Un rapport publié récemment par l’International Crisis Group, intitulé « Le tournant souverainiste au Mali : ajuster la trajectoire », explore les transformations politiques et stratégiques opérées par les autorités maliennes depuis les coups d’État d’août 2020 et mai 2021.
Selon ce rapport, ces évolutions, portées par un discours qualifié de « souverainiste », visent à renforcer l’autonomie du pays, tout en rompant avec des partenariats jugés « traditionnels » et en adoptant de nouvelles alliances.
Les dirigeants de la transition auraient érigé le souverainisme en « pilier central » de leur politique. Ce positionnement serait présenté comme une réponse aux « échecs des élites politiques traditionnelles », accusées de « corruption » et de « soumission à des intérêts étrangers », notamment occidentaux. Le rapport note que cette rhétorique, articulant « nationalisme » et « panafricanisme », chercherait à redonner « fierté et espoir » à une population en quête de changement.
Portée par l’idée d’un « Mali Kura » (littéralement un « Nouveau Mali »), cette vision ambitionne de « rompre avec les modèles hérités de l’époque coloniale ». Elle se traduit, selon l’analyse, par une volonté de réappropriation des « prérogatives sécuritaires », une « reconfiguration des alliances internationales » et une tentative de « réorienter les ressources vers les besoins nationaux ».
Les réseaux sociaux comme caisse de résonance
Le rapport souligne également le rôle des réseaux sociaux dans la « popularisation » des idées souverainistes. Plusieurs influenceurs locaux, souvent appelés « vidéomans », produisent des contenus en bamanakan. Ces contenus, largement diffusés, atteignent des « millions d’utilisateurs ». Des figures comme « Gandhi Malien » ou « Kati 24 » sont citées comme des relais influents des décisions officielles, tout en critiquant les « forces néocoloniales ».
Par ailleurs, des groupes de la société civile, tels que Yerewolo, soutiennent cette dynamique en organisant des « manifestations régulières » pour appuyer certaines initiatives des autorités, notamment contre la « présence militaire étrangère ».
Une rupture diplomatique et sécuritaire
Depuis 2021, le Mali a entrepris de « démanteler l’architecture internationale de stabilisation » mise en place à partir de 2013 sous la direction de la France. Cela s’est traduit par la fin des opérations « Barkhane » et « Takuba », le retrait du G5 Sahel et l’exigence de départ de la mission onusienne (Minusma). En parallèle, le Mali s’est « rapproché de la Russie », obtenant des « équipements militaires » et un « appui opérationnel direct » à en croire le rapport.
Ce document met en avant la « reprise de Kidal » en novembre 2023 comme l’une des réalisations symboliques majeures de cette politique. Cette ville, longtemps perçue comme un « bastion séparatiste », a été reconquise par les forces maliennes. Cependant, cet événement aurait aussi « ravivé les tensions » avec les groupes signataires de l’accord de paix de 2015, exacerbant les « violences dans le nord du pays ».
Malgré ces succès affichés, l’International Crisis Group évoque les « limites » de cette trajectoire. Sur le plan économique, le retrait des « aides occidentales » aurait contraint le gouvernement à prioriser les dépenses militaires, laissant peu de moyens pour des secteurs essentiels comme « la santé » ou « l’éducation ». Cette situation exacerberait les « inégalités sociales » et alimenterait des « frustrations » au sein de la population.
Sur le plan politique, l’absence d’élections depuis 2021, combinée à des « arrestations ciblées », suscite des interrogations sur la « viabilité de ce modèle ». Si les attentes de la population restent « élevées », les « tensions économiques » et « sécuritaires » pourraient éroder le soutien populaire, alerte l’organisation.
Pour l’International Crisis Group, un « ajustement stratégique » serait nécessaire. Pour ce faire, le rapport recommande notamment : Un « réinvestissement » dans les secteurs sociaux pour répondre aux « besoins fondamentaux » des populations ; Une « ouverture diplomatique » pour apaiser les relations avec les partenaires traditionnels et mobiliser des « ressources financières indispensables » ainsi que la promotion d’un « dialogue inclusif » avec les groupes armés afin de renforcer la « cohésion nationale ».
Le rapport insiste également sur la nécessité pour les partenaires internationaux de « reconnaître les aspirations légitimes du Mali à une souveraineté renforcée », tout en encourageant des « réformes démocratiques et inclusives ».