La campagne agricole est en retard, principalement en raison de l’installation tardive des pluies. Un constat général qui n’occulte pas les autres difficultés de cette saison 2024 – 2025. L’une d’elles est l’indisponibilité de l’engrais subventionné par l’État. Bien qu’insuffisant, il permet aux paysans d’entamer la campagne sereinement. Ces derniers doivent donc désormais compter sur leurs propres moyens et produire à des coûts élevés et difficilement rentables. Compromettant ainsi les promesses d’une sécurité et d’une souveraineté alimentaires.
« Les premières pluies enregistrées n’ont pas été à la hauteur. Actuellement, les paysans sont en pleine période de semis. La seule zone en avance est celle de Sikasso », confie Lamine Coulibaly, Chargé de Communication à la Coordination nationale des organisations paysannes du Mali (CNOP). Une région où les premières céréales ont même germé, certaines étant en voie de maturité. En ce qui concerne les intrants, la zone a également reçu toutes les quantités d’engrais subventionnés attendus. Ce qui fait de la troisième région, située en pleine zone soudanienne, une véritable exception et une zone privilégiée pour cette campagne pour laquelle les attentes sont pourtant grandes. Le Mali prévoit de produire pour cette campagne 2024 – 2025, 11,1 millions de tonnes de céréales, soit 12,1% de plus que les prévisions de 2023 et mieux que les 9,9 millions de tonnes récoltées lors de la campagne précédente.
Les moyens des ambitions
Pour réussir, le Mali doit déployer d’importants moyens et espérer une bonne pluviométrie. Si elle s’est faite attendre, la saison des pluies semble bien engagée depuis la fin du mois de juin, avec des pluies régulières et quelques fois trop abondantes par endroits. Aux dires des experts, si la saison pluviale se poursuit jusqu’au mois d’octobre, la campagne sera à hauteur de souhait. Mais, pour une campagne réussie, la pluviométrie n’est qu’une des conditions. L’autre pilier, et non des moindres, pour des rendements importants, c’est l’apport d’engrais.
À l’exception notoire de Sikasso, aucun paysan n’a reçu d’engrais subventionné, selon le constat de la CNOP. Les paysans auxquels on promettait un sac d’urée par hectare sont obligés d’acquérir l’engrais au prix du marché. Soit par endroit 18 500 francs CFA et jusqu’à 25 000 francs dans certaines zones. L’engrais phosphaté quant à lui coûte environ 26 000 francs CFA. Ce qui offre aux paysans deux options, soit réduire considérablement les superficies cultivées et s’attendre à une réduction drastique des rendements avec le peu d’engrais disponible ou s’endetter et voir s’élever le coût de production.
Dans les régions productrices de coton dépendant de la pluie, certains ont renoncé tout simplement à la spéculation ou ont réduit considérablement leurs superficies, découragés par le retard constaté dans le paiement des ristournes, dont certaines ne sont pas encore totalement acquittées.
S’ils ignorent les causes du retard dans l’acheminement de l’engrais subventionné, les paysans estiment que cette problématique, devenue un véritable nœud gordien, n’est malheureusement pas une surprise. « Chaque année c’est le même scénario. L’engrais n’arrive pas au moment où les paysans en ont besoin », relève le Chargé de Communication de la CNOP.
La même problématique ressort chaque année, selon l’analyse de la Coordination et fait partie de ses recommandations pour une bonne campagne. Selon celles-ci, la disponibilité de l’engrais doit être effective au plus tard à la fin du mois de mai, parce que les cultures ont besoin d’engrais lorsqu’elles ont de l’eau, afin de favoriser leur croissance. Le circuit de distribution reste complexe et répond de moins en moins aux attentes des paysans.
Retour aux cultures vivrières ?
Mahamadou Sogoba est producteur dans la localité de Dèbèla, qui regroupe 5 Associations villageoises (AV) de la commune de Zamina, arrondissement de M’Pessoba. L’hivernage s’y déroule plutôt bien, selon lui, et si cela continue ainsi les attentes seront comblées, espère-t-il. Dans ce secteur de M’Pessoba, où il est producteur depuis 1987, il cultive du coton, du maïs, du sorgho et du mil sur environ 11 hectares.
Même plus abondantes que l’année dernière, il préfère les pluies de cette année à la sècheresse dernière. S’il y a eu des inondations dans la zone, sa localité n’est pas concernée, heureusement. Mais la principale difficulté enregistrée par M. Sogoba concerne la fourniture de l’engrais. « Surtout pour ceux qui ne cultivent pas le coton », précise-t-il. Ce qui nous met en insécurité alimentaire, c’est le manque d’engrais, prévient M. Sogoba. L’année dernière, ils « n’avaient droit qu’à 2 sacs par hectare ». Cette année, « nous avons forcé pour avoir 3 sacs par hectare », parce qu’actuellement impossible de cultiver sans engrais, surtout avec des sols dégradés, se défend-il. Après le coton et le maïs, le reste de l’engrais subventionné n’est pas remis pour les autres céréales, dont le mil. Le coton n’ayant pas été semé tôt, le nombre d’hectares prévu a été diminué, donc « ils veulent repartir avec le reste », ajoute M. Sogoba.
À leur niveau, ils disposent actuellement d’environ 50% de leurs besoins, mais d’autres AV ont beaucoup moins, assure notre interlocuteur. Les paysans continuent donc à ne pas disposer d’engrais. Celui de la Chambre d’agriculture « est donné aux commerçants chez lesquels nous devons acheter le sac 25 000 francs CFA ». Ce qui est loin d’être à la portée de tous. Pour M. Sogoba, la disponibilité de l’engrais est donc indispensable pour « pouvoir travailler et pour lutter contre l’insécurité alimentaire ».
À ce rythme la culture du coton risque d’être abandonnée, « parce le revenu que nous gagnons ne suffit pas pour acheter notre nourriture ». Surtout qu’au moment où les ristournes sont payées le prix du mil est très élevé.
Réussir l’adaptation
Principalement destiné aux cotonculteurs, l’engrais subventionné est aussi sollicité pour les céréales, vers lesquelles les paysans continuent de se focaliser. Depuis le conflit entre la Russie et l’Ukraine et la crise de Covid-19, l’inflation a entraîné un renchérissement des coûts et apporté des obstacles supplémentaires dans la distribution de l’engrais, conséquences que les autorités ont du mal à juguler. Si l’État continue la subvention, elle ne répond qu’à environ 50% de la demande. Dans cette situation, les paysans font donc ce qu’ils peuvent pour s’en sortir.
Ce qui pousse la CNOP à inciter notamment les paysans à l’utilisation des engrais organiques pour continuer à booster la production et pour fournir une alimentation saine aux populations. Une autre alternative est le développement de l’agro-écologie pour une gestion rationnelle de l’environnement. Un travail qui commence à faire tache d’huile, à en croire les paysans de Wakoro, dans la zone de Dioïla. Cela leur a permis de s’en sortir. Une idée à laquelle l’État adhère en subventionnant davantage l’engrais organique que l’engrais chimique.
À la mi-juillet, on enregistrait 11% de surfaces cultivées pour le riz. Un pourcentage en deçà de celui de l’année dernière, mais les semis peuvent continuer, expliquent les responsables de l’Agriculture. Pour les autres céréales, le taux est de 18%. En ce qui concerne le coton, dont il est prévu de cultiver une superficie de 757 000 ha, 70% sont déjà plantés, contre 90% à la même période l’année dernière. Si la saison n’est pas pour autant compromise, les objectifs assignés paraissent bien ambitieux au regard des défis déjà recensés.
Si l’objectif reste de faire parvenir la quantité d’engrais nécessaire aux paysans, l’issue de la campagne reste incertaine pour nombre d’acteurs. À Dialassagou, l’hivernage est en retard, pas à cause de la pluie mais de l’insécurité, explique un producteur de la zone. C’est désormais par rotation qu’ils font les semis, qui ne sont pas encore terminés. La contrainte majeure, « c’est l’insécurité, qui nous a empêché de cultiver ». Au lieu de 10 à 15 hectares, certains se sont limités à 2 hectares, parce qu’ils ne peuvent pas aller au-delà de 2 kilomètres. Le même phénomène a rendu inaccessible l’engrais, dont « on est en train de se passer ». Pour répondre à ce manque, ils se tournent vers l’engrais organique, sauf que pour ce faire il faut disposer d’animaux eux-mêmes menacés par l’insécurité. Ces paysans préconisent donc de transformer l’agriculture, de l’intensifier et de produire pour la vente plutôt que de se contenter de l’agriculture de subsistance.