Dr. Bakary Sambe « La militarisation excessive ne garantit pas une sécurité durable : l’implication des communautés locales est essentielle »

Dr. Bakary Sambe, président-fondateur du Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies, dirige un think tank spécialisé dans les questions de paix et de sécurité en Afrique. Avec des bureaux à Dakar, Niamey et Bamako, l’institut s’appuie sur des recherches scientifiques pour inspirer les politiques publiques et fournir un appui stratégique aux gouvernements et partenaires internationaux. Actif dans la diplomatie préventive et la résolution des conflits au Sahel, il aborde des enjeux liés à la montée du terrorisme, aux stratégies de lutte des États sahéliens, à l’implication des communautés locales, et aux impacts de la désinformation sur la stabilité régionale.

Dans cette interview, Dr. Sambe analyse l’évolution des menaces terroristes au Sahel, les approches adoptées par les États, ainsi que l’importance d’une collaboration avec les communautés et d’une approche holistique face aux défis sécuritaires actuels.

Comment décririez-vous l’évolution de la menace terroriste au Sahel ces dernières années, notamment en ce qui concerne les stratégies adoptées par les groupes extrémistes ?

Les groupes terroristes ont évolué dans leur stratégie depuis le débordement de l’épicentre du Nord du Mali vers le Centre d’où la menace s’est beaucoup communautarisée. Aujourd’hui, la présence djihadiste se présente de la manière suivante, il y a ISWAP à travers Boko Haram, l’état islamique, Islamic State West African Province, donc au Nigéria, qui opère aujourd’hui sur le bassin du lac Tchad, concernant aussi bien le Nigéria, le Niger, le nord du Cameroun et le Tchad dans les régions de Bol, Bagassola, autour du lac. Il y a aussi la présence de l’état islamique au Sahel, qui était l’état islamique au Grand Sahara et qui s’est transformé en état islamique au Sahel depuis mars 2022, avec un redéploiement plus assidu dans le Liptako Gourma, dans les zones des trois frontières communes au Mali, au Niger et au Burkina Faso et qui essaie d’avancer, mais qui a eu beaucoup de mal par rapport au JNIM, groupe de soutien à l’islam musulman de Iyad Ag Ghali, branche d’Al-Qaïda, qui contrôle les vastes zones à partir de Tombouctou, jusqu’à aujourd’hui dans l’est du Burkina Faso. Maintenant, il y a une stratégie de localisation de ce djihad-là, avec la Katiba Macina qui est la frange la plus active du JNIM aujourd’hui et qui avance dans la région de Kayes et qui opère depuis le centre du Mali, mais aussi d’autres katibas comme la Katiba Hanifa qui opère au Bénin. Et aujourd’hui, il y a la crainte d’une jonction entre les groupes qui se développent au Niger, mais aussi au nord du Bénin à partir du département de l’Alibori et jusqu’au Borgou, qui est une région au nord du Bénin, mais qui est connectée aujourd’hui aux réalités du Nigéria, où se développe un type de djihadisme mêlant activités criminelles et attaques terroristes, notamment dans le nord-ouest du Nigéria, dans les états comme Jigawa, etc. Les récentes manifestations d’une violence extrême dans le Nord-Ouest du Nigeria notamment avec le nouveau groupe Lukurawa n’augurent pas d’une accalmie.

Quelle est votre évaluation des différentes stratégies mises en œuvre par les États sahéliens, comme le Niger, le Mali et le Burkina Faso, pour lutter contre le terrorisme ? Quelles approches ont montré des résultats probants ?

La première approche était de combiner efforts nationaux et interventions étrangères dans le cadre d’une coopération sécuritaire qui n’a pas porté ses fruits que ce soit au Mali, au Burkina Faso ou encore au Niger. Cela ressemblait à une sous-traitance de la sécurité dans laquelle les résultats étaient vraiment mitigés. Aujourd’hui avec le rejet de ces coopérations notamment avec la France et le recours à la Russie, les défis restent encore nombreux malgré une politique d’acquisition de matériel militaire plus facile qu’auparavant et un meilleur équipement des armées. Le fait d’établir une coopération plus soutenue entre les trois pays qui sont devenus l’AES suite aux profonds désaccords avec la CEDEAO après les coups d’État militaires, avait redonné un certain espoir notamment en termes de synergie et une meilleure coordination de la lutte avec le partage des mêmes défis transfrontaliers autour du Liptako Gourma. Avec des résultats au Nord du Mali malgré les difficultés dans la zone de Ménaka dues surtout aux rivalités entre les groupes terroristes, Bamako devrait mieux intégrer la nature évolutive de la menace et éviter une radicalisation de certaines communautés. Le Niger semble avoir des difficultés dans le Tillabéri tandis que la Burkina Faso peine à reprendre le contrôle de grandes parties du territoire malgré le réarmement des troupes et l’intervention des VDP. Je pense que les trois pays de l’AES devraient mieux intégrer les dynamiques communautaires dans l’élaboration des stratégies et sur certains aspects de la lutte collaborer avec des pays voisins même s’ils ne sont pas de leur organisation mais partageant les mêmes défis.

Dans quelle mesure l’implication des communautés locales est-elle cruciale dans la lutte contre le terrorisme, et comment les États peuvent-ils renforcer cette collaboration ?

On a vu que la militarisation à outrance de la lutte bien qu’elle aide à gérer les impératifs sécuritaires et les urgences n’installe pas une sécurité durable. La menace n’est plus exogène ; elle est secrétée par conjonction de facteurs internes sur lesquels les éléments extérieurs se greffent pour profiter de l’instabilité par l’instrumentalisation des griefs. Une réelle approche sécurité humaine s’impose. A la différence des approches classiques qui placent l’État et les forces de sécurité au cœur de tout dispositif, l’approche sécurité humaine permettrait de réduire le fossé grandissant entre FDS et populations locales et les communautés qui sont au cœur des solutions durables. La Mali avait initié le principe du dialogue inter-malien et l’implication des communautés malgré l’opposition de certains partenaires qui était contre. Aujourd’hui, malgré les avancées au Mord mitigée par la situation du Centre, le Mali devrait saisir davantage les possibilités qu’offrent les mécanismes traditionnels et endogènes basés sur le dialogue et l’implication des communautés. Cela aiderait les autorités à faciliter l’appropriation des mesures sécuritaires par les communautés et donc leur engagement auprès des forces de sécurité. Mais il va falloir un changement progressif de paradigme qui n’est pas évident.

Vous avez souligné que la désinformation constitue une menace réelle pour la sécurité au Sahel. Pouvez-vous expliquer comment la désinformation influence la stabilité de la région et quelles mesures pourraient être prises pour la contrer ?

 Les fake news, fausses nouvelles ou informations non vérifiées distillées sur les réseaux sociaux, le poids des influenceurs sur l’opinion publique, la course au scoop et au buzz, sont autant d’éléments aggravant les effets incontrôlés de la démocratisation de la diffusion et de l’accès à l’information à l’heure du numérique. Les pays du Sahel qui, en plus, d’absence de cadres normatifs ou de régulation, font face à ce flux d’informations et à sa manipulation par divers acteurs. Tout cela dans un contexte d’incertitudes et de tensions politiques internes, de menaces sécuritaires mais aussi d’escalades sur le plan diplomatique. Récemment, de fausses informations ont failli déclencher des émeutes au Mali et dans d’autres pays de la région sur fonds de lutte contre le terrorisme et de contestation des présences militaires étrangères. Maintenant, cette désinformation perturbe le travail des forces de sécurité et de défense, les mets en danger comme elle provoque et attise parfois des conflits intercommunautaires dans beaucoup de pays de la région. Le terrain malien est depuis peu le laboratoire d’expérimentation de toutes formes de communication d’influence. Dans un contexte d’insécurité et d’instabilité politique, la désinformation revêt plusieurs formes et se cache derrière bien des campagnes de communication bien ciblées. La période de la transition avec la montée de diverses formes de contestation des dominations sur fond d’escalades diplomatiques et de guerre de positionnement de nouvelles puissances est particulièrement propice à ce phénomène. Mais en accentuant la guerre informationnelle on est en train de jouer avec le feu. La lutte contre la désinformation est un enjeu de sécurité et de stabilité pour les pays du Sahel. En présence d’une crise et d’une angoisse des populations les tentatives de manipulations de l’opinion à travers les réseaux sociaux et les différents médias peut compromettre les politiques publiques et même la crédibilité des institutions ; ce qui représente une menace grave contre la viabilité des États, du système démocratique, de la paix et de la sécurité au Sahel. Dans ce contexte de rivalités internationales, il faudra que nos pays réfléchissent à des solutions locales pour faire face à ce phénomène qui constitue une réelle menace à la stabilité.

Quel est votre point de vue sur l’impact des interventions militaires étrangères dans la région, notamment celles de la France et des Nations Unies, sur la dynamique sécuritaire au Sahel ?

Vous savez, la sous-traitance de la sécurité n’a jamais été une solution durable et quel que soit le partenaire. La coopération internationale est par ailleurs une nécessité car les défis sont transnationaux. Il y a des bases militaires étrangères dans les pays qui sont parmi les plus souverains comme l’Allemagne mais aussi au Qatar avec la présence américaine ; l’une des plus importantes. L’essentiel c’est la définition des termes de la coopération et de son contenu, dans le respect des intérêt de chacune des parties. Mais l’Afrique devrait davantage compter sur la coopération régionale et surtout la réactivation des cadres régionaux et penser à une meilleure mutualisation des capacités. C’est pour cela, au niveau sous-régional, on devrait vite sortir de la crise entre les pays membres de l’AES et de la CEDEAO pour faire face ensemble aux défis sécuritaires que nous avons en commun.

On observe une extension de l’insécurité du Sahel vers les pays côtiers du Golfe de Guinée. Quelles leçons ces pays peuvent-ils tirer des expériences sahéliennes pour éviter les mêmes erreurs dans la lutte contre le terrorisme ?

Les pays côtiers doivent veiller à ne pas être emportés par l’élan de victoires militaires partielles et temporaires au point de réveiller les sentiments communautaires qui alimenteront les cellules terroristes locales de demain. On pourrait dire que le contre-terrorisme classique certes, semble avoir les faveurs des partenaires internationaux. Cependant il ne s’attaque qu’aux symptômes d’un mal déjà profond, à un résultat qu’est même le fait terroriste. Toutefois, il s’avère impuissant face aux racines de ce mal qui se déclinent en plusieurs fléaux. Ils ont pour noms, entre autres, la pauvreté, le mal-développement, la mal-gouvernance, les injustices et les griefs entretenus sur certains groupes ethniques et populations par une reproduction des imaginaires nés de l’époque coloniale et reproduits par les Etats postcoloniaux sur des populations entières auxquelles on n’offre que la répression comme réponse. De même, au Sahel, toutes les tentatives infructueuses de privatiser la gestion sécuritaire par le biais de milices d’autodéfense ont, de manière contreproductive, abouti à la stigmatisation de populations qui, frustrées et instrumentalisées, sont finalement allées grossir les rangs de l’Etat islamique au Grand Sahara et d’autres groupes terroristes qui n’ont même plus besoin de l’idéologie djihadiste pour recruter massivement. Différente du contre-terrorisme, la prévention de l’extrémisme violent s’attaque aux causes structurelles de la radicalisation et des frustrations. Cette dimension ne devrait pas être perdue de vue. Sa prise en compte devra passer par la définition préalable des questions les plus urgentes à gérer selon les pays ainsi que de l’environnement extérieur à prendre nécessairement en compte. La conquête des cœurs par le renforcement du sentiment d’appartenance nationale des citoyens des zones transfrontalières et les investissements massifs sur le désenclavement s’avèrent plus durable que de leur imposer des conditions draconiennes de sécurité donnant l’impression d’un Etat à visage répressif. Une plus grande présence de l’État protecteur dont l’interface doit être des forces de défense et de sécurité ayant gagné la confiance des populations et la bataille du renseignement humain, participera du travail de prévention dans une démarche holistique et inclusive.

Quels sont, selon vous, les principaux défis à anticiper dans les prochaines années concernant la sécurité au Sahel, et quelles stratégies devraient être adoptées pour y faire face efficacement ?

Deux des plus grandes préoccupations pour nos États dans les années vont être la communautarisation du terrorisme et la détérioration des rapports entre les États centraux et les communautés locales qui profitent aux groupes terroristes. En fait la stratégie d’AQMI, dans la région semble, aujourd’hui, tourner autour de la création de zones d’instabilité et de l’instrumentalisation des conflits intercommunautaires comme ceux liés au pastoralisme en profitant de la frustration des communautés due aux travers de la lutte contre le terrorisme et des bavures des armées nationales. L’instabilité politique permet à AQMI de prospérer en cherchant surtout des terrains propices aux alliances avec les communautés « persécutées » où il peut y avoir des couveuses locales. Les terroristes ont réussi à se présenter, désormais, comme des protecteurs des populations locales en proie à l’insécurité. Malgré la réadaptation annoncée de la coopération sécuritaire par des pays comme la France, les Etats de la région et leurs partenaires internationaux s’embourbent dans la militarisation à outrance, une fausse solution, elle-même partie intégrante du problème. La dure réalité est que, selon la forme actuelle de la coopération militaire, nos armées s’entraînent en y mettant beaucoup d’énergies et de moyens à des formes de batailles qu’elles n’ont que peu de chance à livrer. Cette stratégie dans laquelle on s’entête en négligeant la part du dialogue avec les communautés avait déjà largement montré ses insuffisances en face de la menace asymétrique. Les États de la région semblent vouloir compenser les échecs de leurs forces de défense et de sécurité par une stratégie qui dresse des milices d’auto-défense et les volontaires contre des communautés ostracisées tout en créant les conditions de recrutements massifs dans ces mêmes communautés. Le fait est qu’à chaque fois que ces armées déclarent, triomphalistes, avoir ratissé telles zones et neutralisé des terroristes, elles sèment, en même temps, les graines des futures conflits intercommunautaires qui embraseront davantage la région.

Dans quelle mesure les répercussions de la crise syrienne, notamment la dispersion des combattants étrangers et les flux d’armes, pourrait-elle aggraver l’instabilité sécuritaire au Sahel et influencer les stratégies des groupes terroristes locaux ?

La conquête de la Syrie aujourd’hui par Hayat Tahrir al-Sham, qui a renversé Bachar Assad, pourrait avoir des implications lointaines en Afrique, d’autant plus que déjà la Syrie était la base à partir de laquelle s’organisait beaucoup de logistique pour la Russie vers le Sahel, le recrutement de mercenaires comme ceux dont certains ont parlé au Niger par exemple etc. Mais aussi c’était un dispositif important pour la Russie, notamment avec les bases militaires de Tartous et de Lattaquié. Et aujourd’hui, je pense que cette situation va priver quand même la Russie de quelques moyens si elle n’arrive pas à négocier avec les nouvelles autorités qui ont pris le pouvoir à Damas, ça va la priver d’une base logistique assez importante qui lui permettrait de se déployer aussi bien en Ukraine qu’au Sahel. Maintenant, sur le terrain en Syrie, le groupe Hayat Tahrir al-Sham est un groupe qui au début est né sur les flancs de l’État islamique avec Jabhat al-Nusra, mais qui a évolué vers l’Al-Qaïda, ce qui pourrait présager un lien entre ces djihadistes et l’Al-Qaïda. Mais au Sahel Al-Qaïda a changé complètement de stratégie, ils ne sont plus dans des stratégies globalistes et globalisantes, ce sont des formes de régionalisation de la stratégie sur le continent africain et dans le Sahel de manière générale. C’est le JNIM qui y est actif, qui est une part de l’Al-Qaïda, mais qui fonctionne de manière très autonome avec des Katibas qui sont ancrés dans les communautés, comme la Katiba Macina qui prend de l’importance. On le voit aujourd’hui, c’est ainsi que l’Al-Qaïda, à travers le JNIM, arrive à avancer au Burkina Faso, mais aussi dans les pays côtiers. Mais je pense que ça peut avoir des implications plutôt lointaines et pas directes pour l’instant. Mais il est sûr que si la guerre en Ukraine venait à prendre fin surtout avec le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, nous serons dans l’expectative sur la place que va désormais occuper le Sahel dans la stratégie russe.

Christophe Gomart : « Sécurité, économie et stabilité politique, trois piliers indissociables »

Ancien Général de corps d’armée et député européen élu en juin 2024 sur la liste des Républicains, Christophe Gomart est Vice-président de la Sous-commission Sécurité et Défense (SEDE) et membre de la Commission des Affaires étrangères au Parlement européen. En 2013, il a participé à l’Opération Serval au Mali. Dans cet entretien, il aborde les défis de la stabilisation du Sahel. Propos recueillis par Massiré Diop

Quelle est la clé pour stabiliser durablement le Sahel ?

La coopération régionale est indispensable. Les groupes terroristes exploitent les frontières pour se déplacer et opérer en toute impunité. Sans coordination entre les pays, cette lutte sera inefficace. L’exemple d’Europol en Europe montre l’importance d’une structure capable d’agir au-delà des frontières, une approche encore à construire dans le Sahel.

L’option militaire, à elle seule, peut-elle résoudre les problèmes ?

Non, l’option militaire est nécessaire mais insuffisante. Pour stabiliser le Sahel, il faut s’appuyer sur trois piliers : sécurité, économie et stabilité politique. Lors de l’Opération Serval, j’ai vu de jeunes Maliens rejoindre des groupes armés pour des raisons économiques. Si nous ne leur offrons pas d’alternatives, ces recrutements continueront. Sans institutions politiques solides pour soutenir un développement à long terme, aucun progrès ne sera durable. Une armée forte est essentielle, mais elle doit être accompagnée de gouvernements stables et non corrompus.

Quelle place pour l’environnement dans cette stratégie ?

L’environnement est une clé dans le pilier économique. La désertification, la raréfaction des ressources en eau et les conflits entre agriculteurs et éleveurs sont des catalyseurs de l’instabilité. Reboiser, gérer durablement les terres et restaurer les écosystèmes sont nécessaires pour assurer des moyens de subsistance et éviter des migrations massives.

L’Europe joue-t-elle un rôle suffisant dans cette région ?

L’Union européenne fait beaucoup, mais il faut aller plus loin. La sécurité est importante, mais l’Europe doit également investir dans les infrastructures et encourager la création d’emplois pour éviter que les populations ne se tournent vers les groupes armés. L’engagement européen doit s’intensifier, car ce qui se passe au Sahel a des répercussions sur la sécurité en Europe.

Quels espoirs pour l’avenir ?

Si les trois piliers, à savoir la sécurité, l’économie et la stabilité politique sont renforcés de manière concertée, il est possible de stabiliser la région. Cela demandera un effort international soutenu, mais c’est la seule voie pour transformer le Sahel en un espace de paix et de prospérité.

Nouveau RSUE : João Cravinho nommé pour un nouveau chapitre dans les relations UE-Sahel

Désigné ce lundi 18 novembre 2024, João Cravinho, ancien ministre des Affaires étrangères du Portugal, prendra ses fonctions le 1er décembre prochain, en tant que représentant spécial de l’Union européenne (RSUE) pour le Sahel.

 

Cette nomination intervient à un moment critique, alors que les relations entre l’UE et les pays sahéliens tels que le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont marquées par des tensions liées aux transitions politiques en cours.

Le mandat de João Cravinho s’étendra sur 21 mois, jusqu’en août 2026. Il succède à Emanuela Claudia Del Re, qui occupait ce poste depuis juillet 2021. En tant que quatrième RSUE pour le Sahel, après Michel Dominique Reveyrand-De Menthon (2013-2015), Ángel Losada Fernández (2015-2021) et Emanuela Claudia Del Re (2021-2024), M. Cravinho aura pour mission de renforcer la coopération entre l’UE et les pays du Sahel, en mettant l’accent sur la promotion de la paix, de la sécurité et du développement durable.
La région du Sahel est confrontée à des défis majeurs, notamment l’instabilité politique, le terrorisme et la criminalité transfrontalière. Avec les transitions politiques au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les relations avec l’UE sont au point mort, nécessitant une approche diplomatique nuancée. João Cravinho apportera son expérience en matière de politique étrangère et de défense pour naviguer dans ce paysage complexe.
Priorités du mandat
Parmi les priorités de M. Cravinho figure le renforcement de la coopération sécuritaire en collaborant avec les gouvernements locaux et les organisations régionales pour lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée. Il y a aussi le soutien aux transitions politiques à travers l’accompagner des processus de transition vers des gouvernements civils stables et démocratiques. Aussi, il s’agira pour lui de promouvoir le développement durable en encourageant des initiatives économiques et sociales visant à améliorer les conditions de vie des populations sahéliennes.
La nomination de João Cravinho reflète la volonté de l’UE de renouveler son engagement envers le Sahel. Son expertise et sa connaissance des dynamiques internationales seront des atouts pour renforcer les relations entre l’UE et les pays sahéliens, en favorisant une approche intégrée des défis régionaux.
L’arrivée de João Cravinho en tant que RSUE pour le Sahel marque une étape importante dans les efforts de l’UE pour promouvoir la stabilité et le développement dans cette région stratégique.​​

Sahel : Quel rôle pour les jeunes dans la gouvernance ?

L’engagement civique, citoyen et politique des jeunes au Sahel a connu un déclin ces vingt dernières années. Ce désengagement est la conséquence d’un mécontentement généralisé lié à la gouvernance. Face à ce constat, des initiatives sont en cours pour replacer la jeunesse du Sahel au cœur de la gouvernance et de la stabilité de la région.

Les jeunes ont joué un rôle important dans le basculement des régimes politiques au Sahel ces dernières années. Que ce soit à travers des manifestations de rue ou des espaces d’échanges sur les réseaux sociaux, la voix de la jeunesse a impacté l’évolution de la situation politique.

Pour fournir aux jeunes un cadre de dialogue, de réflexion, d’apprentissage et d’échanges d’expériences et de bonnes pratiques, afin de proposer de nouvelles perspectives, et améliorer leur participation à la citoyenneté et aux processus de paix en Afrique et au Sahel, la 5ème édition du Forum régional des jeunes s’est tenue du 12 au 13 novembre 2024 à Bamako, sur le thème « Rôle et engagement des jeunes dans la gouvernance, la citoyenneté et la paix au Sahel : aller au-delà de la contestation ».

Organisé par le Gorée Institute et l’École de maintien de la paix Alioune Blondin Bèye de Bamako, en collaboration avec le ministère de la Jeunesse et des Sports, chargé de l’Instruction civique et de la Construction citoyenne de la République du Mali et avec l’appui financier du Royaume des Pays-Bas, l’évènement a rassemblé plus de 150 jeunes acteurs de la société civile, des partis politiques, des organisations internationales et des institutions étatiques et non étatiques venant du Mali, du Sénégal, du Burkina Faso et du Niger.

Nouvelle force citoyenne

Dans sa note conceptuelle, l’Institut Gorée soutient que l’expérience des révoltes citoyennes victorieuses au Sénégal, au Mali, au Burkina Faso et au Maghreb, majoritairement conduites par des jeunes, devrait « pousser les élites politiques traditionnelles à se rendre à l’évidence ». Il a aussi été convenu d’appeler ces mouvements « Nouvelle force citoyenne ».

Nous sommes en face d’une nouvelle conscience citoyenne appelée à demeurer dans le paysage politique par la contestation et la dénonciation fréquentes de la « gouvernance scandaleuse », souligne le document.

Néanmoins, les jeunes doivent aller au-delà de cette forme d’expression et s’affirmer sur le plan politique. Il est temps pour eux de se convertir en force de proposition au bénéfice des gouvernants, qu’ils soient militaires ou civils, poursuit la note.

Pour propulser ce changement auprès de la jeunesse, le forum visait à créer un espace pour un échange intergénérationnel de connaissances, d’enseignements et d’expériences et à recueillir les perspectives des jeunes, ainsi que leurs propositions de solutions, face à l’exacerbation de la conflictualité, à l’instabilité politique et à l’instabilité institutionnelle dans l’espace Sahel.

Jeunesse outillée

Ce rendez-vous régional des jeunes avait également pour objectifs de leur donner l’opportunité d’échanger sur le concept de citoyenneté en vue de le repenser dans le contexte africain ainsi que de mettre en place des mécanismes pour réduire l’impact de l’instabilité chronique dans l’espace Sahel. Il leur a permis également d’interagir avec les autorités étatiques, notamment maliennes, et les représentants des institutions internationales et sous-régionales.

Pendant deux jours, lors de divers panels, ils ont été sensibilisés sur plusieurs thèmes tels que leurs rôles et responsabilités dans la prévention et la lutte contre l’extrémisme violent au Sahel, leurs réponses pour des transitions réussies dans les crises politiques et institutionnelles de la région, ainsi que leur leadership et leur engagement civique et politique comme moyens de contribution à la reconstruction de nos États.

Les échanges ont également porté sur la place d’Internet dans la contestation et la construction d’idées innovantes pour un meilleur changement, ainsi que sur le positionnement des jeunes femmes comme partenaires stratégiques dans les processus politiques et de paix au Sahel.

Mohamed Kenouvi

Bilan des violences et de l’insécurité au Sahel : Près de 2000 morts en deux mois, selon OCHA 

Malgré une diminution continue des incidents sécuritaires, les populations du Sahel central subissent encore les conséquences de la violence, des conflits et de l’insécurité. Un rapport récent du Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies (OCHA) révèle que, pour les mois d’août et septembre 2024, 569 incidents ont été enregistrés, entraînant la mort de 1 946 personnes.

À titre de comparaison, les mois de mai et juin 2024 avaient vu 2 864 décès liés à des violences. Depuis le début de l’année, le nombre total d’incidents sécuritaires a atteint 10 599, selon la même organisation.

Au-delà des pertes humaines, les conflits au Sahel central continuent de provoquer des déplacements massifs de populations. Le nombre de personnes déplacées à l’intérieur des frontières du Burkina Faso, du Mali et du Niger s’élève désormais à 2,7 millions, soit une augmentation de 3 % par rapport à juin 2024. En parallèle, le nombre de réfugiés a légèrement diminué de 2 %, totalisant 319 500 individus.

Les populations déplacées, souvent les plus vulnérables, sont confrontées à une insécurité alimentaire sévère et à des niveaux critiques de malnutrition. L’accès aux services de base est limité, avec un impact aggravé par les inondations survenues pendant la saison des pluies de 2024. Le rapport précise que 8 218 écoles sont non fonctionnelles dans la région et que 494 centres de santé ne sont plus opérationnels. Le Burkina Faso est le pays le plus durement touché par ces fermetures.

Bien que les violences persistent et que les accès sont de plus en plus restreints, 310 organisations humanitaires demeurent actives sur le terrain, apportant une aide aux populations affectées. Cependant, les financements disponibles sont encore insuffisants pour répondre à l’ampleur des besoins. À ce jour, 885 millions de dollars ont été mobilisés, ce qui ne représente que 38 % des fonds requis pour soutenir 9 millions de personnes ciblées par les programmes d’aide.

Il convient de noter que ce rapport, publié par le Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies (OCHA), repose sur des données collectées auprès de sources variées, telles que ACLED, l’UNICEF, l’OMS, ainsi que les gouvernements nationaux concernés.

 

Harmonisation des documents de voyage et d’identité : Les experts de l’AES en réunion à Bamako

L’hôtel Salam de Bamako a abrité, les mercredi 2 et jeudi 3 octobre, une réunion des experts de l’Alliance des États du Sahel (AES). Présidée par Oumar Sogoba, Secrétaire Général du Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile, cette rencontre était consacrée à l’harmonisation des documents de voyage et d’identité au sein des pays membres de l’AES.

L’objectif était de parvenir à un accord sur des normes communes qui faciliteront la mobilité des citoyens des trois États membres.
Cette réunion s’inscrit dans le cadre de la décision prise, fin janvier 2024, par les pays membres de l’AES, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, de se retirer de la CEDEAO. Cette décision constitue une étape importante dans leur volonté d’asseoir une plus grande autonomie en matière de coopération régionale. L’AES, formée le 16 septembre 2023, vise à renforcer l’intégration entre ces trois pays sahéliens, notamment à travers la mise en place d’un passeport biométrique commun, un sujet discuté lors du premier sommet de l’AES sous la présidence du Colonel Assimi Goïta, le 6 juillet dernier.
La présente rencontre s’inscrit donc dans la continuité des efforts visant à faciliter la circulation des biens et des personnes. La création de ce passeport biométrique est envisagée comme un levier stratégique pour renforcer les échanges économiques, mais aussi pour améliorer les liens sociaux et humains entre les citoyens des trois pays.
Durant deux jours, les experts des différents ministères et institutions concernées ont débattu des modalités techniques et juridiques de la mise en place de ces nouveaux documents d’identité et de voyage. Parmi les points clés abordés figurent la sécurité des données biométriques, les systèmes d’interopérabilité entre les administrations des trois pays ainsi que les mécanismes de contrôle aux frontières. L’issue de ces discussions aboutira à la formulation de recommandations  qui seront soumises aux ministres en charge de la sécurité.
Cette initiative s’inscrit dans la mise en œuvre des résolutions prises par l’AES lors du premier sommet de l’organisation tenu, le 6 juillet dernier, à Niamey, visant à doter la région d’instruments adaptés à ses ambitions d’intégration économique, sécuritaire et sociale.

Mali – Transition : les mille et une difficultés des journalistes

Le rapport « Dans la peau d’un journaliste au Sahel », publié le 3 avril dernier par Reporters sans frontières, met en évidence d’immenses obstacles à être journaliste au Mali. Déjà confrontés au non versement de la subvention allouée aux médias depuis 2019 et à un ralentissement des mannes publicitaires, ils peinent également à faire leur travail à cause de l’insécurité et de la répression politique.

Il est de ces épreuves de vie qui sont plus dures que la mort. Depuis 2016, Birama Touré, journaliste de l’hebdomadaire Le Sphinx, est porté disparu après avoir été enlevé à Bamako. Sept ans sans donner signe de vie. « Personne ne sait s’il est vivant ou mort », dit l’un de ses proches, pour lequel la situation est toujours difficile. Le 6 avril dernier, c’est le journaliste Aliou Touré, Directeur de publication du journal Le Démocrate, qui a subi le même sort dans la capitale malienne, avant finalement d’être libéré le 10 avril par des ravisseurs non identifiés.

Une chance que n’ont toujours pas eue les journalistes maliens Hamadoun Nialibouly et  Moussa M’Bana Dicko, enlevés respectivement en septembre 2020 et en avril 2021 au centre du Mali par des hommes armés.

À Bamako comme à l’intérieur du pays, les journalistes subissent des agressions. « Il est indéniable que le métier de journaliste au Mali est devenu extrêmement difficile en raison de l’insécurité qui règne dans le nord et le centre. Les risques auxquels sont confrontés les journalistes dans ces localités sont très élevés. Les enlèvements, les menaces et les intimidations sont monnaie courante pour eux », explique Modibo Fofana, Président de l’APPEL Mali. En outre, certains se retrouvent aussi « cyber harcelés et menacés », indique le rapport, qui met l’accent sur le cas de Malick Konaté. Victime régulièrement de cyber harcèlement et d’intimidation depuis début 2023, le journaliste reporter d’images (JRI), également fondateur de la web télévision Horon32, a dû quitter le pays.

Face à la situation, les organisations de la presse s’organisent. Une cellule réunissant l’ensemble des organisations professionnelles de la presse a été créée suite à la disparition du journaliste Aliou Touré. Et elle continue d’œuvrer malgré son réapparition. « Nous demandons à l’ensemble de la presse de continuer cette synergie d’actions et de se donner la main pour faire aboutir nos revendications les plus légitimes pour une presse libre, indépendante et responsable. Dorénavant, la Cellule de crise mise en place va s’intéresser au cas Birama Touré, pour que toute la lumière soit faite sur cette affaire », a indiqué le 11 avril dernier le Président de la Maison de la Presse, Bandiougou Danté.

Sahel : RSF alerte sur les conditions des journalistes

Dans un rapport rendu public ce lundi 3 avril, Reporters sans frontière interpelle et dénonce les nombreuses suspensions des médias français au Sahel ainsi que les conditions de travail des journalistes.

‘’Couvrir librement les multiples crises du Sahel est de plus en plus difficile pour les journalistes, davantage encore depuis que des militaires ont pris le pouvoir dans plusieurs pays’’ a indiqué Reporters sans frontières dans un rapport publié ce lundi. Au Mali, au Burkina et au Tchad, les militaires ont cherché à contrôler les médias au travers de mesures d’interdiction ou de restriction, voire d’attaques ou d’arrestations arbitraires » ajoute le rapport.

Au Mali, le 17 mars 2022 les autorités ont suspendu toute diffusion de RFI et France 24 après une diffusion par ces médias de reportages selon lesquels l’armée malienne serait impliquée dans des exactions contre des civils.

Le 3 décembre 2022, le Burkina Faso a suspendu à son tour toute diffusion de la radio RFI sur l’étendue du territoire burkinabé. Le 27 mars 2023, la chaîne de télévision française France 24 voit à son tour être suspendue. Cinq jours après cette suspension, Sophie Douce du Monde et Agnès Faivre de Libération ont été expulsées samedi 1er avril. Autant de freins à la liberté de la presse au Sahel qui justifient cette sortie de reporters sans frontières.

Dans son rapport, RSF mentionne aussi la détérioration de la situation financière des médias sous l’effet de la crise et de l’arrêt des subventions des Etats.