La crise de l’IA occidentale est une réalité

La sortie du grand modèle de langage chinois DeepSeek-R1, qui impressionne par ses capacités et son faible coût de développement, a provoqué une onde de choc sur les marchés financiers, et conduit plusieurs observateurs à parler de « moment Spoutnik » dans le domaine de l’intelligence artificielle. Or, nous ne devrions pas être surpris par l’émergence d’un innovant modèle chinois capable de rivaliser avec ses équivalents américains. Il constitue tout simplement le résultat prévisible d’un échec politique américain et occidental majeur, dont l’industrie de l’IA porte elle-même une grande part de responsabilité.

 

Les capacités croissantes de la Chine en matière d’IA étaient bien connues de la communauté des chercheurs du domaine, comme du public adepte de cette technologie. Les entreprises et les chercheurs chinois spécialisés dans l’IA se sont en effet montrés remarquablement ouverts concernant leurs progrès, en publiant des articles, en permettant un libre accès à leurs logiciels, ainsi qu’en s’entretenant avec des chercheurs et journalistes américains. En juillet dernier, un article du New York Times titrait déjà : « La Chine comble le fossé qui la sépare des États-Unis en matière d’IA ».

 

Le fait que la Chine soit quasiment parvenue à égaler les États-Unis dans ce domaine s’explique par deux facteurs. Premièrement, Pékin applique une politique nationale agressive et cohérente en direction de l’autosuffisance et de la supériorité technique dans l’écosystème entier des technologies numériques, qu’il s’agisse des équipements de production de semiconducteurs ou des processeurs, matériels et modèles d’IA – aux fins d’applications tant commerciales que militaires. Deuxièmement, les politiques publiques et le comportement des industriels aux États-Unis (et dans l’UE) se caractérisent par un affligeant mélange d’autosatisfaction, d’incompétence et de cupidité.

 

Chacun doit comprendre une bonne fois pour toutes que le dirigeant chinois Xi Jinping et le président russe Vladimir Poutine ne sont pas des amis de l’Occident, et que l’IA engendrera des transformations économiques et militaires aux conséquences incalculables. Compte tenu des enjeux, la préservation d’un leadership des économies démocratiques développées en matière d’IA justifie, pour ne pas dire impose, une immense mobilisation stratégique des secteurs public et privé, d’une ampleur comparable à celle du projet Manhattan, de l’OTAN, des divers efforts d’indépendance énergétique, ou encore des politiques sur les armes nucléaires. Or, l’Occident suit aujourd’hui précisément la direction opposée.

 

Aux États-Unis, la recherche publique et universitaire en matière d’IA accuse un retard par rapport à la Chine et au secteur privé. En raison de financements insuffisants, ni les agences gouvernementales ni les universités ne peuvent rivaliser avec les salaires et les installations informatiques que proposent des entreprises telles que Google, Meta, OpenAI ou leurs concurrentes chinoises. Par ailleurs, la politique américaine d’immigration à l’égard des étudiants diplômés et des chercheurs est à la fois contre-productive et insensée, puisqu’elle contraint de grands talents à quitter le pays une fois leurs études achevées.

 

Intervient également la politique américaine de réglementation de l’accès de la Chine aux technologies d’IA. Les contrôles à l’exportation sont apparus trop tardivement, et se révèlent inadaptés, insuffisamment pourvus en effectifs, et peu rigoureux dans leur exécution. L’accès de la Chine aux technologies d’IA américaines au travers d’accords de services et de licence demeure quasiment non réglementé, alors même que les technologies qui les sous-tendent, telles que les processeurs Nvidia, sont elles-mêmes soumises à des contrôles à l’exportation. Les États-Unis ont annoncé la mise en place de règles plus strictes en matière d’octroi de licences une semaine seulement avant que l’ancien président Joe Biden ne quitte ses fonctions.

 

Enfin, en matière d’IA, la politique américaine néglige la nécessité d’une R&D qui soit solidement soutenue, utilisée et, le cas échéant, réglementée au niveau du secteur privé, de l’État et de l’armée. Les États-Unis ne disposent toujours pas d’agence relative à l’IA ou aux technologies de l’information qui équivaille au département de l’Énergie, aux Instituts nationaux de santé, à la NASA, ou aux laboratoires nationaux qui conduisent (et contrôlent étroitement) la R&D américaine en matière d’armes nucléaires.

 

Cette situation résulte en partie de bureaucraties étatiques sclérosées à la fois dans l’Union européenne et aux États-Unis. Le secteur technologique de l’UE est en effet surréglementé, tandis que les départements américains de la Défense et du Commerce, entre autres agences, ont besoin d’être réformés.

 

Sur ce point, les critiques formulées par le secteur technologique à l’égard des gouvernements sont justifiées. Pour autant, l’industrie elle-même n’est pas irréprochable : avec le temps, les efforts de lobbying et les rotations fréquentes dans la nomination des cadres ont affaibli les capacités d’institutions publiques d’importance cruciale. Bon nombre des difficultés liées aux politiques américaines résultent de la résistance ou de la négligence du secteur technologique lui-même, qui à plusieurs égards majeurs est devenu son propre ennemi, ainsi que l’ennemi de la sécurité de l’Occident à long terme.

 

À titre d’illustration, l’entreprise néerlandaise ASML (qui fabrique des machines de lithographie de pointe utilisées dans la production de puces électroniques) et le fournisseur américain d’équipements pour semiconducteurs Applied Materials ont tous deux fait pression pour affaiblir les contrôles à l’exportation sur les équipements de production de semiconducteurs, ce qui a facilité les efforts fournis par la Chine pour supplanter TSMC, Nvidia et Intel. Pour ne pas ne retrouver dépassée, Nvidia a conçu des puces spéciales pour le marché chinois, aux performances tout juste inférieures au seuil fixé pour les restrictions à l’exportation ; ces puces ont ensuite été utilisées pour entraîner le modèle DeepSeek-R1. Au niveau des modèles d’IA, Meta et la société de capital-risque Andreessen Horowitz ont exercé un lobbying acharné pour empêcher toute restriction sur les produits en open source.

 

À tout le moins publiquement, la ligne de conduite de l’industrie a été la suivante : « Le gouvernement n’y comprend absolument rien, mais tout ira bien si vous nous laissez faire ». Seulement voilà, tout ne va pas bien. La Chine a quasiment rattrapé son retard sur les États-Unis, et devance d’ores et déjà l’Europe. Par ailleurs, le gouvernement américain n’est pas un cas désespéré, et il doit être mis à contribution. Historiquement, les travaux fédéraux et universitaires en matière de R&D n’ont rien à envier à ceux du secteur privé.

 

C’est bel et bien l’Agence américaine pour les projets de recherche avancée (l’actuelle DARPA) qui est à l’origine d’Internet, de même que le World Wide Web est né des travaux de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN). Marc Andreessen, le cofondateur de Netscape, a créé le tout premier navigateur Web dans un centre d’informatique haute performance financé par le gouvernement fédéral, au sein d’une université publique. Pendant ce temps, le secteur privé nous dévoilait des services en ligne tels que CompuServe, Prodigy et AOL (America Online) – autant de jardins clos centralisés, fermés et mutuellement incompatibles, qui ont fort heureusement disparu lorsqu’Internet a été ouvert à une utilisation commerciale.

 

Les défis soulevés par la montée en puissance de la Chine en matière de R&D liée à l’IA nécessitent une sérieuse et puissante réponse. Là où les capacités de l’État font défaut, nous devons les renforcer, pas les détruire. Nous devons verser des salaires compétitifs aux fonctionnaires et aux universitaires, moderniser les infrastructures et les procédures technologiques aux États-Unis (et dans l’UE), créer de solides capacités publiques de R&D (notamment pour les applications militaires), renforcer la recherche universitaire, et mettre en œuvre des politiques rationnelles en matière d’immigration, de financement de la R&D liée à l’IA, de tests de sécurité, ainsi que de contrôle à l’exportation.

 

La seule difficulté politique réellement épineuse réside dans la question de l’ouverture, notamment l’octroi de licences en open source. Nous ne pouvons pas laisser le monde entier accéder à des modèles optimisés pour les attaques de drones tueurs, mais nous ne pouvons pas non plus estampiller « top secret » tous les modèles. Il nous faut établir un juste milieu pragmatique, potentiellement en nous appuyant sur les laboratoires nationaux de recherche en matière de défense, et en appliquant des contrôles à l’exportation soigneusement élaborés pour les cas intermédiaires. Par-dessus tout, l’industrie de l’IA doit comprendre que si nous ne travaillons pas ensemble, nous échouerons chacun de notre côté.

 

Charles Ferguson, investisseur technologique et analyste politique, est le réalisateur du documentaire oscarisé Inside Job.

 

Project Syndicate, 2025.
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Le moment Spoutnik de l’IA ?

Après le lancement du modèle d’intelligence artificielle DeepSeek-R1 le 20 janvier dernier, qui a provoqué un effondrement du cours de l’action du fabricant de puces Nvidia ainsi qu’une forte baisse de la valorisation de plusieurs autres entreprises technologiques, certains ont déclaré qu’il s’agissait d’un « moment Spoutnik » dans la course sino-américaine à la suprématie en matière d’IA. Pour une industrie américaine de l’IA qui avait sans doute besoin d’être bousculée, cet épisode soulève toutefois plusieurs questions difficiles.

Les investissements de l’industrie technologique américaine dans l’IA ont été massifs, Goldman Sachs s’attendant à ce que « les géants technologiques, les grandes sociétés et les services publics investissent environ 1 000 milliards $ au cours des années à venir pour soutenir l’IA ». Or, depuis un certain temps déjà, de nombreux observateurs et moi-même nous interrogeons sur l’orientation des investissements dans l’IA et du développement de celle-ci aux États-Unis.

 

Toutes les entreprises leaders en la matière appliquant pour l’essentiel le même plan d’action (bien que Meta se distingue dans une certaine mesure par son modèle partiellement en open source), l’industrie semble avoir placé tous ses œufs dans le même panier. Toutes les entreprises technologiques américaines, sans exception, se montrent obsédées par l’optimisation de l’échelle. Invoquant des « lois de mise à l’échelle » qui restent encore à prouver, elles partent du principe que l’introduction d’une quantité croissante de données et de puissance de calcul dans leurs modèles constitue la clé qui leur permettra de débloquer des capacités toujours plus impressionnantes. Certains vont jusqu’à affirmer que « l’échelle est tout ce dont vous avez besoin ».

 

Avant le 20 janvier, les entreprises américaines n’étaient pas disposées à envisager d’autres solutions que les modèles fondamentaux préformés sur des ensembles massifs de données pour prédire le mot suivant dans une séquence. Compte tenu de leurs priorités, elles se concentraient presque exclusivement sur les modèles de diffusion et les chatbots destinés à effectuer des tâches humaines (ou similaires). Bien que l’approche de DeepSeek soit globalement la même, elle semble s’appuyer davantage sur l’apprentissage par renforcement, les méthodes basées sur un ensemble d’experts (en utilisant de nombreux modèles plus petits et plus efficaces), la distillation et le raisonnement par chaîne de pensée. C’est cette stratégie qui lui aurait semble-t-il permis de créer un modèle compétitif à un niveau de coûts beaucoup moins élevé.

 

Bien que nous ne soyons pas certains que DeepSeek nous ait tout dit, cet épisode vient mettre en lumière une « pensée de groupe » au sein de l’industrie américaine de l’IA. L’aveuglement du secteur américain face à des approches alternatives moins coûteuses et plus prometteuses, combiné à un battage médiatique, constitue précisément ce que Simon Johnson et moi-même avions prédit dans Power and Progress, que nous avons écrit juste avant le début de l’ère de l’IA générative. La question consiste désormais à savoir si cette industrie américaine présente d’autres angles morts, plus dangereux encore. Les principales entreprises technologiques américaines sont-elles par exemple en train de manquer l’occasion d’orienter leurs modèles dans une direction davantage axée sur l’être humain ? Seul l’avenir nous le dira, mais je pense que la réponse est oui.

 

Se pose ensuite la question de savoir si la Chine accomplirait actuellement un bond en avant par rapport aux États-Unis. Dans l’affirmative, cela signifie-t-il que les structures autoritaires verticales descendantes (que James A. Robinson et moi-même avons qualifiées d’« institutions extractives ») pourraient égaler voire surpasser les fonctionnements ascendants dans la stimulation de l’innovation ?

 

J’ai tendance à penser que le contrôle du haut vers le bas entrave l’innovation, comme l’affirmons Robinson et moi-même dans Why Nations Fail. Si le succès de DeepSeek semble remettre en cause cette affirmation, il est loin de prouver que l’innovation dans le cadre d’institutions extractives peut être aussi puissante ou durable que dans le cadre d’institutions inclusives. DeepSeek s’appuie en effet sur plusieurs années d’avancées aux États-Unis (et dans une certaine mesure en Europe). Toutes ses méthodes de base ont été mises au point aux États-Unis. Les modèles basés sur un ensemble d’experts et l’apprentissage par renforcement ont été développés au sein d’instituts de recherche universitaires il y a plusieurs dizaines d’années, et ce sont les géants technologiques américains qui ont créé les modèles Transformers, le raisonnement par chaîne de pensée et la distillation.

 

L’accomplissement de DeepSeek réside du côté de l’ingénierie : la capacité à combiner les mêmes méthodes de manière plus efficace que les sociétés américaines. Reste à savoir si les entreprises et instituts de recherche chinois parviendront à franchir l’étape suivante en proposant des techniques, produits et approches qui changeront réellement la donne.

 

DeepSeek semble par ailleurs se distinguer de la plupart des autres entreprises chinoises spécialisées dans l’IA, qui produisent généralement des technologies pour l’État ou au moyen de fonds publics. Sachant que l’entreprise (issue d’un fonds spéculatif) a dans un premier temps opéré sous les radars, sa créativité et son dynamisme se poursuivront-ils maintenant que DeepSeek est sous les feux de la rampe ? Quoi qu’il arrive, la réussite d’une seule entreprise ne saurait être considérée comme la preuve irréfutable de la capacité de la Chine à surpasser des sociétés plus ouvertes en matière d’innovation.

 

Une autre question intervient, de nature géopolitique. La saga DeepSeek signifie-t-elle que les contrôles américains à l’exportation et autres mesures visant à freiner la recherche chinoise en matière d’IA ont échoué ? La réponse à cette question n’est pas claire non plus. Bien que DeepSeek ait entraîné ses derniers modèles (V3 et R1) sur des puces plus anciennes et moins puissantes, l’entreprise pourrait encore avoir besoin de puces plus puissantes pour réaliser de nouvelles avancées et passer à l’échelle supérieure.

 

Quoi qu’il en soit, il apparaît désormais clairement que l’approche américaine à somme nulle était inapplicable et malavisée. Une telle stratégie n’a de sens que si vous considérez vous diriger vers l’intelligence artificielle générale (des modèles capables d’égaler les êtres humains dans n’importe quelle tâche cognitive), et que celui qui atteindra le premier cette intelligence artificielle générale jouira d’un immense avantage géopolitique. En nous accrochant à ces hypothèses – dont aucune n’est nécessairement justifiée – nous avons empêché une collaboration fructueuse avec la Chine dans de nombreux domaines. À titre d’exemple, si un pays produit des modèles qui améliorent la productivité humaine ou nous permettent de mieux gérer l’énergie, cette innovation sera bénéfique pour les deux pays, surtout si elle est largement utilisée.

 

À l’instar de ses équivalents américains, DeepSeek aspire à développer l’IAG, et la création d’un modèle dont la formation est nettement moins coûteuse pourrait changer la donne. Pour autant, l’accomplissement d’une réduction des coûts de développement par des méthodes connues ne nous conduira pas miraculeusement à l’IAG au cours des prochaines années. La question reste ouverte de savoir si l’IAG est atteignable à court terme (celle de savoir si elle est souhaitable étant encore plus discutable).

 

Même si nous ne connaissons pas encore tous les détails concernant la manière dont DeepSeek a développé ses modèles, et même si nous ignorons ce que sa réussite apparente signifie pour l’avenir de l’industrie de l’IA, une chose est sûre : le nouveau venu chinois a brisé l’obsession du secteur technologique pour la mise à l’échelle, et a sans doute ébranlé son excès de confiance.

 

Daron Acemoglu, lauréat du prix Nobel d’économie en 2024 et professeur d’économie au MIT, est coauteur (avec Simon Johnson) de l’ouvrage intitulé Power and Progress : Our Thousand-Year Struggle Over Technology and Prosperity (PublicAffairs, 2023).

 

Project Syndicate, 2025.
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Le paradoxe des données de la démocratie

Cette année électorale historique, au cours de laquelle le vote aura eu lieu dans des pays qui représentent la moitié de la population mondiale, a mis en évidence une sombre réalité : la vérité est attaquée. Qu’il s’agisse de l’ancien président américain Donald Trump, qui répand des mensonges sur la réponse fédérale à l’ouragan Helene, des politiciens d’extrême droite en Hongrie qui prétendent que leurs adversaires ont l’intention de déclencher la Troisième Guerre mondiale ou de la prolifération des « deepfakes » générés par l’intelligence artificielle, ce torrent de désinformation fait qu’il est difficile pour les électeurs de distinguer les faits de la fiction. Cela érode le fondement même de la gouvernance démocratique.

Au cœur de cette crise se trouve un paradoxe : les données, qui sont l’élément vital des démocraties modernes, peuvent devenir leur perte lorsqu’elles sont exploitées par de mauvais acteurs pour diffuser de la désinformation et saper les institutions démocratiques. Bien que cette menace soit particulièrement aiguë à l’approche d’élections majeures, il faut, pour y faire face, s’engager résolument en faveur de la vérité au-delà des campagnes électorales.

Les données jouent un rôle crucial dans le renforcement de la confiance du public dans les institutions politiques. Au fond, le contrat social entre les gouvernements démocratiques et leurs citoyens repose sur une compréhension commune de l’identité de ces citoyens. Les outils tels que les recensements et les cartes sont essentiels à ce processus, car ils reflètent la mesure dans laquelle les gouvernements reconnaissent les personnes qu’ils sont censés servir.

La transition de l’Afrique du Sud de l’apartheid à la démocratie en est un excellent exemple. Après des décennies d’exclusion et d’oppression systémiques, la construction d’une société démocratique nécessitait des informations fiables. À cet égard, le recensement de 1996 – le premier réalisé sous un gouvernement démocratique – a marqué un tournant décisif : un véritable effort a été fait pour dénombrer l’ensemble de la population. Les recensements précédents, conçus par le régime de l’apartheid, s’étaient concentrés sur les citoyens blancs tout en sous-estimant considérablement la majorité noire et d’autres groupes raciaux.

Comme l’immigration est au cœur des préoccupations des électeurs, la question de savoir qui peut être considéré comme un citoyen et comment traiter les non-citoyens se pose avec acuité. Des études montrent notamment que les électeurs européens surestiment systématiquement la taille des populations immigrées et que cette perception erronée alimente la demande pour des politiques qui sèment la discorde. Bien que l’immigration soit souvent une question controversée, ces débats pourraient être moins déstabilisants si les électeurs avaient une compréhension plus claire, basée sur des données, de la démographie de leur pays.

Pour que la démocratie s’épanouisse, les gouvernements doivent également rendre des comptes à leurs citoyens. Là encore, les données jouent un rôle essentiel. Des informations fiables permettent aux responsables politiques de prendre des décisions judicieuses et aux électeurs de demander des comptes aux dirigeants politiques.

Fournir ces informations est la tâche vitale – mais ingrate – des agences nationales de statistiques. Malgré un rendement remarquable de 32 dollars pour chaque dollar investi dans les données du secteur public, les gouvernements prvilégient les initiatives avec un attrait populaire plus immédiat, plutôt qu’investir dans l’infrastructure des données.

Mais il s’agit là d’un faux choix. Lorsqu’elles sont utilisées efficacement, les données peuvent augmenter les recettes fiscales et stimuler l’investissement privé, ce qui accroît les budgets publics et permet aux responsables politiques d’améliorer les services publics. Au Nicaragua, par exemple, une étude financée par la Banque mondiale a révélé que les projets d’égouts à grande échelle profitaient de manière disproportionnée aux ménages les plus riches. Les priorités en matière de dépenses ont donc été réorientées vers les latrines et les programmes d’éducation, qui ont profité aux communautés les plus pauvres à un coût moindre.

La responsabilité dépend également d’un échange continu d’informations entre les gouvernements et les citoyens. Pour que les démocraties fonctionnent, les gouvernements doivent investir dans la transparence, à la fois pour comprendre les attentes des électeurs et pour tenir le public informé de leurs propres actions. Comme l’a dit le vice-président ghanéen Mahamudu Bawumia, « les statistiques apportent à la fois de bonnes et de mauvaises nouvelles, mais les gouvernements efficaces ont besoin d’entendre les deux ».

Comme le montre bien l’année en train de s’écouler, il n’est pas facile d’empêcher les politiciens et les mauvais acteurs de répandre des mensonges pendant les campagnes électorales. Mais il est possible d’atténuer l’impact de ces mensonges. Alors que les organismes nationaux et internationaux se concentrent à juste titre sur la tâche urgente de réduire la désinformation sur les médias sociaux, les gouvernements peuvent aider les citoyens à naviguer dans l’écosystème de l’information d’aujourd’hui. En renforçant leur infrastructure de données, ils contribueraient à développer un système d’information public aussi résistant et efficace que les forces qui cherchent à l’affaiblir. Les gouvernements peuvent également promouvoir l’éducation aux médias, en dotant les citoyens des outils nécessaires pour identifier et rejeter la désinformation. L’intégration de ces compétences dans les programmes scolaires pourrait préparer les futurs électeurs à résister à la manipulation.

Des données crédibles et accessibles sont aussi essentielles à la gouvernance démocratique que les élections et les assemblées législatives. À l’heure où la démocratie elle-même est remise en question dans de nombreux pays, des données fiables sont essentielles pour préserver l’intégrité de nos écosystèmes d’information, permettre aux gouvernements de relever les défis les plus urgents et garantir que les institutions démocratiques puissent résister aux nouvelles menaces autoritaires.

 

Claire Melamed est directrice générale du Partenariat mondial pour les données du développement durable.

 

Project Syndicate, 2024.
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Intelligence artificielle : menace ou opportunité ?

Elle est actuellement au centre des débats dans le monde entier. L’intelligence artificielle, qui connait un véritable essor depuis un moment, fascine autant qu’elle inquiète. Au Mali, les évènements et conférences se multiplient pour lever le voile sur les avantages et inconvénients de l’utilisation de ce nouvel outil technologique. Quel impact l’IA pourra-t-elle avoir sur notre vie professionnelle et / ou personnelle ?

L’intelligence artificielle, processus d’imitation de l’intelligence humaine qui repose sur la création et l’application d’algorithmes exécutés dans un environnement informatique dynamique, est en train de révolutionner le monde.

Pour partager les dernières avancées et découvertes, enclencher le débat sur son utilisation et proposer des solutions adaptées au contexte malien, l’agence de développement Voolinks, proposant des services de digitalisation et de bases de données, a initié une conférence immersive sur le sujet le 16 mai 2023 à Bamako.

Nouvelles opportunités

Dans le monde professionnel, de plus en plus de personnes s’inquiètent et s’interrogent sur l’avenir de la main d’œuvre humaine, dont les tâches peuvent aujourd’hui toutes ou presque être exécutées par des logiciels ou machines grâce à l’intelligence artificielle.

Mais pour Moussa Kondo, Directeur exécutif de l’Institut sahélien pour la démocratie et la gouvernance, l’IA ne menace pas le secteur professionnel. Elle représente plutôt une opportunité.

« Elle va permettre de recenser beaucoup de données, d’informations et de connaissances en un même endroit. Mais c’est au monde du travail de se réinventer pour être à l’heure de l’intelligence artificielle », plaide-t-il. « Il y a des boulots qui existent aujourd’hui où les gens se font des millions tous les jours mais qui n’existaient pas il y a 5 ans. Il faut juste réfléchir à ce qu’il faut faire pour que les gens répondent à cette nouvelle demande, être à la hauteur et l’adopter dans nos quotidiens », poursuit M. Kondo.

Même son de cloche chez Gabriel Alassane Traoré, Associé-Gérant de Voolinks, qui pense pour sa part que ces inquiétudes se dissiperont avec le temps. Pour lui, l’utilisation de l’intelligence artificielle est beaucoup plus bénéfique dans le monde professionnel qu’elle n’apporte d’inconvénients. « Avec l’intelligence artificielle, je ne vois que des opportunités. En tant qu’entreprise, je pense que les outils qui sont à notre disposition aujourd’hui ne peuvent pas être un frein à notre développement et ne sont que positifs » renchérit-il.

Mais les craintes sont loin d’être levées. Sam Altman, le patron d’OpenAI (le vrai), créateur de l’interface ChatGPT, assure que « l’intelligence artificielle a le potentiel d’améliorer à peu près tous les aspects de nos vies, mais elle crée aussi des risques sérieux ». « L’une de mes plus grandes peurs, c’est que nous, cette industrie, cette technologie, causions des dommages significatifs à la société ».