An I de la reconquête de Kidal : L’État face aux réalités du terrain

Le 14 novembre 2023, les forces armées maliennes ont repris la ville de Kidal, mettant fin à plus de dix ans de contrôle par les rebelles de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA). Cette reconquête s’est déroulée alors que les forces internationales, telles que la mission Barkhane de la France et la MINUSMA, se retiraient progressivement, laissant l’armée malienne seule responsable de la sécurité.

Nommé dans la foulée Gouverneur de la région, le Général El Hadj Ag Gamou a pris des mesures pour renforcer la présence de l’État et rétablir l’administration. Cependant la région fait face à de sérieux défis.

En matière d’éducation, 39 des 73 écoles sont encore fermées, privant près de 6 000 enfants de leur droit à l’école. Le manque d’enseignants qualifiés persiste, malgré les efforts des autorités pour attirer du personnel éducatif. Dans le domaine de la santé, plusieurs centres ont repris leurs activités, mais le manque de personnel limite l’accès aux soins. Une épidémie de paludisme en septembre 2024, suite aux pluies diluviennes que le pays a connues, a révélé les faiblesses des infrastructures de santé, avec 536 cas et 40 décès. De plus, cette année, selon les humanitaires, environ 2,3% des enfants de la région souffrent de malnutrition aiguë.

Les services de base comme l’eau et l’électricité demeurent précaires, avec des coupures fréquentes. Le chômage reste élevé, surtout chez les jeunes, alimentant la frustration sociale dans cette région, dont certaines localités sont difficilement accessibles à cause de l’insécurité.

En matière de sécurité, justement, la situation est fragile. En juillet 2024, des affrontements entre l’armée malienne et des éléments de la rébellion à Tinzaouatène, localité proche de la frontière algérienne, ont entraîné le déplacement de 5 000 à 6 000 personnes, principalement des femmes et des enfants, vers l’Algérie. Cet afflux a causé une crise humanitaire dans les localités algériennes d’In Guezzam et de Bordj Badji Mokhtar, déjà débordées. Par ailleurs, le banditisme persistant sur les axes routiers reliant Gao et Kidal complique les déplacements, rendant le commerce local difficile et dangereux.

Un an après la reprise de Kidal, l’État, sous l’impulsion du Gouverneur Gamou, continue de poser les bases d’un retour de l’autorité. Cependant, les défis restent importants et les progrès fragiles. D’où la nécessité d’intensifier les efforts pour que cette reconquête ne soit pas vaine.

Massiré Diop

Enjeux stratégiques autour de Tinzaouatène : Trafics transfrontaliers versus contrôle de l’État

Située à environ 130 kilomètres au nord de Kidal, la localité de Tinzaouatène est au centre des préoccupations sécuritaires au Mali. Le 30 septembre dernier, une colonne de l’armée malienne s’est dirigée vers cette zone dans une tentative de reprendre son contrôle des mains des groupes armés rebelles, après une première offensive infructueuse en juillet. Dix jours plus tard, bien que la localité échappe toujours au contrôle de l’armée, cette dernière a déclaré le mardi 8 octobre, avoir récupéré les dépouilles de militaires tombés lors des affrontements de juillet. Cette annonce souligne la persistance des efforts de l’armée pour honorer ses soldats tout en luttant pour la reconquête de cette localité stratégique.

Depuis les violents combats de juillet, l’armée malienne a intensifié ses frappes aériennes et ses opérations terrestres contre les positions rebelles. Bien avant cette date, elle menait déjà des opérations dans cette localité. Ce qui avait permis en décembre 2023 la neutralisation de Hassan Ag Fagaga, un ancien militaire devenu figure centrale de la rébellion qui s’était réfugié à Tinzaouatène après avoir été délogé de Kidal. Cette localité est ainsi devenue un point focal dans la lutte entre l’armée malienne et les groupes armés, avec une intensification des opérations militaires et des enjeux géopolitiques dans la région.

Contrebande et trafics illégaux

Tinzaouatène est stratégique non seulement pour des raisons militaires, mais aussi en raison de sa position, au carrefour des routes de trafic transfrontalier. La localité est un centre névralgique pour des réseaux illégaux de drogue, d’armes, d’or et même d’êtres humains, avec des migrants qui s’y trouvent dans le but de rallier l’Algérie puis de rejoindre les côtes européennes. Les groupes armés qui contrôlent ces routes imposent des taxes sur les marchandises transitant par la région, utilisant ces revenus pour financer leurs activités et renforcer leur emprise sur le territoire. Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), cette zone est l’un des principaux points de transit pour la cocaïne en provenance d’Amérique latine destinée aux marchés européens.

L’économie souterraine qui en découle prospère grâce à l’instabilité persistante, aux rivalités ethniques et à l’absence d’un solide contrôle étatique. Cette économie parallèle rend difficile toute tentative de pacification ou de stabilisation durable, alimentant un cercle vicieux d’insécurité dans la région.

Défis géographiques et militaires

Outre les menaces posées par les groupes armés, les défis géographiques de Tinzaouatène constituent une contrainte majeure pour l’armée malienne. La région est caractérisée par un terrain désertique parsemé de rochers et de grottes, favorable aux embuscades et aux tactiques de guérilla. Les conditions climatiques extrêmes, telles que les tempêtes de sable, compliquent davantage les opérations militaires, réduisant la visibilité et la mobilité des troupes.

Malgré ces obstacles, l’armée a intensifié ses opérations dans les localités avoisinantes, comme In-Tifirkit, Tin-Essako, Inakarot et En-Azerraf, probablement dans le but de sécuriser la zone et de préparer une offensive coordonnée. Pour certains observateurs, ces efforts soulignent la volonté des autorités de réaffirmer la souveraineté sur une zone stratégique pour la sécurité et de couper les routes de contrebande reliant le Mali à l’Algérie et au Niger.

Enjeux géopolitiques et implications internationales

L’implication d’acteurs internationaux rend la situation à Tinzaouatène encore plus  complexe. L’Algérie a renforcé sa présence militaire et intensifié sa surveillance le long de la frontière pour, dit-elle, prévenir toute incursion d’éléments armés sur son territoire. Et les tensions diplomatiques actuelles entre Alger et Bamako compliquent une éventuelle coopération sécuritaire.

De plus, le rôle de l’Ukraine a ajouté une nouvelle dimension géopolitique au conflit. Le Mali a rompu ses relations diplomatiques avec ce pays en août dernier, accusant Kiev d’avoir soutenu les rebelles lors des affrontements de juillet. Le gouvernement malien a qualifié cette aide présumée de « soutien au terrorisme international ». Cette situation démontre comment les rivalités géopolitiques à l’échelle mondiale se répercutent sur les conflits régionaux.

Il est donc clair que Tinzaouatène incarne bien plus qu’une simple zone de conflit au Mali. Elle représente une intersection complexe où se mêlent contrebande, ambitions géopolitiques et luttes pour le contrôle territorial. Chaque acteur – local ou international – y voit une opportunité d’exploiter l’instabilité pour ses propres intérêts économiques et stratégiques. La reconquête de cette localité par l’armée malienne ne relève pas uniquement d’une question de souveraineté nationale, mais aussi de la nécessité de stabiliser une zone clé pour freiner les flux de commerce illicite et renforcer l’influence de l’État.

Massiré Diop

 

Mali – Algérie : Jusqu’où ira la discorde ?

Déjà tendues depuis plusieurs mois, les relations entre le Mali et l’Algérie continuent de se dégrader. Nouveau sujet de crispation entre les deux voisins, les frappes de drones menées le 25 août dernier par l’armée malienne à Tinzawatène.

Le 26 août, au lendemain de ces frappes de drones, Amar Bendjama, le représentant permanent de l’Algérie auprès des Nations Unies, a appelé depuis la Suisse, lors de la table-ronde sur les 75 ans de la Convention de Genève sur le droit de la guerre, à « mettre un terme aux violations des armées privées utilisées par certains pays ».

Le diplomate algérien, qui a également déploré des victimes civiles de ces frappes et réclamé à l’ONU des sanctions contre les auteurs de ces « exactions », faisait allusion à la présence de partenaires russes aux côtés de l’armée malienne. « En Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale, nous essayons de trouver une formule concernant ces agissements et les sanctions qui en découleraient », a-t-il indiqué.

La réplique de Bamako ne s’est pas faite attendre. Dans une déclaration, le 30 août  lors de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU sur la fourniture d’armes par les pays occidentaux à l’Ukraine, le Représentant permanent du Mali auprès des Nations Unies, Issa Konfourou, a accusé M. Bendjama d’avoir fait une affirmation « aussi grave qu’infondée », sur la base de « simples allégations de presse », et de se muer en « relais de la propagande terroriste dans notre région ».

« Je rappelle à mon collègue algérien que les forces de défense et de sécurité du Mali sont des forces professionnelles, qui mènent une lutte implacable contre les groupes terroristes dans le respect strict des droits de l’Homme et du droit international humanitaire pour libérer notre territoire et pour protéger les populations et les biens », a clamé l’ambassadeur malien.

Difficile décrispation

Depuis cette passe d’armes entre le Mali et l’Algérie à la tribune des Nations Unies, les deux pays n’ont plus affiché de positions tranchées dans la brouille qui les oppose depuis de longs mois. Mais l’heure est loin d’être à la décrispation entre Bamako et Alger. Signe des relations toujours dégradées entre les deux voisins, le Président de la Transition malien n’a jusqu’à présent pas adressé de message de félicitations au Chef de l’État algérien, Abdelmadjid Tebounne, réélu le dimanche 8 septembre dernier à la tête de l’Algérie pour un nouveau mandat.

Selon un analyste géopolitique spécialiste des questions sécuritaires au Sahel qui a requis l’anonymat, les relations entre le Mali et l’Algérie ne peuvent pas se normaliser tant que les deux pays sont dans une approche totalement opposée sur la gestion de la crise sécuritaire au Nord du Mali.

« Il faut s’attendre à une stagnation de la situation entre les deux pays. Je ne vois pas d’évolution allant dans le sens d’une décrispation, parce que d’un côté l’Algérie, qui était garante de l’Accord de paix devenu caduc, est toujours dans une posture de solutions négociées avec les rebelles touaregs, alors que de l’autre le Mali, qui taxe ces rebelles de terroristes, est plus que jamais engagé à les neutraliser dans la guerre », estime-t-il.

Mais pour notre interlocuteur, malgré cette différence de fond, les deux pays voisins n’ont pas intérêt et n’iront pas vers la rupture diplomatique. « Je pense que les autorités des deux pays n’iront pas au-delà des déclarations, du moins dans l’immédiat. Il se peut qu’un nouvel incident change la donne à l’avenir, mais je reste persuadé qu’une rupture diplomatique n’est envisagée d’aucun côté ».

En décembre dernier, les deux pays avaient rappelé pour consultation leurs différents ambassadeurs après que le Mali ait protesté contre l’invitation en Algérie de rebelles du CSP-PDA. Mais, après quelques semaines, les diplomates avaient regagné leurs postes dans les deux capitales.

Mohamed Kenouvi

Tinzawatène : l’armée maintient la pression sur les groupes armés terroristes

L’état-major général des armées a confirmé dans un communiqué dimanche des frappes aériennes dans le secteur de Tinzawatène dans la matinée du 25 août 2024. Depuis les affrontements fin juillet contre les rebelles du CSP-PDA, les FAMa multiplient les opérations pour prendre le contrôle de la zone.

« Ces frappes de précision ont visé des objectifs terroristes auteurs de plusieurs exactions et abus sur les populations civiles y compris la restriction de la liberté de circulation et la prise de boucliers humains », précise le communiqué de l’armée lu à la télévision nationale. Elles font suite à la « permanence des observations et surveillance aérienne ayant permis de préciser les renseignements ».

Selon un autre communiqué de l’armée en date du 25 août publié ce lundi, une série de frappes menée à Tinzawatène a permis de « détruire des cibles terroristes et de neutraliser une vingtaine d’individus armés », à la suite d’une mission de reconnaissance offensive  qui a permis de repérer et d’identifier des véhicules de type Pick up chargés de matériels de guerre, « soigneusement gardés dans la cour d’une concession ».

« La stratégie de l’armée est d’affaiblir suffisamment les groupes armés terroristes de la zone avant le déploiement des troupes au sol pour reprendre totalement le contrôle de la zone », explique un analyste sécuritaire.

Depuis la bataille qui avait opposé du 25 au 28 juillet dernier  les rebelles du CSP-PDA épaulés par des groupes armés terroristes aux FAMa à Tinzawatène, occasionnant de nombreuses pertes en vie humaines et d’important dégâts matériel, de part et d’autre, l’armée malienne intensifie les frappes dans la zone.

Le 9 août, les vecteurs aériens des FAMa ont  procédé à une frappe « chirurgicale » dans la zone détruisant un blindé camouflé. Plusieurs terroristes avaient été également neutralisés et de nombreuses caches d’armes détruites.

En plus de Tinzawatène, l’armée multiplie les offensives dans d’autres localités à l’intérieur de la région de Kidal, dans des zones très reculées pouvant servir de refuge aux groupes armés terroristes.  Le 5 août dernier, elle a détruit une base de terroristes dans le secteur de Toximène.

Ce lundi 26 août, l’armée a annoncé avoir neutralisé 6 terroristes et détruit deux véhicules chargés de matériels de guerre leur appartenant à environ 80km au nord de la localité d’Anéfis sur la route de Tessalit.

Mohamed Kenouvi