Kidal : le pari Gamou

Nommé le 22 novembre dernier Gouverneur de la région de Kidal après la reprise de la ville par l’armée malienne, El Hadj Ag Gamou est très attendu pour assurer la continuité du contrôle et de l’autorité de l’État dans la zone. Mais, pour y arriver, le Général touareg doit relever certains défis.

Deux semaines après sa nomination, le Général El Hadj Ag Gamou a quitté Bamako le 5 décembre 2023 pour l’Adrar des Ifoghas. Sa délégation a fait escale à Gao, où il a prêté serment dans la foulée.

Avant de s’envoler pour Kidal, le nouveau Gouverneur de la région a rencontré à Bamako les plus hautes autorités de la Transition, dont le Colonel Assimi Goïta. « Il a mis cette période à profit pour des rencontres avec différents ministres pour acquérir les conseils et orientations autour de ce qui l’attend. Toute cette organisation faite à Bamako, avec l’ensemble de son cabinet, entre en droite ligne avec le programme qui lui a été confié », affirme une source proche du général Ag Gamou.

Le nouvel homme fort de la région de Kidal a annoncé les couleurs de sa mission à sa sortie d’audience avec le Président de la Transition, le 24 novembre 2023. « Je vais tout faire dans l’intérêt général de la population de Kidal, faire venir tous les services sociaux de base et faire en sorte que la population de Kidal, qui a été trop fatiguée par l’insécurité, revienne chez elle et que cette région soit une région normale, comme toutes autres de la République du Mali », a-t-il promis.

Choix stratégique

L’une des principales missions assignées au Général Ag Gamou à Kidal est la consolidation de la cohésion sociale, qui passe par la réconciliation et le retour des déplacées dans la région. Issu de la fraction Imghad, dans une zone où la chefferie traditionnelle est détenue par les Ifoghas, dont sont issus la plupart des rebelles de la CMA, le nouveau Gouverneur pourrait toutefois se heurter à un rejet d’une partie des Kidalois. Contactés, les cadres de la CMA ont d’ailleurs préféré ne pas réagir à sa nomination.

Mais Alhassane Ag Hamed Ahmed, membre du Conseil communal des jeunes de Kidal, qui soutient que les Imghads et les Ifoghas de Kidal « cohabitent très bien » et qu’il n’y a « jamais eu une rivalité grave entre ces deux fractions », pense que le choix des autorités de la Transition porté sur El Hadj Ag Gamou est le bon. « Il a l’esprit d’un bon leader et, à la différence des Gouverneurs précédents, il connait bien le terrain », glisse-t-il, mettant tout de même l’accent sur l’appui indispensable du gouvernement dans la réussite de sa mission. « Les gens de Kidal n’ont pas peur de Gamou et ils le connaissent mieux que beaucoup d’autres, à Bamako ou ailleurs. Il faut qu’il ait l’appui des autorités mais aussi la pleine latitude de décider et de proposer des initiatives en tant que militaire », préconise-t-il.

Pour le géopolitologue et expert des groupes extrémistes au Sahel Dr. Alpha Alhadi Koïna, le Général Ag Gamou possède des atouts et dispose de plusieurs leviers pour réussir la réconciliation et le retour des déplacés à Kidal.

« Gamou est un symbole. Il est aussi un des cadres Touaregs qui appelle à la paix et qui a la confiance des plus hautes autorités. La majorité des Touaregs sont des Imghads. Si c’est Gamou qui les appelle à retourner à Kidal, je pense que ce sera plus écouté que si c’était fait par d’autres personnes », analyse-t-il.

Ménaka impactée ?

La nomination du Général Ag Gamou à Kidal pourrait impacter la situation sécuritaire dans la région de Ménaka, d’où il est originaire et où lui et ses hommes du Groupe d’auto-défense Imghads et alliés (GATIA) jouent un rôle-clé dans la lutte contre les groupes armés terroristes. Pour l’heure, les forces du Général Gamou y sont toujours, mais il n’est pas exclu qu’elles se déplacent vers Kidal avec l’installation du nouveau Gouverneur.

« À Ménaka, cette nomination est plutôt bien vue. Même si certains membres du GATIA de Ménaka se déplacent vers Kidal, il n’y a pas que le GATIA dans la zone. Il y a aussi le MSA de Moussa Ag Acharatoumane, qui va rester », relève Dr. Koïna.

Mais une telle situation favorisera-t-elle la multiplication d’attaques terroristes dans la région de Ménaka, qui vient par ailleurs d’être visée, avec les localités de Labbezagan, Gossi et Tessalit, le 3 décembre dernier ?

« Je pense que les groupes extrémistes et les rebelles vont plutôt chercher à déstabiliser l’armée dans d’autres zones que Ménaka et Kidal », estime l’expert.

GSIM – MSA : ce qui se joue derrière « l’alliance» de circonstance

Un peu plus de deux ans après sa dernière apparition, le chef du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) affilié à Al-Qaïda, Iyad Ag Ghaly, s’est montré dans une vidéo le 22 janvier dans la région de Ménaka. Selon plusieurs sources, il y était pour accepter l’allégeance de notables issus de tribus de la zone et membres du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA). Ce ralliement, qui conforte un peu plus l’ancrage Al-Qaïda dans la zone, pourrait affaiblir le MSA et présager de nouveaux combats contre le groupe État islamique.

Selon nos informations, ces nouveaux membres du GSIM sont des notables de la communauté Daoussahak de la région de Ménaka. Une communauté issue de la tribu Tamasheq géographiquement présente dans une grande partie de la région de Ménaka et une partie du cercle d’Ansongo.

L’État islamique au Grand Sahara Sahel (EIGS) mène une offensive dans la région de Ménaka depuis mars 2022. Cette offensive, qui a conduit à des affrontements armés avec le GSIM, a occasionné des attaques non seulement contre les civils daoussahaks mais aussi contre les groupes armés, dont le MSA.

Systématiquement ciblés par l’État islamique depuis mars dernier (plusieurs tués) ceux-ci auraient préféré s’allier à « l’ennemi de leur ennemi », le GSIM, pour se défendre contre ces attaques.

L’analyste sécuritaire Ibrahim Maiga expliquait dans nos colonnes en avril dernier que les divergences entre les Daoussahaks, qui constituent le fer de lance du MSA, et la communauté peul Tolebe, fortement représentée au sein de l’EIGS, alimentaient le conflit entre le MSA et l’EIGS, au-delà des querelles d’ordre idéologique entre les deux camps.

« Ces derniers mois, ils (la communauté Daoussahak, ndlr) ont été meurtris par les attaques des groupes djihadistes, en l’occurrence l’État islamique. Pour sauver leur tête ils ont adhéré au GSIM. Iyad Ag Ghaly serait dans la zone depuis un moment et ils ont profité de cette présence pour lui prêter allégeance », explique Abdoul Nassir Idrissa, journaliste de la région. Il précise que ce n’est pas l’aile politique du MSA, mais plutôt « des notables, des chefs de tribus et fractions qui se sentent chaque jour persécutés ».

Le MSA impacté ?

Cette allégeance d’anciens membres du MSA au chef du GSIM n’a que peu surpris. Mais elle aura plusieurs implications dans l’évolution de la dynamique des forces en présence sur le terrain dans cette zone en proie à des combats pour son contrôle depuis des mois.

« Iyad Ag Ghaly marque sa présence à Ménaka. On sait tous qu’Al-Qaïda y était présent, mais d’une manière très timide, et c’est à la faveur de la guerre avec l’État islamique que le groupe s’est impliqué de plus en plus là-bas, à cause des échecs des autres factions face à l’État islamique. C’est sa façon à lui de montrer qu’il est soutenu dans la guerre contre l’État islamique », analyse une source spécialiste des mouvements djihadistes.

Si le chef terroriste y gagne dans l’ancrage d’Al-Qaïda dans la région de Ménaka, le MSA en revanche risque de s’affaiblir et de voir son influence réduite sur le terrain. Selon Abdoul Nassir Idrissa, la jeunesse daoussahak, qui constitue la branche armée du MSA, pourrait le déserter au profit du GSIM et le MSA pourrait devenir une coquille vide.

« Ces notables vont donner la majorité des jeunes daoussahak du MSA au GSIM et donc à Iyad Ag Ghaly », craint-il, soulignant aussi que le ralliement aux groupes terroristes de certains membres des groupes armés pro-gouvernement va créer « d’autres situations plus compliquées » sur le terrain.

Combats en vue

En relative accalmie depuis quelques semaines, les combats entre le GSIM et l’EIGS dans les régions du Nord pourraient reprendre très prochainement. Ce qui justifierait le renforcement des rangs du GSIM, qui, tout comme le groupe rival, a perdu beaucoup de combattants.

Dans une lettre attribuée à l’émir du GSIM de la région de Tombouctou en date du 16 janvier, ce dernier demande aux habitants de la localité d’Acharane (10 km de Tombouctou) de quitter les lieux pour ne pas être des victimes collatérales lors d’éventuels futurs affrontements.