Amadou Mahtar Mbow : Un humaniste intransigeant et un passionné de l’Afrique

Amadou Mahtar MBow, éminent homme de culture sénégalais né le 20 mars 1921, est décédé le mardi 24 septembre à Dakar, à 103 ans. Professeur de géographie, il fut plusieurs fois ministre durant le magistère de Léopold Sedar Senghor, avant d’entrer en 1970 à l’UNESCO, qu’il dirigera de 1974 à 1987. Diomansi Bomboté, journaliste et ancien fonctionnaire de l’UNESCO durant une vingtaine d’années, témoigne.

Ce qui impressionnait dès qu’on rencontrait Ahmadou Mahtar Mbow, ou qu’on l’entendait parler pour la première fois, c’était sa voix puissante et rocailleuse, marquée par la fermeté et qui traduisait une personnalité hors du commun. Les souvenirs qu’il laissera à ses proches et à la postérité seront ceux d’un homme au courage exceptionnel, même si certains, en désaccord avec ses convictions, le jugeront téméraire.

Ses convictions profondes, qu’il portait en lui avec une force inébranlable, incluaient la justice pour tous, l’autodétermination et l’émancipation de l’Afrique, ainsi que la liberté et la solidarité entre les hommes et les nations. Ces idéaux ont été façonnés tout au long d’un parcours riche, marqué notamment par son engagement, alors étudiant à la Sorbonne, au sein de la Fédération des étudiants de l’Afrique noire en France (FEANF), qu’il a présidée, et par sa participation à la création du Parti du Rassemblement Africain (PRA – Sénégal).

Je garde un souvenir précis d’Amadou Mahtar Mbow, de la période où j’ai eu l’honneur de travailler à ses côtés à l’UNESCO, d’abord dans le secteur de la communication, puis à l’Office de l’information publique, de 1979 à 2002. Son caractère trempé et sa force exceptionnelle étaient évidents. À la tête de l’UNESCO entre 1974 et 1987, il a servi avec loyauté et détermination les grandes causes de l’humanité : les droits de l’Homme, l’éducation pour tous, la promotion des femmes, la culture au service du développement, et les sciences exactes, physiques et humaines.

Mais ce qui marquait le plus chez lui, c’était son attachement presque obsessionnel à l’émancipation de l’Afrique, qu’il a défendue avec une passion inébranlable. En voulant protéger les intérêts de l’Afrique face à un monde international souvent déséquilibré et injustement favorable aux nations industrialisées, il s’est heurté à de nombreuses incompréhensions, particulièrement de la part de puissances étrangères, en particulier occidentales.

Au moment où Amadou Mahtar Mbow arrivait à la tête de l’UNESCO, les fonctionnaires africains représentaient à peine 6% du personnel, une anomalie quand on sait que l’Afrique, sur les 190 membres de l’Organisation, en comptait plus d’une cinquantaine. Il a porté cette proportion à 18%. Mbow était aussi un bourreau de travail. Souvent, dès 7h du matin, il était à son bureau, qu’il ne quittait, sans discontinuer, qu’à 20h. À plus de 60 ans, il n’hésitait pas à affronter les rigueurs du jeûne au mois de Ramadan. L’esprit lucide, il décortiquait, avec une surprenante perspicacité, des dossiers aussi variés qu’ardus. Et il se montrait intraitable avec les fonctionnaires tire-au-flanc dans leurs tâches.

Lors des discussions autour des programmes de l’UNESCO, il restait inflexible face à toute tentative de compromettre les projets en faveur des pays en développement, notamment ceux d’Afrique. Combatif, il était allergique aux compromis qui pouvaient nuire à ses principes. Sa radicalité dans la défense de ses idées se manifestait même face à ses proches, qui pouvaient parfois essayer de le faire fléchir. Courtois, élégant et profondément pieux, il pouvait néanmoins exploser de colère pour déjouer des manœuvres visant à le faire céder.

Cependant, il n’était pas un intransigeant borné. Il savait composer lorsque cela servait un objectif plus grand, notamment en étant l’artisan du consensus à l’UNESCO lors de moments de crise. Le consensus, ce mécanisme visant à concilier des points de vue initialement inconciliables sans provoquer de frustration par un vote, a permis à l’Organisation de surmonter des débats tendus, comme ceux sur les « Droits de l’Homme et des peuples » ou sur le Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (NOMIC) dans les années 80.

Les péripéties regrettables nées de malentendus et d’incompréhensions lors d’un 3ème mandat brigué à la tête de l’UNESCO n’ont en rien terni la stature de cet homme emblématique et infatigable, consacré jusqu’à son dernier souffle à la défense de l’honneur et de la dignité de l’Afrique.

Diomansi Bomboté, journaliste

Trésors Humains vivants : le Mali proclame 6 nouvelles personnalités

Six nouveaux trésors vivants (THV) figurent désormais au patrimoine culturel immatériel du Mali pour 2022. Personnalités exceptionnelles, reconnues pour leur savoir faire ou leur savoir être, elles incarnent la reconnaissance de valeurs fondatrices et ont un rôle indispensable dans la création ou la sauvegarde des patrimoines culturels.

Leurs compétences se manifestent dans plusieurs domaines que sont l’artisanat, l’architecture de terre, la pharmacopée, la magie, les religions africaines, la géomancie ou encore la médiation sociale et culturelle.

Au Mali, la commission nationale de sélection a été mise en place en 2008 et est à sa troisième sélection. Après celle de 2008 qui a proclamé 7 Trésors Humains Vivants et 5 en 2019, c’est au tour de Mouhamedou Ould Cheikh Hamahoullah Haidara dit Bouyé, autorité morale et médiateur social, Mamadou Boubou Niang, tradithérapeute magicien, Cheik Malifalifou Yiriba Diarra, tradithérapeute, historien traditionaliste, Hanna Kodio, tradithérapeute, Mme Diakité Hadja Youma Aïssata Kébé, médiatrice socioculturelle et Lassana Sidy Mouleikafo, tradithérapeute d’être proclamés en 2022.

« Je suis très content, parce que cela est une chance. Être reconnu après 26 ans par le gouvernement et à travers le monde est un grand motif de satisfaction. Nous allons redoubler d’ardeur pour travailler comme nous l’avons déjà fait et transmettre ce que nous avons reçu, c’est un devoir », s’est réjoui Lassana Sidy Mouleikafo, après sa proclamation ce 5 janvier 2023.

Le patrimoine matériel qui valorise les sites des monuments historiques et témoignent de l’histoire des peuples et des civilisations. Ces derniers sont construits par des génies, par des acteurs traditionnels ou religieux, détenteurs de savoirs et socles des valeurs identitaires, indique M. Edmond Moukala, représentant de l’UNESCO au Mali.

Ne pas reconnaître, donc « leur contribution, les efforts qu’ils consentent pour transférer le savoir aux futures générations est un manquement que l’UNESCO a voulu corriger en 1993 en encourageant la mise en place des trésors humains vivants et en les reconnaissant ».

C’est pourquoi la proclamation de ces THV est un symbole fort de reconnaissance à l’endroit des acteurs culturels mais aussi à l’endroit de la nouvelle génération afin qu’elle puisse acquérir des savoirs, et s’inspirer des valeurs de paix, de développement et de cohésion sociale, a conclu le représentant de l’UNESCO.