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Dialoguer avec les groupes armés, jusqu’où ? Une réflexion sur les limites et les possibles d’une paix négociée

Dans un contexte sécuritaire toujours préoccupant dans le pays, où les violences persistent malgré les efforts militaires, la question de…

Dans un contexte sécuritaire toujours préoccupant dans le pays, où les violences persistent malgré les efforts militaires, la question de la négociation avec les groupes armés, y compris ceux classés comme terroristes, revient régulièrement au cœur du débat national.

Le chercheur Ibrahim Maïga, spécialiste reconnu des dynamiques de conflit au Sahel, propose une réflexion rigoureuse sur cette question dans une note d’analyse intitulée « Quoi négocier ? », dans laquelle il dévoile les dilemmes politiques, moraux et stratégiques liés à cette éventualité.

L’auteur y rappelle que toute idée de dialogue avec les groupes armés ne peut faire l’impasse sur ce qu’il appelle les « lignes rouges » de l’État malien. Celles-ci sont claires : le maintien du caractère républicain et laïc de l’État, l’indivisibilité du territoire national et le respect des fondements constitutionnels. Ces principes non négociables encadrent toute possibilité de compromis et constituent le socle de l’action publique actuelle. Ibrahim Maïga souligne que ces exigences sont au cœur de la vision étatique et qu’aucune négociation ne saurait les remettre en cause sans fragiliser la cohésion nationale.
Face à cela, les groupes dits « radicaux » – dont les plus emblématiques sont la Katiba Macina d’Amadou Koufa et le JNIM dirigé par Iyad Ag Ghali – expriment des revendications connues, bien que souvent présentées de manière diffuse. Parmi celles-ci, le départ des troupes étrangères et l’application de la charia figurent en tête. Toutefois, le chercheur note une évolution dans la manière dont certaines de ces revendications sont formulées. L’application de la charia, par exemple, ne semble plus se traduire systématiquement par les méthodes brutales observées en 2012. Une certaine flexibilité, souvent dictée par les contextes locaux, apparaît dans les discours récents de ces groupes. Cela pourrait constituer un espace d’exploration pour des médiateurs avisés, notamment dans les zones rurales où l’autorité de l’État est faible mais où les légitimités coutumières restent fortes. Dans certaines de ces régions, des formes de justice inspirées du droit musulman, mais adaptées et parfois encadrées par l’État ou par des figures traditionnelles, sont déjà expérimentées.
Le retrait des troupes étrangères, notamment de l’opération Barkhane et de la MINUSMA, ont également modifié le paysage stratégique. Cette évolution a fait disparaître l’une des principales revendications des groupes armés, du moins dans sa forme initiale. Si la présence russe est aujourd’hui sujette à controverse, elle ne s’accompagne pas du même type de confrontation directe avec les groupes djihadistes, ce qui pourrait rendre le dialogue moins tendu sur ce plan spécifique.
Mais c’est sans doute la question de la réintégration des combattants qui ouvre la voie la plus concrète vers un compromis partiel. Ibrahim Maïga insiste sur la diversité des profils au sein des groupes armés. Tous ne sont pas mus par une idéologie rigide. Beaucoup sont des jeunes désœuvrés, des ruraux marginalisés, ou des individus ayant rejoint ces groupes par nécessité, par sentiment d’abandon ou pour leur propre sécurité. Ces éléments, moins radicalisés, peuvent faire l’objet d’une approche pragmatique axée sur la démobilisation, la protection et l’insertion économique. L’État malien semble en avoir conscience.
La récente annonce de l’intégration de 3000 ex-combattants dans le cadre du processus DDR – dont 2000 dans les Forces armées maliennes (FAMa) et 1000 dans des dispositifs de réinsertion civile – s’inscrit dans cette logique. Cette mesure, bien que distincte du dialogue avec les groupes qualifiés de terroristes, s’insère dans une stratégie plus large de pacification. Elle reconnaît implicitement que toute sortie de crise passe par la prise en compte des réalités sociales et économiques à l’origine de l’engagement armé.
Plusieurs foras nationaux – de la Conférence d’entente nationale aux Assises de la refondation – ont d’ailleurs recommandé d’ouvrir un dialogue inclusif avec tous les groupes maliens, sans exclusive. Cette position, souvent mal comprise, ne signifie pas une reddition face à l’extrémisme, mais une volonté de reconnaître la complexité du conflit. Comme le rappelle le chercheur, refuser toute négociation revient parfois à ignorer les logiques locales, les frustrations accumulées et les dynamiques de survie qui alimentent l’adhésion aux groupes armés.
Le chemin d’un dialogue est semé d’obstacles. Mais il existe. Et il repose sur la capacité de l’État à préserver ses principes tout en trouvant des passerelles vers ceux qui, dans les groupes armés, ne sont pas irréductibles. L’analyse d’Ibrahim Maïga ne propose pas de solution miracle. Elle offre un cadre lucide, fondé sur l’écoute, la prudence et le réalisme. Un cadre dans lequel il devient possible de penser la paix autrement qu’à travers les armes.

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