Transition : Silencieuse, la classe politique condamnée à la pénombre

Trois mois après la levée de la mesure d’interdiction des activités des partis politiques, la classe politique malienne peine à reprendre la parole et à jouer pleinement son rôle dans l’espace public. La plupart des leaders restent dans l’ombre, absents des débats publics, et souffrent d’une perte de popularité auprès de l’opinion générale. Les partis politiques semblent avoir déserté l’animation de la vie publique, une attitude dictée par divers facteurs contextuels qui alimente le débat sur la survie des partis et l’avenir du système démocratique au Mali.

Les partis politiques, autrefois très vocaux dans leur opposition à l’interdiction de leurs activités, ont durement critiqué la décision prise par le gouvernement le 10 avril 2024. Ils réclamaient sans cesse la levée de cette mesure, qui empêchait toute forme d’activité politique, tant pour les partis que pour les associations politiques. Cependant, depuis que les autorités de la Transition ont fait marche arrière et levé cette interdiction, le 10 juillet dernier, les partis politiques, loin de se précipiter pour occuper à nouveau l’espace, semblent fonctionner au ralenti, suscitant des interrogations sur leur stratégie et leurs priorités.

Silence pesant et absence de leadership

Le manque d’activités publiques, les choix délibérés de ne pas se prononcer sur les sujets d’actualité, ainsi que l’absence de prises de position fortes de ses leaders montrent une classe politique qui affiche un profil bas. À l’exception de quelques formations, dont les responsables font de timides tentatives pour rester actifs et visibles dans la sphère publique, la majorité des partis politiques semble s’être repliées dans une posture d’attente et de silence.

Une partie de cette discrétion peut s’expliquer par la solidarité avec les 11 leaders politiques de la Coalition du 31 mars arrêtés depuis juin dernier. Les partis affiliés à cette coalition ont choisi de suspendre leur participation active à la vie politique, en signe de protestation et de solidarité, espérant obtenir la libération de leurs camarades. Cette situation crée une sorte de paralysie au sein de l’ensemble de la classe politique, freinant toute tentative d’autres acteurs de s’exprimer librement ou de s’engager dans des activités politiques visibles.

Diverses raisons à ce silence

Le silence actuel des partis politiques ne peut pas être attribué à une cause unique. Les motivations varient considérablement d’un parti à l’autre et sont influencées par des calculs politiques, des peurs ou des stratégies de positionnement. Hamidou Doumbia, Secrétaire politique du parti Yelema, l’un des rares partis encore actifs sur la scène politique, évoque des facteurs internes qui poussent à l’autocensure.

« L’autocensure est motivée par une certaine peur, mais aussi par un souci de positionnement stratégique. Certains pensent que les autorités de la Transition jouissent encore d’une certaine popularité, même si cette perception est erronée. Ils craignent qu’en prenant des positions impopulaires, ils ne risquent de perdre des soutiens électoraux », explique-t-il.

Hamidou Doumbia poursuit en détaillant d’autres attitudes observées parmi les partis : « certains adoptent une approche opportuniste, préférant attendre que le paysage politique se redessine avant de prendre des risques. Ils estiment qu’il est plus prudent de garder le silence et d’attendre le moment opportun, plutôt que de compromettre leurs chances futures. »

Rétrécissement et discrédit

Au-delà des raisons spécifiques à chaque parti, de nombreux observateurs s’accordent pour dire que l’espace politique au Mali s’est rétréci de façon significative depuis le début de la Transition. Ces restrictions limitent la capacité des partis politiques à mener des actions significatives et à s’exprimer librement. Soumaila Lah, chercheur et Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la Sécurité, souligne que « les contraintes actuelles empêchent les partis politiques d’agir comme ils le devraient, les forçant à adopter une posture d’observation ».

Ce contexte difficile est également aggravé par la perception négative que l’opinion publique a des partis politiques, souvent perçus comme responsables des échecs de la gouvernance précédente. Dr. Bréhima Mamadou Koné, politologue, rappelle que : « le discrédit jeté sur la classe politique au cours des dernières années est en partie responsable du silence des partis. On les accuse d’être les seuls responsables de l’effondrement de l’État, ce qui est une vision simpliste et réductrice de la réalité ».

Nouhoum Togo, Président du parti USR (Union pour la sauvegarde de la République), ajoute : « on assiste à une campagne de discrédit contre les hommes politiques. Pourtant, malgré leurs défauts, ce sont eux qui ont l’expérience nécessaire pour gérer le pays. »

La démocratie mise en péril

L’absence de débats publics et la réduction de l’espace de liberté d’expression, accentuée par la loi sur la cybercriminalité, ont un impact direct sur le fonctionnement de la démocratie au Mali. Dr. Koné l’explique : « aujourd’hui, beaucoup ont peur de s’exprimer, de peur d’être accusés ou persécutés s’ils critiquent les autorités de la Transition ».

Cette situation a renforcé chez certains l’idée que la gestion militaire est préférable à un retour à un régime démocratique, souvent jugé inefficace et corrompu. Cependant, tous ne partagent pas cette opinion. « Remettre en question la démocratie, c’est se tromper de cible », déclare Soumaila Lah. « Ce n’est pas le principe de la démocratie qui pose problème, mais la manière dont elle a été appliquée au Mali ».

Hibernation ou extinction ?

La situation actuelle pose la question de la survie des partis politiques. Les critiques et les menaces de réduction de leur nombre, voire leur disparition, figurent parmi les recommandations des derniers forums nationaux, tels que les Assises nationales de la Refondation et le Dialogue Inter-Maliens pour la paix et la réconciliation. La question est de savoir si les partis politiques sont simplement en hibernation, attendant des temps meilleurs, ou s’ils sont voués à une disparition orchestrée par les autorités actuelles et soutenue par l’opinion publique.

Pour Soumaila Lah, « une République sans partis politiques n’est pas envisageable. Même si les circonstances actuelles sont difficiles, les partis politiques reviendront sur le devant de la scène lorsque la tempête se sera calmée ».

Hamidou Doumbia partage cet avis : « il est probable que la scène politique se reconfigure, que certains partis perdent de leur représentativité, mais la politique continuera, que ce soit avec les acteurs actuels ou avec de nouveaux visages ».

Mohamed Kenouvi

Réduction du nombre de partis : quelle nouvelle architecture politique?

Cela figurait déjà parmi les recommandations des Assises nationales de la Refondation, il y a un peu moins de 2 ans et demi. Le Dialogue inter-Maliens pour la paix et la réconciliation nationale, qui s’est achevé le 10 mai dernier, l’a réitéré. La réduction du nombre des partis politiques semble de plus en plus promise à une mise en œuvre effective prochaine. Cela laisse entrevoir une nouvelle architecture de la classe politique, dont la configuration pourrait profondément évoluer.

Gauche, Droite ou Centre. Républicains ou Démocrates. La politique malienne va-t-elle muer dans les années à venir vers un système occidental ou du moins s’en inspirer pour redéfinir son architecture ? Une chose est sûre, une importante partie des Maliens estime qu’il faut traiter la pléthore de partis politiques qui existe aujourd’hui dans le pays en limitant leur nombre.

Certes, le Dialogue inter-Maliens qui vient de s’achever a recommandé de réduire le nombre des partis, de durcir les conditions de leur création et de supprimer le financement public à leur endroit, mais la procédure à adopter, notamment les critères, pour parvenir à un nombre réduit de formations politiques n’est pas encore clairement définie.

D’ailleurs, certains analystes se dressent contre cette recommandation, d’autant plus que, selon eux, sa mise en œuvre créera plus de problèmes qu’elle n’en résoudra. « À mon avis, une réduction des partis politiques va nous conduire dans une autre polémique, alors que le pays a d’autres défis à relever. Quels partis supprimer et quels partis maintenir alors que tous les partis sont légalement et juridiquement constitués ? », s’interroge le politologue Ballan Diakité.

Pour sa part, Dr Bréhima Koné, politologue, est catégorique : réduire le nombre des partis politiques est anti-démocratique et anti-républicain. « La création des partis est consacrée par la Constitution. Si on en réduit le nombre, on va vers une violation de la Loi fondamentale et ces partis peuvent saisir les juridictions compétentes », clame-t-il.

Blocs idéologiques

Si les analystes sont contre une réduction drastique du nombre des partis, ils sont en revanche d’accord sur la nécessité d’une réorganisation de la classe politique malienne. La nouvelle architecture pourrait consacrer la naissance d’un « modèle politique malien ».

« La plupart des partis politiques au Mali sont d’idéologie socialiste ou libérale. Je pense que les partis peuvent se regrouper en fonction de leur idéologie pour réduire la pléthore qui existe aujourd’hui », suggère Jean-François Marie Camara, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences administratives ( FSAP) de Bamako.

Bréhima Mamadou Koné abonde dans le même sens. « Il faut réorganiser les partis politiques en les constituant en 3 blocs en fonction des idéologies. Les partis politiques à tendance socialiste peuvent constituer un bloc, ceux de la tendance libéral peuvent aussi en constituer un et pareil pour les partis qui se réclament du Centre », dit-il. Pour ce politologue, une telle reconfiguration présenterait d’ailleurs plusieurs avantages pour la classe politique et pour le pays.

« Cela permettra non seulement aux partis politiques d’être efficaces et efficients dans la formation des citoyens, mais aussi à l’État de réduire le coût de financement des formations politiques. Au lieu de financer les partis individuellement, on pourra mettre en place un mécanisme qui permettra de financer ces 3 blocs », avance M. Koné.

« Une telle configuration permettrait également d’éviter les contestations après les élections. Si on a 3 blocs, cela veut dire que pour l’élection présidentielle on n’aura que 3 candidats, à l’exception des candidatures indépendantes », poursuit -il.

« Guerre » de leadership ?

Dans un environnement politique déjà gangrené par la personnification des partis politiques, le risque d’une accentuation des crises de leadership au sein des éventuels futurs blocs idéologiques n’est pas à écarter.

« Une architecture politique en blocs peut créer un autre problème, celui de la capacité des leaders politiques à s’unir autour d’un idéal au sein d’un seul parti », craint Jean-François Camara.

Mais pour Bréhima Mamadou Koné, cette question devrait être réglée par une relecture de la Charte des partis politiques. « L’accession à la tête d’un bloc doit intervenir au bout d’un processus électoral transparent et on doit exiger des partis d’organiser des primaires pour choisir leurs candidats aux différentes élections », argue le politologue.

Dialogue inter-Maliens : mal embarqué ?

La première phase du Dialogue inter-Maliens s’est achevée le 15 avril dans les différentes communes du pays. Alors que ce dialogue vise à contribuer à la restauration de la paix, de la cohésion sociale et de la réconciliation nationale, certaines propositions issues des échanges vont dans le sens d’une prolongation de la Transition. Boycotté en outre par des acteurs majeurs de la classe politique et certains groupes armés rebelles du nord, le dialogue voit sa réussite déjà compromise.

Les phases régionale et nationale du Dialogue inter-Maliens doivent se tenir respectivement du 20 au 22 avril et du 6 au 10 mai 2024. Mais le ton a été déjà donné dans les différentes communes, du 13 au 15 avril dernier. Les travaux au niveau communal, qui se sont globalement bien déroulés sur l’ensemble du territoire national, ont abouti à des recommandations en rapport avec les thématiques soumises aux participants, à savoir « Paix, réconciliation nationale et cohésion sociale », « Questions politiques et institutionnelles », « Économie et développement durable », « Aspects sécuritaires et défense du territoire » et « Géopolitique et environnement international ».

Différentes propositions ont été faites lors de ces échanges. Dans la Commune III du District de Bamako, pour ce qui est de l’économie et du développement durable, certains participants proposent de développer le secteur primaire, la pêche, l’élevage et surtout l’agriculture, de promouvoir l’entreprenariat et la consommation locale et de « contrôler au maximum notre économie pour créer notre propre monnaie ».

Concernant la question sécuritaire et de défense du territoire, ils recommandent de  recruter le maximum de jeunes volontaires pour la défense de la patrie, d’acquérir des armements de guerre modernes et de renforcer les écoles de guerre. Sur la même thématique, en Commune II, les participants recommandent l’instauration d’une police de proximité et une meilleure collaboration entre la population et les forces de défense et de sécurité.

À Bafoulabé, les participants ont opté pour un désenclavement du cercle, qui doit « impérativement passer par la construction de ponts sur le fleuve Sénégal à Bafoulabé et ses voies d’accès », et la révision des cahiers de charges des unités de production pour favoriser le recrutement des jeunes locaux. Ils ont aussi plaidé pour que les ressources naturelles du cercle « brillent pour les communes où elles sont exploitées ».

Parmi les recommandations à Ansongo, dans la région de Gao, on note essentiellement le retour des réfugiés et l’érection du cercle en région, tandis qu’à Goundam, dans la région de Tombouctou, les participants ont insisté sur le retour de la paix dans la région.

Du coté de Bandiagara, dans le centre, l’intégration des combattants des groupes armés d’autodéfense dans les rangs des forces armés, la dissolution des milices, la reconstruction des villages endommagés ainsi que le retour effectif de tous les déplacés dans leurs localités respectives sont les principales recommandations faites.

Dialogue taillé sur mesure ?

Dans la thématique consacrée aux questions politiques et institutionnelles, certaines communes proposent une nouvelle prolongation de la Transition. Cette proposition de prolongation, allant de 30 mois à 10 ans ou encore jusqu’à la sécurisation complète et la stabilisation du pays, est revenue à plusieurs reprises, notamment, entre autres, à Bafoulabé, Ségou, Kidal et Gao.

Même si ces recommandations doivent encore être validées au niveau régional avant d’être retenues ou non au niveau national, elles suscitent déjà des interrogations sur d’éventuels objectifs inavoués qui auraient motivé la tenue de ce Dialogue inter-Maliens.

« Ce dialogue est un outil comme tant d’autres qui ont été utilisés au moment de l’adoption de la Charte de la Transition ou encore des Assises nationales de la refondation. Tous les canaux de discussion qui ont eu lieu depuis le début de cette transition n’ont servi qu’à légitimer des causes déjà connues à l’avance et le Dialogue inter-Maliens ne fera pas exception à cette règle », pense Dr. Amidou Tidjani, enseignant-chercheur à l’Université Paris-13.

Mais pour certains les recommandations sur la prolongation de la Transition sont « hors sujet » et doivent être recadrées conformément aux objectifs du dialogue. En effet, selon les termes de référence validés au plan national et soumis au Président de la Transition, les objectifs spécifiques du dialogue inter-Maliens sont, entres autres, d’identifier les sources des crises qui affectent le pays ainsi que les conditions de retour des réfugiés et des déplacés, de prévenir et de gérer les conflits en valorisant les mécanismes endogènes de gestion pour la consolidation de la paix, de renforcer la confiance entre les populations et les forces armées et de sécurité ou encore de renforcer la participation des femmes, des jeunes et des personnes vivants avec un handicap dans les mécanismes de prévention et de résolution des conflits.

Du plomb dans l’aile ?

En plus de l’orientation ambiguë que semble avoir prise le Dialogue inter-Maliens à l’issue de la première phase au niveau des communes, le processus, qui se veut inclusif et ouvert à tous les Maliens, est boycotté par une grande partie de la classe politique et les groupes armés réunis au sein du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD).

En riposte à la décision des autorités de transition de suspendre jusqu’à nouvel ordre les activités des partis politiques, plusieurs formations majeures à l’instar de l’Adema-PASJ, du parti Yelema, du RPM, du Parena, de la Codem, de l’ASMA-CFP, de l’UDD et du PDES, entre autres, ont enjoint à leurs militants de pas prendre part aux travaux de ce dialogue.

Pour les groupes armés du CSP, le Dialogue inter-Maliens est un « simulacre de dialogue ». « S’il y a un problème aujourd’hui, c’est bien entre les représentants de l’État et ceux du CSP et des mouvements djihadistes tels que le JNIM. Je ne vois pas l’objectif d’un dialogue qui exclut ces parties », martèle Mohamed El Maouloud Ramadane, Porte-parole du CSP.

L’absence de ces différents acteurs va-t-elle impacter l’efficacité du Dialogue inter-Maliens et la viabilité des recommandations pour la paix et la réconciliation nationale qui vont en découler ? Les avis sont partagés sur la question. « L’absence des groupes armés et de certains partis politiques n’est pas un frein à la réussite du dialogue. Dans un pays en crise, s’il y a des groupes qui ont pris les armes contre l’État et contre les populations civiles, on ne peut pas les inviter à un dialogue sans qu’ils acceptent de faire une trêve », soutient le politologue Bréhima Mamadou Koné.

Dr. Amidou Tidiani partage cet avis, même si les raisons qu’il met en avant ne vont pas dans le même sens. « Je pense que l’absence des partis politiques ne portera pas de coup au Dialogue inter-Maliens. Au contraire, c’est une occasion pour les autorités de la Transition, qui ont pour projet de délégitimer les partis politiques, d’utiliser ce dialogue pour arriver à cette fin », avance l’enseignant-chercheur.

Par contre, pour Soumaila Lah, analyste politique et Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la Sécurité, « aller à ce dialogue avec les paramètres actuels c’est le faire souffrir d’un manque de légitimité et, à la fin, beaucoup ne se reconnaitront pas dans les conclusions ».

« L’essence d’un dialogue est de réconcilier des gens qui ont des positions différentes. Mais aujourd’hui ce dialogue crée plus d’antagonismes entre les Maliens que de points de convergence », déplore celui qui soutient également que les autorités auraient véritablement dû travailler en amont pour rechercher l’inclusivité, peu importe les antagonismes.

Référendum : comment les partis politiques se préparent ?

Le référendum constitutionnel, prévu pour le 18 juin prochain, approche à grands pas. À deux semaines de l’ouverture de la campagne référendaire, la classe politique continue d’être divisée sur la légalité de ce scrutin, mais aussi sur la consigne de vote à donner. Malgré les divisions apparentes, les partis politiques ne comptent pas le boycotter. Si certains affichent déjà leur option pour le « Oui », d’autres, opposés au projet pour la plupart, jouent la carte de la prudence.

Le compte à rebours est bien lancé dans les partis politiques depuis l’annonce de la convocation du collège électoral le 5 mai dernier. Répondant à l’appel du Président de la Transition pour contribuer à la vulgarisation du texte du projet de nouvelle Constitution, certains s’investissent auprès de leurs bases pour une meilleure imprégnation de leurs militants. C’est le cas de l’URD, dont le « Oui » au référendum était un secret de polichinelle, ou encore de l’ADP-Maliba de l’ancien candidat à la présidentielle Aliou Boubacar Diallo.

Le parti de la Poignée de mains est d’ailleurs déjà dans l’arène, avec la Forsat Civile, pour la campagne de vulgarisation et surtout pour une victoire du « Oui » le 18 juin. Le 13 mai 2023, le Forum des forces du changement  (FFC), dont le Président de l’URD Gouagnon Coulibaly avait annoncé la gestation en début d’année, lors de la présentation de ses vœux à la presse, a été officiellement lancé. Outre ces deux fers de lance, il regroupe près d’une vingtaine d’organisations de la société civile, dont, entre autres, Yerewolo Debout sur les remparts et le Mouvement Mali Espoir (MME). Selon les responsables du FFC, une stratégie efficace de campagne sera définie dans les prochains jours pour atteindre une « victoire écrasante du Oui » à l’issue du référendum.

Même combat, approche différente. À l’ADP-Maliba, on mise beaucoup plus sur l’appropriation du document du projet de nouvelle Constitution au niveau des bases du parti. « Notre travail de vulgarisation se  matérialise au niveau de nos rentrées politiques à Nioro du Sahel, à Yanfolila et à Dioïla. Nous avons saisi l’occasion de ces différentes rencontres pour remettre symboliquement des copies du projet de Constitution à nos représentants qui viennent de ces sous-sections pour qu’ils le vulgarisent auprès de nos militants à la base », confie Me Abdoulaye Sidibé, Secrétaire général du parti.

« Prudence »

Au Rpdm comme chez les Fare An ka wuli, le ton est tout autre. Le parti de l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, qui a déjà appelé les autorités de la Transition à abandonner le projet d’adoption d’une nouvelle Constitution, estime qu’il n’est pas encore question d’appeler au Oui ou au Non tant « que nous ne serons pas sûrs que la version finale du document est effectivement celle dont nous disposons ». À  en croire une source au sein du parti, plusieurs versions du projet de Constitution circulent et le risque que les partis politiques se prononcent sur la base d’un document non officiel est réel.

Le Rpdm de Cheick Modibo Diarra, malgré ses réserves sur le changement de Constitution, compte bien lui se plier à la volonté de la majorité des Maliens, mais continue toujours de plancher en interne sur la conduite à tenir face à ce « cas spécial, que le parti doit aborder avec sagesse », selon son Vice-président Yagaré Baba Diakité.

Reconquérir l’opinion

Selon Dr. Amidou Tidjani, enseignant-chercheur à l’Université Paris 13 (Sorbonne – Paris Nord), les partis politiques ne pourront pas se préparer en seulement un mois pour aller à ce référendum dans les conditions maximales. Mais, au-delà du timing, ils doivent faire également face à un défi de taille, celui de la reconquête de l’opinion populaire parce que, avance-t-il, « aujourd’hui ces partis politiques sont discrédités et c’est aussi en partie l’échec de cette classe politique qui justifie l’important soutien des populations au gouvernement de transition ».

À l’en croire, par ailleurs, rares sont les partis politiques qui oseront faire campagne pour le « Non » au risque d’être confrontés à un rejet de la population. « À mon sens », conclut-il, « ceux qui sont opposés au projet opteront pour l’option du silence plutôt que pour une véritable campagne ».

Nouvelle Constitution : Assimi Goïta va-t-il céder à la pression politique ?

Enclenché en juin 2022, le processus d’adoption d’une nouvelle Constitution, en remplacement de celle du 25 février 1992, se poursuit. Mais, à l’approche du référendum prévu pour mars prochain, de plus en plus d’acteurs politiques s’y opposent, appelant à un abandon du projet. Le Président de la Transition, déjà tourné vers la finalisation du texte de l’avant-projet de nouvelle Constitution, va-t-il céder à cette pression et surseoir à l’adoption de cette nouvelle Loi fondamentale du Mali ?

C’était l’une des recommandations fortes des Assises nationales de la refondation (ANR), fin 2021. L’adoption d’une nouvelle Constitution figure également dans le Plan d’action du gouvernement de transition approuvé par le Conseil national de transition en août 2021.

Mais, dès le départ, le sujet a toujours divisé la classe politique. Si le constat est unanime sur les limites de l’actuelle constitution et la nécessité de la réviser ou de la remplacer, les positions sont par contre très tranchées sur la période et le contexte de l’adoption d’une nouvelle Constitution et sur le contenu de l’avant-projet rendu par la Commission de rédaction en octobre dernier.

Vague d’oppositions

Au sein de la classe politique, quelques partis sont farouchement opposés à l’adoption d’une nouvelle Constitution. C’est le cas de Convention nationale pour une Afrique solidaire (CNAS Faso Hèrè). Dans un communiqué, le 10 janvier 2023, le parti de l’ancien Premier ministre de transition de 1991, Zoumana Sacko, s’est une nouvelle fois insurgé contre l’adoption d’une « Constitution octroyée » dont le « peuple militant du Mali » n’a pas besoin.

« La CNAS-Faso Hèrè invite à nouveau les autorités issues du double coup de force militaire du 18 août 2020 et du 25 mai 2021 à renoncer définitivement et sans condition à leur entreprise antirépublicaine et antidémocratique de démolition de la Constitution démocratique, dont le Peuple malien s’est librement doté au prix des larmes, de la sueur et du sang, en tant qu’acquis essentiel de la lutte de plusieurs générations contre la dictature CMLN/UDPM », écrit le parti, pour lequel le retour à l’ordre constitutionnel doit se faire dans le « cadre inchangé de la Constitution adoptée le 12 janvier 1992 ».

Même son de cloche au parti FARE An Ka Wuli de l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, où l’on estime que toute révision de la Constitution actuelle devrait être limitée et rigoureusement encadrée par les dispositions déjà prévues. « Le parti FARE demande au Président de la Transition d’abandonner le projet de nouvelle Constitution en cours et l’invite à reprendre l’initiative en créant les conditions d’inclusivité autour des forces politiques et sociales pour une refondation réelle du Mali en crise », indique son  Secrétariat exécutif national.

Cette position est partagée par la plateforme politique « Espérance Nouvelle – Jigiya Kura » autour de la Codem de l’ancien ministre de l’Éducation nationale Housseini Amion Guindo, qui avait demandé dès juillet 2022 aux autorités de transition de surseoir à la rédaction d’une nouvelle Constitution, en raison des « motivations floues » qui entouraient cette démarche. Pour ce regroupement politique, le contexte de « crise multidimensionnelle, où la sécurité des personnes et des biens est plus que jamais menacée », n’est pas propice à modification de la Constitution.

Pour la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS) de l’Imam Dicko, « aucune disposition du droit positif ne donne compétence au Président de la Transition pour prendre l’initiative de l’élaboration d’une nouvelle Constitution et de la faire aboutir par voie de référendum ».

Ballan Diakité, analyste politique, pense que plusieurs facteurs expliquent les appels à l’abandon du projet qui se multiplient. « D’abord, les partis politiques ne sont pas rassurés par le contenu du texte de la nouvelle Constitution. Ensuite, au-delà du contenu, je pense qu’il y a un climat défavorable entre les partis politiques et les militaires au pouvoir. On sait que depuis le début de la Transition les militaires ont tout fait pour écarter les partis politiques de la gestion du pouvoir, ce qui a conduit à l’instauration d’une méfiance entre les deux parties », analyse-t-il.

Pour autant, selon lui, le Président de la Transition ne doit pas surseoir au projet d’adoption de la nouvelle Constitution mais plutôt établir un cadre de dialogue plus sincère avec les partis politiques, plus participatif, de sorte que leurs préoccupations puissent être prises en compte dans l’élaboration du nouveau texte.

« En  période de mandature normale, le Président qui va conduire cette révision de la Constitution risque de revoir son mandat présidentiel repartir à zéro. Pour éviter des tensions sociopolitiques dans les années à venir, il est important que la Transition puisse conduire cette révision de la Constitution ».

Revoir l’avant-projet

Certains partis politiques sont favorables au principe d’adoption de la nouvelle Constitution mais ont relevé des insuffisances dans le texte de l’avant-projet et apporté d’importants amendements, sur la forme et le fond, qu’ils entendent soumettre à la Commission chargée de la finalisation du projet.

« Nous pensons que la période de transition est la période idéale pour aller vers une nouvelle Constitution. Pour l’APR, la Constitution du 25 février 1992 a atteint ses limites au cours de ces dernières années et n’a pas permis d’apporter des atténuations aux crises répétitives qu’a connues le Mali. Elle doit être réformée pour faire face aux circonstances changeantes du moment et tenir compte de l’évolution de la société et de la matière constitutionnelle », clame Oumar Ibrahim Touré, Président de l’Alliance pour la République (APR).

Le parti a relevé les dispositions encourageantes contenues dans l’avant-projet, à l’instar de la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par les citoyens, la révocation du Premier ministre sans que celui-ci ne présente sa démission ou encore la fixation du nombre de membres du gouvernement au maximum à 29.

Mais l’APR pointe des dispositions « problématiques », comme le « bicamérisme inégalitaire » et la disparition du contrôle parlementaire de l’action gouvernementale, un risque de constitutionnalisation des coups d’État jugé « dangereux ». Il souligne en outre plusieurs dispositions manquantes, parmi lesquelles « l’absence d’un mécanisme de révision parlementaire » ainsi que de « démocratisation dans la saisine de la Cour constitutionnelle » et la « non constitutionnalisation des candidatures indépendantes ».

De son côté, la Coalition des forces patriotiques (COFOP), regroupement de partis politiques, propose entre autres que le poste de Premier ministre soit remplacé par celui d’un Vice-président, élu au même titre que le Président de la République, qui peut exercer le pouvoir en cas d’empêchement de ce dernier, que le Conseil économique, social, culturel et environnemental soit supprimé ou encore qu’avant leur nomination par le Président de la République les postulants à une responsabilité ministérielle présentent et défendent avec succès un « projet de société relatif au poste qu’ils désirent occuper ».

L’Union pour la République et la Démocratie (URD) affiche également son accord avec le gouvernement de transition pour l’adoption de la nouvelle Constitution. « Au Mali, toutes les Constitutions ont été faites dans des situations exceptionnelles. Aujourd’hui, nous sommes dans une transition et il est mieux pour nous de trouver la solution maintenant pour faire passer cette Constitution que d’attendre une prochaine fois », déclare son Président, Gouagnon Coulibaly.

Une finalisation très attendue

Beaucoup d’espoirs d’aboutir à un projet de Constitution consensuel reposent désormais sur la Commission chargée de la finalisation du projet, où les politiques souhaitent la prise en compte effective de leurs différentes suggestions et recommandations.

Créée par décret présidentiel le 19 décembre 2022, cette Commission, qui a pour mission d’examiner et d’amender, le cas échéant, l’avant-projet de Constitution, sera composée de 51 membres, parmi lesquels des représentants du Président de la Transition, du gouvernement, du CNT, des partis et regroupements politiques, des organisations de la société civile et du Conseil national des jeunes, entre autres.

Les membres de cette Commission n’ont pas encore été nommés. Selon nos informations auprès de quelques structures qui doivent la composer, ces dernières n’ont pas encore été sollicitées pour envoyer les noms de leurs représentants.

Comme lors des trois tentatives de révision constitutionnelle par le passé (1999, 2008 et 2017) qui n’ont pas abouti, le Président de la Transition va-t-il reculer devant les opposants ? Pour l’heure, aucun signe ne laisse présager d’un abandon du processus d’adoption de la nouvelle Constitution.

Selon une source proche du gouvernement, les autorités de la Transition ne sont pas dans l’optique d’y renoncer. « Elles peuvent essayer de discuter et de prendre en considération quelques amendements, mais le projet en soi ne sera pas abandonné ». Le ministre d’État Abdoulaye Maïga a clairement affiché le 12 janvier dernier, lors de la rencontre du Cadre de concertation avec les partis politiques, l’intention du gouvernement de poursuivre et d’achever l’adoption de la nouvelle Loi fondamentale avec l’organisation du référendum.

« Je voudrais dire à ceux qui pensent qu’il faut surseoir au référendum que c’est hors mandat. L’idée d’avoir une nouvelle Constitution est antérieure à la transition. Le DNI (Dialogue national inclusif) en a parlé. Bien avant le DNI, nous avons d’anciens Chefs d’État qui ont essayé de le faire. Cela n’a pas abouti. Les ANR l’ont très clairement mentionné. Je pense que la vision politique du chef de l’État est d’appliquer systématiquement, autant que faire se peut, toutes les recommandations des ANR », a-t-il clarifié, insistant sur le fait que la Transition « ne peut pas laisser le soin à un parti politique d’entraver ce processus ».

Mais, comme pour illustrer le peu d’engouement de la classe politique sur le sujet, seulement 50 partis politiques sur 281 saisis par le ministère de l’Administration ont pris part à cette rencontre.  Certains analystes n’excluent pas la possibilité de création d’un grand bloc de partis politiques pour empêcher le référendum, qui, au vu du retard accusé, pourrait faire l’objet d’un glissement de date.