De plusieurs heures dans la capitale à plusieurs jours dans certaines localités, les coupures d’électricité ont atteint une ampleur jamais égalée. Mettant à mal l’activité économique et provoquant la colère des consommateurs, ces délestages intempestifs sont devenus le lot quotidien des clients de la société Énergie du Mali (EDM). Entre absence d’investissements et mauvaise gestion généralisée, le bout du tunnel semble encore loin.
Dans une interview diffusée sur ORTM1, la chaîne nationale, le 24 octobre 2023, la ministre en charge de l’Énergie et de l’eau depuis le 1er juillet 2023 a tenté d’expliquer les nombreux délestages subis dans la fourniture de l’électricité.
Surfacturations, vols de carburants, pénuries organisées et autres fraudes, les pratiques malsaines au sein de la société chargée de la production et de la distribution de l’électricité ont atteint un niveau inquiétant, selon elle. La mauvaise gestion au sein d’EDM, qui est même devenue un instrument politique aux dires de la ministre, ne date pas de maintenant. Un véritable système où commerçants et travailleurs sont complices. Souvent, au lieu d’une facture, ce sont deux à trois qui ont été retrouvées pour un seul récépissé de réception.
Suite aux contrôles effectués, c’est un montant d’un milliard six cents millions de factures supplémentaires qui a été enregistré chez un seul fournisseur sur deux mois de vérification. Chez un autre, rien qu’en 2022 ce sont 52 factures supplémentaires pour un montant de 18 milliards de francs CFA qui ont été découvertes.
Les principaux fournisseurs auxquels EDM doit de l’argent sont ceux qui lui livrent des carburants et ceux qui lui fournissent de l’électricité. Pour une dette totale de 600 milliards de francs CFA et 800 fournisseurs.
Ce manque de rigueur généralisé a même entraîné un déficit de production qui a empiré au fil du temps, expliquant la dégradation actuelle. Selon la responsable du département, le fioul, plus économique, aurait été délaissé au profit du gasoil, exonéré et facilement détourné. Ainsi, entre Balingué, la centrale qui reçoit et distribue le carburant aux autres centrales du pays, « des quantités » importantes ont disparu, « des manquants qui se sont accumulés ». Jusqu’à 59 citernes en 4 jours.
Une déclaration qui a mis le feu aux poudres et fait bondir les syndicats. Lors d’une Assemblée générale suivie d’une conférence de presse, le 27 octobre 2023, les représentants des trois syndicats d’EDM ont contesté les propos de la ministre.
Arrêter l’hémorragie
Pour résoudre de façon urgente les problèmes et réduire les délestages, la ministre évoque quelques pistes. Des sanctions à l’encontre de ceux qui ont commis des fautes et l’identification de tous les protagonistes impliqués dans cette chaîne de fraude. Dans la foulée, Madame Bintou Camara a rencontré les opérateurs pétroliers le 30 octobre 2023. L’une des mesures adoptées est la « réduction drastique du nombre des fournisseurs », qui passe de 800 à 4 sociétés. « Dans un avenir proche », la première responsable du département de l’Énergie promet d’élaborer des contrats de management de la quantité de carburant livrée pour accentuer les contrôles dans ce domaine. Ce qui permettra en outre de faire du stockage et de prévenir les coupures, parce qu’il n’existe pas pour le moment de seuil d’alerte. Avec les promesses de livraison prochaine de carburant en provenance de Russie, la desserte pourrait s’améliorer, promettent également les autorités.
Les pertes de la société sont aussi financières et il y a un besoin pressant de mobiliser entièrement les recettes. Les problèmes de trésorerie au niveau d’EDM ne datent pas non plus de maintenant. En effet, plusieurs fois, pour payer les salaires, la société était obligée de faire des découverts à la banque, s’installant dans un cycle infernal d’endettement qui a atteint des sommets, confie un ancien agent.
EDM a donc besoin d’encaisser toutes ses factures, ce qui n’est pas encore le cas, notamment auprès des services de l’État, qui sont de grands consommateurs mais de mauvais payeurs.
Estimées à 20 milliards de francs CFA, les recettes mensuelles, dont 18 milliards servent à payer les fournisseurs et 2 milliards les salariés, doivent être améliorées, en même temps qu’une diminution des charges. Dont celles du personnel, estimé par la ministre à 2 500 travailleurs et environ 500 stagiaires. Un dernier chiffre contesté par les syndicats, qui dénoncent des recrutements inopportuns, surtout suscités par les autorités, ne reconnaissant que 15% de « part » dans le dernier recrutement.
Assumer les responsabilités
Refusant d’être les « responsables » de cette situation, les représentants du Syndicat national des Constructions civiles, des mines et de l’énergie (SYNACOME) se sont dits « touchés » par les propos de leur autorité de tutelle. « Nous sommes témoins que les gens travaillent à l’EDM. Nous sommes atteints lorsqu’on nous accuse d’être des voleurs. Nous ne sommes pas tous bien, mais ces propos nous ont touchés », a dit Baba Dao, Président du SYNACOME. Expliquant que leurs familles ainsi que des agents de terrain ont été mis en danger par les propos tenus, il propose comme solution le financement.
C’est au ministère de définir la vision qui va permettre d’assurer l’alimentation du pays en électricité. L’élément déclencheur de la situation que nous vivons aujourd’hui ne date pas de maintenant, explique un acteur du domaine. Si la définition de la politique (notamment du choix du mix énergétique) est le rôle de l’État, la fourniture de l’électricité, principalement dans les grandes villes, revient à l’EDM. L’AMADER et d’autres acteurs s’occupant d’autres aspects.
Malgré la forte demande, « EDM n’a pas intérêt à raccorder de nouveaux clients, parce que le prix de vente moyen de l’électricité est inférieur à son coût de production ». Chaque nouveau client est donc un trou de plus ajouté au déficit. Cependant, les pertes d’EDM augmentant, il faut s’interroger. Ce prix de revient est-il optimisé ? La plus grande part de l’énergie produite est thermique. Elle fonctionne à partir de carburant que nous importons et dont nous ne maîtrisons pas le prix. Le second problème est la mauvaise gestion d’EDM. « Il faut donc assainir et bien gérer le peu que nous avons », suggère-t-il. Le vol de carburant dénoncé est réel, poursuit-il. Le fait que beaucoup de travailleurs ont leurs propres sociétés qui sous-traitent des marchés est aussi une réalité, tout comme les surfacturations et bien d’autres choses. Des sociétés qui n’ont aucune expertise et se voient attribuer des marchés sur des fausses bases. Tout cela mis bout à bout ne peut qu’augmenter les charges. S’agissant du personnel, il doit aussi être optimisé, avec les compétences nécessaires. À EDM, il faut réduire les pertes techniques et commerciales. Parmi les mesures urgentes, il faut aussi envisager de contrôler la consommation afin d’éviter le gaspillage énergétique et réduire les pertes auprès des gros consommateurs, en mettant en place des « systèmes automatisés au lieu d’investir un milliard pour augmenter la capacité et réduire les gaspillages en investissant la moitié de cette somme », par exemple.
De janvier à septembre 2023, l’État assure avoir subventionné la société EDM à hauteur de 106 milliards, pour payer notamment ses fournisseurs. Il a également reconstitué son capital pour 146 milliards. Mais EDM est confrontée à des difficultés d’investissement dans ses installations de production, de transport et de distribution. La société, endettée et déficitaire, n’arrive pas non plus à s’autofinancer. Ses coûts de production d’énergie se situent entre 140 et 160 francs CFA le kWh, alors qu’elle le vend aux populations 90 francs CFA en moyenne. En février dernier, trois ministres, Abdoulaye Maïga, Alousséni Sanou et Lamine Seydou Traoré (alors ministre de l’Énergie) avaient été mobilisés par le gouvernement lors du Salon des investisseurs pour l’Énergie au Mali (SIEMA 2023), dans l’optique de plaider auprès des partenaires pour débloquer près de 600 milliards de francs CFA pour le Plan de Développement du sous-secteur de l’Électricité sur la période 2022 – 2026. L’activité de deux jours, qui a réuni plus de 200 participants, n’a finalement réussi à récolter que 50 milliards.
Aujourd’hui, si les autorités promettent moins de délestages, espérant qu’il n’y aura plus de ruptures dans la fourniture de carburant, elles invitent à la patience, car l’amélioration promise n’est pas encore au rendez-vous. Dans la capitale, la grogne monte, même si ses formes ne se dessinent pour l’heure pour la plupart que sur les réseaux sociaux.