Tinzawatène : Jusqu’où ira la résistance des rebelles du CSP-PDA ?

Ber, Bourem, Anéfis, Aguelhok, Tinzawatène. La liste des théâtres d’affrontements ces derniers mois entre l’armée malienne, résolument tournée vers la sécurisation du territoire national, et les groupes armés rebelles, réunis au sein du Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l’Azawad ( CSP-PDA), ne cesse de croître. D’une rare violence, les récents combats à Tinzawatène, près de la frontière algérienne, marquent un tournant depuis la reprise des affrontements entre les deux camps, en août 2023. Bénéficiant de soutiens multiformes, les rebelles Touaregs, délogés de Kidal en novembre dernier, résistent et s’accrochent.

C’est un affrontement sanglant qui a opposé du 25 au 27 juillet dernier l’armée malienne et les groupes armés rebelles regroupés au sein CSP-PDA à Tinzawatène, localité située à 233 km au nord-est de Kidal.

Dans une dynamique de récupération des dernières localités près de la frontière algérienne, où se sont réfugiés les rebelles du CSP-PDA et d’autres groupes armés terroristes en perte de vitesse, l’armée malienne, appuyée par ses partenaires russes, a lancé à la mi-juillet des opérations dans la zone.

Bataille « perdue »

Le 25 juillet, l’armée malienne et ses partenaires pénètrent à Tinzawatène, 3 jours après avoir pris le contrôle de la ville d’Inafaraq, à environ 122 km de Tessalit, et pris position à Boughessa, dans le cercle d’Abeibara, région de Kidal. Mais la colonne FAMa bute sur les combattants du CSP, fortement positionnés dans la ville-frontière avec l’ Algérie, qui ouvrent le combat.

Après une première attaque repoussée par les FAMa, les conditions météo se dégradent et une tempête de sable limite les mouvements des troupes au sol, empêchant l’intervention des vecteurs aériens de l’armée malienne. En infériorité numérique et limitées sur le terrain, les FAMa sont vites encerclées le 26 juillet par les rebelles du CSP, qui se sont réorganisés et ont été renforcés par des groupes armés terroristes de la zone.

« La bravoure et la détermination exemplaires de nos soldats n’ont pas permis d’éviter un nombre important de pertes en vies humaines et matérielles », reconnaît l’État-major général des armées dans un communiqué publié le 29 juillet. « Le 26 juillet, les combats ont redoublé d’intensité. Les groupes armées terroristes, regroupés dans une coalition opportuniste comprenant l’EIGS et le GSIM, ont lancé plusieurs véhicules kamikazes contre nos forces. L’unité FAMa a été encerclée par la coalition des forces terroristes du Sahel et de violents combats se sont engagés avant l’arrivée des renforts », explique l’armée.

Les combats se poursuivent le 27 juillet et les FAMa, qui subissent d’autres pertes dans une embuscade tendue par le JNIM, se replient sur Kidal le 28 juillet. Si dans sa communication l’État-major général des armées ne donne pas de précisions sur les pertes subies, le CSP-PDA, de son côté, fait état, dans un communiqué en date du 1er août 2024, de 9 morts, 12 blessés et 3 véhicules détruits dans ses rangs et, d’un lourd bilan humain du côté de l’armée malienne et de ses partenaires russes. Des destructions de matériels et de véhicules sont aussi revendiquées. 

Le 31 juillet, le Premier ministre Choguel Kokalla Maiga affirme publiquement que l’armée malienne a perdu la bataille à Tinzawatène mais qu’elle gagnera la guerre.

Nouvelle dimension

« Nous tenons à souligner que cette situation ne saurait remettre en cause la dynamique d’exercice de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national, comme matérialisé par la prise de contrôle d’Inafaraq », avertit l’État-major général des armées dans son communiqué du 29 juillet, laissant entrevoir une nouvelle offensive des FAMa à Tinzawatène.

Lors de sa traditionnelle conférence de presse, tenue le 5 août 2024, le Chef de la Direction de l’information et des relations publiques des armées ( DIRPA), l’a réitéré. « Dès lors que nous avons pu mettre les pieds à Kidal, nous serons à Tinzawatène. Mais nous n’allons pas vous dire quand. Retenez-le, les FAMa mettront pied à Tinzawatène vaille que vaille, au prix de notre sang », a martelé le Colonel-major Souleymane Dembélé devant la presse.

De leur côté, les rebelles du CSP-PDA, qui ont salué une « éclatante et glorieuse victoire » de leurs combattants, savent que l’armée malienne n’abdiquera pas. Ils se prépareraient à toutes les éventualités.

Selon certains analystes, l’ascendant pris lors des récents combats pourrait les galvaniser et, en plus du renfort des groupes armés terroristes de la zone et de l’appui d’États étrangers, notamment l’Ukraine – avec laquelle le Mali vient de rompre ses liens diplomatiques -, les indépendantistes Touaregs pourraient continuer de résister aux FAMa et à leurs partenaires russes dans les futurs combats pour le contrôle de la ville de Tinzawatène.

« Le conflit russo-ukrainien aujourd’hui s’exporte dans le Nord du Mali, parce que les Ukrainiens ont vu en la présence russe au Mali une nouvelle cible à abattre, et il y a de quoi s’inquiéter de l’ampleur que prend cette bataille », s’alarme Dr. Amidou Tidjani, enseignant-chercheur à l’Université Paris-13.

« Nous sommes désormais dans un conflit d’État à État à travers des acteurs indirects qui sont les groupes armés terroristes. Ce ne sont pas les groupes armés de Tinzawatène qui sont l’objet d’inquiétude, mais, à mon sens, le fait qu’ils bénéficient des moyens d’une armée conventionnelle pour attaquer l’armée malienne », poursuit-il, mettant en garde contre des attaques dans des zones beaucoup plus sensibles si ce soutien continue.

Pour sa part, Jean-Hervé Jezequel, Directeur du Projet Sahel à International Crisis Group paraît plus mesuré. « Ce n’est pas étonnant que chaque camp essaye de se trouver des alliés extérieurs, mais le brouillard de la guerre est encore épais sur les derniers épisodes et il faut se méfier de toute conclusion hâtive », glisse-t-il.

Revenir au dialogue ?

Dans la perspective d’autres affrontements dans la zone de Tinzawatène, le sort des civils, que l’armée malienne a d’ailleurs invité à s’éloigner des périmètres de combats, est plus que jamais préoccupant.

« On craint évidemment l’engrenage. Dans les situations de conflit de ce genre, les populations civiles sont de plus en plus touchées par des opérations qui peinent à différencier qui est combattant et qui ne l’est pas, qui soutient un camp et qui soutient l’autre », alerte Jean-Hervé Jezequel.

Dans un rapport publié en février 2024, International  Crisis Groupe mettait déjà l’accent sur le risque de voir la violence contre les civils s’aggraver dans les mois à venir, sans que cela n’apporte une quelconque réponse durable à la situation actuelle.

Pour le Directeur du Projet Sahel à International Crisis Group, il est difficile, sinon impossible, de contrôler durablement le Nord du Mali par de seules actions militaires, même avec de puissants alliés.

« Reprendre et tenir des villes face à des insurrections armées est toujours possible quand on y met les moyens, comme on l’a vu récemment avec la reprise de Kidal depuis novembre 2023. Par contre, tenir les zones rurales et éradiquer toute forme d’opposition armée dans des espaces aussi vastes, où la logistique est un immense défi pour toutes les armées du monde, c’est un objectif peu réaliste », estime M. Jezequel. De son point de vue, seul le dialogue politique peut permettre d’épargner des vies maliennes.

CSP-JNIM : les conséquences d’un pacte « réchauffé »

Depuis la réunion qui a consacré son changement de dénomination et l’assignation de nouveaux objectifs, fin avril dernier, le Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l’Azawad (CSP-PDA) a entamé des discussions de « coexistence pacifique » avec le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (JNIM) d’Iyad Ag Ghaly. Ce rapprochement, aujourd’hui à un stade « avancé », pourrait impacter la situation sécuritaire sur le terrain et redéfinir les priorités des différentes entités en guerre.

Dans un message audio qui circule sur les réseaux sociaux depuis le 17 mai 2024, Algabass Ag Intalla, « Chargé de la réconciliation, de la cohabitation et des relations avec les autorités traditionnelles » au sein du CSP, demandait aux combattants du Cadre de ne pas s’opposer aux discussions en cours avec le JNIM. Selon ses propos, le haut cadre touareg avait déjà obtenu certaines avancées par ce biais et en espérait d’autres avec le groupe terroriste.

À en croire le porte-parole du CSP, Mohamed Elmaouloud Ramadane, dans des propos relayés par un quotidien étranger, ce rapprochement entre les deux entités n’est pas pour autant une alliance, mais « un pacte tacite de non agression ».

En effet, selon une source au Cadre, Alghabass Ag Intalla, qui présidait le Cadre jusqu’au changement de nom fin avril, a été mandaté par le Directoire du CSP pour obtenir un pacte de non agression afin de permettre non seulement la libre circulation des combattants, mais aussi un partage d’informations sur les mouvements de « l’ennemi commun », l’armée malienne et ses partenaires.

« Il n’est pas question d’une réconciliation à proprement parler, mais de mettre en place des mécanismes pour éviter la confrontation et de pouvoir coexister sur un même territoire », a confié un cadre du CSP à un média étranger. Joint par nos soins, le Porte-parole du Cadre n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Une  « coexistence » redéfinie

Si aujourd’hui les rebelles du CSP-PDA et les terroristes du JNIM sont en discussion pour ne pas en venir aux affrontements, un pacte de non agression existait déjà entre les deux entités depuis 2012, selon plusieurs observateurs, lorsque les groupes armés contrôlaient une grande partie du Nord du Mali. En effet, pendant les années où la CMA tenait Kidal, aucun affrontement n’a opposé les deux camps.

La « coexistence » pacifique entre le CSP-DPA et le JNIM a été seulement mise à mal le 5 avril 2024, lors de combats à Nara entre les deux entités. Les terroristes du JNIM avaient enjoint aux rebelles du CSP de ne pas mener des opérations dans le centre et le sud du pays, zones qu’ils considèrent comme étant leur « terrain ».

Mais, dans leur tentative de riposte à l’armée malienne après leur long silence depuis qu’ils avaient été défaits à Kidal en novembre 2023, les groupes armés rebelles du CSP ont tenté d’attaquer un camp des FAMa à partir des environs de la forêt du Wagadou, à la frontière entre la Mauritanie et le Mali. Ils sont tombés sur des combattants du JNIM et des affrontements s’en sont suivis entre les deux camps.  Bilan, une dizaine de morts de part et d’autre.

C’est suite à cet accrochage qu’une médiation a été lancée entre les deux groupes, dès le lendemain. Leader du Haut conseil pour l’unicité de l’Azawad (HCUA), dont le mouvement figurait parmi ceux du CSP à s’être alignés sur la demande du JNIM de ne pas mener des opérations sur leur « terrain », et anciennement proche d’Iyad Ag Ghaly au sein du groupe Ansar Dine, Algabass Ag Intalla a été tout naturellement  chargé de mener les discussions pour éviter de nouveaux affrontements et éventuellement  obtenir la libération de prisonniers et la restitution de véhicules.

« Il nous faut nous concentrer sur les ennemis qui menacent notre existence, en l’occurrence les mercenaires de Wagner et l’armée malienne. Nous n’avons pas de temps à perdre avec d’autres conflits parallèles », affirme un cadre du CSP, cité par le média étranger précité.

Quel impact sur le terrain ?

Selon des sources au CSP, le rapprochement avec le JNIM n’inclut pas des attaques conjointes de la part des deux entités. « Éviter la confrontation avec le JNIM ne signifie pas coopérer sur le terrain avec lui. Nous n’avons pas la même idéologie que lui », clarifie d’ailleurs le cadre cité plus haut.

En quoi ce pacte de non agression et ce rapprochement entre le CSP-PDA et le JNIM pourrait-il impacter la situation sécuritaire sur le terrain, notamment les rapports de force avec l’armée malienne, « l’ennemi commun » des deux entités ? Cette nouvelle donne constituerait-elle une menace pour les Forces de défense et de sécurité maliennes engagées depuis plusieurs mois dans une dynamique offensive sur le terrain ?

Pour Soumaila Lah, Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la Sécurité, les réponses à ces interrogations sont négatives. « Je ne pense pas que ce rapprochement puisse avoir un impact assez décisif sur les actions de l’armée malienne. Le JNIM et le CSP ne sont pas dans la même logique. Même si tous les deux décident d’aller à ce rapprochement, leurs agendas ne concordent pas au point de faire évoluer les deux camps ensemble », argue-t-il.

« L’impact est plutôt à rechercher du côté du CSP, qui a adopté une nouvelle stratégie et qui, pour la mener à bien, doit chercher des accompagnements. Ce type d’action vise plutôt à avoir l’aval du JNIM pour se déplacer dans des parties du territoire considérées comme des chasses gardées du JNIM. Le CSP cherche à minimiser les risques en terme de déplacements de ses troupes », poursuit cet analyste.

Nouvelle marge de manœuvre ?

Après la reprise de Kidal en novembre 2023, même si globalement tous les groupes armés terroristes actifs sur le territoire national sont dans le viseur des FAMa, les offensives de l’armée semblent beaucoup plus cibler l’État islamique au Sahel (EIS) dans son fief de la Zone des trois frontières. Plusieurs chefs terroristes de l’EIS ont d’ailleurs été neutralisés ces derniers mois, tandis que certains combattants ont été contraints à la reddition. Le 26 mai, les FAMa ont toutefois neutralisé une trentaine de terroristes du JNIM qui avaient attaqué leurs positions.

Sur le terrain, un affaiblissement de l’EIS, qui subit des frappes ciblées de l’armée malienne, pourrait dans une certaine mesure offrir une nouvelle marge de manœuvre au JNIM et au CSP-PDA, tous deux ennemis déclarés de l’État islamique, qui pourraient se libérer d’éventuels nouveaux affrontements avec l’EIS et concentrer leurs différentes actions entièrement contre les FAMa.

« Ce sont des groupes qui ont la capacité de s’adapter par moment aux réalités du terrain et de se réinventer. Aujourd’hui, ils sont dans une logique de repositionnement et le fait de pouvoir tirer profit d’un éventuel affaiblissement de l’EIS va dépendre de l’évolution du contexte sur le terrain », estime Soumaila Lah.

Par ailleurs, selon Mohamed Elmaouloud Ramadane, la priorité du CSP est de « combattre l’État malien et Wagner » en déplaçant les combats vers le sud, « pour se rapprocher du cœur du pouvoir de l’ennemi, c’est-à-dire de Bamako ».

Pour M. Lah, cette progression annoncée du CSP-PDA, vers le sud du pays sera très difficile pour les rebelles touaregs, même avec l’aval du JNIM pour leur « libre circulation ».

« Je ne pense pas que le CSP et le JNIM soient suffisamment outillés pour mener des actions de grande envergure vers le sud. Je pense que c’est possible sur une partie du nord et du centre, mais au sud je les vois mal prospérer », glisse le spécialiste des questions sécuritaires.

Dialogue inter-Maliens : mal embarqué ?

La première phase du Dialogue inter-Maliens s’est achevée le 15 avril dans les différentes communes du pays. Alors que ce dialogue vise à contribuer à la restauration de la paix, de la cohésion sociale et de la réconciliation nationale, certaines propositions issues des échanges vont dans le sens d’une prolongation de la Transition. Boycotté en outre par des acteurs majeurs de la classe politique et certains groupes armés rebelles du nord, le dialogue voit sa réussite déjà compromise.

Les phases régionale et nationale du Dialogue inter-Maliens doivent se tenir respectivement du 20 au 22 avril et du 6 au 10 mai 2024. Mais le ton a été déjà donné dans les différentes communes, du 13 au 15 avril dernier. Les travaux au niveau communal, qui se sont globalement bien déroulés sur l’ensemble du territoire national, ont abouti à des recommandations en rapport avec les thématiques soumises aux participants, à savoir « Paix, réconciliation nationale et cohésion sociale », « Questions politiques et institutionnelles », « Économie et développement durable », « Aspects sécuritaires et défense du territoire » et « Géopolitique et environnement international ».

Différentes propositions ont été faites lors de ces échanges. Dans la Commune III du District de Bamako, pour ce qui est de l’économie et du développement durable, certains participants proposent de développer le secteur primaire, la pêche, l’élevage et surtout l’agriculture, de promouvoir l’entreprenariat et la consommation locale et de « contrôler au maximum notre économie pour créer notre propre monnaie ».

Concernant la question sécuritaire et de défense du territoire, ils recommandent de  recruter le maximum de jeunes volontaires pour la défense de la patrie, d’acquérir des armements de guerre modernes et de renforcer les écoles de guerre. Sur la même thématique, en Commune II, les participants recommandent l’instauration d’une police de proximité et une meilleure collaboration entre la population et les forces de défense et de sécurité.

À Bafoulabé, les participants ont opté pour un désenclavement du cercle, qui doit « impérativement passer par la construction de ponts sur le fleuve Sénégal à Bafoulabé et ses voies d’accès », et la révision des cahiers de charges des unités de production pour favoriser le recrutement des jeunes locaux. Ils ont aussi plaidé pour que les ressources naturelles du cercle « brillent pour les communes où elles sont exploitées ».

Parmi les recommandations à Ansongo, dans la région de Gao, on note essentiellement le retour des réfugiés et l’érection du cercle en région, tandis qu’à Goundam, dans la région de Tombouctou, les participants ont insisté sur le retour de la paix dans la région.

Du coté de Bandiagara, dans le centre, l’intégration des combattants des groupes armés d’autodéfense dans les rangs des forces armés, la dissolution des milices, la reconstruction des villages endommagés ainsi que le retour effectif de tous les déplacés dans leurs localités respectives sont les principales recommandations faites.

Dialogue taillé sur mesure ?

Dans la thématique consacrée aux questions politiques et institutionnelles, certaines communes proposent une nouvelle prolongation de la Transition. Cette proposition de prolongation, allant de 30 mois à 10 ans ou encore jusqu’à la sécurisation complète et la stabilisation du pays, est revenue à plusieurs reprises, notamment, entre autres, à Bafoulabé, Ségou, Kidal et Gao.

Même si ces recommandations doivent encore être validées au niveau régional avant d’être retenues ou non au niveau national, elles suscitent déjà des interrogations sur d’éventuels objectifs inavoués qui auraient motivé la tenue de ce Dialogue inter-Maliens.

« Ce dialogue est un outil comme tant d’autres qui ont été utilisés au moment de l’adoption de la Charte de la Transition ou encore des Assises nationales de la refondation. Tous les canaux de discussion qui ont eu lieu depuis le début de cette transition n’ont servi qu’à légitimer des causes déjà connues à l’avance et le Dialogue inter-Maliens ne fera pas exception à cette règle », pense Dr. Amidou Tidjani, enseignant-chercheur à l’Université Paris-13.

Mais pour certains les recommandations sur la prolongation de la Transition sont « hors sujet » et doivent être recadrées conformément aux objectifs du dialogue. En effet, selon les termes de référence validés au plan national et soumis au Président de la Transition, les objectifs spécifiques du dialogue inter-Maliens sont, entres autres, d’identifier les sources des crises qui affectent le pays ainsi que les conditions de retour des réfugiés et des déplacés, de prévenir et de gérer les conflits en valorisant les mécanismes endogènes de gestion pour la consolidation de la paix, de renforcer la confiance entre les populations et les forces armées et de sécurité ou encore de renforcer la participation des femmes, des jeunes et des personnes vivants avec un handicap dans les mécanismes de prévention et de résolution des conflits.

Du plomb dans l’aile ?

En plus de l’orientation ambiguë que semble avoir prise le Dialogue inter-Maliens à l’issue de la première phase au niveau des communes, le processus, qui se veut inclusif et ouvert à tous les Maliens, est boycotté par une grande partie de la classe politique et les groupes armés réunis au sein du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD).

En riposte à la décision des autorités de transition de suspendre jusqu’à nouvel ordre les activités des partis politiques, plusieurs formations majeures à l’instar de l’Adema-PASJ, du parti Yelema, du RPM, du Parena, de la Codem, de l’ASMA-CFP, de l’UDD et du PDES, entre autres, ont enjoint à leurs militants de pas prendre part aux travaux de ce dialogue.

Pour les groupes armés du CSP, le Dialogue inter-Maliens est un « simulacre de dialogue ». « S’il y a un problème aujourd’hui, c’est bien entre les représentants de l’État et ceux du CSP et des mouvements djihadistes tels que le JNIM. Je ne vois pas l’objectif d’un dialogue qui exclut ces parties », martèle Mohamed El Maouloud Ramadane, Porte-parole du CSP.

L’absence de ces différents acteurs va-t-elle impacter l’efficacité du Dialogue inter-Maliens et la viabilité des recommandations pour la paix et la réconciliation nationale qui vont en découler ? Les avis sont partagés sur la question. « L’absence des groupes armés et de certains partis politiques n’est pas un frein à la réussite du dialogue. Dans un pays en crise, s’il y a des groupes qui ont pris les armes contre l’État et contre les populations civiles, on ne peut pas les inviter à un dialogue sans qu’ils acceptent de faire une trêve », soutient le politologue Bréhima Mamadou Koné.

Dr. Amidou Tidiani partage cet avis, même si les raisons qu’il met en avant ne vont pas dans le même sens. « Je pense que l’absence des partis politiques ne portera pas de coup au Dialogue inter-Maliens. Au contraire, c’est une occasion pour les autorités de la Transition, qui ont pour projet de délégitimer les partis politiques, d’utiliser ce dialogue pour arriver à cette fin », avance l’enseignant-chercheur.

Par contre, pour Soumaila Lah, analyste politique et Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la Sécurité, « aller à ce dialogue avec les paramètres actuels c’est le faire souffrir d’un manque de légitimité et, à la fin, beaucoup ne se reconnaitront pas dans les conclusions ».

« L’essence d’un dialogue est de réconcilier des gens qui ont des positions différentes. Mais aujourd’hui ce dialogue crée plus d’antagonismes entre les Maliens que de points de convergence », déplore celui qui soutient également que les autorités auraient véritablement dû travailler en amont pour rechercher l’inclusivité, peu importe les antagonismes.

Soumaïla Lah : « Rien ne laissait présager des affrontements entre le CSP et le JNIM »

Le CSP et le JNIM se sont affrontés le 6 avril dernier à Nara, occasionnant des pertes des deux côtés. Comment comprendre cet affrontement inédit entre deux groupes que beaucoup d’experts présentaient comme alliés ? Est-ce un tournant ? Soumaïla Lah, Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la sécurité répond.

Plusieurs sources indiquent des affrontements entre le CSP et JNIM le 6 avril dernier à Nara. Comment l’interpréter ?

Ces affrontements sont difficiles à justifier quand on sait la collusion entre le CSP et le JNIM depuis la suspension par les groupes armés de leur participation à l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, sur fond de rétrocession des camps de la MINUSMA. Pour rappel, les deux entités, à plusieurs reprises, ont convergé pour s’opposer à la récupération des camps par les Famas. Pour autant, au regard de l’historique des relations entre elles, ce n’est pas la première fois que des alliances de circonstance sont nouées et dénouées selon le contexte du moment. Cependant, rien ne laissait présager ces affrontements entre le CSP et le JNIM au moment où le contexte est favorable à la logique de la continuité d’une alliance de circonstance. Des différents idéologiques ou territoriaux peuvent justifier ces affrontements. 

Alors que la collusion était avérée entre ces deux groupes, ces affrontements marquent-ils un tournant ?

Absolument, même s’il est difficile pour l’heure d’en déterminer les tenants et les aboutissants. En 2012 déjà, ce type d’alliance avait été scellé pour finalement éclater sur fond de différents idéologiques et sécuritaires irréconciliables. 

Le CSP, dont la base se trouvait au nord, notamment à Kidal, a voulu s’incruster vers Nara? Comment comprendre cette stratégie ? Pourquoi ?

Le CSP n’a plus accès à Kidal depuis un moment. Il a trouvé un point de chute aux  confins de la frontière entre le Mali et l’Algérie. Cette perte de repères, perçue comme un repli stratégique, ouvre forcément la voie à la recherche de nouvelles positions. Nara est stratégique et facilite le transit entre le Mali, la Mauritanie et l’Algérie, mais c’était sans compter sur la volonté du JNIM de ne pas laisser un mouvement, fût-il un allié de circonstance, prendre position dans une zone où il a posé ses bagages depuis un moment, sa zone de confort. 

Nara n’est pas loin de la frontière mauritanienne. Peut-on supposer que des combattants du CSP se réorganisent en Mauritanie plutôt qu’en Algérie ?

Nara constitue aujourd’hui un carrefour et le CSP est à la recherche de zones stratégiques pour se réorganiser. Cette hypothèse n’est donc pas à exclure.

Dialogue inter-malien : quelles chances pour le nouveau processus de paix ?

Le Président de la Transition, le Colonel Assimi Goïta, a annoncé dans son discours du Nouvel an 2024, le 31 décembre dernier, l’ouverture prochaine d’un dialogue direct inter-malien pour la paix et la réconciliation. Alors que certains acteurs y voient la fin de l’Accord d’Alger, ce nouveau dialogue a-t-il plus de chances de faire aboutir le processus de paix ?

« Nous sommes à une étape charnière de la marche de notre pays vers la paix, la sécurité et le développement. C’est pourquoi, capitalisant les avancées réalisées dans le cadre du processus de paix et tirant les enseignements des défis qui demeurent, j’ai pris l’option de privilégier l’appropriation nationale du processus de paix en donnant toutes ses chances au dialogue direct inter-malien pour la paix et la réconciliation nationale, afin d’éliminer les racines des conflits communautaires et intercommunautaires », a souligné le Président de la Transition dans son adresse à la Nation.

« Il s’agit en effet de créer les conditions pour que chaque Malienne et chaque Malien puisse s’épanouir dans un environnement marqué par la confiance retrouvée entre les communautés sous la protection de l’État », a poursuivi le Colonel Assimi Goïta. Depuis, pour préparer ce dialogue, des rencontres se tiennent à travers tout le territoire national entre les communautés, sous l’égide du ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation, alors que le Comité chargé de les piloter devrait déposer son rapport « au plus tard en février ».

Nouvelle opportunité

Avec la reprise de la belligérance entre l’État malien et les groupes armés du nord réunis au sein du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD) dans la reconquête de Kidal, l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger était à l’agonie, selon certains observateurs. Ainsi, à les en croire, l’idée d’un dialogue direct inter-malien que prône le Président de la Transition constitue une nouvelle opportunité dans le processus de paix.

Pour le géopolitologue et expert des groupes extrémistes au Sahel Dr. Alpha Alhadi Koina, le dialogue inter-malien offre une occasion de régler pacifiquement les différends et peut empêcher l’aggravation des conflits armés qui pourrait conduire à davantage de pertes humaines et de déplacements de populations.

« Ce dialogue est essentiel pour trouver des solutions durables à la crise en cours. Il offre la possibilité de prévenir l’escalade de la violence, de favoriser l’inclusion et la réconciliation, d’identifier les causes profondes du conflit et de renforcer la légitimité des décisions prises. En s’appuyant sur les bonnes pratiques de l’accord actuel, le dialogue peut contribuer à recouvrer la paix et la stabilité au Mali », confie-t-il.

Dr. Abdoul Sogodogo est du même avis. À en croire le Vice-Doyen de la Faculté des Sciences administratives et politiques (FSAP) de l’Université de Bamako, dans les conflits tels que celui que vit le Mali, une médiation internationale est essentielle pour initier le dialogue entre les parties et mettre fin aux hostilités, mais il est tout aussi crucial d’avoir une médiation nationale plus étendue, impliquant non seulement les groupes directement engagés dans le conflit, mais aussi les populations les plus touchées par celui-ci.

« Cette médiation nationale doit être à la fois large et concertée, traitant en profondeur les problématiques actuelles pour comprendre les racines du conflit afin de les traiter convenablement », estime-t-il.

Fin de l’Accord d’Alger ?

Si jusque-là l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger n’a officiellement été dénoncé par aucune des parties signataires, certains acteurs estiment que le dialogue inter-malien annoncé par le Président de la Transition est une manière d’y mettre fin. « Nous pensons que cette proposition est une façon de prononcer la caducité définitive de l’Accord et de mettre la médiation internationale à la porte », a récemment déclaré à un media étranger le porte-parole du CSP-PSD, Mohamed Elmaouloud Ramadane, qui a également signifié que le Cadre n’était pas prêt à prendre part à un processus de paix « qui ne sera qu’un simulacre ».

« Je pense qu’avec l’annonce du dialogue inter-malien, l’Accord d’Alger devient définitivement caduc, même s’il faudra bien sûr s’appuyer sur ses acquis dans le nouveau processus de paix qui va être amorcé », tranche pour sa part un analyste politique.

Terrorisme : Iyad Ag Ghaly annonce une nouvelle phase au Sahel

Silencieux depuis août 2021, le chef du JNIM vient de réapparaitre dans une vidéo de propagande diffusée le 12 décembre 2023. Alors que la justice malienne a ouvert une enquête le visant, ainsi que d’autres chefs locaux d’Al-Qaïda et des séparatistes touaregs, le 28 novembre dernier pour « actes de terrorisme, financement du terrorisme et détention illégale d’armes de guerre », Iyad Ag Ghaly décrit un changement dans le conflit au Sahel, citant de nouvelles alliances et appelant à la mobilisation régionale. Ag Ghaly prédit également « l’échec » des gouvernements sahéliens alignés sur la Russie, semblable, selon lui, au sort de l’intervention française. Il soutient que les atrocités présumées commises par ces forces conduiront à une présence djihadiste accrue. Cette réapparition d’Iyad Ag Ghaly coïncide avec la reprise de Kidal, auparavant bastion des groupes rebelles du CSP-PSD, par l’armée malienne. Selon certains analystes, le chef du JNIM cherche à exploiter les dynamiques changeantes, les mécontentements et les réalignements géopolitiques dans le Sahel.

Sécurité : la guerre entre dans une nouvelle phase

La situation sécuritaire dans le nord du pays s’est considérablement dégradée depuis le début du mois de septembre, avec la multiplication des attaques terroristes visant des positions des Forces armées maliennes (FAMa) mais aussi des civils. Par ailleurs, alors que l’armée s’apprête à reprendre les camps de la Minusma dans la région de Kidal, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), de son côté, est déterminée à garder les zones sous son contrôle.

49 civils et 15 militaires tués, des blessés et des dégâts matériels. C’est le bilan provisoire donné par le gouvernement de la double attaque terroriste revendiquée par le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (JNIM) le 7 septembre 2023, contre le bateau « Tombouctou » reliant Gao à Mopti et la base militaire des FAMa à Bamba, dans la région de Gao.

407 rescapés de cette attaque sont arrivés le jour suivant à Gourma-Rharous, où dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, ils appelaient les autorités de la Transition à l’aide. « Tous mes enfants sont morts, ma famille entière, il ne me reste plus que mon petit-fils, que vous voyez avec moi », se lamente un vieil homme devant un groupe de rescapés qui scande : « nous voulons quitter ici ». « Nous avons perdu beaucoup de personnes, des enfants tout comme des adultes et des personnes âgées. Nous sommes fatigués. Nous n’avons ni à manger ni à boire, nous avons tout perdu dans cette tragédie. Nous voulons rentrer chez nous », confie, très remontée, une femme. Ce sont les affres, les dernières d’une guerre qui s’étend et devient de plus en plus meurtrière.

Le 8 septembre, au lendemain de cette double attaque, le camp militaire de Gao a été à son tour la cible d’une attaque terroriste faisant une dizaine de morts et des blessés parmi les Forces armées maliennes, suivie 3 jours après, le 11 septembre, de tirs d’obus à l’aéroport de Tombouctou occasionnant des dégâts matériels dans le camp de la MINUSMA s’y trouvant.

Guerre ouverte

Au même moment où les attaques du JNIM se multiplient, la CMA, de son côté, mène des actions dans le but d’empêcher la perte des zones qu’elle contrôle dans le nord du pays. Dans un communiqué en date du 10 septembre, le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), regroupant la CMA et d’autres mouvements signataires de l’Accord pour la paix, « tout en désignant la junte au pouvoir à Bamako comme seule responsable des conséquences graves qu’engendrera sa stratégie actuelle de rompre le cessez-le feu », déclare « adopter dorénavant toutes mesures de légitime défense contre les forces de cette junte partout sur l’ensemble du territoire de l’Azawad ».

« Le CSP-PSD appelle les populations civiles à s’éloigner au maximum des installations, mouvements et activités militaires et les assure que ses forces feront de la sécurisation des personnes et de leurs biens leur priorité contre toutes sortes de menaces », poursuit le communiqué, signé du Président Alghabass Ag Intalla. Mais le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) et la Plateforme des mouvements du 14 juin d’Alger s’en sont désolidarisés pour n’avoir pas été associé à la rédaction de la déclaration.

Le 11 septembre, dans une « communication en temps de guerre », la cellule d’information et de communication des affaires militaires de l’Azawad, créée quelques jours plus tôt, demandait « à tous les habitants de l’Azawad de se rendre sur le terrain pour contribuer à l’effort de guerre dans le but de défendre et protéger la patrie et ainsi reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire national azawadien ». Pour concrétiser ses menaces, la CMA est passé à l’acte le 12 septembre en s’attaquant à une position de l’armée malienne à Bourem, dans la région de Gao. Selon certaines sources, le dispositif de l’armée malienne qui doit reprendre les camps de la MINUSMA dans la région de Kidal est stationné dans cette zone. Les combats violents ont duré plusieurs heures et la CMA s’est repliée suite à l’intervention des vecteurs aériens de l’armée, qui ont effectué de nombreuses frappes. L’État-major général des armées, qui n’évoque pas la CMA dans son communiqué, parle « d’une attaque complexe aux véhicules piégés de plusieurs terroristes à bord de plusieurs véhicules et motos ». Bilan, « 10 morts et 13 blessés dans les rangs des FAMa et 46 terroristes neutralisés, plus de 20 pickups détruits, y compris ceux équipés d’armes ». Signe que la collusion réelle entre la CMA et le JNIM, comme ce fut le cas en 2012, est désormais bien intégrée dans la communication de l’armée. Ces affrontements directs entre les deux principaux protagonistes signent aussi la « mort cérébrale » de l’Accord pour la paix signé en 2015, du moins en l’état, à moins que la communauté internationale, en l’occurrence l’Algérie, chef de file de la médiation, jusqu’alors silencieuse, ne tente de faire rasseoir les parties autour de la table.

Nouveau tournant

En attendant, pour l’analyste politique et sécuritaire Moussa Djombana, la montée des tensions dans le nord s’explique par une combinaison de facteurs, notamment la volonté d’occupation de l’espace laissé par le départ progressif de la MINUSMA et le renforcement des capacités militaires des FAMa, qui envisagent des offensives, y compris dans les zones couvertes par le cessez-le-feu de 2014. « Cela a provoqué la colère de la CMA, qui interprète cela comme une violation du cessez-le-feu et une agression », souligne-t-il.

La reprise des hostilités, qui semblait inévitable entre les deux camps, fait basculer la situation sécuritaire dans le pays dans une nouvelle phase depuis la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation en 2015.

À en croire M. Djombana, elle risque de se détériorer davantage par la suite. « Pour les autorités maliennes, les opérations visent les groupes armés terroristes, pas la CMA. Cependant, pour la CMA, la violation du cessez-le-feu de 2014 et la caducité de l’Accord pour la paix sont une réalité depuis quelque temps. Les FAMa ont pris Ber grâce à une opération militaire d’envergure, un bastion de la CMA depuis 2012, ce qui augmente la probabilité de nouveaux affrontements », analyse-t-il.

Même son de cloche chez le géopolitologue et expert des groupes extrémistes au Sahel Dr. Alpha Alhadi Koïna. « On sait qu’aujourd’hui les groupes armés ne veulent pas du tout laisser l’armée s’installer confortablement dans certaines zones qu’ils prétendent être leurs fiefs. Ber était l’une d’elles. Aujourd’hui, l’armée est aussi déterminée à occuper Aguelhok, Tessalit et plus tard Kidal. S’il n’y a donc pas de négociations, il est fort probable que des affrontements aient lieu », avance-t-il.

Pour Dr. Koïna, la position et la posture actuelle des groupes armés s’expliquent par le fait que la MINUSMA étant en train de partir, « ils essayent d’occuper le plus tôt possible le terrain et d’harceler l’armée avant qu’elle ne puisse se positionner. Pour y parvenir, il est important pour ces groupes armés et terroristes de terroriser la population et de faire peur à l’armée ». « La CMA a tout à perdre si l’armée malienne récupère Kidal. Il est tout à fait normal qu’elle essaye de tout faire pour rester sur ses positions », glisse-t-il.

Accord pour la paix : la médiation internationale veut relancer le processus

Face au blocage et tensions persistantes autour du processus de mise en œuvre de l’Accord pour la paix, la communauté internationale a dans un communiqué publié hier dimanche annoncé avoir présenté aux parties signataires des propositions concrètes pour la relance de l’accord. Ces propositions qui n’ont pas été détaillées ont      été présentées aux parties le 7 avril dernier. « La Médiation internationale est convaincue que ces propositions, qui tiennent compte des préoccupations exprimées par les Parties lors des différentes consultations menées au Mali et en Algérie, sont de nature à renouer la confiance et à favoriser le rétablissement d’un dialogue constructif, sous l’égide du Comité de suivi de l’Accord présidé par l’Algérie » peut-on lire dans le communiqué.

« La Médiation internationale observe avec inquiétude le regain actuel de tension entre les Parties signataires. Dans ce contexte, elle lance un appel pressant aux Parties pour qu’elles s’abstiennent de propos et d’actions susceptibles de compromettre les efforts consentis par la Médiation en vue du parachèvement du processus de paix, traduisent en actes concrets leur attachement proclamé à l’Accord, et placent l’intérêt de leur pays et de son peuple au-dessus de toutes autres considérations » poursuit-elle.

Les mouvements armés signataires de l’accord pour la paix réunis au sein du CSP ont suspendu leur participation au processus de mise en œuvre en décembre 2022. Le 5 avril dernier, un avion de l’armée malienne a survolé des positions de la CMA dans le nord du pays notamment à Kidal. Dans un communiqué publié dans la foulée, la CMA a dit considéré ce survol comme une violation du cessez-le-feu de 2014. Aucune des parties ne s’est encore exprimée sur les propositions de la médiation internationale.

 

Accord pour la paix : sur un fil

Confrontée à des difficultés de mise en œuvre depuis sa signature en 2015, l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger n’a jamais autant frôlé la rupture. Alors que le début de la Transition, en août 2020, avait suscité un espoir de relance chez différentes parties signataires, le processus de paix est à nouveau bloqué depuis décembre dernier. La médiation internationale s’active pour le relancer, mais l’avenir de l’Accord semble de plus en plus incertain.

Le désaccord persiste entre le gouvernement de transition et les mouvements armés signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation. Alors que ceux-ci (Coordination des mouvements de l’Azawad, Plateforme du 14 juin d’Alger et Mouvements de l’Inclusivité), réunis au sein du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), demandent la tenue d’une réunion en terrain neutre pour discuter de la viabilité de l’Accord, la partie gouvernementale rejette toute rencontre en dehors du Mali.

Les mouvements du CSP-PSD ont d’ailleurs décidé le 21 décembre 2022 de suspendre leur participation aux mécanismes de suivi et de mise en œuvre de l’Accord jusqu’à la tenue de cette réunion avec la médiation internationale. En cause, « l’absence persistante de volonté politique des autorités de transition à appliquer l’Accord pour la Paix et la réconciliation au Mali issu du Processus d’ Alger et l’inertie de celles-ci face aux défis sécuritaires ayant occasionné des centaines de morts et de déplacés dans les régions de Ménaka, Gao et de Tombouctou ».

À Kidal, Bamako indexé

Saisie début décembre pour l’organisation de la réunion en terrain neutre, la médiation internationale, accompagnée d’une délégation d’ambassadeurs d’États membres du Conseil de sécurité de l’ONU et du Comité de suivi de l’Accord pour la paix, s’est rendue le 1er février à Kidal pour échanger avec les groupes armés signataires et mieux cerner leurs attentes.

Lors de cette rencontre, les groupes armés signataires ont réitéré avec insistance la demande de tenue d’une réunion en terrain neutre et appelé la médiation internationale à raffermir sa conduite du processus de paix et à assumer ses responsabilités. Celle-ci en retour a indiqué la tenue prochaine d’une réunion de médiation élargie afin de rapprocher les positions des deux parties. « La CMA a signé l’Accord après des pressions et des garanties de la communauté internationale et elle doit tenir ses promesses. Si la communauté internationale ne peut pas forcer le Mali à mettre en œuvre l’Accord pour la paix de 2015, alors il faut penser à une autre solution et nous ne pouvons pas rester dans cette situation parce qu’elle dure depuis trop longtemps », s’est agacé pour sa part, Bilal Ag Achérif, Chef du MNLA et ancien Président de la CMA. Le Président de la Société civile de la région de Kidal a quant à lui déploré un « recul dans le processus d’application de cet Accord concrètement exprimé par les autorités de la Transition » depuis le coup d’État d’août 2020 contre IBK.

Bras de fer

Pourquoi le Cadre des groupes armés signataires insiste-il autant sur la tenue d’une réunion sur la viabilité de l’Accord en terrain neutre ? Attaye Ag Mohamed, Chef de délégation de la CMA au Comité de suivi de l’Accord (CSA), soutient qu’un terrain neutre permettrait plus de se retrouver dans l’environnement dans lequel l’Accord a été négocié il y a 8 ans à Alger. « Nous l’avons demandé pour que ce climat de discussions directes, en face à face, avec la médiation internationale puisse se créer, pour voir où se situe exactement le problème. Si c’est au niveau du gouvernement ou à notre niveau à nous ou encore si c’est la médiation internationale elle-même qui ne joue pas son rôle », explique-t-il, reconnaissant également une « confiance de moins en moins existante » sur les questions de fond.

Le gouvernement de transition, qui n’adhère à aucune rencontre en dehors des réunions du CSA, encore moins en dehors du Mali, affirme toutefois son engagement à poursuivre sans équivoque la mise en œuvre diligente de l’Accord pour la paix, mais dans les normes. « Nous, nous sommes un État. Les autres sont des mouvements signataires. Le gouvernement a indiqué que lors des réunions du CSA, pour qu’un ministre du gouvernement du Mali y participe, nous souhaitons que les principaux leaders des mouvements soient eux-mêmes présents, parce chaque fois que le gouvernement envoie des ministres, nous avons en face de nous des experts. Il y a un déséquilibre », a clarifié le ministre Abdoulaye Diop devant le Conseil de sécurité de l’ONU le 27 janvier, regrettant la décision de suspension des groupes armés signataires qui va à « contre-sens de l’élan positif qui a été imprimé ces derniers mois » à la mise en œuvre de l’Accord.

Accord en danger ?

En lieu et place de la réunion demandée par le CSP-PSD, le Mali a sollicité l’Algérie, chef de file de la médiation internationale, pour la tenue d’une réunion du CSA à un niveau ministériel dès ce mois de février, pour permettre de reprendre le dialogue avec les parties signataires, a indiqué le ministre Diop. Mais, pour l’heure, le CSP-PSD, qui maintient sa suspension des mécanismes de mise en œuvre de l’Accord, n’entend pas y participer.

Selon Moussa Djombana, analyste politique et sécuritaire, bien que la tenue d’une réunion en terrain neutre puisse aider à relancer les discussions, il est possible de sauver l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali sans sa tenue, qui fait l’objet de mésententes entre le gouvernement et les groupes armés signataires. « Il faut encourager le dialogue direct entre les parties. L’engagement de la communauté internationale doit aussi être franc et sincère, tout en impliquant la société civile malienne, sans laquelle rien n’est possible en termes de décisions fortes engageant l’avenir de la Nation », préconise-t-il.

Pour certains observateurs, le blocage actuel dans le processus de mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger pourrait déboucher sur une rupture si les positions des parties prenantes restent tranchées. « Je ne vois pas dans l’immédiat comment le processus pourra être relancé. C’est assez difficile », confie une source proche de la médiation internationale, qui explique que le point fondamental de blocage est le transfert des grades des ex-combattants des groupes armés dans la chaîne de commandement de la nouvelle armée reconstituée. Une Commission ad hoc a été créée pour plancher sur la question, mais elle n’a guère avancé.

Dans cette atmosphère de dégradation des relations entre Bamako et les groupes armés signataires, la Coordination des mouvements de l’Azawad a annoncé la fusion de ses différents mouvements en un seul, le 8 février 2023. Une semaine plus tôt, son Président en exercice, Alghabass Ag Intalla, a procédé à la nomination d’un nouveau Chef d’État-major, le Colonel Hamad Rhissa Ag Mohamed. La nomination de cet « indépendantiste » peut être perçue selon notre source comme un message de désaccord avec le processus de paix tel qu’il est conduit actuellement par les autorités de transition.

Mais, Oumar Sidibé, Doctorant et Professeur-assistant en Relations internationales à l’Université RUDN de Russie, pense pour sa part que les récents évènements s’inscrivent dans la dynamique des rapports de force. « On peut en effet remarquer un refroidissement des relations entre la CMA et le gouvernement de transition. Mais aucun des deux n’a intérêt à mettre fin à l’Accord et à risquer de nouvelles mésaventures. Les intérêts de tous ces acteurs convergent vers la paix, mais divergent sur la façon de l’établir », analyse t-il.

Pour lui, par ailleurs, le seul acteur qui bloque l’Accord depuis des années est le peuple malien « qu’il faudrait peut-être penser à saisir par consultation ou referendum ». « Il y a une forte pression populaire et de fortes demandes en vue d’une relecture de cet Accord, pour reconsidérer certaines dispositions qui sont perçues comme anticonstitutionnelles ou discriminatoires », rappelle M. Sidibé.

Calmer le jeu

Chérif Mohamed Ousmane Ag Mohamedoun Haïdara, Président des Mouvements de l’inclusivité, dont certains seraient membres du CSP-PSD, n’est pas sur même longueur d’ondes que les dirigeants des autres mouvements signataires. Dans un communiqué publié dans la foulée de la rencontre de Kidal, il a indiqué que les Mouvements de l’inclusivité soutenaient fermement la décision des autorités de la Transition de réfuter toute rencontre inter Maliens en terre étrangère.

« Tous les mouvements signataires de l’APR ne sont pas inscrits sur les listes du CSP. De même qu’ils ne le sont pas tous sur celles de la CMA, qui tente de dissimuler son infortune sous le couvert du l’hydre toujours en gestation appelée CSP », a fustigé celui qui est également membre du CNT.

Mais, pour calmer le jeu et éviter l’escalade, le Général El Hadj Ag Gamou, chef du GATIA, a lancé dans une vidéo, le 6 février, un message d’apaisement aux différents acteurs du processus de paix, en les invitant à l’union pour venir au secours des populations qui souffrent de l’insécurité grandissante. « L’heure n’est plus au bras de fer entre responsables d’un même pays, mais à la mobilisation générale pour l’intérêt de la population, qui ne réclame que son droit à la sécurité et celle de ses biens », a plaidé le chef militaire, qui appelle à éviter une « guerre entre Maliens qui ne nous grandira pas ».