Ber, Bourem, Anéfis, Aguelhok, Tinzawatène. La liste des théâtres d’affrontements ces derniers mois entre l’armée malienne, résolument tournée vers la sécurisation du territoire national, et les groupes armés rebelles, réunis au sein du Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l’Azawad ( CSP-PDA), ne cesse de croître. D’une rare violence, les récents combats à Tinzawatène, près de la frontière algérienne, marquent un tournant depuis la reprise des affrontements entre les deux camps, en août 2023. Bénéficiant de soutiens multiformes, les rebelles Touaregs, délogés de Kidal en novembre dernier, résistent et s’accrochent.
C’est un affrontement sanglant qui a opposé du 25 au 27 juillet dernier l’armée malienne et les groupes armés rebelles regroupés au sein CSP-PDA à Tinzawatène, localité située à 233 km au nord-est de Kidal.
Dans une dynamique de récupération des dernières localités près de la frontière algérienne, où se sont réfugiés les rebelles du CSP-PDA et d’autres groupes armés terroristes en perte de vitesse, l’armée malienne, appuyée par ses partenaires russes, a lancé à la mi-juillet des opérations dans la zone.
Bataille « perdue »
Le 25 juillet, l’armée malienne et ses partenaires pénètrent à Tinzawatène, 3 jours après avoir pris le contrôle de la ville d’Inafaraq, à environ 122 km de Tessalit, et pris position à Boughessa, dans le cercle d’Abeibara, région de Kidal. Mais la colonne FAMa bute sur les combattants du CSP, fortement positionnés dans la ville-frontière avec l’ Algérie, qui ouvrent le combat.
Après une première attaque repoussée par les FAMa, les conditions météo se dégradent et une tempête de sable limite les mouvements des troupes au sol, empêchant l’intervention des vecteurs aériens de l’armée malienne. En infériorité numérique et limitées sur le terrain, les FAMa sont vites encerclées le 26 juillet par les rebelles du CSP, qui se sont réorganisés et ont été renforcés par des groupes armés terroristes de la zone.
« La bravoure et la détermination exemplaires de nos soldats n’ont pas permis d’éviter un nombre important de pertes en vies humaines et matérielles », reconnaît l’État-major général des armées dans un communiqué publié le 29 juillet. « Le 26 juillet, les combats ont redoublé d’intensité. Les groupes armées terroristes, regroupés dans une coalition opportuniste comprenant l’EIGS et le GSIM, ont lancé plusieurs véhicules kamikazes contre nos forces. L’unité FAMa a été encerclée par la coalition des forces terroristes du Sahel et de violents combats se sont engagés avant l’arrivée des renforts », explique l’armée.
Les combats se poursuivent le 27 juillet et les FAMa, qui subissent d’autres pertes dans une embuscade tendue par le JNIM, se replient sur Kidal le 28 juillet. Si dans sa communication l’État-major général des armées ne donne pas de précisions sur les pertes subies, le CSP-PDA, de son côté, fait état, dans un communiqué en date du 1er août 2024, de 9 morts, 12 blessés et 3 véhicules détruits dans ses rangs et, d’un lourd bilan humain du côté de l’armée malienne et de ses partenaires russes. Des destructions de matériels et de véhicules sont aussi revendiquées.
Le 31 juillet, le Premier ministre Choguel Kokalla Maiga affirme publiquement que l’armée malienne a perdu la bataille à Tinzawatène mais qu’elle gagnera la guerre.
Nouvelle dimension
« Nous tenons à souligner que cette situation ne saurait remettre en cause la dynamique d’exercice de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national, comme matérialisé par la prise de contrôle d’Inafaraq », avertit l’État-major général des armées dans son communiqué du 29 juillet, laissant entrevoir une nouvelle offensive des FAMa à Tinzawatène.
Lors de sa traditionnelle conférence de presse, tenue le 5 août 2024, le Chef de la Direction de l’information et des relations publiques des armées ( DIRPA), l’a réitéré. « Dès lors que nous avons pu mettre les pieds à Kidal, nous serons à Tinzawatène. Mais nous n’allons pas vous dire quand. Retenez-le, les FAMa mettront pied à Tinzawatène vaille que vaille, au prix de notre sang », a martelé le Colonel-major Souleymane Dembélé devant la presse.
De leur côté, les rebelles du CSP-PDA, qui ont salué une « éclatante et glorieuse victoire » de leurs combattants, savent que l’armée malienne n’abdiquera pas. Ils se prépareraient à toutes les éventualités.
Selon certains analystes, l’ascendant pris lors des récents combats pourrait les galvaniser et, en plus du renfort des groupes armés terroristes de la zone et de l’appui d’États étrangers, notamment l’Ukraine – avec laquelle le Mali vient de rompre ses liens diplomatiques -, les indépendantistes Touaregs pourraient continuer de résister aux FAMa et à leurs partenaires russes dans les futurs combats pour le contrôle de la ville de Tinzawatène.
« Le conflit russo-ukrainien aujourd’hui s’exporte dans le Nord du Mali, parce que les Ukrainiens ont vu en la présence russe au Mali une nouvelle cible à abattre, et il y a de quoi s’inquiéter de l’ampleur que prend cette bataille », s’alarme Dr. Amidou Tidjani, enseignant-chercheur à l’Université Paris-13.
« Nous sommes désormais dans un conflit d’État à État à travers des acteurs indirects qui sont les groupes armés terroristes. Ce ne sont pas les groupes armés de Tinzawatène qui sont l’objet d’inquiétude, mais, à mon sens, le fait qu’ils bénéficient des moyens d’une armée conventionnelle pour attaquer l’armée malienne », poursuit-il, mettant en garde contre des attaques dans des zones beaucoup plus sensibles si ce soutien continue.
Pour sa part, Jean-Hervé Jezequel, Directeur du Projet Sahel à International Crisis Group paraît plus mesuré. « Ce n’est pas étonnant que chaque camp essaye de se trouver des alliés extérieurs, mais le brouillard de la guerre est encore épais sur les derniers épisodes et il faut se méfier de toute conclusion hâtive », glisse-t-il.
Revenir au dialogue ?
Dans la perspective d’autres affrontements dans la zone de Tinzawatène, le sort des civils, que l’armée malienne a d’ailleurs invité à s’éloigner des périmètres de combats, est plus que jamais préoccupant.
« On craint évidemment l’engrenage. Dans les situations de conflit de ce genre, les populations civiles sont de plus en plus touchées par des opérations qui peinent à différencier qui est combattant et qui ne l’est pas, qui soutient un camp et qui soutient l’autre », alerte Jean-Hervé Jezequel.
Dans un rapport publié en février 2024, International Crisis Groupe mettait déjà l’accent sur le risque de voir la violence contre les civils s’aggraver dans les mois à venir, sans que cela n’apporte une quelconque réponse durable à la situation actuelle.
Pour le Directeur du Projet Sahel à International Crisis Group, il est difficile, sinon impossible, de contrôler durablement le Nord du Mali par de seules actions militaires, même avec de puissants alliés.
« Reprendre et tenir des villes face à des insurrections armées est toujours possible quand on y met les moyens, comme on l’a vu récemment avec la reprise de Kidal depuis novembre 2023. Par contre, tenir les zones rurales et éradiquer toute forme d’opposition armée dans des espaces aussi vastes, où la logistique est un immense défi pour toutes les armées du monde, c’est un objectif peu réaliste », estime M. Jezequel. De son point de vue, seul le dialogue politique peut permettre d’épargner des vies maliennes.