La multiplication incontrôlée des sites d’orpaillage illégaux à travers le Mali entraîne des conséquences désastreuses sur plusieurs plans. Face aux drames récurrents qui causent des pertes en vies humaines, le gouvernement de transition tape du poing sur la table. Pour atténuer la survenance des accidents sur les sites, de récentes mesures ont été prises suite aux catastrophes de Kokoyo et de Bilalikoto. De quoi entrevoir le bout du tunnel pour ce phénomène multidimensionnel ?
Le bilan est alarmant. En l’espace d’une année, de janvier 2024 à février 2025, plus de 170 personnes, dont plusieurs femmes et enfants, sont mortes dans des accidents survenus sur des sites d’orpaillage illégaux dans diverses localités du sud-ouest du Mali.
Le dernier drame en date, survenu le 17 février, a causé la mort de 48 personnes, majoritairement des femmes, après le renversement d’une machine excavatrice utilisée par des exploitants chinois sur un site minier artisanal à Bilalikoto, un village de la commune de Dabia, dans le cercle de Kéniéba.
Deux semaines plus tôt, le 29 janvier 2025, 13 autres personnes, dont 3 enfants, avaient péri dans un éboulement dans une mine artisanale dans le village de Danga, dans le cercle de Kangaba, région de Koulikoro.
Ces drames récents, qui ont relancé les inquiétudes sur les risques liés à l’exploitation artisanale de l’or dans le pays, ont conduit le gouvernement de transition à prendre des mesures strictes.
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L’État sévit
Sur instruction du Président de la Transition, le Conseil des ministres a décidé le 5 mars 2025 d’abroger les actes de nomination des responsables administratifs directement impliqués dans la survenance des derniers incidents. Plusieurs têtes sont tombées dans les rangs des préfets, sous-préfets, responsables des Forces de sécurité, des services locaux des Eaux et forêts, des services d’assainissement, du Contrôle des Pollutions et des nuisances, ainsi que des services subrégionaux de la Géologie et des mines.
Le gouvernement a en outre opté pour la relecture de certains textes juridiques afin, entre autres, de mettre fin aux transactions dans le domaine environnemental, de faciliter la récupération des équipements impliqués dans l’orpaillage et de leur affectation au patrimoine de l’État. Les autorités ont également décidé de suspendre les permis d’exploitation des mines artisanales octroyés à des personnes de nationalité étrangère et de lancer la procédure de dissolution du Conseil communal de Dabia, dont les responsables sont accusés de la gestion défaillante ayant conduit au drame de Bilalikoto.
En début d’année, lors du Conseil des ministres du 22 janvier 2025, le gouvernement de transition avait donné le ton en annonçant le démantèlement en 2024 de 61 sites d’exploitation illégale et la saisie de nombreux équipements, dont 286 pelleteuses et 63 véhicules. « Le gouvernement mènera une lutte implacable contre les exploitations illégales à travers la mise en œuvre d’actions à court, moyen et long termes », avaient averti les autorités, soulignant que ces exploitations illégales étaient à l’origine de nombreuses pertes en vies humaines, suite aux accidents et aux conflits générés entre les exploitants eux-mêmes, entre les exploitants et les populations ou entre les exploitants et les détenteurs de titres miniers.
Quel impact ?
Ces mesures strictes et fermes témoignent d’une volonté du gouvernement de s’impliquer davantage dans le secteur de l’orpaillage, afin d’éviter de futurs drames sur les sites des mines artisanales. Toutefois, au-delà d’un signal fort envoyé à tous les acteurs et à l’opinion nationale, ces mesures gouvernementales sonneront-elles vraiment le glas de l’orpaillage illégal au Mali ?
« Les sanctions peuvent dissuader, mais ne pourront pas résoudre définitivement le problème. Il faut s’attaquer au problème à la racine, s’interroger sur les défaillances aux niveaux de l’exploitation et de la législation et voir ce qu’il faut corriger », estime Djibril Diallo, géologue et consultant minier. « À mon avis, il faudrait essayer de mettre en place une commission qui réfléchira à de bonnes solutions pour l’État, surtout concernant le cas des Chinois. Le gouvernement peut collaborer avec l’ambassade de Chine afin que ses ressortissants puissent travailler dans un cadre légal, en leur facilitant des zones d’exploitation tout en exigeant en retour le respect des mesures environnementales, sécuritaires et sanitaires », poursuit-il.
Cet expert minier, également Président de l’Association pour la promotion et la valorisation des ressources minérales du Mali (APVRM), va plus loin. Il propose l’organisation des États généraux du secteur pour aboutir à des solutions à long terme dans la lutte contre l’orpaillage illégal. De son point de vue, face au constat d’échec des collectivités locales dans la gestion de l’exploitation de l’or, l’État doit mettre en place une Agence nationale de gestion de l’orpaillage, qui travaillera en collaboration avec ces collectivités mais aussi avec la future Chambre des mines et se chargera de tout ce qui relève de cette activité, notamment l’organisation de l’exploitation de l’or et l’octroi des documents administratifs pour que les orpailleurs puissent travailler dans la légalité totale.
Par ailleurs, la suspension des permis d’exploitation des mines artisanales octroyés à des personnes de nationalité étrangère pourrait avoir certaines conséquences économiques et sociales, comme la réduction de la production artisanale de l’or qui impactera directement les revenus locaux, la hausse des tensions entre orpailleurs locaux et étrangers, sans oublier le risque d’augmentation du marché noir, des exploitations clandestines, ainsi que de possibles répercussions sur les investissements étrangers dans le secteur minier.
Un phénomène à la peau dure
Le nombre de sites abritant des mines artisanales, estimé entre 300 et 350 dans le pays, est très largement supérieur à celui des couloirs légaux d’orpaillage. Ces sites d’orpaillage illégaux se répartissent principalement dans trois régions. La région de Kayes, notamment la zone de Keniéba, avec 168 sites recensés, en abrite le plus grand nombre, suivie de la région de Sikasso, zone Kalana – Yanfolila (84 sites recensés) et de la zone de Bagoé – Kékoro, dans la région de Koulikoro, avec 18 sites. Avec une production estimée à environ 30 tonnes d’or par an, soit 6% de la production nationale, l’orpaillage illégal est pratiqué par plus de 400 000 Maliens et les revenus de plus de 2 millions de personnes y sont liés, selon les estimations.
Si l’orpaillage garde une place considérable dans l’économie locale des zones où il est pratiqué, il présente également et surtout de nombreux risques et a de lourdes conséquences sur plusieurs plans. Parmi ces multiples impacts, sur le plan sécuritaire les exploitations des mines artisanales sont dangereuses parce qu’elles se font sans équipements adaptés dans la plupart des cas. En outre, les normes minimales de sécurité ne sont pas respectées, causant très souvent des effondrements sur les différents sites.
Les répercussions environnementales de l’orpaillage illégal sont tout aussi fâcheuses. 33,3 tonnes de mercure sont utilisées annuellement, entraînant la pollution des sols et des cours d’eau. La rivière Falémé, par exemple, principal affluent du fleuve Sénégal, qui arrose plus d’une dizaine de communes de la Guinée, du Mali et du Sénégal, est largement polluée aujourd’hui, renfermant 214% de cyanure déversé par les activités liées à l’orpaillage illégal, soit 209 fois la norme autorisée. Le phénomène est aussi à la base de la déforestation et de la destruction des écosystèmes locaux.
Sur le plan social, l’orpaillage illégal est l’un des secteurs d’activités où persiste le travail des enfants. Selon les estimations, entre 20 000 et 40 000 d’entre eux sont impliqués dans les différentes activités de l’orpaillage à travers les divers sites. Par ailleurs, des conflits éclatent fréquemment entre, d’une part, les orpailleurs locaux et les étrangers, et, d’autre part, entre les orpailleurs (locaux et /ou étrangers) et les populations proches des sites d’exploitation minière artisanale.
Mohamed Kenouvi