Transition : le réveil des partis politiques ?

Longtemps silencieux concernant la Transition, certains partis et regroupements politiques redonnent de la voix. Depuis la fin de la période transitoire, le 26 mars 2024 conformément au décret No2022-003/PT-RM du 6 juin 2022 en fixant la durée à 24 mois, ils montent au créneau pour exiger des autorités la tenue rapide de l’élection présidentielle qui mettra un terme à la Transition. Mais feront-ils le poids face à un pouvoir bien assis et qui semble avoir relégué au second plan un retour à l’ordre constitutionnel ?

Avalanche de réactions au sein de la classe politique. Depuis le 26 mars 2024, date à laquelle était censée prendre fin la Transition, certains partis et regroupements politiques montent au créneau pour exiger le retour à l’ordre constitutionnel.

Dans une déclaration anticipée, le 25 mars, le RPM, après avoir invité les autorités de la Transition au respect des engagements souverainement pris devant la communauté nationale et internationale, appellait à la « mise en place de toute urgence d’un nouveau mécanisme transitionnel pour un retour à l’ordre constitutionnel dans un délai de 6 mois ».

De leur côté, le M5-RFP Malikura et Yelema recommandent en urgence une concertation avec les responsables des forces vives nationales, pour redéfinir le contour et les objectifs et identifier les acteurs d’une nouvelle transition courte. « Le M5-RFP Mali Kura et le parti Yelema « le Changement » sont convaincus qu’après 3 ans et 8 mois de report en report provoqué, la Transition ne saurait aux forceps s’éterniser », ont dénoncé les deux entités dans une déclaration commune le 26 mars.

Dans la même veine, l’Adema-PASJ a lancé le 27 mars 2024 un « appel vibrant » aux autorités de la Transition pour « accélérer le processus devant conduire à la tenue de l’élection présidentielle qui mettra fin à la Transition ». Le parti, dans une  déclaration, estime que le « silence prolongé » des autorités de la Transition sur le chronogramme électoral suite au léger report de la date des élections « ne participe nullement à l’apaisement du climat sociopolitique ni à la consolidation de la cohésion sociale chère à tous les Maliens démocrates et républicains ».

L’Action républicaine pour le Progrès (ARP), pour sa part,  dans un mémorandum en date du 27 mars, appelle à la démission immédiate du gouvernement et à la mise en place d’un Exécutif d’union nationale dans le cadre d’un nouveau dispositif de transition véritablement inclusif. L’Alliance politique dirigée par l’ancien ministre Tiéman Hubert Coulibaly propose également de fixer une « date consensuelle raisonnable » pour l’élection présidentielle qui marquera le retour du Mali dans la normalité institutionnelle.

Actions 

Au-delà de leurs différentes réactions initiales, plusieurs partis et regroupements politiques, ainsi que des organisations de la société civile, ont réitéré leur position dans une déclaration commune le 31 mars 2024. « Nous demandons aux autorités en place, au regard du vide juridique et institutionnel ainsi provoqué, de créer les conditions d’une concertation rapide et inclusive pour la mise en place d’une architecture institutionnelle, à l’effet d’organiser dans les meilleurs délais l’élection présidentielle », indique la déclaration signée de près d’une centaine de partis politiques parmi lesquels, entre autres,  l’Adema-PASJ, le RPM, la Codem, l’ASMA-CFP, les Fare An Ka Wuli, le parti Yelema et l’UDD.

En plus d’attirer l’attention du gouvernement sur la fin de la Transition, conformément à l’article 22 de la loi No2022-001 du 25 février 2022 révisant la Charte de la Transition et au décret No2022-0335/PT-RM du 06 juin 2022 fixant le délai de la Transition à deux ans, ces partis avertissent qu’ils utiliseront « toutes les voies légales et légitimes pour le retour de notre pays à l’ordre constitutionnel normal ».

Le 28 mars dernier déjà, la Référence syndicale des magistrats (REFSYMA) et l’Association malienne des procureurs et poursuivants (AMPP), toutes deux membres de l’Appel du 20 février 2023 pour sauver le Mali, signataire de la déclaration du 31 mars 2024, avaient déposé une requête devant la Cour constitutionnelle. Les deux structures demandent à la juridiction de « constater la vacance de la présidence de la Transition, de prononcer la déchéance de tous les organes de la Transition et d’ordonner l’ouverture d’une nouvelle transition à vocation de rassemblement et réconciliation », incluant toutes les composantes de la Nation, y compris l’armée républicaine, avec comme missions principales assignées l’organisation des élections en vue du retour à l’ordre constitutionnel.

À en croire Alassane Abba, Secrétaire général de la CODEM, tous les partis, regroupements politiques et organisations de la société civile se réuniront dans les prochains jours pour la mise en place du Comité de suivi de la Déclaration commune du 31 mars et pour se mettre d’accord sur les futures actions à mener.

« Sûrement que nous allons mener d’autres actions pour avoir gain de cause, parce que je ne vois pas le gouvernement tout d’un coup accéder à notre demande, compte tenu du fait qu’ils sont aussi dans leur logique. Le Premier ministre l’a dit et on le sent à travers les propos de beaucoup d’entre eux, les élections ne sont pas d’actualité », confie celui qui n’exclut pas par ailleurs parmi des futures actions la désobéissance civile. « C’est la première des choses à laquelle nous pensons », glisse M. Abba.

Bloc d’opposition ?

Depuis le début de la Transition, des plateformes opposées à la gestion des autorités se sont constituées, sans pour autant parvenir à inverser les rapports de force en leur faveur. Que ce soit le Cadre d’échange des partis et regroupements pour un retour à l’ordre constitutionnel, l’Appel du 20 février pour sauver le Mali ou encore, plus récemment, la Synergie d’action pour le Mali, elles peinent toujours à peser  face aux militaires au pouvoir.

Mais pour la première fois, ces trois plateformes, même si la Synergie d’action pour le Mali n’est pas signataire en tant qu’entité mais est représentée par Espérance Jiguiya Kura, se mettent ensemble pour mener des actions communes. Au-delà de la déclaration commune et d’éventuelles futures actions, l’initiative pourrait-elle aboutir à la formation d’un bloc d’opposition à la Transition solide ? Pour le Secrétaire général de la Codem, cela ne semble pas évident.

« Les partis ont signé, mais ils n’ont pas les mêmes positions. Certains ont signé juste parce qu’ils se sont d’accord pour le retour à l’ordre constitutionnel. Mais de là à faire un bloc d’opposition, ce n’est pas aisé. Les partis n’ont pas les mêmes visions. L’opposition suppose qu’il y ait un chef de file et il n’est pas facile de le dégager dans ce contexte », concède Alassane Abba.

Par ailleurs, selon certains observateurs, le succès même des actions communes annoncées des partis, regroupements politiques et organisations de la société civile signataires de la déclaration du 31 mars 2024 n’est pas garanti. « Il sera très difficile pour ces partis de mener des manifestations qui puissent aboutir à quelque chose de probant. Le pouvoir en place semble décidé à ne laisser émerger aucune forme de contestation », glisse un analyste.

« Quand la Synergie d’action pour le Mali a voulu mener ses activités, elles ont été tout simplement interdites pour motif de sécurité par la Délégation spéciale du District de Bamako. Je pense que les autorités vont brandir les mêmes motifs pour interdire également toute manifestation de la nouvelle dynamique des partis et regroupements politiques qui est en train de se mettre en place », prédit-il.

Hamidou Doumbia : « nous partirons avec notre meilleur soldat »

Le parti Yelema et le M5-RFP Malikura ont signé le 4 décembre 2023 un partenariat « pour le renouveau politique au Mali ». Les deux entités se sont engagées à œuvrer ensemble sur plusieurs questions d’intérêt national, à quelques jours du 4ème Congrès ordinaire du parti Yelema, qui désignera son candidat à la prochaine présidentielle. Entretien avec Hamidou Doumbia, Secrétaire politique et Porte-parole du parti Yelema.

Pourquoi avez-vous opté pour ce partenariat avec le M5-RFP Malikura ?

Nous sommes à une phase importante de la vie de notre Nation et il est utile que les parti politiques qui prônent le changement et qui le disent travaillent à se mettre ensemble pour proposer une alternative. Il est important que nous puissions, en tant qu’acteurs politiques, nous positionner sur un certain nombre de sujets et donner des orientations et des conseils aux autorités de la Transition. Le partenariat est d’abord autour des idées, par rapport au sort qui doit être réservé à l’Accord pour la paix, aux questions de préservation et de renforcement de la démocratie, au respect de la Charte de la Transition…

Au-delà, est-ce le début d’une alliance politique électorale ?

Pour le moment, nous ne parlons pas d’alliance électorale, mais tout est possible. Tout peut advenir. Nous avons l’ambition de gouverner le pays. Il n’est donc pas exclu qu’à terme on envisage une alliance électorale, mais pour le moment ce n’est pas le cas. Nous allons continuer à travailler ensemble sur les thématiques dégagées.

Vous vous opposez à toute candidature du Président ou des autorités de la Transition à la prochaine présidentielle. Pour d’autres, avec la promulgation de la nouvelle Constitution, la voie est dégagée…

Ce qui est certain, c’est que la Charte n’est pas tombée et qu’elle est toujours en vigueur. Si la Charte est toujours là, il est clair que tous ceux qui ont conduit la Transition ne doivent pas se porter candidats aux élections. C’est une question de bon sens.

Le parti a ouvert une procédure d’appel à candidatures pour la désignation du candidat à la présidentielle. Cela pourrait-il aboutir à une candidature autre que celle de Moussa Mara ?

Dès lors qu’on ouvre la candidature, tout est possible. Il est bien possible qu’il y ait une autre candidature que celle de M. Moussa Mara. Le processus est ouvert. Mais une chose est sûre, nous partirons avec notre meilleur soldat.

Quels sont les enjeux du Congrès du 23 décembre prochain ?

Les instances du parti seront renouvelées. Nous allons avoir un nouveau Bureau, avec de nouvelles orientations. Nous allons aussi avoir l’opportunité de choisir notre candidat pour l’élection présidentielle à venir. Nous allons également réfléchir à améliorer notre institution politique.

Transition : une opposition se dessine

Le report sine die de la présidentielle de février 2024 semble être celui de trop. Soulevant une vague d’indignation et de refus au sein de la classe politique et de la société civile depuis son annonce le 25 septembre dernier, il pourrait être le déclencheur d’un nouveau train « d’opposants » à la Transition.

C’est loin d’être une surprise. Le report de l’élection présidentielle continue de faire des remous et de donner un regain nouveau à plusieurs entités politiques et de la société civile. En réaction à l’annonce du report de la présidentielle, le 25 septembre dernier, une « décision unilatérale des autorités de la Transition qui renvoie de facto à une autre prorogation de la Transition », qu’elle a condamnée, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’Imam Mahmoud Dicko (CMAS), avait décidé de « mobiliser tous ses militants, sympathisants et autres pour organiser dans les meilleurs délais la tenue d’actions patriotiques pour exiger la mise en place d’une transition civile, seule voie pour sauver la République »

Pour Youssouf Daba Diawara, Coordinateur général de la CMAS, selon des propos relayés par l’AFP, « cela fait plus de trois ans que la gestion de la Transition est confiée à des autorités militaires. Hélas, les raisons pour lesquelles le peuple malien est sorti pour combattre le régime de Ibrahim Boubacar Keïta n’ont pas pu être atteintes. Pour la CMAS, la faute incombe aux tenants du pouvoir ».

La CMAS a annoncé dans la foulée la tenue d’une marche le 13 octobre 2023 pour demander la mise en place d’une transition civile. L’annonce de cette marche a suscité de nombreuses réactions. En réponse, le Collectif pour la défense des militaires (CDM), soutien affiché des autorités de la Transition, a rendu publique l’organisation d’un meeting à la même heure et avec presque le même itinéraire. Face au risque de confrontation et suite à une mission de « bons offices » menée par le Président du Haut Conseil Islamique, Ousmane Madani Haidara, Mahmoud Dicko a finalement demandé à ses partisans d’annuler leur manifestation. Selon nos informations, le gouverneur n’a pas donné son autorisation pour la tenue de ces deux manifestations.

D’après des analystes, même avec l’annulation, l’Imam Mahmoud Dicko a réussi son pari en captant pendant plusieurs jours l’attention des autorités et des Maliens. Les relations de l’Imam ne sont plus au beau fixe avec les autorités de la Transition depuis la prise de pouvoir du Colonel Assimi Goïta. L’ex « autorité morale », qui était très influente lors des premières heures de la Transition, a été écarté. Une mise à l’écart qui lui a laissé un goût amer. Même s’il s’astreint à un certain silence, il arrive à l’Imam Dicko de lancer des piques, comme lors du forum de Bamako en 2022 ou encore deux jours avant la tenue du scrutin référendaire, lorsqu’il a harangué des partisans du non. Un analyste politique qui a requis l’anonymat ajoute : « le fait que les autorités de transition aient discuté avec la CMAS et obtenu l’annulation de la manifestation démontre qu’elles ne minimisent pas la capacité de mobilisation des partisans de l’Imam Dicko, même si cela ne peut plus atteindre les proportions d’il y a quelques années contre le régime d’IBK ».

À en croire Jean-François Marie Camara, enseignant – chercheur à la Faculté des Sciences administratives et politiques (FSAP) de l’Université des Sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB), la posture actuelle de la CMAS n’est pas surprenante.

« Lorsqu’une transition dure trop, cela crée un sentiment de monotonie qui peut entrainer des frustrations. Et quand les élections sont toujours repoussées, il est normal d’aboutir à de tels mouvements. Il revient aux autorités de la Transition de revoir leur copie », affirme-t-il.

Bloc « anti-prolongation » ?

Si jusque-là la Transition n’a pas fait face à une véritable opposition, cette nouvelle prolongation va changer la donne. À la marche de la CMAS étaient attendus des membres de l’Appel du 20 février, dont les principaux responsables, les magistrats Cheick Chérif Koné et Dramane Diarra, ont été récemment radiés de la magistrature. Cette nouvelle opposition germe alors que les tensions se cristallisent autour de la situation sécuritaire, du report de la présidentielle, de la vie chère et des nombreuses arrestations.

« Le Parena est dans la dynamique de constitution d’un bloc contre le report et pour la non candidature des tenants de la Transition », confie Diguiba Keita dit PPR, Secrétaire général de la formation politique de l’ancien chef de la diplomatie malienne Tiébilé Dramé.

« Il est fort probable qu’un bloc puisse se former contre les autorités de la Transition. Si elles ne parviennent pas à créer un climat de dialogue avec l’ensemble des forces vives de la Nation ou à organiser une table-ronde avec la classe politique et la société civile, cela peut créer d’autres tensions pouvant aboutir à des manifestations », met en garde pour sa part Jean-François Marie Camara.

Mais, selon certains observateurs, une opposition à la Transition aujourd’hui aurait du mal à peser contre les autorités actuelles, engagées dans la « reconquête » de tout le territoire national. Un objectif dans « lequel beaucoup de Maliens se retrouvent ». D’ailleurs, le Cadre d’échanges des partis et regroupements de partis politiques pour un retour à l’ordre constitutionnel, qui était considéré comme un « opposition » à la Transition, n’a jamais réussi à faire tourner le rapport de forces à sa faveur. Il s’est par la suite effrité. La Coordination des organisations de l’Appel du 20 février pour sauver le Mali a semblé un moment prendre le relais, sans grand impact non plus.

Si un éventuel nouveau front d’opposition à la prolongation de la Transition pourrait réunir tous les partis politiques ou organisations de la société civile qui se sont prononcés contre le report de la présidentielle, il pourrait dès le départ être confronté à un manque d’unanimité autour des exigences vis-à-vis de la Transition.

En effet, au moment où certains prônent la tenue pure et simple des élections selon le chronogramme initial, d’autres optent plutôt pour la mise en place d’abord d’une transition civile qui organisera plus tard les élections.

« Le Parena ne maîtrisant pas le contenu de la transition civile, se limite à une demande, voire une exigence de respect du calendrier annoncé et s’oppose à un report des élections », clarifie le Secrétaire général du parti du Bélier blanc.

Positions tranchées

La CMAS a été jusque-là la seule à vouloir organiser des manifestations contre la prolongation de la Transition, en demandant la mise en place d’une transition civile. Mais plusieurs autres partis ou regroupements de partis politiques et organisations de la société civile se sont eux aussi érigés contre le report de la présidentielle, initialement prévue en février 2024.

Dans un communiqué au ton particulièrement virulent en date du 25 septembre, le parti Yelema a mis les gouvernants en garde sur « les risques qu’ils font peser sur notre pays dans leur approche solitaire, non consensuelle, non inclusive, pour des objectifs inavoués ». Pour le parti de l’ancien Premier ministre Moussa Mara, cette nouvelle prolongation, en plus de violer la Charte de la Transition, « n’a fait l’objet d’aucune discussion interne entre les forces vives et ne saurait être une décision consensuelle ». Beaucoup de partis craignent que léger report ne devienne finalement « indéfini », alors que la Transition s’achemine déjà vers ses quatre ans, et que cette énième prorogation n’isole encore plus le Mali.

La Ligue démocratique pour le changement, de son côté, tout en désapprouvant et en condamnant sans équivoque cette « tentative de prise en otage de la démocratie malienne », a invité le gouvernement à renoncer à son projet et à « organiser l’élection présidentielle au mois de février 2024 comme déjà proposé aux Maliens et convenu avec la communauté internationale ». « Face à l’enlisement évident de la Transition, la Ligue démocratique pour le changement fait appel à tous les Maliens, en particulier les acteurs politiques, à œuvrer pour l’organisation de l’élection présidentielle comme prévu, pour un retour à l’ordre constitutionnel », a écrit le parti de l’ancien ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, Moussa Sinko Coulibaly, dans un communiqué, le 26 septembre.

La Coordination des organisations de l’Appel du 20 février 2023 pour sauver le Mali plaide elle aussi pour la mise en place d’une transition civile. Lors d’une conférence de presse, le 30 septembre, elle a invité « les démocrates et républicains de tout bord et de tout horizon à rester mobilisés et debout comme un seul homme au secours du Mali en détresse jusqu’à l’installation d’une transition civile plus responsable, consciente de ses missions ».

Le M5-RFP Mali Kura, pour sa part, après avoir dénoncé cette décision « unilatérale », a rappelé « l’impérieuse exigence de respecter les engagements dans la mise en œuvre du chronogramme devant aboutir au retour à l’ordre constitutionnel ». Le ton est un peu plus mesuré au Rassemblement pour le Mali (RPM), qui a exprimé sa « profonde inquiétude et son étonnement de voir que le cadre de concertation mis en place pour un dialogue entre le gouvernement et les partis politiques n’ait pas été impliqué dans le processus de cette importante décision ».

Yelema : désormais dans une « opposition » affichée à la Transition ?

Jusque-là très mesuré dans ses prises de position vis-à-vis des décisions prises et des actions menées par les autorités de la Transition, le parti Yelema de l’ancien Premier ministre Moussa Mara s’est montré particulièrement critique dans sa réaction suite à l’annonce par le gouvernement du report de la présidentielle, le 25 septembre dernier. Une nouvelle posture qui suscite des interrogations.

Même lorsqu’il était encore membre actif du Cadre des partis et regroupements de partis pour un retour à l’ordre constitutionnel, le parti Yelema prenait soin de ne pas endosser les positions les plus tranchées du directoire contre les autorités de la Transition.

En février 2022, lorsque le Cadre avait décidé de ne plus reconnaitre les autorités au-delà de la date prévue pour la fin de la Transition, Yelema s’était tout simplement désolidarisé de cette décision.

« Il y a eu des décisions que nous ne partagions pas, parce que le Cadre n’est pas une plateforme politique, encore moins un parti politique, juste un cadre d’échanges. Nous nous retrouvons sur des sujets sur lesquels nous travaillons à avoir le maximum de consensus, mais, s’il n’y a pas de consensus, je pense que les partis ont leur liberté de parole », se justifiait le 18 août 2022 le Président Dr. Youssouf Diawara. Pour certains, ces prises de position mesurées étaient aussi en partie guidées par le dossier judiciaire qui pesait sur le fondateur de Yelema. En novembre 2021, il avait été convoqué au Pôle économique de Bamako pour une affaire de malversations financières. M. Mara a rejeté en bloc ces accusations.

Lors du référendum du 18 juin 2023, Yelema, contrairement à d’autres formations politiques qui s’étaient clairement rangées dans les camps du « Oui » ou du « Non », a appelé chaque militant  et sympathisant à voter en accord avec « ses propres convictions », s’abstenant de donner une consigne ou d’opter pour un appel au boycott, même si le parti avait indiqué regretter le fait que le nouveau texte constitutionnel n’ait pas pris en compte ses préoccupations et ignorait les grands principes qui doivent guider les actions publiques et la pratique institutionnelle du pays. Le Porte-parole du parti, Hamidou Doumbia, pas en phase avec cette décision, a même milité dans une association prônant clairement le non pour la constitution.

Le ton du communiqué du parti Yelema en date du 25 septembre, en réponse au report de la présidentielle initialement prévue en février 2024, a été, contrairement à ses positions antérieures, l’un des plus virulents parmi les nombreuses réactions suscitées au sein de la classe politique.

« Langage de vérité »

La prolongation de fait de la Transition est-elle celle de trop, qui fait basculer le parti Yelema dans le rang des partis ou regroupements de partis politiques clairement « opposés » aux autorités de la Transition ? Cela semble être le cas. Mais, à en croire son Secrétaire politique et Porte-parole, Hamidou Doumbia, il n’en est rien.

« Le parti s’est toujours inscrit dans une opposition contre les mauvaises pratiques. La transition n’est pas une période où il y a une opposition et une majorité. Mais, à chaque fois qu’il y aura mauvaise pratique, le parti aura le courage de s’y opposer. C’est cette posture que nous avons depuis le début de la Transition ». 

« Quand nous pensons qu’il y a des actions qui sont positives, nous le disons. Quand il y a des actions qui ne sont pas justifiables et qui, pour nous, ne sont pas claires, nous avons toujours eu le courage de le dire et nous continuerons à le dire quoi que cela puisse nous coûter », poursuit-il.

Pour le Porte-parole de Yelema, le communiqué du 25 septembre n’est pas virulent, mais plutôt « véridique ». « Nous sommes dans une période de transition et nous ne pouvons pas parler d’opposition claire. Les partis politiques doivent certes accompagner la Transition, mais cela ne veut pas dire qu’ils doivent être dans une posture de bénis oui-oui et accepter tout ce que la Transition pose comme actes. Je pense que Yelema est dans cette dynamique. Ils ne sont pas dans une opposition déclarée, mais ils sont en train de dénoncer ce qui ne va pas selon eux », analyse Jean-François Marie Camara, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences administratives et politiques de l’USJP.

Mali – Transition: des rendez-vous manqués

Depuis le début de la Transition, le respect des échéances préétablies pour la mise en œuvre des réformes et la tenue des élections n’a souvent pas été effectif. Pour certains, la nouvelle date du référendum risque de ne pas faire exception, tant les défis qui restent à relever dans ce petit laps de temps sont nombreux. Encore une date pour du beurre?

En avril 2021, le gouvernement de transition établit un chronogramme de 18 mois fixant la fin de la transition à février 2022, avec la tenue couplée des élections présidentielle et législatives le 27 février 2022. Le référendum était fixé au 31 octobre 2021 et l’élection des conseillers des collectivités territoriales au 26 décembre 2021. Mais ces différentes dates ne seront pas respectées.

Le 24 mai 2021, Bah N’Daw, alors Président de la Transition est renversé par le Colonel Assimi Goita. Les Assises nationales de la Refondation sont organisées en décembre  2021. Parmi les recommandations, une durée de transition allant de 6 mois à 5 ans. Après plusieurs semaines  de tractations internes, sur fond de pressions de la CEDEAO et de la communauté internationale, la transition est prolongée de 24 mois, jusqu’à février 2024, à compter du 26 mars 2022.

Un nouveau chronogramme est publié en juin 2022. Il prévoit l’organisation du référendum le 19 mars, l’élection des conseillers des collectivités territoriales le 25 juin 2023, celle des députés à l’Assemblée nationale le 29 octobre 2023 et la présidentielle le 4  février 2024.

Le 10 mars 2023, après un retard dans l’organisation du référendum, le ministre de l’Administration territoriale annonce un « léger report » et assure que la nouvelle date du référendum sera fixée après concertation avec l’Autorité indépendante de gestion des élections et l’ensemble des acteurs du processus électoral. Près de 2 mois après, le gouvernement annonce la nouvelle date, le 18 juin 2023.

Chez les politiques, le ton est à la prudence. « Le parti aujourd’hui n’a pas toutes les informations techniques. C’est le ministre qui a les informations, qui sait le niveau de préparation, qui connait exactement la situation sécuritaire sur le plan territorial. S’il sort et dit qu’ils peuvent tenir le référendum à cette date, nous ne pouvons que suivre », relativise Hamidou Doumbia, Secrétaire politique du parti Yelema de l’ancien Premier ministre Moussa Mara.

Toutefois, pour celui qui est également Porte-parole de Yelema et espère que le gouvernement ne sera pas à nouveau dans une mauvaise planification, il faudrait à chaque fois  tenir compte des contours de chaque décision qu’on prend pour ne pas se tromper,  afin d’éviter des reports de dates sources de méfiance entre les acteurs.

Moussa Mara : « Il faut qu’on travaille à la réussite de la Transition plutôt que de s’ériger en opposant »

Alors qu’il a prononcé le premier discours du Cadre des partis politiques pour la réussite de la Transition, désormais Cadre pour un retour à l’ordre constitutionnel, l’ancien Premier ministre Moussa Mara le dit d’emblée : il n’est plus en phase avec certaines décisions de ce regroupement politique. Il en explique les raisons.

Pourquoi avez vous pris vos distances avec le Cadre ?

Personnellement, il y a des positions que le Cadre a pris que je ne partage pas. Cela n’engage que moi. Par exemple, en février dernier, quand ses acteurs ont donné un ultimatum aux autorités de la Transition pour leur dire que dans quelques temps, si les choses ne bougeaient pas, ils n’allaient plus les reconnaître. Pour moi, ce n’est pas une position constructive. Quand le Cadre a changé de nom récemment, pour dire que ce n’est plus le Cadre pour la réussite de la Transition mais le Cadre pour le retour à l’ordre constitutionnel, j’ai dit que ce n’était pas conforme à l’esprit même de la création du collectif. Il a été créé pour aider les autorités de la Transition à réussir, et dans cela il y a les élections, mais pas que. Il faut aujourd’hui qu’on essaie de travailler à la réussite de la Transition plutôt que de s’ériger en opposant. Une transition ne doit pas avoir d’opposants.

Mais pourtant vous étiez, à sa création, au devant de ce collectif…  

C’est vrai que j’ai prononcé le premier discours de présentation du Cadre, avec la permission du Président de Yelema et de tous ceux des partis politiques qui constituent le regroupement. Étant un initiateur du regroupement, ils m’ont laissé présenter le premier discours, mais depuis cette présentation je n’ai pas parlé une seule fois au nom du Cadre, parce que je ne suis plus Président de parti.

Vous revenez d’une tournée dans la région de Kita. Est-ce déjà la mobilisation pour les élections futures ?    

Depuis 12 à 13 ans, avant même que je ne sois Premier ministre, je tourne dans le pays tout le temps. Un acteur politique doit être constamment en action, aller là où les citoyens vivent, discuter avec eux, comprendre ce qu’ils vivent pour trouver des solutions. La politique, c’est essayer de trouver des solutions aux problèmes des gens. On ne peut pas le faire si on ne connaît pas les gens et on ne peut pas connaître les gens en étant à des milliers de kilomètres d’eux. C’est pour cela que je tourne tout le temps, même en dehors de toute période électorale. C’est dans ce cadre que je suis allé à Kita.