Françoise Huguier : « Il faut une réorganisation complète du secteur de la photographie »

Françoise Huguier, photographe française née en 1942, débute sa carrière en photographie en 1975, principalement dans la presse. Nommée membre de l’Académie des Beaux-Arts en janvier 2023, elle est également auteure d’une dizaine d’ouvrages. En 1984, elle découvre le Mali lorsqu’elle s’y rend pour photographier Mory Kanté et Salif Keita dans le cadre d’une commande. En 1994, elle propose aux autorités de l’époque d’organiser une rencontre dédiée à la photographie africaine à Bamako. Depuis trente ans, ces Rencontres ont tracé leur chemin. Elle partage ici son parcours, son regard sur la photographie et ses projets. Propos recueillis par Fatoumata Maguiraga

Comment est née la Biennale africaine de la photographie de Bamako ?

À Dakar, des expositions d’art sont régulièrement organisées. À Ouagadougou, un festival de cinéma existe. Mais à Bamako, il n’y avait rien… Je suis donc allée rencontrer le Président de l’époque, Alpha Oumar Konaré, que j’ai convaincu d’organiser une Biennale dédiée à la photographie. J’ai rencontré plusieurs photographes africains, notamment les Maliens Seydou Keita et Malick Sidibé. Nous avons invité le public à découvrir les photographies et organisé des prises de vue dans les rues. Les photographes ont exposé leurs œuvres dans divers lieux de la ville : à l’INA, à la Maison des anciens combattants et au Palais de la culture. Ainsi, la première édition des Rencontres de Bamako a vu le jour en 1994.

Pourquoi avoir choisi la photographie comme mode d’expression ?

La photographie m’a toujours fascinée par sa capacité à capturer des instants uniques et à raconter des histoires. Quand j’ai commencé, je travaillais surtout pour la presse, ce qui m’a permis de parcourir le monde et de documenter des réalités variées. C’est un moyen d’expression immédiat et puissant, qui ne nécessite pas de longues explications.

Trente ans après, quel est votre regard sur la Biennale africaine de la photographie ?

Cette année, je suis assez catastrophée. La qualité des tirages est décevante, bien que les photographies elles-mêmes soient excellentes. À l’époque, les tirages étaient réalisés sur place grâce aux laboratoires disponibles. Aujourd’hui, ce qui manque souvent, ce sont les explications. Dans une exposition, il est crucial de mentionner le nom du photographe et de fournir des informations sur l’intention derrière chaque photographie.

Que diriez-vous aux jeunes qui veulent aller vers la photographie ?

À Bamako, il y a beaucoup de photographes talentueux. Cependant, des problèmes subsistent, comme en France. La photographie de presse, par exemple, fonctionne de moins en moins. Ce ne sont pas les expositions qui permettent de gagner de l’argent, ni les livres, même si ces derniers restent importants pour se faire connaître. Une réorganisation complète du secteur est nécessaire et cette initiative doit venir du ministère.

Diriez-vous que la photographie professionnelle souffre de la concurrence du numérique ?

Je ne pense pas que ce soit une vraie concurrence. Une photographie, c’est avant tout un style, une histoire. Bien sûr, de nombreuses personnes prennent des photos avec leurs téléphones, mais cela ne remplace pas le travail d’un photographe. La photographie continue de fonctionner, mais il faut une entente entre tous les acteurs du secteur. J’espère également que les Africains et la diaspora travailleront ensemble pour éviter que d’autres pays n’imitent ce que fait le Mali. Il est important de voyager et de découvrir les tendances photographiques dans différents pays.

Vous avez commencé par la photographie de mode ?

Non, je faisais des reportages pour Libération. Ce journal a ensuite décidé de s’investir dans la mode et j’ai travaillé dans ce domaine pendant vingt-cinq ans. Cependant, je ne faisais pas que cela. Je pense qu’il est important de ne pas se spécialiser. Certaines personnes le font, mais ce n’est pas mon cas. Mes photos de mode ont toujours eu une approche proche du reportage.

Quels sont vos projets après la Biennale ?

Je travaille actuellement sur une monographie consacrée à l’Afrique. Il s’agit d’un ouvrage de 460 pages, qui débute et se termine au Mali, l’un de mes pays préférés. Le livre s’intitulera L’Afriquemoi. Il inclut des photographies du Sénégal, du Burkina Faso, du Bénin, du Togo, du Niger, du Nigeria, du Cameroun, de l’Éthiopie et de l’Afrique du Sud, entre autres. Parallèlement, j’ai plusieurs expositions en préparation.

Comment transmettez-vous votre passion ?

Chaque année, j’organise des stages pour transmettre mes connaissances. Cependant, je reste photographe avant tout, pas professeure.

 

 

Biennale africaine de la photographie : La 14ème édition lancée

La cérémonie de lancement de la 14ème édition des Rencontres de Bamako / Biennale africaine de la photographie s’est tenue le 4 octobre, au Centre International de Conférences de Bamako (CICB), présidée par le ministre de de la Culture, Andogoly Guindo.

Le thème choisi pour cette édition est « Kuma », qui signifie « Parole » en bamanankan. L’événement est prévu du 16 novembre 2024 au 16 janvier 2025 et regroupera une trentaine d’artistes venus d’Afrique et de la diaspora. Créées en 1994 sous la présidence d’Alpha Oumar Konaré, les Biennales de Bamako se sont imposées au fil des ans dans l’agenda photographique à l’échelle du continent. Véritable plateforme de visibilité pour les artistes photographes et vidéastes d’Afrique et de sa diaspora, elles ont contribué à développer la carrière de nombre d’entre eux et permis à certains d’acquérir un statut international, voire mondial. Elles participent ainsi à la fois à la reconnaissance et à la consécration de la photographie africaine. Cette année, plusieurs sites ont été retenus pour les expositions des photographies des différents lauréats, notamment le Musée National, le Palais de la Culture, le Musée du District, etc. Plus de 300 professionnels et une centaine de journalistes sont attendus. Parmi les 30 artistes sélectionnés sur plus de 500 candidatures figurent 4 Maliens, dont 2 femmes.

Des discours forts 

Dans son discours d’introduction, le ministre Guindo a expliqué le choix du mot « Kuma » comme thème principal de cette édition. Pour lui, « le choix du mot Kuma peut paraître étrange, mais c’est dans ce paradoxe que réside l’intérêt. La photographie parle sans mots. En observant et par la sensation, il est aisé de comprendre tout le langage qui y est déroulé ». De son côté, Lassina Igo Diarra, Directeur artistique de cette 14ème édition, a ajouté : « l’inspiration du mot Kuma est venue parce que nous avons estimé qu’il n’y avait pas assez de discours forts du continent africain, aussi bien en Afrique que dans le reste du monde. C’est par rapport à ce manque de voix que nous avons choisi le mot Kuma, pour que la voix de l’Afrique porte dans le monde et en Afrique ».

Lors de cette cérémonie, le Réseau des Communicateurs Traditionnels pour le Développement, à travers son porte-parole Amadou Dagamaissa, a exprimé sa volonté de voir revenir la parole aux mains des Niamakalaw afin de préserver la paix dans nos sociétés. Pour cette édition, l’artiste malien Salif Keïta a été choisi comme Ambassadeur.

Fatouma Cissé