner l’avancée terroriste

L’opération de sécurisation a été lancée pour freiner l’avancée de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), qui mène une offensive dans la Zone des 3 frontières, notamment dans la région de Ménaka, où plusieurs civils ont été tués depuis bientôt un an. Elle vient suppléer la riposte que tentaient de mener les combattants du MSA et qui avait occasionné à plusieurs reprises des affrontements avec les terroristes de l’EIGS, sans l’implication de l’armée malienne.

Le CSP-PSD espère contribuer à l’amélioration de la situation sécuritaire dans les régions concernées pour créer un climat de tranquillité au sein des communautés de ces différentes zones. Mais « le danger reste un affrontement armé qui pourrait coûter des vies humaines de plus. Nous avons déjà perdu beaucoup de vies humaines dans ce conflit », craint Abdoul Sogogodo, Vice-doyen de la Faculté des Sciences administratives et politiques de Bamako.

En effet, de son côté, le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) se prépare à des combats dans la région de Tombouctou. Dans une récente lettre adressée au chef du village d’Acharene (30 km à l’ouest de Tombouctou), l’émirat de la région appelle les habitants de la zone à s’éloigner de 10 km des bases militaires et à ne coopérer en aucune façon avec l’armée ou d’autres groupes armés « ennemis ».

Selon Abdoul Sogogodo, malgré les bonnes volontés affichées de certains groupes armés, le CSP-PSD ne dispose pas des ressources humaines et économiques nécessaires pour engager une lutte à long terme contre les groupes terroristes. « Il faut que l’État malien et ses partenaires s’appuient sur les groupes engagés dans la lutte pour le retour de l’État, mais ces groupes armés n’ont pas pour vocation de se substituer éternellement aux forces maliennes de défense et de sécurité », tranche cet analyste.

Selon lui, les actions récentes des groupes armés signataires de 2015, y compris le lancement de l’opération de sécurisation, sonnent comme un appel à la négociation pour la mise en œuvre de l’Accord.

Extrémisme violent : sortir de l’engrenage

Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a lancé ce 7 février 2023 son rapport sur le « Voyage vers l’extrémisme violent ». Il s’agit non seulement de résoudre les atteintes qui peuvent conduire certains à choisir cette voie mais aussi de faire sortir ceux qui ont été pris dans l’engrenage. Dans cette quête, l’organisation travaille non seulement avec les dirigeants et responsables politiques, mais également avec les acteurs locaux, confessionnels et la jeunesse, qui sont « les gardiens des solutions nationales à l’extrémisme violent ».

Phénomène assurément mondial, l’extrémisme violent ne connaît pas de frontières, selon le rapport. Et partout ce sont les mêmes facteurs qui contribuent à son expression : pauvreté, inégalités, exclusion, manque d’opportunités et perceptions d’injustice.

Face à ce fléau dont l’ampleur ne cesse de s’étendre, le PNUD préconise une approche différente, basée sur « les solutions de développement ». En effet, des alternatives complémentaires doivent être trouvées au « tout sécuritaire » afin que ceux qui sont censés être protégés contre le recours à l’extrémisme violent ne soient pas les victimes de « mesures de sécurité excessive ». Le rapport, qui estime que les personnes radicalisées sont aussi souvent celles qui se sentent en insécurité, redoute qu’elles ne soient davantage marginalisées et donc plus vulnérables à la radicalisation.

Alternatives positives

En Afrique subsaharienne, le PNUD mène des programmes dans 25 pays pour essayer de contrer les facteurs d’émergence de « la région comme nouveau épicentre de l’extrémisme violent ». « Au Mali, le projet a contribué à renforcer la radio communautaire en tant que plateforme pour défier les stéréotypes, résoudre les tensions et diffuser des messages de cohésion sociale ».

Pour recruter de nouveaux adhérents, les groupes extrémistes surfent sur les échecs des politiques de développement. En effet, le manque d’emplois ou d’opportunités de subsistance, les inégalités ou l’exclusion sociale sont autant de maux exploités par ces groupes.

C’est pourquoi, le PNUD a entrepris de « travailler avec 40 pays pour améliorer la gouvernance et la prestation de services et renforcer la confiance entre les gouvernements et les citoyens ». Prévenir l’extrémisme violent, c’est aussi donner la chance à ceux qui ont basculé d’en sortir. « La réintégration, bien que difficile », semble être la voie la mieux indiquée pour la réconciliation et une stabilité à long terme, selon le rapport.

Pour faciliter le processus, le PNUD encourage les autorités dans la sensibilisation des communautés aux défis des rapatriés. Ces « survivants », grâce au partage de leurs expériences, peuvent aider à travers des informations cruciales sur les déclencheurs et les signes avant-coureurs.

Aminata Dramane Traoré : « l’ONU est aux ordres des membres du Conseil de sécurité et non à l’écoute des peuples souverains »

Sociologue, écrivaine, militante altermondialiste, Aminata Dramane Traoré a plusieurs cordes à son arc et autant de combats à mener. Depuis toujours, ou presque, elle questionne le pré-établi, pousse l’analyse et dénonce au besoin. Ses prises de position vont de la dénonciation de la politique française en Afrique au néolibéralisme ou encore aux questions des droits des femmes. Toujours avec l’intensité qui la caractérise, l’ancienne ministre de la Culture répond à nos questions.

Le Mali célèbre ce 14 janvier la « Journée nationale de la souveraineté retrouvée ». Estimez-vous que nous le pays a vraiment recouvré sa souveraineté ?

J’ai pris part à la mobilisation du 14 janvier 2022 parce qu’indignée par les sanctions infligées à notre pays par la CEDEAO et l’UEMOA. C’est un combat d’avant-garde, en raison de l’importance stratégique des enjeux de souveraineté de nos jours. Ils sont politiques, géopolitiques, militaires, sécuritaires, mais aussi économiques, sociaux, culturels et écologiques. Un jalon important vers l’affirmation de notre souveraineté a donc été franchi ce jour-là. La souveraineté étant une quête de tous les jours, les acquis doivent être entretenus et consolidés. Tel est le sens à donner à la « Journée nationale de la souveraineté retrouvée ».

Dans cette quête de souveraineté, les autorités de la Transition ont pris de nombreuses décisions qui ont créé des tensions avec certains partenaires, notamment la France ou certains voisins. Cette quête doit-elle être aussi conflictuelle ?

La conflictualité de cette quête ne dépend pas que du Mali. Elle rend compte de la volonté de puissance de la France dans ses anciennes colonies d’Afrique, ainsi que des failles dans la coopération sous-régionale, bilatérale, multilatérale et internationale. Notre pays est un véritable cas d’école.

Le Mali redéfinit ses alliances dans une période très polarisée, notamment par la guerre en Ukraine. Comment tirer son épingle du jeu dans cette situation ?

La guerre en Ukraine jette une lumière crue sur les buts des guerres des temps présents, dont celle qui a été imposée au Mali au nom de « l’anti-terrorisme ». Je n’ai pas cessé, dès 2012, de contester et de déconstruire ce narratif français à la lumière de ce que je sais des interventions militaires étrangères. J’ai exprimé mon désaccord en ayant à l’esprit ce qui s’était passé en Irak et surtout en Libye. Alors comment choisir son camp entre des puissances qui s’autoproclament « démocratiques » et les autres (Chine, Russie, Turquie), qu’elles considèrent comme autocratiques parce qu’elles n’adhèrent pas à leurs principes politiques ? C’est le non alignement qui nous sied le mieux pour nous frayer notre propre voie, conformément aux besoins de nos peuples qui n’en peuvent plus des fausses promesses de développement, de démocratie et de gouvernance.

Vous avez symboliquement été candidate au poste de Secrétaire général de l’ONU. Selon vous, pourquoi la réunion demandée par le Mali en août dernier concernant un soutien présumé de la France aux terroristes n’aboutit-elle pas ?

Permettez-moi de rappeler d’abord que cette candidature symbolique au poste de Secrétaire général des Nations-Unies, auquel les femmes étaient invitées à se présenter, était l’occasion pour moi de rappeler que la crise de la démocratie libérale est stratégique. Le fait d’être homme ou femme à ce poste ne fait pas de différence dans l’ordre congénitalement injuste et violent du capitalisme. L’ONU est aux ordres des membres du Conseil de sécurité et non à l’écoute des peuples souverains.

Il n’y a de ce fait rien d’étonnant au mépris avec lequel la demande du Mali a été traitée au sujet d’une réunion autour d’une question qui fâche la France et perturbe ses alliés occidentaux. C’est pour cette raison que je souligne dans la vidéo que je consacre à l’ONU que la réforme dont elle a besoin va bien au-delà de la représentation de ses membres au Conseil de sécurité. Sa mission est à repenser à la lumière des crises qui s’amoncellent et s’aggravent, du fait de la loi du plus fort qui est la règle du jeu.

L’affirmation de la souveraineté du Mali ou d’un nouveau narratif du pays ne passe-t-elle pas aussi par la rupture des relations diplomatiques avec la France, accusée par les autorités de soutenir les terroristes ?

Ces relations sont à repenser et à refonder en se respectant et en s’écoutant mutuellement sur tous les sujets, y compris ceux qui fâchent comme le soutien de la France aux terroristes. En s’y refusant, Paris conforte l’idée selon laquelle elle est au-dessus du droit international, qu’elle prétend défendre, et aggrave la crise de confiance qui remonte aux premières heures de l’Opération Serval, suite à l’interdiction de l’accès à Kidal aux FAMa.

Qu’avez-vous ressenti à l’annonce du départ des soldats français du pays ?

Bien entendu un sentiment de fierté. La guerre dite « anti-djihadiste » étant sous nos cieux une nouvelle étape de l’impérialisme et de la recolonisation par l’intervention militaire.

Mais la situation sécuritaire ne s’est guère améliorée depuis…

Il en est ainsi parce le diagnostic est erroné. Les conséquences sont érigées en causes. Nombreux sont les analystes avisés qui rappellent que le terrorisme est un mode opératoire et non un ennemi spécifique. Le phénomène prend de l’ampleur au fur et à mesure que les mécanismes du pillage de nos richesses, du délitement du lien social et de la destruction de l’environnement s’accentuent au profit des banques, des grandes entreprises et de leurs actionnaires. L’ennemi principal est, en somme, le néolibéralisme, que nos élites s’interdisent de nommer pour ne pas scier la branche de l’arbre sur laquelle elles sont assises.

Des discours anti politique française se font de plus en plus entendre au Sahel, mais dans des pays qui ont en commun d’être dirigés par des militaires. Cette dynamique pourra-t-elle être maintenue après le retour à l’ordre constitutionnel ?

Les discours anti politique française ont largement contribué à l’éveil des consciences et à la libération de la parole. Ils ont également alerté la France sur l’impérieuse nécessité de changer son fusil d’épaule. Les dirigeants qui succéderont aux militaires se rabaisseront aux yeux de leurs concitoyens et des opinions publiques en jouant au béni-oui-ouisme.

Selon certains analystes, les raisons profondes de la crise au Mali sont d’abord économiques. Partagez-vous cette analyse ?

Ces analystes ont parfaitement raison. Je dis la même chose sans pour autant être sur la même longueur d’onde que la plupart d’entre eux, parce qu’il y a économie et économie. Pour moi, il ne s’agit pas d’approfondir les politiques néolibérales au nom d’une prétendue intégration dans l‘économie mondiale. Il s’agit, à la lumière des inégalités entre Nations et à l’intérieur de chaque pays, de réinventer l’économie afin qu’elle devienne une réponse à la faim, à la soif, à la peur et à la haine. L’état actuel des vieux pays industrialisés, comme celui des émergents, en pleine tourmente, invite à méditer sur ce que « développer économiquement » veut dire.

Pour atteindre notre souveraineté, nous avons donc besoin de transformer notre économie ? Par quoi cela passe-t-il selon-vous ?

C’est une excellente question dont nous devons nous saisir toutes et tous et à tous les niveaux. La tâche est colossale et exaltante. J’abonde dans le sens de Kako Nubukpo, Commissaire de l’UEMOA, qui plaide pour la révision de fond en comble des accords de libre-échange entre l’UE et les ACP (pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique), du néoprotectionnisme et du « juste échange ». Il faut dans cette perspective (la liste n’est pas exhaustive) : une pensée économique et politique autonome, nourrie des enseignements de ces 62 ans d’essais de développement, la confiance en nous-mêmes et en les autres, la solidarité, dont le patriotisme économique est l’une des clés. On achète et on consomme Malien et Africain au lieu de continuer à importer tout et n’importe quoi, dont les restes des consommateurs des pays « émergés » ou « émergents ». Il faut une intégration sous-régionale basée non pas sur la compétition à mort mais sur la conscience de notre communauté de destin et des valeurs que nous avons en partage. Les femmes et les jeunes doivent être les fers de lance de cette quête d’alternatives.

Le Mali est aussi un pays de paradoxes, « une population pauvre assise sur des richesses ». Est-ce à cause des politiques menées depuis l’indépendance, qui n’étaient pas assez ambitieuse ?

Les régimes successifs n’ont pas manqué d’ambition. Ils ont rarement eu les marges de manœuvre nécessaires. La Première République a été torpillée et farouchement combattue par la France parce que le Président Modibo Keita avait opté pour la souveraineté en vue d’un développement conforme aux intérêts supérieurs des Maliens. Les régimes suivants ont été contraints et obligés par les institutions de Bretton Woods à désétatiser, en faisant du secteur privé, dont les tenants et les aboutissants échappent totalement aux Maliens ordinaires, le moteur du développement. L’immense majorité de nos élites refusent d’admettre que le capitalisme malien et africain gagnant est sans issue.

Vous menez aussi depuis plusieurs années un combat pour les femmes. Que pensez-vous du mouvement féministe au Mali, qui semble se développer ?

Le mouvement de libération des femmes africaines, dont les Maliennes, souffre, à bien des égards, comme le processus de développement, des mêmes stigmatisations, du mimétisme et de la volonté de rattrapage de l’Occident. Le prix à payer est considérable aux plans économique, social, culturel, politique et écologique. Nous sommes de grandes consommatrices d’idées, de biens et de services. La question des postes et des places dans un tel système est, de mon point de vue, secondaire. Hommes ou femmes, notre capacité d’analyse des faits, de propositions d’alternatives et d’anticipation est défiée comme jamais auparavant.

D’où vient votre engagement pour tous les combats que vous menez ?

Ma mère, Bintou Sidibé, m’a marquée par sa conception du monde et des relations humaines. C’est ce qui me pousse à m’emparer de tout ce qui peut contribuer à les améliorer au niveau local (le pavage de mon quartier, la conception d’un marché malien des produits faits main), à investir dans la défense des droits des migrants et des réfugiés (Migrances) et dans celle de notre pays et de l’Afrique, partout où l’on tente de nous piétiner, de nous humilier.

Sécurité : plusieurs attaques contre les FAMa sur l’axe Tenenkou-Macina

Les Forces armées maliennes (FAMa) ont annoncé mardi soir avoir engagé à plusieurs reprises, « de violents combats contre des Groupes Armés Terroristes (GAT) après avoir été victimes de plusieurs incidents à l’engin explosif improvisé ». Les accrochements ont eu lieu sur l’axe Tenenkou-Macina dans la région de Mopti. Une première est intervenue entre les villages de Dia et Diafarabé, ensuite entre Koumara et Macina, indique-t-on dans le communiqué des FAMa. Selon la même annonce, le bilan provisoire était état de trois morts, cinq blessés et trois véhicules immobilisés côté FAMa et de sept terroristes neutralisés. « Les renforts terrestres sont arrivés dans la zone de même que la surveillance aérienne. Il a été réévalué dans un communiqué publié dans la soirée par l’état-major. Le bilan est désormais de 14 morts; 11 blessés et véhicule détruit côté FAMa. 31 terroristes ont été neutralisés en tout indique le communiqué.

L’attaque intervient quelques jours après celles qui ont fait cinq morts ainsi que des dégâts matériels le 2 janvier au poste de secours routier de la protection civile de Markakoungo. En outre, dans la nuit du 8 au 9 janvier dernier, le poste de douane de Didiéni et celui de la Gendarmerie de Sébékoro ont subi des agressions d’hommes armés non identifiés. La double attaque revendiquée par le JNIM ce mardi aurait fait un mort à Sébécoro selon des sources locales.