S’ils ne filent pas du mauvais coton, les acteurs du secteur doivent affronter encore cette année de nombreuses difficultés au Mali. Avec une production en baisse d’environ 30%, les ambitions affichées pour la campagne 2022 ont été révisées suite à une nouvelle contrainte apparue en pleine campagne : une invasion de parasites jusque-là méconnus, face auxquels les produits phytosanitaires existants s’avèrent inefficaces. Une difficulté de plus qui s’ajoute à la crise devenue récurrente du renouvellement de la faîtière des producteurs, sans compter les difficultés dans l’approvisionnement en intrants. Malgré les impacts négatifs de cette situation sur plusieurs secteurs économiques, les acteurs estiment que l’or blanc peut retrouver sa place à condition d’envisager des mesures rapides et courageuses.
« Le secteur connaît beaucoup de difficultés. La première concerne l’organisation des producteurs de coton », affirme d’emblée Issa Konaté, producteur et Vice-président du secteur de Niena, Délégué à l’approvisionnement pour la région de Sikasso de la Confédération des Sociétés coopératives des producteurs de coton (CS-CPC) du Mali.
Organisation déstructurée
Depuis 2020, la faîtière des producteurs est plongée dans une crise de gouvernance dont l’issue n’est pas encore trouvée. Après une élection contestée en octobre 2022 et la nomination d’un deuxième mandataire, dont le mandat de six mois arrive à terme en mai 2023, les producteurs de coton se sentent mis à l’écart. Face à la difficulté de tenir les élections et afin de gérer les affaires courantes, le gouvernement a nommé un mandataire en septembre 2021. « Au lieu de 17 (le nombre des membres du Bureau de la confédération) pour gérer, c’est une seule personne », déplore Issa Konaté. Les six premiers mois accordés ont été épuisés et les élections qui ont été organisées ont aussitôt été contestées.
À l’issue des six autres mois accordés en septembre 2022, d’autres élections ont été organisées. Sur les 17 postes à pourvoir, en plein processus et après 5 postes attribués, les élections ont été suspendues, poursuit M. Konaté. Un autre mandataire fut alors nommé. Alors qu’une bataille judiciaire se poursuit entre les protagonistes, un travail est en cours pour valider les postes déjà pourvus et organiser la passation entre anciens et nouveaux titulaires mi février 2023.
Avant le terme des six mois pour organiser l’élection du Bureau, le nouveau mandataire a en charge la gestion de l’organisation, notamment le lancement de la campagne, qui se prépare déjà et dont les dates-clés à partir du mois d’avril détermineront les choix pour la nouvelle saison. Concernant la désignation des délégués qui doivent choisir les membres du Bureau de la Confédération, les producteurs dénoncent une « instrumentalisation de certains, préférés à ceux qui connaissent le domaine et ont été écartés ».
La deuxième raison ayant contribué aux mauvais résultats de la saison est le retard pris dans l’approvisionnement en intrants. L’appel d’offres ayant été fait en retard, en décembre, ce qui a coïncidé avec l’embargo intervenu en janvier 2022. D’environ 150 000 francs CFA, le prix de la tonne s’est envolée à plus de 600 000 francs suite aux effets collatéraux de la crise en Ukraine. Et cette raison découle directement de la première, parce que le GIE chargé de l’appel d’offres constitué par les acteurs est présidé par la Confédération des producteurs, qui était déjà en crise à cette époque.
L’engrais, arrivé donc en retard, a servi tardivement aux cultures, mais l’apparition des parasites a remis en cause les résultats attendus. Les premiers semis ont pu y échapper mais l’irrégularité des pluies par endroits n’a pas permis de combler les attentes.
S’adapter au contexte
Après le boycott de 2019 et la reprise l’année suivante, les acteurs avaient été alertés par la persistance des difficultés et la crise, qui, même si elle est inhérente à tout développement, doit être gérée et anticipée. Et ils semblent en avoir pris conscience, estime Modibo Tangara, ancien travailleur de la Compagnie malienne de développement textile (CMDT).
C’est pourquoi les Assises nationales sur le coton ont été organisées de décembre 2020 à janvier 2021, en vue d’identifier les causes de la crise et se projeter dans l’avenir afin qu’elles ne se répètent pas. Elles sont relatives à l’organisation de la faîtière, dont la mise en place demeure problématique et au prix élevé des intrants, malgré les subventions qui ne suffisent pas et sont souvent inadaptées.
Si les « recommandations tardent à se mettre en place », le remembrement de la faîtière est devenue un véritable goulot d’étranglement, accentuant la division et le manque de confiance entre les producteurs. Pour ne rien arranger, la crise internationale est venue aggraver une crise aux facteurs endogènes et exogènes. Mais « les différentes crises auraient pu s’atténuer si les acteurs avaient vu seulement l’avenir de la filière », assure M. Tangara.
Le rôle du coton aux plans socio-économique et culturel n’étant plus à démontrer, c’est en termes de filière qu’il faut réfléchir pour trouver les solutions aux maux du secteur. De sa production à sa vente, en passant par son transport et sa transformation, c’est tout un processus et ses acteurs qui doivent être considérés pour analyser les enjeux d’un produit transversal et « un levain pour l’économie de notre pays ».
Face à ces « crises multiformes », il y a eu des « tentatives d’anticipation » des autorités. La gestion de la CMDT « peut s’améliorer et s’adapter au contexte d’évolution du secteur par la reprise en main de certaines activités que la CMDT a menées », conformément aux recommandations des Assises, ajoute M. Tangara. Il s’agit notamment de réunir davantage les producteurs à travers des actions d’alphabétisation, de défense et de restauration des sols, de lutte contre l’érosion et d’appui à l’élevage pour encourager par exemple la production d’engrais organiques. Et surtout que la CMDT reprenne le leadership en matière de commandes.
Créer de la valeur ajoutée
Si l’avenir de l’or blanc n’est pas menacé, selon les acteurs, il faut des mesures fortes et une vision tournée vers des investissements pour plus de valeur ajoutée, suggèrent-ils.
Soumis à des menaces externes et internes, le secteur pourrait être sauvé grâce à un plan stratégique de relance et de perfectionnement de la filière, qui doit mieux définir les rapports entre les producteurs et entre eux et la CMDT, mais aussi mettre en place des structures de recherche variétale, pour l’analyse des sols, des structures de transformation du coton et de ses dérivés, outre maîtriser l’approvisionnement en intrants de qualité et à moindre coût, propose Monsieur Tangara.
Une démarche dans laquelle semble s’inscrire la compagnie, qui énonce parmi les mesures « déjà prises » pour « maîtriser les jassides » l’identification de l’espèce en cause par la recherche malienne et sous-régionale, l’identification des produits phytosanitaires contre les jassides et le choix de trois fournisseurs par appel d’offres international pour l’approvisionnement des producteurs de coton. Une procédure qui devra cependant être accélérée, notamment pour l’obtention de la dérogation sur l’homologation et une autorisation spéciale d’importation de ces nouveaux produits de gestion des parasites, explique la société.
Après qu’elle ait été fermée depuis plusieurs années, le gouvernement a annoncé la réouverture de la Compagnie malienne de textiles (COMATEX) pour le mois d’avril 2023. Une annonce qui réjouit, mais au-delà de laquelle les autorités doivent envisager de faire appel à des investisseurs pour augmenter la valeur ajoutée du coton, notamment grâce à la filature, suggère un acteur.
S’ils ne connaissent pas encore les risques qui les attendent, les producteurs restent cependant déterminés à poursuivre leur activité. « J’ai 55 ans, mais je ne connais que le coton. Sans lui, nous sommes perdus », avoue le producteur Issa Konaté. « Cette année, j’ai cultivé 17 hectares et j’ai récolté à peine 10 tonnes. Et je suis parmi les plus heureux, certains, avec 20 hectares, ont eu du mal à atteindre 2 tonnes, une véritable catastrophe ». En attendant le paiement d’environ 50% de leurs revenus, Issa Konaté est convaincu que tous les producteurs ont connu des pertes cette année. Si les autorités des pays concernés ne leur viennent pas en aide pour les dettes, ils seront obligés de vendre d’autres spéculations ou, pire, des biens pour rembourser. Un recul, alors que le « pays pourrait retrouver sa place » si la campagne qu’ils préparent déjà est anticipée avec la disponibilité et le prix de l’engrais garantis.