HCIM : Le difficile compromis

Entamé en 2019, le mandat de l’actuel Bureau du Haut Conseil islamique du Mali (HCIM), dirigé par Chérif Ousmane Madani Haïdara, est arrivé à terme en octobre dernier. Contrairement au consensus qui avait prévalu il y a cinq ans, le renouvellement du Bureau de l’organisation musulmane nationale bute sur les divergences entre différents camps. Si des démarches sont en cours pour les rapprocher, un compromis semble encore loin d’être trouvé.

À deux reprises, le 4ème Congrès ordinaire qui devait renouveler les organes du Haut Conseil islamique du Mali a été reporté. Initialement prévu les 26 et 27 octobre 2024, le Congrès a d’abord été repoussé aux 9 et 10 novembre avant d’être reporté sine die.

Selon nos informations, recoupées auprès de sources internes au HCIM, ces reports répétés sont dus à plusieurs causes. Le premier est intervenu essentiellement en raison d’insuffisances techniques et financières sur le plan organisationnel. Les préparatifs matériels n’étaient en effet pas entièrement finalisés aux dates initiales prévues.

À cette situation s’est ajouté le manque de consensus autour du poste de Président de la structure, une divergence à l’origine du second report survenu le 9 novembre.

« Nous n’arrivions pas à trouver un consensus. En plus, il y avait quelques problèmes matériels. Nous avons donc décidé de reporter l’organisation du Congrès en attendant de pouvoir nous mettre d’accord », explique Habib Kane, Secrétaire à la Communication du HCIM. Il confie par ailleurs que l’objectif était de parvenir à un consensus autour du Bureau actuel, conformément aux textes du Haut Conseil islamique qui priorisent cette méthode.

Difficile consensus

L’augmentation du nombre de candidatures pour le poste de Président du HCIM a rendu complexe la recherche d’un consensus au sein de la structure. Selon nos informations, au moins 11 candidats sont en lice. Cependant, aucune liste définitive officielle n’a encore été rendue publique par la Commission d’organisation du Congrès, qui n’a pas encore examiné les dossiers des différents prétendants.

Parmi ces 11 candidatures, 9 sont externes au Bureau sortant du HCIM et 2 en proviennent. Ces dernières incluent le Président sortant, Chérif Ousmane Madani Haïdara, candidat à sa propre succession, et Cheick Soufi Bilal Diallo, Président de la Commission de Contrôle du Bureau sortant. Ces 2 candidats sont les principaux protagonistes de l’élection à venir. Mais les 2 camps peinent à s’accorder par consensus sur le futur Président du HCIM pour les cinq prochaines années.

« Il n’y a pas d’entente pour l’élection du Président. Une tendance dit tout sauf le Président sortant tandis qu’une autre répond le Président sortant ou personne », résume Mohamed Kimbiri, 1er Secrétaire à l’Organisation du HCIM.

Soutenant la candidature de Cheick Soufi Bilal Diallo, le Rassemblement des Musulmans pour l’Union et la Paix (RMUP), un collectif créé en août 2024, critique la gestion de Chérif Ousmane Madani Haïdara lors de son mandat, désormais arrivé à terme.

Le RMUP souligne notamment ses « multiples absences enregistrées aux différentes réunions du Haut Conseil islamique du Mali », ses « divers propos controversés lors des actes de profanation des symboles de l’Islam » ainsi que sa méconnaissance des textes du Haut Conseil islamique, ayant conduit l’organisation faîtière des musulmans à poser des « actes de division » et à installer une « oligarchie déguisée ».

La composition de la Commission d’organisation du Congrès constitue un autre point de discorde. Selon le RMUP, cette commission, jugée proche du Président sortant, devrait être reconstituée pour garantir une équité entre les deux principaux prétendants à la présidence du HCIM.

« Ils ont demandé la dissolution de la Commission d’organisation au profit d’un Comité mixte plus inclusif. C’est une doléance qui reste posée et des démarches sont en cours pour que cela soit effectif », confirme Cheick Soufi Bilal Diallo.

De son côté, le Président sortant du HCIM n’a pas répondu à ces accusations. Cependant, selon nos sources, Chérif Ousmane Madani Haïdara bénéficie du soutien de plusieurs associations et membres influents du Bureau de l’organisation.

Quelle porte de sortie ?

Depuis le dernier report du Congrès, plusieurs démarches sont en cours pour rapprocher les positions des deux camps en vue d’installer un nouveau Bureau par voie de consensus.

« Plusieurs organisations de la société civile, notamment le Conseil national de la société civile, la Coordination des chefs de quartiers de Bamako, les légitimités traditionnelles, ou encore le Collectif des associations musulmanes du Mali, travaillent en coulisse pour qu’un compromis soit trouvé », assure Mohamed Kimbiri. « Il est important d’arriver à un compromis, car une telle situation est une honte pour l’Islam », ajoute-t-il.

Si le ton semble dur et la position tranchée au sein du RMUP, qui soutient la candidature de Cheick Soufi Bilal Diallo, ce dernier se montre néanmoins ouvert aux discussions.

« Avant tout, nous sommes des Musulmans. L’Islam est une religion de paix, d’amour et d’entente entre frères. Dans la situation où nous sommes, la priorité est de trouver un consensus nous permettant d’avoir une porte de sortie honorable. Les négociations et les rencontres continuent dans ce sens », affirme le guide spirituel de la communauté soufie.

Même si un compromis semble difficile à atteindre, les membres du Bureau national du HCIM restent déterminés à y parvenir, même si cela doit prendre du temps.

« Lors de notre dernière réunion, les deux camps avaient décidé d’aller aux élections. Mais la majorité a estimé qu’il fallait continuer le dialogue, car toutes les options n’avaient pas encore été explorées. Nous nous sommes donné un peu de temps pour réfléchir et les discussions reprendront bientôt », explique Habib Kane.

« Nous avons décidé de calmer le jeu et de nous accorder un moment pour que chacun puisse réfléchir avant de reprendre les négociations pour le consensus », poursuit le Secrétaire à la communication du HCIM.

Pour maximiser les chances de sortie de crise, une Commission interne a été créée au sein du Bureau pour trouver des solutions. Le Conseil des sages du HCIM, jusque-là peu impliqué, a également été mobilisé pour contribuer aux démarches.

Nouvelles dates ?

Pour l’instant, aucune nouvelle date n’a été annoncée pour la tenue du 4ème Congrès ordinaire. Les sources internes que nous avons contactées s’accordent sur la nécessité de trouver un compromis avant de fixer un calendrier. D’ailleurs, dans l’histoire du HCIM, comme le rappelle Mohamed Kimbiri, presque tous les mandats ont été prorogés d’une année supplémentaire.

« Ce ne sera pas une exception si le mandat du Président sortant s’étend à une année supplémentaire. Cela est déjà arrivé plusieurs fois au HCIM », glisse-t-il.

Mais s’achemine-t-on vers une nouvelle prorogation ? « Nous ne pouvons pas nous permettre de rester dans l’impasse. Une solution sera trouvée prochainement », conclut Habib Kane.

Mohamed Kenouvi

Nouveau report du congrès du HCIM: Les obstacles au consensus demeurent

Le Haut Conseil Islamique du Mali (HCIM) a de nouveau reporté son 4ᵉ congrès ordinaire, initialement prévu les 9 et 10 novembre 2024, sans fournir de communiqué officiel expliquant les raisons de ce report.​​ ​​

​​Rappelons que ces assises ont été reportées une première fois alors qu’elles étaient programmées, les 26 et 27 octobre 2024.
Ce report intervient dans un contexte de tensions internes et de manque de consensus au sein de l’organisation.​​ ​​
Des sources internes évoquent des difficultés financières pour l’organisation des assises, mais surtout une absence de consensus parmi les membres du HCIM.​​ ​​
Initialement, quatre candidats étaient en lice pour la présidence, mais ce nombre aurait grimpé à une dizaine, reflétant des divisions profondes au sein de l’institution.​​ ​​Parmi les candidats déclarés figurent Chérif Ousmane Madani Haïdara, président sortant du HCIM élu en 2019, qui brigue un second mandat malgré les critiques sur sa capacité à rassembler l’ensemble des tendances islamiques du pays ​​; Cheick Soufi Bilal Diallo, président de la Commission nationale de contrôle du HCIM, qui a exprimé des réserves sur la gestion actuelle de l’organisation et bénéficie du soutien du Rassemblement des Musulmans pour l’Union et la Paix (RMUP) ​​; Alphadi Wangara, imam de la mosquée Sidi Yehia de Tombouctou, dont la candidature reflète la diversité géographique et culturelle des prétendants.​​ ​​
Le mandat du président du HCIM est de cinq ans.​​ ​​Chérif Ousmane Madani Haïdara, élu en 2019 en succédant à l’imam Mahmoud Dicko, a souvent prôné le consensus et l’unité au sein de la communauté musulmane malienne.​​ ​​Cependant, sa candidature à sa propre succession n’a pas réussi à faire l’unanimité, certains membres estimant qu’il n’a pas su rassembler toutes les tendances islamiques du pays.
​​Le report du congrès du HCIM démontre les défis auxquels l’institution est confrontée, notamment l’unité et la cohésion, la transparence et la gouvernance et son rôle sociopolitique.​​ ​​Les divergences internes et la multiplication des candidatures reflètent une fragmentation qui pourrait affaiblir la voix des organisations musulmanes du Mali sur la scène nationale.​​ ​​Les critiques sur la gestion financière et organisationnelle du HCIM soulignent la nécessité de réformes pour renforcer la confiance des membres et de la communauté musulmane en général.​​ ​​
Pourtant, dans un contexte national marqué par des défis sécuritaires et politiques, le HCIM est appelé à jouer un rôle de médiateur et de guide spirituel.​​ ​​Les divisions internes pourraient limiter son efficacité dans cette mission.​​​​ ​​La recherche d’un consensus et d’une gouvernance transparente apparaît essentielle pour renforcer son rôle au sein de la société.

Prêches : L’État face au défi de la règlementation

 

L’Imam Bandiougou Traoré a été arrêté et placé sous mandat de dépôt le 10 septembre 2024 par le Pôle national spécialisé de lutte contre la cybercriminalité pour des propos controversés à l’endroit des femmes militaires et sportives, notamment. Étant déjà sous le coup d’une condamnation, cette nouvelle arrestation relance la question de la règlementation des prêches et de l’exercice de la liberté religieuse.

L’Imam Traoré doit cette incarcération à des « propos misogynes » prononcés lors d’un sermon, le 30 août 2024. Une détention intervenue malgré que le prêcheur ait présenté ses excuses après le tollé soulevé par ses propos.

L’Imam Traoré, qui est déjà sous le coup d’une sanction judiciaire, avait été condamné à 18 mois de prison et au paiement d’une amende, assorties de 16 mois de sursis, en mars 2024, avant d’être libéré. Interpellé pour « atteinte au crédit de l’État, diffusion, publication de fausses nouvelles, faites de mauvaise foi et de nature à troubler la paix publique, injures, diffamation et outrage à magistrat », l’Imam Bandiougou Traoré avait été écroué le 4 janvier 2024.

Dérapages fréquents

S’il n’en est donc pas à son premier écart, il n’est pas non plus le premier prêcheur à avoir eu affaire à la justice à cause de ses propos. Avant lui, le prêcheur Chouala Bayaya Haidara était aussi passé par la case prison. Ce dernier, poursuivi pour « atteinte au crédit de l’État et propos tendant à troubler l’ordre public », avait été arrêté en décembre 2023. Le 29 février 2024, il a obtenu une liberté provisoire pour raison de santé, après plus de 2 mois d’incarcération. Il qualifiait de détentions arbitraires notamment celles de Ras Bath, de Rose Doumbia dit « Vie chère » mais également de Madame Bouaré Fily Sissoko.

En juin 2024, le Procureur du Pôle national de lutte contre la cybercriminalité a ordonné l’incarcération de Mahamadou Bassirou Kissa, alias « Karamoko Befo Junior ». Le guide spirituel de l’association « Bassirou Dine » avait été interpellé le 13 juin 2024 par la Brigade d’investigations judiciaires (BIJ) et placé sous mandat de dépôt le 14 juin par le Procureur en charge de l’assainissement du cyberespace.

Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, où il s’exprimait sur le sacrifice du mouton pour la fête de Tabaski, il affirmait qu’à « défaut de se procurer un bélier, un devoir conjugal plus prolongé que d’habitude pouvait valablement remplacer le sacrifice d’Abraham ».

Le Tribunal de Grande instance de la Commune VI a jugé le 9 mars 2020 l’affaire Ministère public contre le prêcheur Bandiougou Doumbia, jugé pour « apologie du terrorisme, incitation à la sédition et offense au Chef de l’État ». Le Guide de «  Nourredine », alors membre de la Commission nationale de contrôle du Haut Conseil Islamique Mali (HCIM), a été condamné à 2 ans de prison ferme par les juges.

Il avait été arrêté le 17 février 2020 par la Brigade d’Investigations Judiciaires (BIJ) suite à une vidéo qui avait suscité un vif émoi sur les réseaux sociaux et où il avait tenu des propos injurieux et menaçants à l’encontre du Président de la République et de sa famille. Il avait également affirmé son soutien aux terroristes Amadou Kouffa et Iyad Ag Aghaly.

Mais le Haut Conseil islamique du Mali (HCIM) avait organisé une conférence de presse pour présenter des excuses au nom du prêcheur Bandiougou Doumbia et demander aux autorités de lui pardonner.

« N’est pas prêcheur qui veut »

 C’est ce qu’avait estimé Thierno Hady Thiam, Imam et membre du HCIM, interrogé par Journal du Mali sur le même sujet en 2020. Le rôle des prêcheurs, qui sont formés dans les écoles coraniques et dans celles qui apprennent la jurisprudence, est « d’appeler les gens à croire à la religion ». Ils doivent donc à ce titre donner l’exemple. De même, tous les prêcheurs ne sont pas Imams et inversement. Mais au Mali, l’absence d’écoles de formation et la difficulté pour l’État de mettre en place un cadre règlementaire conduit à une gestion inadaptée de l’édifice commun autour duquel se regroupent les pratiquants. Il s’agit en l’occurrence de la mosquée.

Avant, la mosquée était celle de la communauté, construite par elle. Elle appartenait au village, au quartier ou à la ville et elle était dirigée par un érudit souvent venu d’une grande famille maraboutique et formé pour devenir Imam.

Il existe désormais une deuxième forme de mosquées, dirigées par des arabophones formés à l’extérieur ou au Mali et qui se retrouvent au chômage, quel que soit leur niveau de formation. Ils deviennent prêcheurs ou Imams d’une mosquée créée par des individus et non plus par la communauté. Rappelons que dans la mosquée de la communauté, l’Imam n’est pas payé.

Une autre forme est celle des mosquées construites par des ONG implantées au Mali et offertes aux communautés. Elles exigent souvent la nomination de leurs Imams « pour véhiculer leurs messages, ce qui peut créer les tensions », déplorait en son M. Thiam. La multiplication des mosquées et l’absence de visibilité sur leur nombre et leurs activités est un sérieux défi à l’organisation du culte musulman au Mali. Le HCIM est l’organisation faîtière des associations musulmanes et est censé, avec le ministère en charge des Affaires religieuses, parvenir à une règlementation du domaine. Mais les divergences au sein de cette organisation et l’absence de hiérarchie compromettent une gestion équilibrée, au bénéfice des Musulmans et de la communauté nationale. La relecture des lois régissant l’exercice du culte religieux, qui datent des premières années de l’indépendance, maintes fois repoussée, prouve les difficultés à réformer un secteur où les dérives peuvent compromettre la cohésion sociale. En attendant cette réforme, l’application des lois pourrait contribuer à gérer les excès ou peut être à dissuader d’éventuels récidivistes.   

Appliquer les lois existantes

L’arrestation de l’Imam Bandiougou Traoré, qui peut être considéré comme un récidiviste, n’est qu’une application de la loi, relève le Dr Bréma Ely Dicko, sociologue. Ce sont en effet les religieux eux-mêmes qui avaient sollicité les autorités pour prendre des dispositions empêchant toute forme de diffamation ou de propos portant atteinte au culte. Finalement, la loi contre la cybercriminalité protège tous les citoyens et, nul n’étant au-dessus de la loi, l’Imam est aussi un justiciable. En outre, les propos dénoncés portent aussi atteinte à des droits garantis par le Mali. Afin de ne pas permettre que les prêcheurs outrepassent leur rôle pour porter atteinte à la dignité des personnes ou tenir des propos qui risquent de diviser la société, il y a besoin de tirer la sonnette d’alarme pour stopper les dérives. À défaut d’harmoniser les prêches comme dans d’autres pays, il faut surveiller de près ce qui est dit par les prêcheurs afin de maintenir la paix sociale. À ce titre, les premiers acteurs sont les représentants des différentes associations, dont la Ligue des Imams du Mali (LIMAMA) ou encore le HCIM, qui regroupe toutes les associations musulmanes, en coordination avec les ministères concernés, pour d’une part contribuer à la vulgarisation des textes afin d’informer les prêcheurs et autres représentants des fidèles de l’existence de lois en la matière. Et, le cas échéant, il faut recourir à l’application de la loi pour garantir la paix sociale. Pour maintenir la cohésion sociale, le Mali a entrepris un programme de formation des Imams. Avec le Royaume chérifien, il a signé le 22 septembre 2022, un protocole d’accord pour la formation de 300 Imams à l’Institut Mohamed VI. Environ une soixantaine de personnes seront formées lors de sessions de 2 années. Le protocole a été signé en vertu d’un accord entre le Mali et le Maroc datant de 2013 pour la formation de 500 imams au total. L’objectif de ces formations est de promouvoir les valeurs de tolérance religieuse et de contribuer au vivre ensemble.

Fatoumata Maguiraga