Ce que l’IA peut apprendre de la sécurité aérienne

Lors d’un récent test de sécurité, un chatbot bancaire d’IA générative conçu pour aider les clients à faire des demandes de prêt a été manipulé pour divulguer des informations financières sensibles. Les testeurs ont contourné les contrôles de sécurité et ont extrait une liste complète d’approbations de prêts, y compris les noms des clients.

Cette histoire met en évidence un problème fondamental : l’IA générative peut révolutionner des secteurs entiers, mais, sans protocoles de sécurité solides, elle peut aussi conduire à des résultats désastreux. Les modèles de sécurité traditionnels ne suffisent plus. Les technologies transformatrices comme l’IA générative exigent une nouvelle approche holistique de la cybersécurité.

 

L’aviation fournit un modèle utile. Tout comme les avions supersoniques, l’IA générative est une technologie transformatrice dotée d’un immense potentiel. Mais en l’absence d’opérateurs formés, de systèmes bien conçus et de protections solides, le risque de défaillance catastrophique est trop important pour être ignoré. En adoptant des protocoles de sécurité rigoureux, le transport aérien est devenu l’un des modes de transport les plus sûrs. De même, le potentiel de l’IA est indéniable, mais son avenir dépend de la prise en compte des risques de sécurité. Une étude récente du BCG, par exemple, a révélé que les trois quarts des dirigeants d’entreprise considèrent la cybersécurité comme un obstacle majeur à l’expansion de l’IA.

 

Contrairement aux logiciels traditionnels, l’IA générative repose sur des probabilités, ce qui peut conduire à des résultats imprévisibles. Les grands modèles de langage (LLM) introduisent des comportements indéterministes, ce qui crée des angles morts en matière de cybersécurité. En outre, leur dépendance à l’égard des entrées en langage naturel, de l’apprentissage adaptatif et des intégrations étendues avec d’autres outils et services les rend particulièrement vulnérables.

 

Tout comme l’aviation nécessite une approche globale et multidimensionnelle de la sécurité, la cybersécurité doit être intégrée à chaque couche de l’IA, de son architecture à la gestion des données et à la surveillance humaine. Sans cette base, l’avenir de l’IA restera incertain.

 

L’une des principales vulnérabilités des systèmes d’IA est l’attaque par injection de données, qui consiste à manipuler un modèle pour qu’il révèle des données sensibles ou modifie sa logique de prise de décision. Le récent test d’un chatbot bancaire a mis au jour un risque tout aussi alarmant : l’escalade des privilèges. Les testeurs se sont fait passer pour un administrateur, ont approuvé des prêts non autorisés et ont modifié des données de base.

 

Les assistants IA dans le domaine de la santé ont été compromis de la même manière, des chercheurs en sécurité ayant réussi à extraire des dossiers confidentiels de patients en reformulant subtilement leurs requêtes. Au lieu de demander directement les antécédents médicaux, les attaquants ont formulé leurs questions de manière à ce qu’elles ressemblent à des demandes légitimes de la part de médecins. Ce faisant, ils ont révélé une autre faiblesse : l’IA privilégie souvent la logique linguistique au détriment des contrôles d’accès.

 

Ces vulnérabilités dépassent le cadre des banques et des soins de santé. De nombreuses applications d’IA s’appuient sur des systèmes agentiques, qui récupèrent des données en temps réel pour prendre des décisions de manière autonome, créant ainsi des opportunités pour les attaquants. Par exemple, une évaluation de la sécurité d’un chatbot de service à la clientèle, alimenté par l’IA, a montré que les attaquants étaient en mesure d’exploiter une faible validation de l’interface de programmation d’application (API) pour manipuler un LLM afin qu’il révèle des codes de réduction internes et des détails d’inventaire.

 

La capacité d’adaptation de l’IA peut également être exploitée par ce que l’on appelle « l’empoisonnement contextuel ». En façonnant progressivement les réponses d’un modèle au fil du temps, les attaquants peuvent orienter ses réponses vers des recommandations incorrectes ou dangereuses. Lors d’une expérience, le chatbot d’un spa a été exposé de manière répétée à des données présentant des ingrédients dangereux aussi bien que bénéfiques. Il a fini par recommander des produits de soin de la peau nocifs.

 

Lorsque les systèmes d’IA submergent l’infrastructure traditionnelle de requêtes automatisées, ils peuvent entraîner une défaillance du système – un phénomène connu sous le nom de legacy contamination (« contamination de l’héritage »). Pour éviter ce résultat, les organisations doivent mettre en œuvre un entraînement contradictoire, en exposant continuellement les modèles d’IA à des entrées trompeuses afin d’améliorer leur résilience.

 

La détection des anomalies en temps réel – à la fois automatisée et manuelle – permet d’identifier les comportements inhabituels de l’IA avant que les données manipulées n’affectent les réponses. Tout comme les systèmes de contrôle de vol s’appuient sur des sauvegardes indépendantes, la sécurité de l’IA générative doit s’appuyer sur des protections en couches, notamment la détection automatisée des anomalies pour signaler les activités irrégulières, la validation redondante des accès pour empêcher les interactions non autorisées avec le système, et des mécanismes de retour en arrière en temps réel pour annuler les changements néfastes.

 

Les analystes prévoient que les dépenses mondiales en matière d’IA dépasseront 631 milliards de dollars d’ici 2028. Nombre de ces investissements auront du mal à produire des résultats significatifs si les défis fondamentaux en matière de cybersécurité ne sont pas relevés. Plus important encore, la sécurité de l’IA doit passer du statut de « complément » à celui de fonction essentielle intégrée aux architectures des systèmes, à la gestion des données et à la surveillance humaine. Un cadre de sécurité efficace doit être fluide, adaptable, résilient et intégré aux systèmes existants.

 

Même les leaders de l’industrie sont confrontés à des problèmes de conception, ce qui souligne la nécessité de renforcer les mesures de sécurité. En mars 2023, OpenAI a découvert un bug dans une bibliothèque open-source qui a exposé par inadvertance les informations de paiement des utilisateurs de ChatGPT en envoyant des courriels de confirmation aux mauvais destinataires.

 

La sécurité de l’IA doit évoluer au même rythme que les systèmes qu’elle vise à protéger. Mais une gestion efficace des données ne se limite pas à fortifier les pipelines et à sécuriser les ensembles de données d’entraînement. Elle nécessite une stratégie bien définie qui traite les données comme un avantage concurrentiel et évalue soigneusement les données à exposer et celles que les entreprises devraient être en mesure d’exploiter.

 

La supervision opérationnelle est tout aussi essentielle. La cybersécurité ne doit pas être confinée à un silo de spécialistes. Elle doit être intégrée dans chaque service et dans chaque flux de travail, avec des outils de surveillance en temps réel et des boucles de rétroaction adaptatives qui aident les organisations à garder une longueur d’avance sur les menaces et les vulnérabilités émergentes.

 

Au-delà des technologies de pointe, la cybersécurité exige de cultiver une culture de la vigilance. Selon un rapport de Verizon datant de 2024, 68 % de toutes les violations de données impliquent un élément humain, comme le fait d’être piégé par des attaques de phishing ou d’ingénierie sociale. Pour atténuer ces risques, les employés doivent non seulement identifier les menaces, mais aussi apprendre à y répondre de manière appropriée. Même des mesures simples, comme une formation régulière à la sécurité et des mécanismes de signalement transparents, peuvent faire une grande différence.

 

Tout comme l’aviation a gagné la confiance du public en adoptant des mesures de sécurité rigoureuses, l’industrie de l’IA doit mettre en place des protections pour prévenir les hallucinations, la manipulation, le piratage et les problèmes de latence avant qu’ils ne causent des dommages dans le monde réel. Cela nécessite une approche globale qui intègre l’architecture, l’ingénierie, la stratégie des données et l’IA responsable. Les entreprises qui intègrent la sécurité à tous les niveaux de leur stratégie d’IA prospéreront, tandis que celles qui s’accrochent à des modèles de sécurité dépassés prendront inévitablement du retard.

 

Sylvain Duranton est responsable mondial du BCG X. Vanessa Lyon est responsable mondial du risque cybernétique et numérique au BCG.

 

Project Syndicate, 2025.
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L’initiative de l’ONU en matière de dette a changé

Le développement économique nécessite des financements abordables, accessibles et dont les échéances correspondent aux résultats du développement. Pourtant, pour la plupart des pays en développement, rien de tout cela ne s’applique. Au lieu de cela, une « catastrophe de la dette » de plus en plus grave est en train de se produire dans une grande partie du monde en développement, exacerbée par une série de crises mondiales en cascade.

 

On ne saurait trop insister sur l’urgence de la crise actuelle. Plus de la moitié des 68 pays éligibles au Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC) du Fonds monétaire international (FMI) sont aujourd’hui confrontés au surendettement, soit plus du double qu’en 2015.

 

Ce chiffre ne rend cependant pas intégralement compte de l’ampleur du problème, car de nombreux pays qui ne relèvent pas du FRPC sont également aux prises avec un endettement écrasant et des problèmes de liquidité. Entre 2017 et 2023, le coût moyen du service de la dette des pays en développement a augmenté de près de 12 % par an, soit plus du double du taux de croissance de leurs exportations et de leurs envois de fonds. Par conséquent, la viabilité de la dette extérieure s’est détériorée dans deux tiers des pays en développement au cours de cette période, y compris dans 37 des 45 pays africains pour lesquels des données sont disponibles.

 

Malgré le poids insoutenable de leur dette, de nombreux pays hésitent à faire défaut, en raison de l’inefficacité des mécanismes de résolution de la dette et des coûts politiques et économiques prohibitifs. En conséquence, les pays endettés donnent la priorité à leurs obligations envers leurs créanciers plutôt qu’à leur propre développement. L’explosion des paiements au titre du service de la dette empêche ainsi les investissements vitaux dans les infrastructures et le capital humain, ce qui étouffe la croissance et retarde l’action en faveur du climat. Aujourd’hui, 3,3 milliards de personnes vivent dans des pays qui consacrent plus d’argent au service de la dette qu’aux soins de santé et à l’éducation, la grande majorité d’entre elles se trouvant dans des économies à revenu intermédiaire.

 

Si rien n’est fait, les contraintes de liquidité actuelles pourraient rapidement se transformer en une véritable crise de solvabilité. Une intervention urgente est donc nécessaire pour éviter une vague de défauts de paiement et mettre les pays endettés sur la voie de l’indépendance économique.

 

En réponse à l’escalade de la crise de la dette dans les pays du Sud, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a créé le groupe d’experts sur la dette en décembre 2024. Ses membres sont chargés d’identifier et de proposer des solutions politiques pour aider les économies en développement – en particulier les pays africains et les petits États insulaires en développement – à sortir du cercle vicieux du surendettement.

 

Bien que de précédents groupes de travail des Nations unies se soient penchés sur la question de la dette souveraine, plusieurs facteurs distinguent cette initiative. Le premier est le calendrier : les chocs économiques successifs ont contraint les pays en développement à emprunter, généralement à des taux d’intérêt élevés, ce qui a considérablement réduit leur marge de manœuvre budgétaire. À cinq ans de l’échéance de 2030 fixée pour la réalisation des objectifs de développement durable (ODD), les pays en développement – entravés par un déficit de financement annuel persistant de 4 000 milliards de dollars – sont en passe d’en atteindre moins d’un cinquième.

 

Deuxièmement, alors que les initiatives précédentes se sont concentrées sur la capacité des pays en développement à rembourser et à assurer le service de leur dette, le groupe d’experts vise à s’assurer que toutes les solutions proposées soutiennent le développement durable.

 

Troisièmement, le groupe d’experts a pour objectif d’identifier et de promouvoir des solutions susceptibles d’obtenir un soutien politique et public aux niveaux mondial, régional et national. Si des mesures audacieuses et ambitieuses sont essentielles pour résoudre la crise actuelle de la dette et du développement, nous ne pouvons pas nous permettre de poursuivre des propositions qui ont peu de chances d’obtenir le soutien nécessaire pour conduire un changement significatif.

 

C’est dans cet esprit que le groupe d’experts cherche à développer des stratégies globales. Si les solutions ne s’appliquent qu’aux nouvelles dettes ou ne favorisent pas la croissance économique, la stabilisation de la dynamique de la dette pourrait prendre des années. Les compromis doivent également être soigneusement pris en compte ; un recours accru aux garanties, par exemple, pourrait mobiliser davantage de capitaux privés, mais pourrait réduire l’accès aux financements concessionnels et aux subventions pour les États souverains.

 

Enfin, la composition et la portée du groupe d’experts le placent dans une position unique pour aborder ces questions. Soutenu par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) et d’autres organismes internationaux, le groupe rassemble d’anciens et d’actuels fonctionnaires, des décideurs politiques et des universitaires de premier plan, alliant expertise technique et influence de haut niveau.

 

Les liens étroits que le groupe entretient avec des institutions et des réseaux clés – notamment les institutions financières internationales, le G20, Jubilee 2025 et diverses organisations et agences régionales et nationales – créent des opportunités précieuses pour engager les décideurs politiques, les universitaires, les représentants de la société civile et d’autres parties prenantes. En favorisant la coordination entre les États membres des Nations unies, le groupe peut contribuer à mobiliser la volonté politique et à affiner les propositions émergentes.

 

Trois rassemblements à venir – la quatrième conférence internationale sur le financement du développement en juillet en Espagne, le sommet du G20 en Afrique du Sud et la conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP30) en novembre au Brésil – pourraient particulièrement servir de plateformes essentielles pour promouvoir des solutions politiques réalistes et pratiques.

 

Certes, aucune réforme ne résoudra à elle seule la crise de la dette des pays en développement du jour au lendemain. La crise a toutefois mis en évidence les limites des approches conventionnelles, ce qui souligne le besoin urgent de repenser la structure et l’objectif de la dette souveraine afin que les pays ne soient plus contraints de choisir entre rembourser leurs créanciers et assurer leur avenir.

 

Compte tenu des enjeux, toute solution doit être à la fois rapide et capable d’unir une large coalition de parties prenantes. Mais la rapidité ne peut se faire au détriment du progrès à long terme. Pour briser le cycle du surendettement, les solutions doivent aller au-delà des solutions à court terme et servir de base au développement durable.

 

Mahmoud Mohieldin, envoyé spécial des Nations unies pour le financement du Programme de développement durable à l’horizon 2030, est coprésident du groupe d’experts sur la dette. Paolo Gentiloni, ancien commissaire européen à l’économie, est coprésident du groupe d’experts sur la dette. Trevor Manuel, ancien ministre des Finances d’Afrique du Sud, est coprésident du groupe d’experts sur la dette. Yan Wang, ancien économiste principal à la Banque mondiale, est chercheur universitaire principal au Global Development Policy Center de l’Université de Boston et coprésident du groupe d’experts sur la dette.

 

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Un monde à l’envers

Les principaux moteurs de croissance du monde sont sur le point de se mettre à tourner à l’envers. Les politiques et les incertitudes de la deuxième administration du président américain Donald Trump ont frappé une économie mondiale léthargique d’un choc exogène transformationnel. Les risques sont particulièrement inquiétants aux États-Unis et en Chine, qui ont représenté collectivement un peu plus de 40 % de la croissance cumulée du PIB mondial depuis 2010.

 

L’Amérique est désormais le problème, et non la solution. Longtemps le point d’ancrage d’un ordre international fondé sur des règles, les États-Unis sont devenus protectionnistes, ce qui fait peser des risques majeurs sur un cycle commercial mondial déjà fragile. Dans le même temps, le mouvement Maga (« Make America Great Again ») de Trump a creusé un fossé profond entre les États-Unis et l’Europe et divisé l’Amérique du Nord : l’indépendance même du Canada se retrouve dans la ligne de mire de Trump. Le rôle central des États-Unis dans le maintien de la stabilité géostratégique post-Seconde Guerre mondiale a été brisé.

 

Les États-Unis ne seront pas en mesure de remettre le génie dans la lampe. Les actions choquantes de Trump ont érodé la confiance qui sous-tendait le leadership mondial de l’Amérique, et les dommages se manifesteront longtemps après que Trump ait quitté la scène. L’Amérique ayant déjà abdiqué son autorité morale en tant que point d’ancrage du monde libre une fois, qui peut dire que cela ne pourra pas se reproduire ?

 

Cette rupture de confiance jette une ombre durable sur les performances économiques, notamment aux États-Unis, où elle affecte la prise de décision des entreprises, en particulier les engagements coûteux à long terme associés à l’embauche et aux dépenses d’investissement. Les entreprises doivent adapter leurs activités futures aux prévisions de croissance – une perspective de plus en plus incertaine à l’heure actuelle. La valeur des actifs et la confiance des consommateurs ont également été ébranlées. L’incertitude, ennemie de la prise de décision, risque de geler les segments les plus dynamiques de l’économie américaine.

 

En ce qui concerne la Chine, les orientations politiques données par l’État pourraient atténuer le choc initial de la politique de Trump. Mais les pressions exercées par l’escalade des droits de douane de Trump saperont toutefois le modèle de croissance de la Chine fondé sur les exportations. Cela est particulièrement problématique pour la croissance économique, compte tenu de la faiblesse persistante de la demande intérieure chinoise.

 

Le rééquilibrage de l’économie axé sur la consommation, promis depuis longtemps, reste davantage un slogan qu’un véritable changement dans les sources de la croissance chinoise – en particulier avec un filet de sécurité sociale déficient qui continue d’encourager une épargne de précaution motivée par la peur. Le plan d’action en 30 points que la Chine vient d’annoncer pour stimuler la demande des ménages attire l’attention sur la situation apparemment difficile du consommateur chinois. Mais il n’apporte qu’un soutien modeste à un filet de sécurité sociale inadapté.

 

Le choc Trump risque non seulement d’exacerber le conflit sino-américain, mais aussi d’affaiblir considérablement les perspectives de croissance des deux pays. Ne comptez pas sur d’autres économies pour combler ce vide. À terme, l’Inde pourrait être en mesure de le faire, en partie du moins. Mais sa part relativement faible dans le PIB mondial – actuellement 8,5 % (en parité de pouvoir d’achat), contre 34 % pour la Chine et les États-Unis réunis – signifie que ce jour est encore lointain.

 

Il en va de même pour l’Europe. Alors que la part de l’Union européenne dans le PIB mondial (14 %) est presque le double de celle de l’Inde, l’Europe reste confrontée à une croissance anémique, aggravée par les pressions commerciales croissantes liées à l’escalade de la guerre tarifaire mondiale.

 

Si l’effondrement apparent de l’alliance transatlantique a un côté positif, c’est que les incitations à la cohésion stratégique devraient avoir un impact considérable sur les dépenses européennes en matière de défense. Mais cela prendra du temps. Entre-temps, l’Europe sera également exposée aux effets négatifs sur les attentes et les décisions des entreprises et des consommateurs, comparables à ceux qui affectent les États-Unis.

 

Qu’est-ce que tout cela signifie pour les perspectives économiques mondiales dans les années à venir ? La prévision de base actuelle d’une croissance du PIB mondial d’environ 3,3 % pour 2025-2026, selon les récentes prévisions du Fonds monétaire international (FMI), est beaucoup trop optimiste. Bien qu’il puisse y avoir une certaine accélération de la dynamique de croissance au début de cette année – illustrée par l’accélération des expéditions d’exportations chinoises avant les hausses tarifaires de Trump – je soupçonne que les risques de baisse vont progressivement s’accumuler.

 

Cela laisse présager une réduction fractionnée des prévisions de croissance économique mondiale pour 2025, le ralentissement devenant considérablement plus prononcé à partir de 2026. Cela pourrait facilement pousser une économie mondiale de plus en plus fragile vers le seuil de croissance de 2,5 %, généralement associé à une récession mondiale pure et simple.

 

Il ne s’agira probablement pas non plus d’un déficit habituel de la croissance mondiale. Dans la mesure où la guerre tarifaire vise à promouvoir le « friendshoring » et à renforcer la résistance de la chaîne d’approvisionnement, l’offre de l’économie mondiale est susceptible d’être mise à rude épreuve. Une nouvelle couche de coûts d’ajustement est imposée à un monde autrefois globalisé. La délocalisation vers des producteurs locaux à coûts plus élevés prend non seulement beaucoup de temps, mais érode également les gains d’efficacité en matière de production, d’assemblage et de livraison qui ont soutenu la désinflation mondiale au cours des trois dernières décennies.

 

Il y a près de cinq ans, au plus profond du choc Covid-19, j’avais prévenu que la stagflation n’était qu’à « une rupture de chaîne d’approvisionnement » près. L’expérience et les recherches qui ont suivi ont confirmé que les perturbations de la chaîne d’approvisionnement durant la pandémie et ses suites immédiates ont exercé une forte pression à la hausse sur les prix.

 

Un conflit commercial mondial implique une dynamique similaire. Les coûts plus élevés associés à l’escalade « réciproque » des tarifs multilatéraux de Trump, qui doit être annoncée le 2 avril, sont particulièrement problématiques. Face à une croissance économique probablement insuffisante, les coûts supplémentaires et les pressions sur les prix risquent de faire pencher la balance vers une stagflation mondiale.

 

En bref, le choc Trump est l’équivalent fonctionnel d’une crise à part entière. Il est susceptible d’avoir un impact durable sur les économies américaine et chinoise, et la contagion est presque certaine de se propager dans le monde entier par le biais du commerce transfrontalier et des flux de capitaux. Plus important encore, il s’agit d’une crise géostratégique, qui reflète un renversement du rôle de leader mondial de l’Amérique. En l’espace d’un peu plus de deux mois, Trump a mis le monde sens dessus dessous. Si mon évaluation de ce choc est proche de la réalité, les inquiétudes concernant les prévisions économiques mondiales semblent presque insignifiantes.

 

Stephen S. Roach, membre de la faculté de l’université de Yale et ancien président de Morgan Stanley Asia, est l’auteur de Unbalanced: The Codependency of America and China(Yale University Press, 2014) et Accidental Conflict: America, China, and the Clash of False Narratives (Yale University Press, 2022).

 

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Allons-nous gâcher l’opportunité de l’IA ?

J’ai eu la chance de participer au récent Sommet de Paris pour l’action sur l’IA, au cours duquel de nombreuses discussions ont placé l’accent sur la nécessité d’orienter l’IA dans une direction plus bénéfique pour la société. À l’heure où les appels à l’accélération de l’IA se font de plus en plus bruyants en provenance de la Silicon Valley – et désormais du gouvernement des États-Unis – l’opportunité offerte par cet événement de nous concentrer sur ce que nous attendons réellement de cette technologie a constitué une véritable bouffée d’air frais.

 

Comme je l’ai indiqué dans l’un de mes discours, nous devrions commencer par nous interroger sur ce qui est précieux et mérite d’être amplifié dans les sociétés humaines. Ce qui nous rend si particuliers, ou à tout le moins performants sur le plan de l’évolution, c’est notre capacité à élaborer des solutions face aux petits et grands problèmes, à essayer de nouvelles choses, ainsi qu’à trouver du sens dans ces efforts. Nous sommes capables non seulement de créer des connaissances, mais également de les partager. Le parcours de l’humanité n’a pas toujours été facile – nos capacités, machines et connaissances provoquant parfois des maux profonds – mais la recherche constante et le partage prolifique d’informations sont essentiels à ce que nous sommes.

 

Depuis plus de 200 000 ans, la technologie s’inscrit au cœur de l’histoire humaine. Depuis l’époque des premiers outils en pierre jusqu’à aujourd’hui, nous avons créé des solutions face à nos difficultés. Transmission orale des savoirs, puis invention de l’écriture, de l’imprimerie et d’Internet, nous avons élaboré de nouveaux moyens plus efficaces de partager nos connaissances. Ces deux derniers siècles, nous avons également découvert comment expérimenter plus intelligemment, plus librement, et avons de nouveau transmis ces savoirs. Le progrès scientifique nous a fourni des données factuelles établies, qui ont permis à chaque génération de s’appuyer sur les connaissances des précédentes.

 

Ce progrès a également permis une croissance spectaculaire dans les plupart des pays au cours des deux derniers siècles. Bien que le développement économique ait créé des inégalités considérables entre les pays et en leur sein, les êtres humains sont aujourd’hui quasiment partout en meilleure santé et plus prospères qu’ils ne l’auraient été au XVIIIsiècle. L’IA pourrait renforcer cette tendance, en venant compléter les compétences, les talents et les savoirs humains, ainsi qu’en améliorant nos décisions, expérimentations et applications de connaissances utiles.

 

« Avons-nous pour cela réellement besoin de l’IA ? », s’interrogeront peut-être certains. Après tout, nous vivons déjà une ère d’abondance informationnelle, tout ce dont vous pourriez avoir besoin – ou pas – étant techniquement accessible grâce à Internet. Seulement voilà, les informations utiles se font rares. Pas facile en effet de trouver ce dont vous avez besoin pour résoudre un problème spécifique, dans un contexte particulier, dans un temps donné.

 

Ce sont bel et bien des connaissances pratiques pertinentes, pas de simples informations, qui permettent aux ouvriers d’être plus productifs, aux électriciens de maîtriser de nouveaux équipements pour effectuer des tâches plus complexes, aux infirmières de jouer un rôle plus actif dans les décisions de santé, et plus généralement aux travailleurs de tous horizons et compétences d’occuper des postes nouveaux et plus productifs.

 

Correctement développée et utilisée, l’IA peut en effet nous rendre meilleurs – pas seulement en nous servant de « bicyclette pour l’esprit », mais en enrichissant réellement notre capacité à raisonner et à agir avec davantage de compréhension, indépendamment de toute coercition ou manipulation.

 

Seulement voilà, en raison de son immense potentiel, l’IA représente également l’une des plus grandes menaces auxquelles l’humanité ait jamais été confrontée. Le risque ne réside pas tant (ni même significativement) dans la possibilité que des machines superintelligentes nous dominent un jour, mais plutôt dans la possibilité que l’IA mette à mal notre capacité à apprendre, à expérimenter, à partager nos connaissances et à donner un sens à nos activités. L’IA nous affaiblirait considérablement si elle se contentait de faire disparaître des emplois et des tâches, de centraliser excessivement les informations jusqu’à décourager la recherche humaine et l’apprentissage par l’expérimentation, de conférer à une poignée de grandes entreprises le pouvoir de régir notre existence, ou encore de créer une société à deux vitesses, caractérisée par les inégalités et les différences de statut. Elle pourrait même anéantir la démocratie et la civilisation humaine telles que nous les connaissons.

 

Je crains malheureusement que nous en prenions la direction. Rien n’est cependant joué d’avance. Nous pouvons encore élaborer de nouvelles règles pour nos sociétés, et fixer un cap technologique qui maximise l’acquisition de savoirs ainsi que l’épanouissement humain. Nous pouvons faire en sorte que l’IA crée davantage d’emplois de qualité, et qu’elle améliore les capacités de tous – quel que soit leur niveau d’éducation et de revenus.

 

Il va néanmoins falloir dans un premier temps que l’opinion publique prenne conscience que cette trajectoire souhaitable est techniquement possible. L’IA n’évoluera dans une direction favorable à l’être humain que si les technologues, ingénieurs et dirigeants du secteur travaillent aux côtés des institutions démocratiques, et uniquement si les États-Unis, l’Europe et la Chine écoutent les cinq milliards de personnes qui vivent ailleurs dans le monde. Nous avons désespérément besoin de conseils plus avisés de la part d’experts, ainsi que d’un leadership inspirant de la part des dirigeants politiques, qui doivent placer l’accent sur l’incitation à une IA pro-humaine, au moyen de cadres politiques et réglementaires.

 

Les réglementations ne suffiront pas pour autant. Espérons que les chercheurs et entreprises d’IA en Europe parviendront à démontrer l’existence d’alternatives au modèle de la Silicon Valley. Il est pour cela nécessaire que la société européenne encourage l’orientation la plus socialement bénéfique de l’IA, et que les dirigeants du continent investissent dans les infrastructures numériques qui s’imposent, élaborent des réglementations qui ne découragent pas les investissements ou ne conduisent pas les talentueux chercheurs en IA à partir, et créent le type de mécanismes financiers dont les startups efficaces ont besoin pour se développer à plus grande échelle. Sans une solide industrie de l’IA, l’Europe ne pourra exercer qu’une influence minime voire insignifiante sur la direction prise par l’IA au niveau mondial.

 

Daron Acemoglu, lauréat du prix Nobel d’économie en 2024 et professeur d’économie au MIT, est coauteur (avec Simon Johnson) de l’ouvrage intitulé Power and Progress : Our Thousand-Year Struggle Over Technology and Prosperity (PublicAffairs, 2023).

 

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La révolution culturelle trumpienne

 Lorsque le bras droit du président américain Donald Trump, J.D. Vance, s’est exprimé sur la « menace intérieure » de l’Europe lors de la récente conférence de Munich sur la sécurité, son auditoire a éprouvé quelques difficultés à comprendre la nouvelle approche déconcertante des États-Unis en matière de politique étrangère. Le président chinois Xi Jinping se montre pour sa part relativement silencieux depuis le retour de Trump à la Maison-Blanche, ce qui ne signifie pas nécessairement qu’il soit moins contrarié par ce qu’implique ce deuxième mandat. Le dirigeant chinois n’est pas non plus rassuré par l’insolente réponse formulée par Trump à une question posée en octobre dernier sur ce qu’il ferait si Xi établissait un blocus autour de Taïwan : « Xi sait qu’il ne faut pas déconner avec moi ! ».

 

Le coordinateur de la majorité au Sénat, John Barrasso, l’a exprimé plus élégamment : « Le président Trump s’est clairement présenté aux élections pour être un perturbateur, et il continuera de l’être ». Barrasso n’a pas tort. Au cours des dix premiers jours de son second mandat, Trump a signé plus de 50 décrets, proposé une indemnité de départ à tous les employés fédéraux, tenté de geler des financements pourtant déjà alloués par le Congrès, menacé de nombreux pays de leur imposer des droits de douane, et déstabilisé ses alliés en multipliant les décisions unilatérales insultantes.

 

Il existe un précédent historique au blitzkrieg politique mené par Trump : Mao Zedong. Sur les plans géographique, idéologique et capillaire, Trump partage peu de choses avec Mao, l’initiateur de la violente Révolution culturelle chinoise. Il n’en demeure pas moins que tous deux peuvent être décrits comme des acteurs de l’insurrection.

 

Le penchant de Mao pour le désordre était profondément enraciné dans la relation troublée du dirigeant chinois avec son père, qu’il décrivait à l’écrivain Edgar Snow comme « un maître sévère », un « homme colérique », qui battait son fils si brutalement que celui-ci s’enfuyait souvent de la maison. Cette « guerre » a appris à Mao à se défendre : « Lorsque je défendais mes droits en me révoltant ouvertement, mon père cédait. En revanche, lorsque je restais docile et soumis, il ne faisait que jurer et me battre davantage ».

 

Cette expérience formatrice durant l’enfance a façonné la personnalité de Mao, et l’a attiré vers une politique de l’opposition à l’origine du chaos et du désordre qui ont marqué la Chine durant plusieurs décennies. Comme l’a écrit l’universitaire et diplomate américain Richard Solomon à l’époque de la Révolution culturelle, « Les efforts d’un seul individu pour briser les liens de la subordination personnelle ont trouvé un sens plus large dans la lutte d’une nation tout entière contre la subordination politique ». Or, il convient de rappeler que durant sa jeunesse, Donald Trump a lui aussi connu un père brutal, qui n’avait de cesse de répéter à ses fils qu’ils ne pourraient devenir des « rois » qu’à la condition d’être des « tueurs ».

 

Durant ses jeunes années, Mao devient un grand admirateur du Roi-Singe, Sun Wukong, du roman classique chinois La Pérégrination vers l’Ouest (西游记). Mao est tellement épris du Roi-Singe, qui a pour mantra « Créer un grand désordre sous les cieux » (大闹天宫), qu’il achèvera l’un de ses propres poèmes par « Nous saluons Sun Wukong, le faiseur de miracles ! ».

 

L’insurrection paysanne lancée par Mao contre le gouvernement nationaliste de Chang Kaï-chek dans les années 1920 constitue seulement la première étape de sa « révolution permanente » (不断革命). De nombreuses campagnes politiques et luttes de pouvoir ruineuses suivront la création par Mao de la République populaire de Chine en 1949. En 1957, la campagne anti-droitiste sera marquée par la persécution de plusieurs centaines de milliers d’intellectuels. De même, entre 1958 et 1962, le « Grand Bond en avant » (大跃进) visant à collectiviser l’agriculture fera plus de 30 millions de morts, en raison de la famine et des maladies associées à celle-ci.

 

Le plus grand bouleversement politique opéré par Mao réside néanmoins dans la Grande Révolution culturelle prolétarienne de 1966, amorcée en réponse à ce qu’il considère à l’époque comme une résistance bureaucratique de la part de ses collaborateurs face à son absolutisme. Mao fera installer la toute première affiche en caractères imposants (大字报), appelant la jeunesse chinoise à se soulever ainsi qu’à « bombarder le siège » (炮打司令部) du parti qu’il avait lui-même contribué à fonder. Dans le contexte de violence et de chaos qui en résultera, de nombreux dirigeants, parmi lesquels le président Liu Shaoqi et le secrétaire général du PCC, Deng Xiaoping, feront l’objet d’une purge, tandis que d’autres – dont le vice-Premier ministre Xi Zhongxun, le propre père de Xi – subiront des séances d’humiliation, seront envoyés dans les « Écoles du 7 mai » (五七干校) à des fins de « rééducation idéologique » (思想改造), ou seront emprisonnés, voire exécutés.

 

Convaincu de la justesse de sa croisade contre ce que les partisans de Trump appelleraient aujourd’hui « l’État profond », Mao publiera une tribune dans le Quotidien du peuple, appelant à « ne pas avoir peur des raz-de-marée, car c’est grâce à eux que la société humaine évolue ».

 

La foi inébranlable de Mao dans le pouvoir de la résistance le conduira à célébrer le conflit. « Sans destruction, il ne peut y avoir de construction » (不破不立), considère-t-il. « Un monde en grand désordre est une excellente nouvelle ! » (天下大乱形势大好), énonce un autre de ses slogans. Cette volonté de bouleverser la structure de classe en Chine, voire de la « renverser » (翻身), se révélera extrêmement destructrice. Mao justifiera néanmoins la violence et les troubles qui en résulteront comme des éléments essentiels pour « faire la révolution » (搞革命) et bâtir une « Chine nouvelle ».

 

On retrouve dans l’administration Trump ce désir insatiable de perturbation et de chaos. Alex Karp, PDG de la société Palantir, dont le cofondateur Peter Thiel est un proche de Trump, a récemment décrit la refonte du gouvernement américain décidée par le nouveau président comme une « révolution », qui consistera notamment à « couper des têtes ». Dans cette révolution, le bourreau en chef n’est autre que l’individu le plus riche de la planète, Elon Musk.

 

Malgré des différences évidentes, Elon Musk n’est pas sans rappeler Kuai Dafu, qui sera chargé par Mao lui-même de diriger le mouvement des gardes rouges de l’Université Tsinghua. Kuai ne sèmera pas seulement le chaos sur son campus, mais conduira également 5 000 gardes rouges sur la place Tiananmen, au cri de slogans hostiles à Liu et Deng, avant de tenter d’assiéger le bâtiment gouvernemental situé à proximité, le complexe de Zhongnanhai. Difficile de ne pas songer ici aux gardes rouges version Trump qui ont pris d’assaut le Capitole des États-Unis en 2021.

 

Xi ayant grandi pendant la Révolution culturelle de Mao, et ayant été lui-même envoyé à la campagne pour « endurer la souffrance » (吃苦) pendant sept ans durant sa jeunesse, il a sans aucun doute appris deux ou trois choses sur la manière de faire face au chaos. Il n’est toutefois pas impossible que Xi éprouve des difficultés à comprendre comment les États-Unis – pays admiré depuis longtemps par de nombreux Chinois, comme en témoigne l’expression « La lune est plus ronde en Amérique qu’en Chine » (美国的月亮比中国的月亮圆) – ont pu en arriver à porter au pouvoir leur propre artisan d’un chaos en provenance d’en haut.

 

Si Trump ne possède pas les mêmes talents d’écrivain et de théoricien que ceux de Mao, il est animé par le même instinct animal consistant à déstabiliser ses opposants ainsi qu’à asseoir son autorité en se montrant imprévisible, jusqu’au stade de la quasi-folie. Mao, qui aurait probablement salué le désastre actuellement en cours aux États-Unis, sourit sans doute du haut de son paradis marxiste-léniniste, car le vent d’est pourrait finalement l’emporter sur le vent d’ouest – un rêve si cher à son cœur.

 

Orville Schell, directeur du Centre des relations États-Unis-Chine de l’Asia Society, est coauteur (avec Larry Diamond) de l’ouvrage intitulé Chinese Influence and American Interests : Promoting Constructive Engagement.

 

Project Syndicate, 2025.
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Les déplacements climatiques sont aussi une crise sanitaire

 Chaque année, 21,5 millions de personnes sont déplacées de force en raison d’inondations, de sécheresses, d’incendies et de tempêtes. Ce chiffre devrait augmenter de façon spectaculaire au cours des prochaines décennies, puisque 1,2 milliard de personnes devraient être contraintes de quitter leur foyer d’ici à 2050. La crise climatique en cours n’est pas seulement une catastrophe humanitaire, mais aussi une urgence sanitaire mondiale.

 

Les déplacements climatiques constituent une menace directe et indirecte pour la santé publique. En perturbant les services de soins, ils privent les communautés touchées de l’accès aux médecins, aux hôpitaux et aux pharmacies. Les migrations induites par le climat exacerbent également la pauvreté, la surpopulation et l’instabilité sociale. La production alimentaire est souvent gravement affectée, tandis que les conditions de vie insalubres favorisent la propagation des maladies infectieuses.

 

Alors que la crise climatique menace de faire dérailler les efforts mondiaux pour atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies, la santé et le bien-être de centaines de millions de personnes dans les pays en développement sont menacés. Les pays à revenu élevé ne sont pas épargnés : aux États-Unis, 3,2 millions d’adultes ont été déplacés ou évacués en raison de catastrophes naturelles au cours de la seule année 2022.

 

Les entreprises pharmaceutiques doivent jouer un rôle central dans le renforcement de la résilience de la santé mondiale. Leur participation est particulièrement importante dans les zones de conflit qui se trouvent en première ligne de la crise des déplacements climatiques, où les médicaments et les vaccins vitaux font souvent défaut.

 

L’industrie pharmaceutique a fait des progrès dans la réduction des émissions de dioxyde de carbone et l’adoption de pratiques plus durables, mais ses efforts sont loin d’atténuer les perturbations des chaînes d’approvisionnement liées au climat. Ces vulnérabilités ont été mises en évidence en 2017, lorsque l’ouragan Maria a dévasté le secteur de la fabrication de médicaments de Porto Rico, qui représentait alors près de 10 % de tous les médicaments consommés aux États-Unis.

 

Certaines entreprises pharmaceutiques, comme Novartis et Novo Nordisk, ont lancé des programmes ciblés pour aider les populations déplacées par des événements météorologiques extrêmes, tandis que d’autres ont fait des dons en espèces ou en fournitures en réponse à des catastrophes naturelles. La demande pour ces dons a augmenté avec l’accroissement des besoins climatiques et humanitaires. Hikma, un fabricant de médicaments génériques fondé en Jordanie, a déclaré  4 millions de dollars de dons en 2020, et  4,9 millions de dollars en 2023, principalement pour répondre aux besoins de la région environnante.

 

Aucune entreprise n’a élaboré de stratégie globale pour garantir aux communautés déplacées un accès durable aux produits de santé. Une approche plus globale est nécessaire. Face à la crise actuelle des déplacements climatiques, les entreprises pharmaceutiques devraient adopter une stratégie à quatre volets pour renforcer les systèmes de soins de santé. Tout d’abord, elles pourraient aider à fournir des médicaments aux communautés vulnérables dans les zones reculées en réorganisant leurs chaînes d’approvisionnement, qu’il s’agisse de redondance dans les réseaux d’expédition ou de refonte des produits pour qu’ils soient plus stables dans les climats chauds, où la réfrigération n’est pas toujours possible. En outre, ils devraient inclure des systèmes robustes pour la distribution à grande échelle de médicaments génériques, qui sont souvent les outils les plus efficaces pour gérer les épidémies.

 

Deuxièmement, les entreprises pharmaceutiques doivent investir dans la recherche et le développement afin de créer des vaccins, des diagnostics et des traitements qui ciblent les maladies sensibles au climat. La hausse des températures mondiales accélère la propagation des maladies transmises par les moustiques, comme la dengue, le paludisme et le virus Zika, ainsi que des maladies transmises par l’eau, comme le choléra et la shigella, ce qui expose les populations déplacées à un risque encore plus grand.

 

Pourtant, malgré le besoin d’innovation, l’indice 2024 d’accès aux médicaments – qui évalue les efforts des entreprises pharmaceutiques pour améliorer l’accès aux médicaments essentiels dans les pays en développement – montre que le pipeline de R&D pour les pathogènes émergents et les maladies tropicales négligées est en train de se tarir. Ce problème est aggravé par le manque de recherche de nouveaux antibiotiques pour lutter contre la menace croissante de la résistance aux antimicrobiens, exacerbée par les conditions météorologiques extrêmes et le manque d’hygiène.

 

Troisièmement, les entreprises pharmaceutiques devraient établir des partenariats à long terme avec des organisations humanitaires axées sur les déplacements climatiques. Les collaborations public-privé se sont également avérées efficaces pour renforcer la résilience sanitaire. Depuis 2010, par exemple, les principaux fabricants de vaccins comme GSK et Pfizer ont fourni à Gavi, l’Alliance du vaccin, des milliards de doses de vaccins. Ils ont ainsi protégé les populations vulnérables dans certains des pays aux ressources les plus limitées du monde.

 

Enfin, les entreprises pharmaceutiques doivent redoubler d’efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l’ensemble de leurs chaînes de valeur. Bien que l’impact des produits pharmaceutiques sur le climat fasse l’objet de moins d’attention que celui des industries manufacturières traditionnelles, le secteur émet plus de CO₂ par million de dollars de chiffre d’affaires que l’industrie automobile.

 

Le soutien actif et l’engagement des actionnaires, des employés et des autres parties prenantes sont essentiels. Les investisseurs, en particulier, doivent encourager les entreprises à aligner leurs pratiques commerciales sur les objectifs mondiaux en matière de santé et de climat. Il ne s’agit pas seulement d’un choix éthique, mais aussi d’un choix qui promet d’importants avantages financiers et de réputation à long terme.

 

Le déplacement climatique n’est pas une menace lointaine ou hypothétique ; il s’agit d’une urgence sanitaire qui s’aggrave rapidement. L’industrie pharmaceutique a la responsabilité morale d’agir. Pour le faire efficacement, les entreprises doivent prendre de l’avance et fournir des traitements vitaux à ceux qui sont en première ligne de la crise climatique.

 

Jayasree K. Iyer est directeur général de la Access to Medicine Foundation.

 

Project Syndicate, 2025.
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La Fed a peur de Trump

Donald Trump est de retour à la Maison Blanche, et les technocrates courent se mettre à l’abri. Trump a clairement exprimé son désir de démanteler « l’État profond« , qu’il décrit comme un réseau obscur de bureaucrates qui « utilisent » le « pouvoir de l’État » pour « persécuter les opposants politiques » et contrecarrer leurs programmes.

 

Mais les fonctionnaires, administrateurs et décideurs professionnels que Trump s’apprête à cibler jouent un rôle essentiel au sein du gouvernement, notamment en conseillant les dirigeants, quelles que soient leurs tendances politiques, sur la manière dont ils peuvent atteindre leurs objectifs de manière légale et constitutionnelle. Ces fonctionnaires doivent rester à leur place.

 

La Réserve fédérale est peut-être l’acteur économique indépendant le plus important aux États-Unis, étant donné l’étendue de ses responsabilités monétaires et de supervision et l’importance mondiale du dollar américain. Malheureusement, au lieu de se préparer à défendre ses positions et ses prérogatives, elle a cédé par anticipation à Donald Trump : le 17 janvier, trois jours avant l’investiture de Trump, le conseil d’administration de la Fed s’est retiré du Réseau pour l’écologisation du système financier (Network for Greening the Financial System – NGFS).

 

Le NGFS réunit les banques centrales et les autorités de surveillance afin d’améliorer la gestion des risques environnementaux et climatiques dans le secteur financier. La participation au groupe revient à reconnaître l’importance de la compréhension des risques climatiques, ainsi qu’à admettre implicitement que ces risques relèvent du mandat des banques centrales, car ils menacent la stabilité économique et financière.

 

Il ne s’agit pas d’une position radicale. Toutes les grandes banques centrales sont représentées parmi les 143 membres du NGFS : la Banque d’Angleterre (BOE), la Banque de France, la Banque du Japon, la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque populaire de Chine (PBOC). Jusqu’au retrait de la Fed, le NGFS couvrait 100 % des banques systémiques mondiales et 80 % des groupes d’assurance actifs au niveau international. Mais la Fed a maintenant rompu avec ses pairs et s’est dirigée vers la sortie, arguant que le champ d’application du NGFS dépassait son mandat.

 

L’idée selon laquelle les banques centrales ne devraient pas tenir compte des risques climatiques croissants est tout simplement erronée. La stabilité économique et financière dépend de la stabilité des écosystèmes et du climat. Alors que les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, les niveaux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère ont atteint des niveaux record et les températures mondiales sont en passe de dépasser largement 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. L’impact du changement climatique est déjà visible : tempêtes, inondations, sécheresses et incendies de forêt plus fréquents et plus intenses.

 

Bien que les estimations des coûts économiques et financiers précis varient, le tableau d’ensemble donne à réfléchir. L’Institute and Faculty of Actuaries prévoit que le changement climatique entraînera une contraction de 50 % du PIB mondial entre 2070 et 2090. Vous préférez une estimation plus basse ? Swiss Re prévoit des pertes de PIB de 18 % d’ici à 2050, si aucune mesure n’est prise.

 

Quelles que soient les prévisions retenues, il ne fait aucun doute que les coûts du changement climatique augmentent, mais pas à un rythme régulier. Au contraire, les coûts augmentent progressivement, puis brusquement, sous l’effet des catastrophes liées au climat. Coïncidence sombre mais révélatrice, le retrait de la Fed du NGFS intervient au moment où la Californie en fait l’expérience directe, alors que les incendies de forêt réduisent en cendres des milliers habitations, d’entreprises et d’écosystèmes.

 

Les risques microprudentiels sont évidents. Les structures incendiées étaient pour la plupart hypothéquées. Or, il est peu probable que l’assurance couvre l’intégralité du coût de la reconstruction, même pour ceux qui sont couverts, et de nombreux propriétaires étaient sous-assurés ou non assurés, précisément parce que l’augmentation des risques due aux catastrophes climatiques a fait grimper les primes et poussé certains assureurs à refuser d’offrir une couverture. Si les propriétés détruites ne sont pas reconstruites, les hypothèques correspondantes ne seront pas remboursées et les banques locales et nationales qui ont accordé les prêts subiront de lourdes pertes.

 

Ce constat ne peut être considéré comme du politiquement correct écolo. Au contraire, compte tenu de son potentiel de déstabilisation du système financier, il mérite clairement l’attention des banquiers centraux. C’est pourquoi la Banque d’Angleterre et la Banque centrale européenne soumettent les entreprises qu’elles supervisent, les banques et les compagnies d’assurance, à des tests de résistance au risque climatique, et qu’elles imposent des normes en matière de divulgation d’informations sur le climat, de méthodologies, de processus et de gouvernance. La PBOC, pour sa part, intègre le changement climatique dans la réglementation et la surveillance financières, et elle élabore des règles de prêt écologiques.

 

La Fed, la banque centrale la plus importante au monde, a cependant d’autres projets. En se retirant du NGFS et en tournant le dos aux scénarios et analyses des risques climatiques, elle a signalé qu’elle avait l’intention de fermer les yeux et se boucher les oreilles face aux dangers de la crise climatique. Cela augmente la probabilité de futures défaillances systémiques, car les fonctionnaires de la Fed sont moins susceptibles de détecter les risques qui se matérialisent sous les yeux, que ce soit en Californie, en Louisiane, en Floride ou au Texas.

 

Les dirigeants de la Fed insistent constamment sur l’importance de la « dépendance à l’égard des données« . Pourtant, la banque centrale a décidé d’ignorer une énorme masse de données, en rapide croissance, qui  montre que les risques climatiques sont des risques économiques. Et cela, afin d’apaiser un président qui ne sait peut-être même pas que le NGFS existe. Le conseil d’administration de la Fed aurait pu maintenir son adhésion au NGFS et attendre son heure. Il n’y avait aucune raison de sauter avant d’être poussé.

 

Mais la Fed a peur. Le fait de se retirer du NGFS suggère que son processus décisionnel sera, au moins en partie, le reflet de pressions politiques et non d’une analyse indépendante fondée sur des données. Cela n’augure rien de bon pour les quatre prochaines années – et au-delà.

 

Stuart P.M. Mackintosh est directeur exécutif du Groupe des Trente.

 

Project Syndicate, 2025.
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L’Afrique a elle aussi besoin de sécurité minérale

 Du 3 au 6 février, dirigeants politiques et acteurs industriels se réuniront dans la ville du Cap à l’occasion de la conférence annuelle Mining Indaba relative à l’investissement dans l’exploitation minière en Afrique. Au sommet des priorités de cet événement figureront les réserves africaines de minerais critiques, et la manière dont le continent peut tirer parti du rôle que jouent ces matières premières dans l’économie mondiale.

 

Depuis de nombreuses années, l’Afrique est l’un des principaux fournisseurs de matières premières au monde, ce qui en fait un élément central de la diplomatie des ressources naturelles ainsi que de la compétition géopolitique. En 2024, l’Union européenne a adopté la loi sur les matières premières critiques, qui vise à garantir un meilleur accès de l’Europe aux ressources du continent africain, en échange d’un rôle plus important de celui-ci dans le traitement local des matières premières, et d’une trajectoire de développement alignée sur un certain nombre de feuilles de route politiques telles que la Vision minière pour l’Afrique.

 

Une question sera néanmoins sur toutes les lèvres dans les couloirs de l’International Convention Centre du Cap : Pour qui ces ressources sont-elles essentielles ? Dans le contexte des matières et des minéraux, le terme « critique » est souvent associé à la transition énergétique. En réalité, un minéral est considéré comme critique pour deux principales raisons, qui n’ont pas grand-chose à voir avec la promotion des énergies renouvelables : il revêt une importance économique dans la mesure où ce minéral est difficilement remplaçable, et des risques de perturbation existent quant à son approvisionnement.

 

Ces deux critères dépendent du point de vue de chacun : Quels sont les États pour lesquels ces minéraux présentent une importance économique, et quels sont ceux dont les chaînes d’approvisionnement sont exposées à des risques ? L’UE dispose d’ores et déjà de solides chaînes d’approvisionnement concernant la plupart des minéraux, et c’est pourquoi elle adopte une approche très sélective en la matière. Outre les minéraux essentiels à la transition énergétique tels que le lithium et le cobalt, sa liste de matières premières critiques inclut le béryllium (utilisé dans les systèmes de guidage des missiles), le tantale (utilisé dans les condensateurs et l’électronique), et même certaines matières premières en contradiction directe avec la transition énergétique, telles que le charbon métallurgique.

 

Supposons toutefois que nous posions la question différemment : Quels sont les besoins de l’Afrique sur le plan de sa sécurité minérale ? Du point des pays du Sud et des populations les plus pauvres de la planète, une liste des matières premières essentielles serait tout à fait différente. Elle inclurait des minéraux essentiels à la sécurité humaine – ciment pour les logements et les infrastructures, engrais pour l’agriculture, sel pour la nutrition et la conservation des aliments, chlore pour la purification de l’eau et fluorine pour sa fluoration.

 

Observée sous cet angle, la sécurité minérale est moins une question de sécurité nationale et d’augmentation des bénéfices d’extraction qu’une question d’accès, d’abordabilité et de satisfaction des besoins de tous. De la même manière que la sécurité alimentaire correspond à une nutrition universelle, la sécurité minérale doit répondre à des besoins universels – logement, mobilité, communication, énergie et subsistance.

 

La création de chaînes de valeur locales adaptées aux besoins de l’Afrique sera vitale pour la sécurité minérale du continent. À titre d’exemple, l’Afrique produit 30 millions de tonnes d’engrais minéraux par an, mais elle en exporte la majeure partie, ce qui couvre seulement 3 à 4 % de la consommation mondiale – une conséquence du niveau élevé des coûts ainsi que de la complexité des chaînes d’approvisionnement. Les roches concassées constituent une source alternative prometteuse d’éléments nutritifs pour les cultures, et présentent l’avantage supplémentaire de piéger le dioxyde de carbone. Au Brésil, le mouvement Rochagem a été le premier à utiliser des roches locales, ce qui a permis de réduire les coûts de 80 %, tout en produisant des rendements égaux ou supérieurs à ceux obtenus avec des engrais conventionnels.

 

De même, l’Afrique consomme seulement 5 % de la production mondiale de ciment alors qu’elle abrite 18 % de la population mondiale. Le coût élevé du ciment clinker importé entrave son développement économique, fragilise ses infrastructures de logement et de transport, ralentit ses efforts de rétablissement à l’issue de catastrophes naturelles, et limite la capacité des pays africains à protéger leur littoral contre les effets du changement climatique. Plusieurs alternatives telles que le ciment d’argile calciné au calcaire (LC3) peuvent être produites localement à partir d’abondantes ressources d’argile, pour des coûts jusqu’à 25 % inférieurs et une empreinte carbone inférieure de 40 %.

 

Un accès abordable aux produits à base de minéraux intégrés au niveau mondial, tels que les panneaux solaires et les batteries, demeure particulièrement difficile à atteindre. À titre d’illustration, alors que la République démocratique du Congo produit 72 % du cobalt mondial, un élément clé des batteries lithium-ion, l’Afrique devrait représenter seulement 0,1 % du marché mondial d’ici 2030.

 

Ce problème ne se limite pas à l’Afrique. Entre 2002 et 2022, des pays d’Amérique latine comme le Chili, l’Argentine et la Bolivie ont exporté 1 980 kilotonnes de lithium, dont seulement 13 kilotonnes (moins de 1 %) ont regagné la région sous forme de produits finis.

 

Plusieurs approches innovantes, telles que les systèmes de « matériaux en tant que service », qui encouragent la location plutôt que la vente de matières premières, pourraient contribuer à combler ces écarts en permettant aux pays producteurs de minerais de percevoir des redevances à chaque étape du traitement et de la production. En s’inspirant de cette approche, les dirigeants politiques pourraient également exiger des fabricants de produits finis qu’ils les revendent à des prix abordables.

 

Pour que de tels programmes puissent être mis en œuvre, le soutien des économies développées, notamment européennes, sera indispensable. Coopération et assistance techniques seront particulièrement importantes pour promouvoir une sécurité minérale centrée sur l’être humain, dans la mesure où le secteur des minéraux a perçu un peu moins de 600 millions $ sur les 239 milliards $ consacrés à l’aide publique au développement à travers le monde en 2021.

 

Pour garantir un accès durable aux matières premières essentielles, l’UE ne doit pas se contenter d’offrir aux pays africains un rôle plus important dans le traitement de minerais qui seront en fin de compte exportés. Elle doit davantage contribuer à la création d’un modèle de sécurité minérale plus équitable, qui place l’accent sur l’accessibilité financière et l’autosuffisance, permettant ainsi à l’Afrique de répondre à ses propres besoins en matière de développement.

 

Daniel M. Franks est professeur à l’Université du Queensland, et directeur du Global Centre for Mineral Security au sein du Sustainable Minerals Institute. Rüya Perincek, chercheuse en politiques publiques à la Willy Brandt School of Public Policy de l’Université d’Erfurt, est membre principale adjointe au Global Centre for Mineral Security.

 

Project Syndicate, 2025.
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La crise de l’IA occidentale est une réalité

La sortie du grand modèle de langage chinois DeepSeek-R1, qui impressionne par ses capacités et son faible coût de développement, a provoqué une onde de choc sur les marchés financiers, et conduit plusieurs observateurs à parler de « moment Spoutnik » dans le domaine de l’intelligence artificielle. Or, nous ne devrions pas être surpris par l’émergence d’un innovant modèle chinois capable de rivaliser avec ses équivalents américains. Il constitue tout simplement le résultat prévisible d’un échec politique américain et occidental majeur, dont l’industrie de l’IA porte elle-même une grande part de responsabilité.

 

Les capacités croissantes de la Chine en matière d’IA étaient bien connues de la communauté des chercheurs du domaine, comme du public adepte de cette technologie. Les entreprises et les chercheurs chinois spécialisés dans l’IA se sont en effet montrés remarquablement ouverts concernant leurs progrès, en publiant des articles, en permettant un libre accès à leurs logiciels, ainsi qu’en s’entretenant avec des chercheurs et journalistes américains. En juillet dernier, un article du New York Times titrait déjà : « La Chine comble le fossé qui la sépare des États-Unis en matière d’IA ».

 

Le fait que la Chine soit quasiment parvenue à égaler les États-Unis dans ce domaine s’explique par deux facteurs. Premièrement, Pékin applique une politique nationale agressive et cohérente en direction de l’autosuffisance et de la supériorité technique dans l’écosystème entier des technologies numériques, qu’il s’agisse des équipements de production de semiconducteurs ou des processeurs, matériels et modèles d’IA – aux fins d’applications tant commerciales que militaires. Deuxièmement, les politiques publiques et le comportement des industriels aux États-Unis (et dans l’UE) se caractérisent par un affligeant mélange d’autosatisfaction, d’incompétence et de cupidité.

 

Chacun doit comprendre une bonne fois pour toutes que le dirigeant chinois Xi Jinping et le président russe Vladimir Poutine ne sont pas des amis de l’Occident, et que l’IA engendrera des transformations économiques et militaires aux conséquences incalculables. Compte tenu des enjeux, la préservation d’un leadership des économies démocratiques développées en matière d’IA justifie, pour ne pas dire impose, une immense mobilisation stratégique des secteurs public et privé, d’une ampleur comparable à celle du projet Manhattan, de l’OTAN, des divers efforts d’indépendance énergétique, ou encore des politiques sur les armes nucléaires. Or, l’Occident suit aujourd’hui précisément la direction opposée.

 

Aux États-Unis, la recherche publique et universitaire en matière d’IA accuse un retard par rapport à la Chine et au secteur privé. En raison de financements insuffisants, ni les agences gouvernementales ni les universités ne peuvent rivaliser avec les salaires et les installations informatiques que proposent des entreprises telles que Google, Meta, OpenAI ou leurs concurrentes chinoises. Par ailleurs, la politique américaine d’immigration à l’égard des étudiants diplômés et des chercheurs est à la fois contre-productive et insensée, puisqu’elle contraint de grands talents à quitter le pays une fois leurs études achevées.

 

Intervient également la politique américaine de réglementation de l’accès de la Chine aux technologies d’IA. Les contrôles à l’exportation sont apparus trop tardivement, et se révèlent inadaptés, insuffisamment pourvus en effectifs, et peu rigoureux dans leur exécution. L’accès de la Chine aux technologies d’IA américaines au travers d’accords de services et de licence demeure quasiment non réglementé, alors même que les technologies qui les sous-tendent, telles que les processeurs Nvidia, sont elles-mêmes soumises à des contrôles à l’exportation. Les États-Unis ont annoncé la mise en place de règles plus strictes en matière d’octroi de licences une semaine seulement avant que l’ancien président Joe Biden ne quitte ses fonctions.

 

Enfin, en matière d’IA, la politique américaine néglige la nécessité d’une R&D qui soit solidement soutenue, utilisée et, le cas échéant, réglementée au niveau du secteur privé, de l’État et de l’armée. Les États-Unis ne disposent toujours pas d’agence relative à l’IA ou aux technologies de l’information qui équivaille au département de l’Énergie, aux Instituts nationaux de santé, à la NASA, ou aux laboratoires nationaux qui conduisent (et contrôlent étroitement) la R&D américaine en matière d’armes nucléaires.

 

Cette situation résulte en partie de bureaucraties étatiques sclérosées à la fois dans l’Union européenne et aux États-Unis. Le secteur technologique de l’UE est en effet surréglementé, tandis que les départements américains de la Défense et du Commerce, entre autres agences, ont besoin d’être réformés.

 

Sur ce point, les critiques formulées par le secteur technologique à l’égard des gouvernements sont justifiées. Pour autant, l’industrie elle-même n’est pas irréprochable : avec le temps, les efforts de lobbying et les rotations fréquentes dans la nomination des cadres ont affaibli les capacités d’institutions publiques d’importance cruciale. Bon nombre des difficultés liées aux politiques américaines résultent de la résistance ou de la négligence du secteur technologique lui-même, qui à plusieurs égards majeurs est devenu son propre ennemi, ainsi que l’ennemi de la sécurité de l’Occident à long terme.

 

À titre d’illustration, l’entreprise néerlandaise ASML (qui fabrique des machines de lithographie de pointe utilisées dans la production de puces électroniques) et le fournisseur américain d’équipements pour semiconducteurs Applied Materials ont tous deux fait pression pour affaiblir les contrôles à l’exportation sur les équipements de production de semiconducteurs, ce qui a facilité les efforts fournis par la Chine pour supplanter TSMC, Nvidia et Intel. Pour ne pas ne retrouver dépassée, Nvidia a conçu des puces spéciales pour le marché chinois, aux performances tout juste inférieures au seuil fixé pour les restrictions à l’exportation ; ces puces ont ensuite été utilisées pour entraîner le modèle DeepSeek-R1. Au niveau des modèles d’IA, Meta et la société de capital-risque Andreessen Horowitz ont exercé un lobbying acharné pour empêcher toute restriction sur les produits en open source.

 

À tout le moins publiquement, la ligne de conduite de l’industrie a été la suivante : « Le gouvernement n’y comprend absolument rien, mais tout ira bien si vous nous laissez faire ». Seulement voilà, tout ne va pas bien. La Chine a quasiment rattrapé son retard sur les États-Unis, et devance d’ores et déjà l’Europe. Par ailleurs, le gouvernement américain n’est pas un cas désespéré, et il doit être mis à contribution. Historiquement, les travaux fédéraux et universitaires en matière de R&D n’ont rien à envier à ceux du secteur privé.

 

C’est bel et bien l’Agence américaine pour les projets de recherche avancée (l’actuelle DARPA) qui est à l’origine d’Internet, de même que le World Wide Web est né des travaux de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN). Marc Andreessen, le cofondateur de Netscape, a créé le tout premier navigateur Web dans un centre d’informatique haute performance financé par le gouvernement fédéral, au sein d’une université publique. Pendant ce temps, le secteur privé nous dévoilait des services en ligne tels que CompuServe, Prodigy et AOL (America Online) – autant de jardins clos centralisés, fermés et mutuellement incompatibles, qui ont fort heureusement disparu lorsqu’Internet a été ouvert à une utilisation commerciale.

 

Les défis soulevés par la montée en puissance de la Chine en matière de R&D liée à l’IA nécessitent une sérieuse et puissante réponse. Là où les capacités de l’État font défaut, nous devons les renforcer, pas les détruire. Nous devons verser des salaires compétitifs aux fonctionnaires et aux universitaires, moderniser les infrastructures et les procédures technologiques aux États-Unis (et dans l’UE), créer de solides capacités publiques de R&D (notamment pour les applications militaires), renforcer la recherche universitaire, et mettre en œuvre des politiques rationnelles en matière d’immigration, de financement de la R&D liée à l’IA, de tests de sécurité, ainsi que de contrôle à l’exportation.

 

La seule difficulté politique réellement épineuse réside dans la question de l’ouverture, notamment l’octroi de licences en open source. Nous ne pouvons pas laisser le monde entier accéder à des modèles optimisés pour les attaques de drones tueurs, mais nous ne pouvons pas non plus estampiller « top secret » tous les modèles. Il nous faut établir un juste milieu pragmatique, potentiellement en nous appuyant sur les laboratoires nationaux de recherche en matière de défense, et en appliquant des contrôles à l’exportation soigneusement élaborés pour les cas intermédiaires. Par-dessus tout, l’industrie de l’IA doit comprendre que si nous ne travaillons pas ensemble, nous échouerons chacun de notre côté.

 

Charles Ferguson, investisseur technologique et analyste politique, est le réalisateur du documentaire oscarisé Inside Job.

 

Project Syndicate, 2025.
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La fintech doit embrasser l’inclusion universelle

Ces dernières années, le monde a réalisé des progrès remarquables en matière d’inclusion financière. Au cours de la décennie qui a débuté en 2011, la proportion d’adultes ayant accès à des services financiers a augmenté de 50 %, pour atteindre plus de trois quarts. Mais nous avons encore un long chemin à parcourir pour créer un système financier véritablement inclusif. Au-delà de l’élargissement de l’accès aux produits et services financiers, nous devons veiller à ce que ces produits et services conviennent à tous, y compris aux 1,2 milliard de personnes handicapées dans le monde.

 

La première génération de technologies financières a perturbé les services bancaires traditionnels en facilitant l’accès des personnes sous-bancarisées (pensez à l’argent mobile et aux micro-prêts). La prochaine vague d’innovation doit aller plus loin, et adopter l' »inclusion universelle » comme principe de conception de base. L’inclusion universelle traduit l’idée que chacun mérite d’avoir accès à des outils financiers qui répondent réellement à ses besoins et améliorent son bien-être.

 

Nous avons déjà des exemples de ce à quoi cela pourrait ressembler. Prenons l’exemple de la technologie « tap-to-phone », qui permet aux commerçants d’accepter des paiements à l’aide de leur smartphone, sans avoir besoin d’un terminal de paiement. Cette fonctionnalité présente des avantages évidents pour tous les acheteurs et vendeurs, qu’il s’agisse de commodité ou de sécurité. Mais elle permet également aux personnes aveugles ou malvoyantes, qui pourraient avoir du mal à compter l’argent liquide, de participer plus pleinement à l’économie numérique. Les personnes dont la mobilité est affectée, par des maladies comme l’arthrite, la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson et l’infirmité motrice cérébrale, peuvent également avoir recours à la technologie « tap-to-phone ».

 

Il en va de même pour les paiements à commande vocale : ils sont pratiques pour tous, mais essentiels pour les personnes souffrant de déficiences visuelles, d’une mobilité limitée ou de problèmes d’alphabétisation. Il s’agit là d’une conception universellement inclusive optimale – si pratique que tout le monde, handicapé ou non, l’utilise. En fait, l’adoption généralisée de ces technologies les rend encore plus faciles à utiliser pour les personnes handicapées. Étant donné que 62 % des handicaps sont invisibles, il peut être très difficile de demander des aménagements. Mais personne ne sourcillera devant un outil « accessible » s’il l’utilise déjà.

 

Malgré quelques succès, l’approche dominante du développement des produits financiers ne met pas suffisamment l’accent sur l’inclusivité. Il s’agit non seulement d’un échec moral, mais aussi d’une opportunité économique manquée. Les personnes handicapées, ainsi que leurs amis et leur famille, représentent un revenu disponible colossal de 13 000 milliards de dollars. Avec l’allongement de l’espérance de vie, le nombre de personnes handicapées – et leur pouvoir d’achat – est appelé à augmenter.

 

Au-delà des bénéfices directs liés à l’exploitation de ce vaste marché mal desservi, les sociétés de services financiers qui s’engagent dans la voie de l’inclusion universelle deviendraient plus attrayantes pour d’autres clients, en particulier les jeunes générations. Une étude de 2018 a montré que 91 % des millennials (nés entre 1980 et 1994) remplaceraient un produit qu’ils achètent habituellement par une alternative provenant d’une entreprise « à mission ». La génération Z (née entre le milieu des années 1990 et le début des années 2010) est également très encline à s’intéresser aux marques qui mettent l’accent sur les valeurs sociales.

 

Pour tirer le meilleur parti de l’inclusion universelle, les institutions financières devraient adopter un nouveau cadre d’innovation reposant sur trois piliers. Le premier est une approche de conception universellement inclusive, dans laquelle les considérations d’accessibilité façonnent les solutions dès le départ. Il s’agirait d’un changement important par rapport à l’approche actuelle fondée sur la conformité, dans laquelle les ajustements sont souvent effectués après coup pour répondre aux normes minimales d’accessibilité. Son succès dépendrait en grande partie de la participation des personnes handicapées à toutes les phases du processus de conception.

 

Le deuxième pilier d’un nouveau cadre pour les fintechs est constitué par les données. Il est important de mesurer nos progrès en matière d’inclusion financière globale, mais il est tout aussi important de collecter des données détaillées qui différencient les groupes ou les segments. Ces données devraient aller au-delà de l’accès, pour couvrir la qualité des services et les changements dans le bien-être financier qui résultent des produits de l’industrie.

 

Enfin, il est essentiel d’établir des normes claires en matière de responsabilité et d’information. Les cadres réglementaires doivent prévoir des mesures qui incitent les institutions de services financiers à divulguer leurs progrès en matière d’inclusion universelle, en faisant de ces résultats un élément fondamental de leurs rapports, au même titre que les indicateurs financiers traditionnels.

 

Les avantages de l’inclusion universelle vont au-delà du profit. L’économie devient plus résiliente et plus dynamique lorsque tous les individus peuvent y participer pleinement. Les efforts déployés pour répondre aux besoins d’un groupe mal desservi peuvent déboucher sur des innovations qui profitent à tous – un phénomène connu sous le nom d' »effet de trottoir », en référence aux rampes d’accès aux trottoirs conçues pour les utilisateurs de fauteuils roulants, mais qui ont amélioré la vie de nombreuses autres personnes, qu’il s’agisse de parents avec des poussettes ou de travailleurs de la livraison.

 

Plutôt que de considérer l’accessibilité comme un obstacle à surmonter, nous devons reconnaître son potentiel en tant que catalyseur de l’innovation et de la croissance. L’inclusion universelle dans les services financiers n’est pas seulement une question de bien faire, c’est aussi une question de bien faire des affaires.

 

Carl Manlan est vice-président de l’impact inclusif et de la durabilité chez Visa CEMEA. Adanna Chukwuma, Aspen First Mover Fellow, est directeur principal de la mesure de l’impact mondial chez Visa.

 

Project Syndicate, 2025.
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La crise climatique est aussi une crise inflationniste

Ces dernières années, l’inflation mondiale a poussé les prix des denrées alimentaires, de l’énergie et des produits de base à des niveaux sans précédent. En conséquence, l’augmentation du coût de la vie a dominé les débats politiques dans le monde entier, mais surtout dans les pays du G20. Avant l’élection présidentielle de cette année aux États-Unis, par exemple, 41 % des Américains ont cité l’inflation comme leur principal problème économique.

 

La forte inflation risque d’éclipser une autre crise urgente : le réchauffement climatique. Pourtant, la hausse des prix et le changement climatique sont étroitement liés. Les conditions météorologiques extrêmes endommagent les cultures, gâchent les récoltes et font grimper les prix des denrées alimentaires, et leur impact s’accentue à mesure que les vagues de chaleur, les sécheresses et les inondations deviennent plus fréquentes et plus intenses. Ces événements perturbent également les chaînes d’approvisionnement et la production d’énergie, faisant grimper le prix d’autres biens essentiels.

 

Les pressions inflationnistes induites par le climat sont particulièrement aiguës en Afrique et en Amérique latine, où l’alimentation représente une part importante des dépenses des ménages. Par exemple, une grande sécheresse exacerbée par El Niño a fait grimper le prix des denrées de base au Malawi, au Mozambique, en Zambie et au Zimbabwe au début de cette année, ce qui a provoqué une crise de la faim. En revanche, les ménages des pays plus riches ont tendance à consacrer une part moins importante de leurs revenus à l’alimentation et sont donc mieux protégés.

 

Les discussions sur le changement climatique négligent souvent les conséquences économiques de ce phénomène sur les populations vulnérables et la façon dont il aggrave les inégalités, en se concentrant plutôt sur la croissance verte et les réductions d’émissions. Mais l’inflation perturbant de plus en plus la stabilité économique, ce bilan ne peut plus être ignoré. Les changements climatiques ont fait grimper les prix des oranges au Brésil, du cacao en Afrique de l’Ouest et du café au Viêt Nam. Une étude récente de l’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact du climat et de la Banque centrale européenne estime que la hausse des températures pourrait entraîner une augmentation de l’inflation alimentaire de 3,2 points de pourcentage par an, l’inflation globale augmentant de 1,18 point de pourcentage par an d’ici à 2035.

 

Plutôt que d’être traité uniquement comme une question environnementale, le changement climatique doit être au cœur de la politique économique. Les autorités fiscales et monétaires devraient intégrer les risques climatiques immédiats et à long terme dans leurs prévisions et politiques d’inflation, comme elles le font déjà pour les « risques de transition » liés au passage à une économie à faible émission de carbone. Certaines institutions ont commencé à s’adapter. La Banque de réserve sud-africaine a reconnu l‘importance de comprendre les risques climatiques. Depuis 2018, la Banque centrale du Costa Rica a intégré l‘impact du réchauffement climatique dans ses modèles économiques.

 

Les banques centrales et les ministères des finances devraient également travailler avec les organisations climatiques pour créer des solutions pratiques qui aident à amortir les économies des chocs interdépendants des conditions météorologiques extrêmes, de l’inflation galopante et de l’insécurité alimentaire. Par exemple, l’African Climate Foundation (où travaille l’un d’entre nous) a développé des plateformes d’investissement dans l’adaptation et la résilience (ARIP), qui utilisent des analyses avancées combinant des données climatiques et météorologiques, des modèles biophysiques et des modèles à l’échelle de l’économie pour faciliter l’investissement et la hiérarchisation des politiques – une approche plus complète pour renforcer la résilience.

 

Le FAC a utilisé un ARIP au Malawi l’année dernière, après que le pays ait été dévasté par le cyclone cyclone tropical le plus long Freddy, le jamais enregistré. L’utilisation de cet outil financier a permis aux décideurs politiques de d’identifier des solutions durables pour atténuer les dommages économiques causés par le cyclone tout en protégeant les industries clés et en renforçant la stabilité financière.

 

D’autres groupes de réflexion sur le climat poursuivent des objectifs similaires. L’Iniciativa Climática de México pousse les décideurs politiques à prendre en compte les risques climatiques dans la planification économique, tandis que l’Institut pour le climat et la société au Brésil a appelé à des plans de protection sociale et à des politiques sensibles au climat pour protéger les communautés à faibles revenus des conséquences économiques des conditions météorologiques extrêmes.

 

La collaboration régionale est tout aussi importante, car elle permettrait aux pays d’Afrique et d’Amérique latine d’élaborer et de partager des politiques économiques spécifiquement adaptées à leurs vulnérabilités climatiques et de soutenir les communautés les plus exposées. Des initiatives telles que la plateforme régionale des ministères de l’économie et des finances sur le changement climatique de la Banque interaméricaine de développement peuvent servir de modèle pour de tels efforts.

 

Au niveau mondial, il est essentiel de renforcer la coordination entre les institutions climatiques et économiques. Des outils tels que le mécanisme d’ajustement aux frontières pour le carbone de l’Union européenne soulignent la nécessité d’une conception minutieuse des politiques afin d’atténuer les effets négatifs – dans ce cas, des coûts plus élevés pour les consommateurs des pays en développement. Le Brésil, qui accueillera l’année prochaine le sommet des BRICS et la conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP30), et l’Afrique du Sud, qui préside actuellement le G20, ont une occasion unique de redéfinir l’agenda économique mondial, en défendant des politiques qui s’attaquent à la double crise de l’inflation et du réchauffement climatique.

 

L’absence d’action collective et décisive pourrait aggraver les inégalités, éroder la stabilité économique et mettre en péril les objectifs climatiques. Mais si les décideurs politiques développent des solutions innovantes qui comblent le fossé entre les stratégies climatiques et économiques, ils peuvent réduire les risques immédiats de conditions météorologiques extrêmes et favoriser la stabilité et la résilience à long terme. Alors que l’inflation et la planète se réchauffent, le besoin de politiques intégrées et équitables n’a jamais été aussi urgent.

 

Mónica Araya, Distinguished Fellow chez ClimateWorks, est directrice du conseil d’administration du Natural Resource Governance Institute. Saliem Fakir est fondateur et directeur exécutif de l’African Climate Foundation.

 

Project Syndicate, 2024.
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La fausse promesse de l’exploitation minière « responsable »

Au mois de juillet, le gouvernement de la Serbie a rétabli les permis relatifs aux projets d’extraction de lithium de Rio Tinto, après les avoir annulés en 2022 à la suite de manifestations populaires. Ce rétablissement a provoqué de nouvelles manifestations, plusieurs milliers de personnes étant descendues dans les rues de Belgrade pour exprimer leur opposition à une mine susceptible de constituer une menace pour les sources d’eau et la santé publique. Rio Tinto avait en effet déjà fait preuve par le passé d’une volonté de contourner les réglementations environnementales du pays.

 

Rio Tinto présente un long passé de violations présumées des droits de l’homme ainsi que de contamination et de mauvaise gestion de l’eau dans ses mines à travers le monde. Le problème ne se limite cependant pas à Rio Tinto : la corruption et la négligence sont monnaie courante dans l’industrie minière. La société Glencore a été condamnée par un juge américain à s’acquitter d’une amende de 700 millions $ pour avoir mis en place et appliqué pendant une dizaine d’années un système de corruption de responsables publics dans plusieurs pays. De même, le géant minier BHP et son partenaire brésilien Vale sont pris dans des batailles juridiques liées à la rupture du barrage de résidus miniers de Fundão – la plus grave catastrophe environnementale survenue au Brésil.

 

L’Union européenne prévoyant d’accroître son extraction minière intérieure de matériaux essentiels à la transition écologique ainsi qu’à de nombreuses technologies de défense et à divers produits numériques, les dirigeants politiques et les populations entendent s’assurer du caractère durable de cette démarche. C’est la raison pour laquelle le Conseil international des mines et métaux (ICMM) – une organisation que Rio Tinto a contribué à créer, qui inclut également Glencore, Vale et BHP – et plusieurs autres acteurs majeurs de l’industrie travaillent à l’élaboration d’une norme mondiale, dans le cadre de l’initiative pour une norme consolidée relative à l’exploitation minière (CMSI), permettant de certifier la production responsable des minéraux. Compte tenu de leurs antécédents, est-il raisonnable de confier à ces géants de l’industrie minière l’élaboration des règles censées leur imposer de rendre des comptes ?

 

Les normes et certifications volontaires ne constituent pas une nouveauté. Elles existent dans une multitude de secteurs, de l’agriculture jusqu’au bâtiment, et l’industrie minière connaît déjà de nombreuses initiatives de ce type. Les quatre organisations qui mènent la CMSI – l’ICMM, l’Association minière du Canada, le Conseil mondial de l’or, et Copper Mark – disposent en effet chacune de leur propre cadre de garantie.

 

Plusieurs évaluations relatives à ces programmes volontaires, conduites par Germanwatch, Mercedes-Benz et d’autres, révèlent que la plupart d’entre eux manquent en réalité de transparence, de rigueur, de contrôle, et qu’ils ne permettent pas d’assurer la mise en œuvre des contraintes. Autrement dit, ces programmes constituent une forme sophistiquée de greenwashing. Au mois de février, l’organisation Lead the Charge a publié une évaluation des programmes de garantie et d’accréditation par des tiers dans le secteur des matières premières, examinant chacun d’entre eux en fonction d’un ensemble de critères minimum de crédibilité. Constat révélateur, la procédure de l’ICMM pour la validation des prévisions de performance satisfaisait à seulement 16 % des critères.

 

Ces chiffres peu glorieux se traduisent par des conséquences concrètes pour les populations autochtones, les travailleurs et les communautés locales. D’après le Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’homme, les sociétés membres de l’ICMM, qu’elles soient directement détenues en propriété ou qu’elles participent à des coentreprises, représentent plus de la moitié des 20 entreprises responsables de la majorité des violations présumées des droits de l’homme dans l’exploitation minière des minéraux essentiels.

 

Dirigeants politiques et institutions financières injectent des milliards de dollars dans des projets miniers à travers le monde sur la base de certifications volontaires semblables à la CMSI actuellement proposée. La loi de l’UE sur les matières premières critiques se fonde par exemple sur ces garanties pour déterminer si les entreprises s’approvisionnent en matières premières de façon responsable. De même, 78 % des constructeurs automobiles évalués dans le cadre de l’étude de l’organisation Lead the Charge déclarent s’appuyer sur ces éléments pour prendre des décisions en matière d’approvisionnement – en particulier à mesure que l’adoption des véhicules électriques s’accélère.

 

Une récente analyse de la proposition de CMSI, menée par des groupes autochtones, des organisations de la société civile et des experts politiques, met en évidence plusieurs lacunes dans ce cadre, susceptibles de nuire aux communautés, et, aspect important, de présenter des risques pour les constructeurs automobiles. La norme se décompose en trois niveaux : pratiques de base, pratiques satisfaisantes, et pratiques optimales. Or, les exigences imposées au niveau basique – précisons d’ailleurs que les entreprises sont autorisées à opérer en dessous de ce seuil durant le processus de garantie – ne sont pas alignées sur les lois internationales, les normes juridiques ou les principes généralement reconnus, tels que les normes de performance de la Société financière internationale (IFC). Les sociétés minières ne seront par conséquent pas dans l’obligation de remédier aux violations graves des droits de l’homme, ce qui pourrait plus en aval exposer les constructeurs automobiles à des sanctions.

 

Par ailleurs, le projet de norme ne protège pas le droit des populations autochtones – qui subissent un préjudice disproportionné du fait de l’exploitation minière – au consentement libre, préalable et éclairé, qui accompagne leur droit de gouverner leurs territoires et leurs ressources, ainsi que leur droit à l’autodétermination. La préservation de ce droit doit constituer une exigence minimale au niveau des pratiques de base. Or, l’idée même que le respect des droits fondamentaux puisse faire l’objet d’une décomposition en différents niveaux de performance illustre toute la défaillance de l’élaboration de la CMSI. Une telle approche infligerait encore davantage de préjudices aux communautés autochtones, dans la mesure où plus de la moitié des minéraux critiques se situent sur leurs terres ou à proximité.

 

L’ICMM et ses partenaires, dont les sociétés membres du groupe consultatif de la CMSI telles que BWM et Tesla, auront beau fournir tous les efforts pour présenter cette norme comme l’instrument d’une exploitation minière responsable, il ne s’agit de rien de plus que d’une tentative du secteur de présenter un visage propre et écologique au public. Si elle aboutit, la CMSI renforcera tout simplement la puissance et l’influence de géants miniers tels que Rio Tinto, Glencore et BHP, et leur permettra d’agir impunément tout en présentant de fausses garanties à l’ensemble des principales parties prenantes.

 

Loin de favoriser une transition énergétique juste, la CSMI permettrait aux industries extractives de privilégier le profit au détriment de la qualité de l’air et de l’eau, des droits de l’homme ainsi que d’une planète vivable, tout en exposant les constructeurs automobiles, les États et les investisseurs à un risque d’atteinte à leur réputation. Compte tenu de l’augmentation de la demande de minerais essentiels à la transition énergétique, il est plus important que jamais de fixer des exigences élevées dans l’élaboration de règles solides et applicables au sein du secteur minier.

 

Chelsea Hodgkins est conseillère principale dans le cadre du programme climatique de Public Citizen sur la question des véhicules électriques.

 

Project Syndicate, 2024.
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Trump ne peut pas arrêter la dédollarisation

Pendant la campagne présidentielle américaine, Donald Trump s’est engagé à rendre la dédollarisation – les efforts visant à réduire la dépendance mondiale à l’égard du billet vert – trop coûteuse pour être envisagée, en promettant d’imposer des droits de douane de 100 % aux pays qui la mettraient en œuvre. Mais une telle mesure, qui s’inscrit dans le cadre d’un programme tarifaire plus important, que le président élu semble déterminé à mettre en œuvre, ne contribuerait guère à enrayer la chute du dollar.

 

Le billet vert reste le moyen d’échange le plus important et la réserve de valeur la plus efficace. Cela en fait la monnaie préférée pour le commerce et la finance internationaux, ainsi que pour les réserves de change détenues par les banques centrales, afin de garantir un approvisionnement régulier en importations et de se prémunir contre les crises monétaires et l’instabilité macroéconomique. Mais à mesure que le centre de gravité de l’économie mondiale se déplace vers l’est, la dédollarisation s’accélère.

 

La part du dollar dans les réserves de change est passée d’un pic de 72 % en 2002 à 59 % en 2023, sous l’effet d’une demande accrue de monnaies de réserve non traditionnelles, en particulier le renminbi chinois. En outre, l’année dernière, un cinquième du commerce mondial du pétrole s’est effectué dans d’autres monnaies que le dollar. Jusqu’alors, le dollar était quasiment la seule devise utilisée.

 

Plusieurs facteurs ont contribué à cette évolution. Les pays du Sud sont devenus les moteurs de la croissance économique mondiale, modifiant la dynamique du commerce mondial et des marchés de l’énergie. Un monde de plus en plus multipolaire a ouvert une nouvelle ère de concurrence monétaire, tandis que les innovations technologiques et financières ont rendu moins coûteux et plus efficace le règlement en monnaie locale (LCS, d’après l’acronyme anglais) pour les échanges bilatéraux.

 

Trump, apparemment conscient des énormes avantages économiques et géopolitiques que confère aux États-Unis le statut du dollar en tant que principale monnaie de réserve mondiale, voudrait mettre un terme à ce processus. Après tout, les États-Unis sont l’un des rares pays de l’économie mondiale hautement intégrée à disposer encore d’une souveraineté monétaire effective, c’est-à-dire de la capacité de fixer et d’atteindre ses objectifs de politique économique et monétaire sans tenir compte des autres pays.

 

Au contraire, au fur et à mesure que le marché de l’eurodollar est devenu l’épine dorsale d’un système monétaire international privatisé, de plus en plus de pays ont émis de la dette souveraine libellée en dollars, augmentant ainsi leur dépendance à l’égard du billet vert. En 2011, le président chinois de l’époque, Hu Jintao, l’a dit clairement : « La politique monétaire des États-Unis a un impact majeur sur la liquidité mondiale et les flux de capitaux, et par conséquent, la liquidité du dollar américain doit être maintenue à un niveau raisonnable et stable. »

 

Bien qu’une étude récente de la Banque fédérale de réserve de New York désigne l’éloignement géopolitique des États-Unis et les sanctions financières comme les principaux moteurs de la baisse de la demande de dollars américains, la dédollarisation n’est pas due exclusivement, ni même en grande partie, à la dépendance excessive des États-Unis à l’égard du dollar en tant qu’instrument de politique étrangère. Au contraire, de nombreux gouvernements encouragent l’utilisation d’instruments libellés dans leur unité de compte nationale, afin de profiter des gains associés à l’existence d’une monnaie internationale.

 

L’intégration monétaire de l’Europe en est peut-être l’exemple le plus probant. Elle a donné naissance à l’euro, qui occupe aujourd’hui une place de choix derrière le dollar, représentant environ 20 % des réserves mondiales et plus de la moitié des exportations de l’Union européenne dans le monde. En 2022, environ 52 % des biens importés par l’Union européenne en provenance de pays tiers et environ 59 % des biens exportés par l’Union européenne vers ces pays étaient facturés en euros.

 

Suivant les traces de l’UE, les pays du Sud tirent parti des nouvelles technologies pour promouvoir l’utilisation des LCS dans les échanges bilatéraux, ce qui peut atténuer les contraintes liées à la balance des paiements et soutenir la croissance économique. La Chine, par exemple, a développé son propre système de paiement interbancaire transfrontalier. Elle a établi des lignes de swap bilatérales avec près de 40 banques centrales étrangères et elle a réussi à faire libeller les contrats pétroliers en renminbi. L’année dernière, Total Énergies et la China National Offshore Oil Corporation ont conclu le premier achat de gaz naturel liquéfié en renminbi par l’intermédiaire du Shanghai Petroleum and Natural Gas Exchange.

 

En 2022, la Reserve Bank of India a mis en place un mécanisme permettant de régler les échanges internationaux en roupies, ce qui pourrait permettre d’économiser environ 30 milliards de dollars en sorties de devises si on l’utilisait pour les importations de pétrole russe. Parmi les pays du groupe Brics+ (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Égypte, Éthiopie, Iran et Émirats Arabes Unis), les échanges commerciaux réglés en monnaie nationale auraient dépassé ceux en dollars. Les investissements transfrontaliers en monnaie locale devraient augmenter également. La nouvelle banque de développement des Brics fera passer ses prêts en monnaie locale d’environ 22 % à 30 % d’ici 2026, afin d’atténuer l’impact des fluctuations des taux de change et d’éliminer les goulets d’étranglement en matière de trésorerie, dans le cadre du financement de projets.

 

Pour les économies émergentes et en développement, la dédollarisation peut également atténuer les retombées négatives de la politique de la Réserve fédérale américaine. Le dernier cycle de resserrement agressif de la Fed a exacerbé l’instabilité macroéconomique et freiné la croissance, piégeant de plus en plus de pays dans des revenus moyens et empêchant la convergence des revenus au niveau mondial. Comme le montrent les recherches du Fonds monétaire international, un arrêt soudain des flux de capitaux vers une économie de marché émergente entraîne une baisse moyenne de 4,5 % de la croissance du PIB cette année-là, et de 2,2 % l’année suivante.

 

La dédollarisation peut également réduire la nécessité de constituer des réserves, une forme d’assurance contre les chocs extérieurs et la volatilité financière qui implique des coûts d’opportunité considérables pour les économies émergentes et en développement. Les autorités monétaires de ces pays pourraient à la place investir dans des actifs à plus haut rendement, générant ainsi plus de ressources pour relever les défis du développement, y compris les investissements qui renforcent la résilience au changement climatique.

 

Les réserves de précaution sont particulièrement préjudiciables pour les pays à faible revenu, qui présentent des risques de crédit plus élevés et des écarts de taux d’intérêt plus importants, car elles impliquent souvent des opérations de portage inversées. Le Bangladesh détient actuellement un montant record de 46,4 milliards de dollars de réserves de devises à faible rendement pour stabiliser le taka, tout en payant plus de 8 % d’intérêts sur ses obligations souveraines.

 

Le prix Nobel d’économie Joseph E. Stiglitz a estimé le coût annuel de la thésaurisation des réserves pour les pays en développement à plus de 300 milliards de dollars, soit 2 % de leur PIB combiné, au milieu des années 2000. Ce chiffre est sans aucun doute plus élevé aujourd’hui, compte tenu de l’augmentation des réserves excédentaires et du nombre croissant de pays aux mauvaises notes de crédit qui ont accès aux marchés financiers internationaux.

 

Certes, la dédollarisation sert également de protection contre les sanctions financières américaines, qui devraient proliférer sous Trump. Mais les innombrables autres avantages d’une telle politique, notamment en termes de gestion macroéconomique et de croissance, sont énormes et l’emporteront probablement sur les coûts des tarifs douaniers de rétorsion que Trump a promis d’imposer à ses concurrents en matière de devises.

 

Le processus pourrait être lent. De puissantes externalités de réseau, associées à profondeur et à la liquidité des marchés financiers américains, ont rendu difficile de déloger le dollar, même si l’Amérique a perdu son statut de première économie commerciale du monde il y a plus d’une décennie. Mais le passage à des monnaies de réserve non traditionnelles dans un système économique de plus en plus multipolaire et l’importance croissante de l’utilisation transfrontalière des monnaies nationales, pour alimenter la croissance et parvenir à une convergence des revenus au niveau mondial, laissent penser que la dédollarisation va se poursuivre. Et un tsunami de droits de douane et de sanctions sous la prochaine administration américaine ne manquera pas d’y contribuer.

 

Hippolyte Fofack, ancien économiste en chef de la Banque africaine d’import-export, est membre du Réseau des solutions pour le développement durable de l’université de Columbia, associé de recherche au Centre d’études africaines de l’université de Harvard, membre éminent de la Fédération mondiale des conseils de compétitivité et membre de l’Académie africaine des sciences.

 

 Project Syndicate, 2024.
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Un nouveau pacte pour les pays en voie de développement

La récente reconstitution des ressources de l’Association internationale de développement (IDA) de la Banque mondiale, pour un montant record de 100 milliards $, constitue une étape majeure. Bien que le montant final soit inférieur aux 120 milliards $ qu’un certain nombre de dirigeants africains et moi-même avions réclamés au mois d’avril, lors du sommet IDA21 de Nairobi sur la reconstitution des ressources de l’institution, il s’agit d’une avancée cruciale. Ces nouveaux financements constituent un espoir pour plusieurs millions de personnes, et témoignent de la détermination de nos partenaires mondiaux à relever les défis immenses auxquels nous sommes confrontés.

 

Le sommet de Nairobi a non seulement souligné l’importance de l’IDA pour le financement du développement, mais également attiré l’attention sur le rôle central de l’Afrique dans la résolution des crises mondiales telles que le changement climatique. Depuis des années, l’IDA constitue une bouée de sauvetage pour de nombreux pays, apportant les financements concessionnels à long terme indispensables à ces pays pour investir dans des secteurs essentiels tels que la santé, l’éducation et les infrastructures. Réactive face aux crises, et capable de mobiliser 4 dollars sur les marchés financiers pour chaque dollar versé par les donateurs, l’IDA a prouvé sa valeur en tant que multiplicateur de force.

 

Les défis auxquels nous sommes confrontés nécessitent cependant une réponse plus audacieuse encore. Selon la Banque mondiale, le service de la dette extérieure des pays en voie de développement a atteint l’an dernier un coût astronomique de 1 400 milliards $, un chiffre qui vient éclipser les engagements même les plus ambitieux en matière de financement de la lutte contre le changement climatique. Le fardeau de la dette de l’Afrique est devenu un véritable obstacle au développement durable ainsi qu’à la résilience climatique, les paiements d’intérêts élevés détournant les ressources loin d’investissements pourtant essentiels dans la santé, l’éducation et les infrastructures.

 

Comme je l’ai souligné lors du sommet de Nairobi, cette réalité perpétue un cercle vicieux de vulnérabilité, aggravé par l’escalade des effets du changement climatique. Rien que l’année dernière, l’Afrique de l’Est a subi des inondations dévastatrices qui ont provoqué le déplacement de milliers de personnes et détruit des infrastructures vitales, tandis que des sécheresses persistantes dans le sud du continent ont paralysé la production agricole en Zambie et au Zimbabwe. Dans l’ouest et le centre de l’Afrique, les inondations ont fait des ravages au Nigeria, au Niger et au Tchad, déplaçant des communautés entières, et submergeant les terres agricoles.

 

Pendant ce temps, la désertification continue d’empiéter sur les terres arables, menaçant la sécurité alimentaire dans des pays tels que le Mali, tandis que des vagues de chaleur extrêmes mettent à rude épreuve les systèmes énergétiques dans certaines parties de l’Afrique du Nord. Perturbant vies humaines, moyens de subsistance et économies sur l’ensemble du continent, ces crises accentuent la nécessité de financements concessionnels à la hauteur du défi.

 

Alors que les négociations sur le nouvel objectif collectif quantifié (NOCQ) durant la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP29) de cette année avaient insisté sur l’urgence de mobiliser 1 300 milliards $ de financements climatiques chaque année d’ici 2035, les délégués ont finalement échoué, les engagements ayant atteint seulement 300 milliards $. Pour l’Afrique, ce résultat illustre la persistance d’inégalités dans les financements mondiaux, et souligne la nécessité pour des institutions telles que l’IDA de jouer un rôle encore plus important pour combler les insuffisances.

 

La simultanéité entre la reconstitution des ressources de l’IDA et l’adoption du NOCQ n’est pas surprenante, toutes deux visant à garantir les ressources nécessaires à la progression du développement durable. La reconstitution des ressources de l’IDA à hauteur de 100 milliards $ doit être mise à profit pour obtenir un impact maximal, notamment afin de répondre à la nécessité pour les pays vulnérables d’investir dans la résilience climatique.

 

Le monde ne pourra pas atteindre son objectif de zéro émission nette d’ici le milieu du siècle sans la pleine participation de l’Afrique. Au moyen d’investissements suffisants dans nos ressources énergétiques renouvelables, les Africains peuvent œuvrer au premier plan de l’agenda mondial de la décarbonation, tout en fournissant de l’électricité aux 600 millions d’habitants du continent qui n’y ont toujours pas accès.

 

Un certain nombre de dirigeants africains et moi-même félicitons l’IDA pour l’accent qu’elle continue de placer sur les solutions innovantes telles que les swaps dette-climat, et pour son soutien à une croissance positive pour le climat. Notre transformation économique nécessite cependant un engagement mondial collectif en faveur de réformes structurelles. Nous devons accomplir davantage pour tirer parti des droits de tirage spéciaux (l’actif de réserve du Fonds monétaire international), pour réaffecter les subventions aux combustibles fossiles, ainsi que pour renforcer la capacité de prêt des banques multilatérales de développement. Comme je l’ai rappelé à Nairobi, la recommandation du Groupe d’experts indépendants du G20 consistant à multiplier par trois la capacité de financement de l’IDA, pour la porter à 279 milliards $ d’ici 2030, demeure un objectif judicieux et nécessaire.

 

Adoptée l’an dernier lors du Sommet africain sur le climat, la Déclaration de Nairobi offre une feuille de route aligner le financement du développement sur l’action climatique. En nous concentrant sur les initiatives africaines, en tirant parti de notre vaste potentiel en matière d’énergies renouvelables, et en stimulant l’industrialisation, nous pouvons créer des millions d’emplois tout en garantissant un avenir durable pour le continent.

 

L’Afrique est prête à jouer son rôle. Nous sommes déterminés à respecter la discipline budgétaire ainsi qu’à améliorer la gouvernance, afin d’instaurer un environnement propice à l’investissement et au développement durable. Pour y parvenir, nous aurons cependant besoin que nos partenaires mondiaux accompagnent cet engagement par leur soutien et leur collaboration, ce qui signifiera notamment dépasser les niveaux actuels de reconstitution des ressources de l’IDA lors des prochains cycles de financement.

 

Pour nous tous en Afrique, la récente levée de 100 milliards $ constitue une étape, pas une destination. Ensemble, nous devons nous appuyer sur la dynamique créée cette année pour faire en sorte que l’IDA et le NOCQ honorent leur promesse de financements équitables, efficaces et accessibles. Il ne tient qu’à nous de transformer les défis d’aujourd’hui en opportunités pour assurer un avenir prospère à tous les Africains.

 

William Ruto est président de la République du Kenya, et président du Comité des chefs d’État et de gouvernement africains sur le changement climatique.

 

Project Syndicate, 2024.
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La Chine en difficulté face à la société de consommation

 Les prouesses de la Chine en matière d’ingénierie sont tout simplement extraordinaires. Qu’il s’agisse d’infrastructures de classe mondiale, de villes respectueuses de l’environnement, de systèmes spatiaux ou de trains à grande vitesse, l’impressionnante accumulation par la Chine de capital physique de pointe a joué un rôle prépondérant dans la conduite de son économie. Seulement voilà, les accomplissements de la Chine en matière d’ingénierie physique du côté de l’offre n’ont pas été transposables aux efforts d’ingénierie sociale du côté de la demande, notamment dans la stimulation de la demande des consommateurs.

 

Ce décalage s’explique par la nature du système politique chinois moderne, qui place l’accent sur la stabilité et le contrôle. Si cette orientation a permis au pays de devenir le « producteur ultime » de la planète, elle n’a pas su révéler l’ADN du consommateur chinois. L’ingénierie sociale au travers du diktat de l’État s’inscrit en net contraste avec l’esprit individualiste, libre et basé sur l’incitation, qui façonne le comportement humain et les modèles de consommation en Occident. La part de la consommation des ménages dans le PIB chinois demeurant inférieure à 40 %, contre environ 65 % dans les économies développées, le discours de longue date de la Chine autour d’un rééquilibrage axé sur la consommation n’a produit que peu de résultats visibles.

L’expérience américaine, telle que la décrit John Kenneth Galbraith dans son ouvrage intitulé The Affluent Society, déchiffre l’ADN d’une société de consommation, qui présente pour principales caractéristiques la mobilité ascendante des revenus et des richesses, la communication et la diffusion de l’information de manière ouverte, l’individualisme et la liberté de choix, la réduction de l’inégalité des modes de vie, les transferts de richesses intergénérationnels, et enfin la possibilité d’élire des représentants politiques. Le consumérisme occidental constitue ainsi en grande partie une aspiration.

Une question fondamentale se pose alors : le système politique chinois est-il incompatible avec la culture de consommation moderne ? Cette question apparaît d’autant plus pertinente que le nouveau techno-autoritarisme chinois semble s’inscrire à l’encontre des libertés fondamentales sur lesquelles repose le consumérisme. Les récentes avancées technologiques appliquées en Chine (notamment en matière de reconnaissance faciale et autres formes de surveillance), associées à un système de crédit social ainsi qu’à une censure renforcée, sont quasiment antithétiques à la société de consommation telle que nous la connaissons en Occident.

En fin de compte, il est beaucoup plus facile de mobiliser l’appareil d’État pour exercer une influence sur les producteurs que de permettre aux libertés fondamentales de conférer du pouvoir aux consommateurs. C’était déjà vrai durant les premières années de la République populaire, lorsque les producteurs chinois étaient soumis au contrôle strict de la Commission étatique de planification, et ça l’est encore aujourd’hui, le centre de gravité de la puissance économique chinoise ne se situant plus du côté d’un secteur privé autrefois dynamique et entreprenant, mais désormais du côté des entreprises d’État.

Le resserrement des contrôles étatiques sur la société chinoise au cours de la dernière décennie s’inscrit particulièrement en contradiction avec l’objectif de l’État consistant à stimuler la consommation. En 2013, peu après son arrivée au pouvoir, le président Xi Jinping a lancé une campagne d’éducation autour de la « ligne de masse » afin de lutter contre quatre « mauvaises habitudes » – le formalisme, la bureaucratie, l’hédonisme et l’extravagance – qu’il considérait comme les principales sources de décadence sociale et de corruption du Parti communiste chinois. Cet effort, initialement considéré comme une ramification de la campagne anti-corruption de Xi, a depuis acquis une dynamique qui lui est propre.

En 2021, Xi a insisté sur ces mauvaises habitudes en prenant des mesures de répression réglementaires à l’encontre des sociétés de plateformes Internet, mesures qui ont ciblé non seulement des entrepreneurs chinois tels que Jack Ma, fondateur d’Alibaba, mais également les prétendus excès de style de vie associés aux jeux vidéo, à la musique en ligne, à la culture des fans de célébrités et aux cours particuliers. Une telle ingénierie sociale dirigée par l’État témoigne du peu de tolérance des autorités chinoises pour le sentiment de possibilités et l’optimisme qui s’inscrivent dans l’ADN des sociétés de consommation occidentales.

Un autre exemple de ce décalage entre l’ambition et l’état d’esprit réglementaire s’observe dans les tentatives chinoises répétées de résolution des vents contraires démographiques à l’origine d’une diminution de la main-d’œuvre qui devrait se poursuivre jusqu’à la fin de ce siècle, en raison de l’héritage de la politique de l’enfant unique, désormais abandonnée. Le gouvernement chinois a récemment annoncé un certain nombre de mesures visant à stimuler les taux de natalité, parmi lesquelles une amélioration de l’accompagnement à la maternité et des capacités de garde d’enfant, ainsi que d’autres efforts consistant à bâtir une société propice à la natalité. Il ne s’agit toutefois que de la dernière d’une série de campagnes de ce type, après l’adoption de la politique des deux enfants en 2015, puis de la politique des trois enfants en 2021.

Malgré ces efforts, le taux de fécondité de la Chine demeure bien inférieur au taux de renouvellement démographique, qui s’élève à 2,1 naissances vivantes par femme en âge de procréer. Les sondages révèlent deux raisons à cela : inquiétudes face à l’augmentation importante des dépenses liées à l’éducation des enfants, et enracinement profond de l’idée de famille peu nombreuse dans les normes culturelles. Ce second aspect souligne la dimension comportementale du problème, à savoir le fait qu’une génération de jeunes Chinois se soit habituée aux familles à enfant unique. Cette résistance intrinsèquement humaine aux tentatives étatiques de coercition dans la planification des naissances intervient également lorsqu’il s’agit pour Pékin d’élaborer une stratégie d’accroissement de la demande des consommateurs.

Pour libérer le potentiel de consommation de la Chine, la clé consiste à transformer la peur en confiance, une transition qui nécessite un changement fondamental dans l’état d’esprit qui façonne la prise de décisions des ménages. Or, c’est précisément sur ce point que l’État se heurte à des obstacles. L’incitation du comportement humain est radicalement différente de l’exercice consistant à imposer aux banques étatiques d’accroître les prêts aux projets d’infrastructure, ou à ordonner aux entreprises d’État d’investir dans l’immobilier.

Certes, je formule ici un point de vue occidental sur un problème chinois, et l’expérience m’a enseigné la nécessité d’aborder ce type de problèmes du point de vue de la Chine elle-même. Il n’en demeure pas moins que l’accroissement de la consommation touche à l’essence même de l’expérience humaine : peut-il exister une culture de la consommation florissante présentant des caractéristiques chinoises qui s’inscrivent en contradiction avec la philosophie d’aspiration qui sous-tend les sociétés occidentales ?

La solution ultime au problème de sous-consommation chronique de la Chine pourrait bien dépendre de ces considérations profondes sur le comportement humain. Une récente réunion de la Conférence centrale sur le travail économique de la Chine semble annoncer de nouvelles grandes mesures à venir pour stimuler la consommation. Or, si les autorités chinoises restent déterminées à renforcer le contrôle sur les normes sociales et l’esprit humain, elles auront beau appliquer toutes les mesures de relance imaginables – qu’il s’agisse de programmes de reprise d’équipements ou de réformes du filet de sécurité sociale – ces mesures risquent de ne produire aucun résultat.

 

Stephen S. Roach, membre du corps enseignant de l’Université de Yale, et ancien président de Morgan Stanley Asie, est l’auteur des ouvrages intitulés Unbalanced : The Codependency of America and China (Yale University Press, 2014) et Accidental Conflict : America, China, and the Clash of False Narratives (Yale University Press, 2022).

 

Project Syndicate, 2024.
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Les garanties publiques stimuleraient l’industrie verte européenne

 Au cours des deux dernières années, l’Union européenne a fait du développement de son secteur des technologies propres une priorité absolue. Comme l’a souligné la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ce secteur est essentiel à la compétitivité économique, à la sécurité énergétique et au leadership industriel de l’Union.

L’UE possède un avantage en matière d’innovation dans plusieurs technologies propres, de l’hydrogène vert au stockage de l’énergie à long terme. Mais il est difficile de commercialiser ces technologies sur le continent. Un déficit d’investissement d’environ 50 milliards d’euros (52 milliards de dollars) doit être comblé pour fabriquer, d’ici à 2030, au moins 40 % des dispositifs solaires et éoliens, des batteries, des pompes à chaleur, des électrolyseurs d’hydrogène et des technologies de captage et de stockage du carbone que l’UE doit déployer.

Lors de la présentation de son récent rapport historique sur la compétitivité européenne, l’ancien premier ministre italien Mario Draghi a succinctement résumé le problème : « Il y a trop d’obstacles à la commercialisation des innovations et à leur mise à l’échelle dans l’Union européenne« . En particulier, l’UE doit développer de nouvelles méthodes de production et de nouvelles méthodes de financement de la construction d’usines « premières dans leur genre », qui nécessitent de longs délais de mise en œuvre, l’accès à de grandes quantités de capitaux et une main-d’œuvre hautement qualifiée.

Les États-Unis et la Chine, reconnaissant que les industries vertes peuvent générer des emplois et de la prospérité, ont canalisé des milliards de dollars dans ces secteurs. La loi sur la réduction de l’inflation du président américain Joe Biden, qui offre des crédits d’impôt pour la production nationale de technologies propres, devrait débloquer plus de 3 000 milliards de dollars d‘investissements privés au cours de la prochaine décennie, selon une analyse de Goldman Sachs. La Chine, pour sa part, a largement subventionné son industrie solaire, entre autres.

L’UE n’a pas la puissance de feu fiscale de la Chine et des États-Unis. Ainsi, au lieu de construire ces industries par le biais de subventions généreuses et d’incitations fiscales, les décideurs politiques européens doivent utiliser les fonds publics de manière à attirer les capitaux privés. C’est là que les garanties publiques entrent en jeu.

Les clients attendent souvent des entreprises qui vendent des technologies non éprouvées à l’échelle commerciale qu’elles offrent des garanties étendues au cas où le produit ne fonctionnerait pas comme annoncé. Ces garanties sont appuyées par des garanties bancaires, pour lesquelles les entreprises sont tenues de détenir un nantissement complet. Or, les entreprises de technologies propres ont besoin de niveaux d’investissement relativement élevés pour développer et étendre leurs activités, et le fait de détenir de grandes quantités de liquidités en guise de garantie bloque des capitaux qui pourraient être mieux utilisés pour construire des installations supplémentaires, embaucher et former des travailleurs et honorer les commandes des clients.

Pour alléger ce fardeau, le secteur public pourrait fournir des contre-garanties, en promettant de rembourser une partie de tout paiement effectué par une banque à un client. Les experts du secteur ont préconisé cet instrument comme moyen de décarboniser les industries à forte consommation d’énergie et de réduire les risques d’investissement dans les technologies propres. Il figure également en bonne place dans le rapport qui invite l’UE à accroître sensiblement « l’utilisation des garanties […] pour soutenir les secteurs stratégiques de l’économie« .

Les garanties publiques se sont déjà avérées efficaces pour développer l’innovation dans le domaine des technologies propres en Europe. En 2022, Bpifrance, la banque publique d’investissement française, a garanti un financement de 51 millions d’euros à Verkor, un fabricant français de batteries. Cette garantie a permis à Verkor d’obtenir des investissements privés et un engagement de Renault à s’approvisionner en batteries pour véhicules électriques auprès de l’entreprise, ce qui lui a permis de lancer la construction de sa première gigafactory, à Dunkerque.

Ces garanties sont très efficaces, chaque euro d’argent public débloquant jusqu’à des milliers d’euros de fonds de roulement pour les innovateurs. Par exemple, un mécanisme de garantie de 5 milliards d’euros créé par la Banque européenne d’investissement pour les entreprises du secteur éolien soutiendra jusqu’à 80 milliards d’euros de nouveaux investissements dans cette importante source d’énergie renouvelable.

En outre, l’argent du contribuable n’est dépensé que si une demande d’indemnisation est présentée, ce qui, d’après les données disponibles, est rare. La Chambre de commerce internationale estime que le taux de perte moyen pour les garanties se situe entre 0,2 % et 1,7 %. Si le risque est plus élevé pour les technologies innovantes, il vaut la peine d’être pris pour soutenir des solutions climatiques susceptibles de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de créer des emplois verts et de futures recettes fiscales.

Une évolution positive est que la BEI a proposé un instrument de contre-garantie de 500 millions d’euros pour les entreprises de technologies propres, en attendant l’approbation de son conseil d’administration au début de l’année 2025. Si la BEI concrétise cette promesse, certaines des entreprises européennes les plus prometteuses dans le domaine des technologies propres atteindront probablement la viabilité financière, ce qui favorisera la compétitivité économique de l’Union et constituera une aubaine pour la planète.

 

Doris Hafenbradl est directeur de la technologie et directeur général d’Electrochaea, une startup qui propose une solution de stockage de l’énergie sous forme de méthane.

 

 Project Syndicate, 2024.
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L’exploitation minière responsable peut contribuer aux objectifs environnementaux mondiaux

 Alimentée par la transition vers les énergies propres et par la flambée des prix de l’or, la demande de minéraux et de métaux essentiels augmente à un rythme sans précédent. Cette tendance entraîne une intensification des activités minières, ce qui constitue une sérieuse menace pour la biodiversité et les populations vulnérables, en particulier pour les communautés autochtones. Afin d’en atténuer l’impact et d’éviter le pire, une action mondiale coordonnée est plus urgente que jamais.

 

L’exploitation des minéraux et des métaux est évidemment indispensable à la transition énergétique ainsi qu’à la croissance économique mondiale. Pour autant, elle met également en péril les écosystèmes essentiels à la vie, entraînant destruction et fragmentation des habitats, déforestation, pollution de l’eau et des sols, empoisonnement des espèces sauvages, insécurité alimentaire, et disparition des bassins versants. Les communautés autochtones et locales sont souvent les premières victimes de cette crise, qui menace leurs moyens de subsistance ainsi que leur droit à un environnement propre et sain.

Dans le même temps, selon plusieurs études récentes, la demande de minéraux critiques, principalement alimentée par l’accélération de la transition écologique, devrait doubler d’ici 2030, et quadrupler d’ici 2040. Il faut par ailleurs s’attendre à ce que la baisse des taux d’intérêt, l’incertitude géopolitique, la diversification des portefeuilles et les investissements spéculatifs poussent les prix de l’or encore davantage à la hausse.

Dans ce contexte, la Colombie a récemment appelé à la conclusion d’un accord international contraignant visant à garantir la traçabilité, la transparence et la responsabilité sur l’ensemble de la chaîne de valeur des minéraux – de l’exploitation minière jusqu’au recyclage – d’ici à la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP30) qui se tiendra l’an prochain au Brésil.

Dévoilée lors de la 16e Conférence des parties (COP16) à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, qui a eu lieu en Colombie, cette proposition suit les recommandations du groupe d’experts auprès du secrétaire général des Nations Unies sur les minéraux essentiels à la transition énergétique. Elle vise à renforcer le devoir de diligence, à promouvoir la responsabilité des entreprises, ainsi qu’à établir un marché mondial pour les intrants indispensables aux énergies propres. Elle repose sur l’engagement consistant à promouvoir l’extraction responsable des minéraux et des métaux, sans renoncer aux objectifs en matière d’environnement et de biodiversité. À cette fin, la proposition de la Colombie était accompagnée d’une déclaration volontaire conjointe sur les pratiques minières responsables, qui énonçait une série de mesures concrètes, notamment la création d’un groupe de travail intergouvernemental et multipartite ad hoc.

Il n’est pas surprenant que la Colombie, l’un des pays les plus riches en biodiversité au monde, s’inscrive en première ligne des efforts visant à promouvoir des pratiques minières responsables. L’extraction illégale d’or et de minerais en Amazonie colombienne ainsi que le long de la côte pacifique – souvent contrôlée par des groupes criminels armés – contamine au mercure les sources d’eau, et met en péril les communautés locales et autochtones. L’exploration des terres rares dans la région de l’Amazone et de l’Orénoque vient aggraver ces chocs environnementaux et sociaux, les travailleurs les plus vulnérables de l’industrie étant contraints d’endurer des conditions précaires, proches de l’esclavage.

L’histoire de la Colombie en matière de conflits armés et de déplacements intérieurs, ainsi que la menace soulevée par les groupes criminels qui ciblent les communautés autochtones, d’origine africaine et locales, soulignent la nécessité d’une approche de l’extraction minière qui soit fondée sur les droits de l’homme. Dans cette perspective, la déclaration conjointe préconise une transition écologique juste, qui garantisse des conditions de vie dignes pour tous.

L’expérience de l’Afrique offre de précieuses indications sur la manière de parvenir à une extraction responsable des ressources. Au cours de la dernière décennie, de nombreux pays africains ont adopté des exigences de diligence raisonnable ainsi que des normes de traçabilité concernant le tantale, l’étain, le tungstène et l’or, en s’appuyant sur des cadres tels que la Déclaration de Lusaka de 2010. Cet accord historique, adopté par les États membres de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, a introduit plusieurs mécanismes de responsabilité, notamment un système de certification régional visant à renforcer la transparence ainsi qu’à réduire l’exploitation minière illégale.

De même, le Guide OCDE de 2016 sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque fournit aux entreprises qui s’approvisionnent en matières premières dans des régions instables un certain nombre d’outils pratiques leur permettant d’identifier et de signaler les violations des droits de l’homme ainsi que les atteintes à l’environnement. Plusieurs cadres adoptés par la suite, tels que le Guide OCDE de 2018 sur le devoir de diligence pour une conduite responsable des entreprises et les Principes directeurs de 2023 à l’intention des sociétés multinationales sur la conduite responsable des entreprises, ont incité les entreprises à prendre en compte les effets plus larges de leurs activités, en abordant des questions telles que le droit du travail, la durabilité et la gouvernance éthique.

Malheureusement, l’application et le contrôle du respect de ces mesures demeurent largement confinés à des régions spécifiques. En facilitant l’échange transfrontalier de connaissances et d’expertise, les dirigeants politiques mondiaux pourraient élaborer de solides mécanismes de responsabilité, couvrant l’ensemble du cycle de vie des métaux et des minéraux, de l’extraction et du commerce jusqu’au recyclage et à l’élimination.

La coopération multilatérale est essentielle pour mener à bien cette transformation. L’initiative de la Colombie marquera, espérons-le, l’émergence d’un nouveau paradigme qui stimulera l’action climatique mondiale, et qui ouvrira la voie au développement durable.

 

Mauricio Cabrera Leal est ministre adjoint chargé des politiques et réglementations au sein du ministère de l’Environnement et du Développement durable de la Colombie.

 

Project Syndicate, 2024.
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Acclamer la première femme présidente de la Namibie

En tant que première femme présidente démocratiquement élue en Afrique, je connais mieux que quiconque l’importance de briser le plafond de verre. Pendant des décennies, les plus hautes fonctions politiques en Afrique ont été l’apanage des hommes. Mais aujourd’hui, Netumbo Nandi-Ndaitwah a récidivé en devenant la première femme à diriger la Namibie après avoir remporté l’élection présidentielle de novembre.

L’élection de Mme Nandi-Ndaitwah représente un changement important sur le continent : il est de plus en plus admis que les femmes sont tout aussi capables que les hommes de diriger un gouvernement. Sa victoire est plus qu’une étape importante pour la Namibie ; elle a redonné à l’Afrique un sentiment de fierté et de possibilités.

Lorsque j’ai pris mes fonctions en 2006, j’étais en terrain inconnu. L’idée d’une femme chef d’État africain semblait révolutionnaire, presque inconcevable pour beaucoup. Au cours des années qui ont suivi, les femmes ont accédé à de nombreux postes de premier plan sur le continent, modifiant les perceptions de ce à quoi le leadership peut et doit ressembler. Mais le succès de la candidature de Nandi-Ndaitwah à la présidence réaffirme que les obstacles auxquels sont confrontées les femmes dirigeantes sur le continent ne sont pas insurmontables.

L’accession d’une femme à la plus haute fonction d’un pays transforme les aspirations d’innombrables filles et jeunes femmes. Pendant des années, on a dit aux femmes africaines – parfois subtilement, parfois brutalement – que la politique était un domaine réservé aux hommes. Mais voir des femmes comme Nandi-Ndaitwah accéder au pouvoir remet en cause ces stéréotypes bien ancrés.

Son succès souligne également la valeur inhérente à la présence de femmes dans des rôles décisionnels. D’après mon expérience, les femmes dirigeantes ont tendance à mettre l’accent sur la collaboration, l’inclusion et la résilience – des qualités essentielles pour construire des sociétés plus fortes et plus équitables. En outre, une démocratie s’épanouit lorsque ses dirigeants reflètent la diversité de sa population. L’élection de femmes n’est pas un geste symbolique ; il s’agit de libérer le potentiel et de conduire des changements significatifs.

Alors que la Namibie se réjouit, l’importance de ce résultat se répercute sur l’ensemble du continent. Il indique que les citoyens africains sont prêts à accueillir les femmes en tant que leaders. Loin d’être un événement isolé, la victoire de Nandi-Ndaitwah s’inscrit dans un mouvement plus large d’autonomisation des femmes africaines et de leur accession à des postes d’influence dans la politique, les affaires et la société civile. Son parcours montre que des progrès sont possibles lorsque les institutions et les communautés s’engagent en faveur de l’inclusion.

Malgré cela, nous ne devons pas ignorer les défis persistants auxquels sont confrontées les femmes qui aspirent à des rôles de direction. La discrimination systémique, les préjugés sociétaux et l’inégalité d’accès aux ressources restent des obstacles considérables. L’entrée en politique est toujours considérée comme un privilège plutôt que comme un droit. Pour changer cette perception, les gouvernements africains devraient adopter des politiques qui favorisent une représentation égale, y compris des réformes électorales et des initiatives visant à lutter contre les préjugés sexistes. Les sociétés doivent éradiquer les normes néfastes qui découragent les femmes de briguer un mandat électif, tandis que les hommes doivent reconnaître que l’égalité des sexes profite à tous.

La présidence de Nandi-Ndaitwah n’est pas seulement un accomplissement à célébrer, c’est un appel à l’action. Elle nous rappelle que le progrès exige de la persévérance. Le soutien aux femmes dirigeantes doit rester une priorité absolue, depuis l’activisme de base jusqu’aux politiques nationales. D’autres pays africains devraient suivre l’exemple de la Namibie, en créant des environnements politiques où les femmes peuvent s’épanouir et rivaliser sur un pied d’égalité. Les voies du leadership doivent être accessibles à tous ceux qui veulent servir.

Pour les femmes qui s’efforcent déjà de diriger, la victoire de Nandi-Ndaitwah est une source d’espoir renouvelé. La lutte pour la parité hommes-femmes porte ses fruits. Plus important encore, cette victoire inspirera la prochaine génération de jeunes filles. Le fait de voir une femme présidente en Afrique montre que leurs ambitions sont valables et réalisables. Elles aussi peuvent viser la plus haute fonction sans excuses ni hésitations.

L’Afrique vit un moment décisif. Il semble que le continent soit de plus en plus prêt à accueillir le plein potentiel de ses habitants. Laissons la première femme présidente de Namibie consolider notre détermination collective à lutter pour l’égalité des sexes, encourager les femmes à occuper des postes de direction et dynamiser les efforts visant à construire un paysage politique plus inclusif. Les progrès peuvent prendre du temps, mais un avenir où les femmes ont autant de chances que les hommes de remporter les élections est à notre portée.

La Namibie a ouvert un nouveau chapitre pour le leadership des femmes en Afrique. Le reste du continent doit continuer à tourner les pages.

 

Ellen Johnson Sirleaf, lauréate du prix Nobel de la paix et ancienne présidente du Liberia, est la fondatrice du Centre présidentiel EJS pour les femmes et le développement et la coprésidente du groupe indépendant sur la préparation et la réponse aux pandémies.

 

 Project Syndicate, 2024.
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La COP29 a-t-elle laissé tomber les femmes ?

La dernière conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP29) s’est concentrée sur le financement, mais elle a échoué à plus d’un titre. Les négociations controversées – les représentants de plusieurs pays en développement ont quitté les lieux en signe de protestation – ont défié les pronostics pour aboutir à un engagement – le « Pacte de Bakou pour l’unité climatique » – de la part des économies développées de fournir 300 milliards de dollars de financement climatique par an à leurs homologues plus pauvres d’ici à 2035. C’est le triple de l’objectif convenu en 2009 (et atteint, pour la première fois, en 2022), mais c’est loin d’être le financement annuel estimé à 1,3 trillion de dollars dont les économies en développement auront besoin au cours de cette période. Bien que l’accord représente un progrès, nous devons reconnaître qu’il ne s’agit que d’un point de départ.

 

Cependant, l’insuffisance du financement n’est qu’une partie du problème. En réalité, alors que les dirigeants mondiaux s’affrontaient à Bakou dans un contexte de tensions internationales sans précédent, la véritable bataille qui se livrait concernait l’avenir du financement de la lutte contre le changement climatique et le rôle des femmes dans ce domaine. Les femmes et les enfants courent 14 fois plus de risques de mourir dans des catastrophes liées au climat que les hommes, et les femmes représentent 80 %des personnes déplacées par des conditions météorologiques extrêmes. Ces disparités ne sont pas fortuites, elles sont enracinées dans des inégalités systémiques. Pourtant, le nouvel objectif collectif quantifié sur le financement du climat ne fait qu’une seule référence aux femmes et aux filles : au paragraphe 26, il « exhorte les parties et les autres acteurs concernés à promouvoir l’inclusion et l’extension des avantages pour les communautés et les groupes vulnérables dans les efforts de financement du climat, y compris les femmes et les filles ».

La plus grande vulnérabilité des femmes et des filles au changement climatique reflète l’inégalité systémique de l’accès à l’éducation, aux opportunités économiques et au pouvoir de décision. Ces différences sont également visibles dans les forums sur le climat. Alors que la COP de cette année a été annoncée comme la plus équilibrée en termes d’inscriptions, les femmes ne représentaient que 35 % des délégués (contre 34 % lors de la COP28). Sur les 78 dirigeants mondiaux présents, huit seulement étaient des femmes, et quatre seulement ont abordé des questions liées au genre dans leurs déclarations.

Il a été démontré que les initiatives en matière de climat qui incluent explicitement les femmes produisent de meilleurs résultats pour des communautés entières. En outre, les femmes sont déjà à la tête de certaines des initiatives climatiques les plus innovantes et les plus efficaces au niveau mondial, dans des domaines allant de l’agriculture durable au déploiement des énergies renouvelables.

La conclusion devrait être évidente : le potentiel du financement climatique sensible au genre pour débloquer des voies plus efficaces pour la décarbonisation, l’adaptation et la résilience en fait une nécessité stratégique. Pourtant, pour 100 dollars de financement climatique déployés dans le monde, seuls 20 cents sont consacrés au soutien des femmes, et seulement 0,01 % du financement climatique concerne à la fois l’action climatique et les droits des femmes.

Malgré tout, la COP29 n’a pas été une perte totale pour les femmes et les filles. Le programme de travail de Lima sur le genre a été prolongé pour une autre décennie, mais sans financement supplémentaire pour le secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) afin de soutenir la mise en œuvre. En outre, les 27 dispositions sexospécifiques du texte final de la présidence sur le genre et le changement climatique soulignent le rôle vital de la participation pleine, significative et égale des femmes à l’action climatique et l’importance cruciale de l’intégration des considérations sexospécifiques dans tous les domaines de l’élaboration des politiques. Le « plan d’action pour l’égalité des sexes » que les pays ont convenu d’élaborer pour adoption lors de la COP30 constitue un cadre de progrès.

Malgré ces engagements, la COP29 n’a pas abordé les questions intersectorielles essentielles telles que les liens entre l’égalité des sexes, la consolidation de la paix et l’action climatique. De même, les appels à combler les écarts de compétences entre les hommes et les femmes – tels que la formation aux STEM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques) pour accéder aux emplois verts – et l’économie des soins dans le cadre de l’action climatique n’ont pas été intégrés dans le document final. Bien que le texte encourage un financement climatique sensible au genre et simplifie l’accès pour les organisations féminines locales et les communautés autochtones, il manque l’impulsion structurelle nécessaire pour assurer une mise en œuvre à grande échelle.

Pour transformer les promesses de la COP29 en réalité, nous avons besoin de lignes directrices internationales claires pour l’intégration du genre, soutenues par des budgets alloués, des objectifs mesurables et des approches participatives pour garantir un financement climatique efficace, transparent et responsable. Il convient d’accorder une grande priorité au financement des initiatives locales, en particulier dans les quartiers informels, où les femmes sont souvent à la tête des efforts de résilience climatique. Il est essentiel de mettre en place des systèmes de suivi solides, qui permettent de contrôler non seulement les montants promis, mais aussi leur destination et leurs bénéficiaires.

Bien entendu, l’action internationale ne peut à elle seule combler le fossé entre les hommes et les femmes en matière d’action climatique ; les cadres politiques nationaux sont également essentiels. Là encore, les femmes continuent d’être mises à l’écart. Selon la dernière analyse de la CCNUCC, 82 % des pays mentionnent le genre dans leurs contributions déterminées au niveau national (CDN), mais moins de 26 % intègrent des considérations de genre significatives dans leurs stratégies et investissements à long terme. Alors que les pays préparent la mise à jour de leur CDN – qui sera soumise en février et évaluée lors de la COP30 en novembre – ils doivent veiller à intégrer des programmes et des politiques spécifiques au genre.

Nous ne savons pas si l’environnement international sera moins tendu lorsque les pays se réuniront au Brésil pour la COP30. Mais nous savons que l’absence d’une action climatique significative aurait un coût astronomique, car la prolifération des catastrophes climatiques mortelles entraîne des pertes en vies humaines et des pertes de production se chiffrant en milliards de dollars. Nous savons également que pour réussir, la lutte contre le changement climatique doit être aussi inclusive que transformatrice. C’est pourquoi la COP30 nous offre une occasion unique de réfléchir à nos priorités et d’aligner l’égalité des sexes sur l’accord de Paris sur le climat et les objectifs de développement durable.

La crise climatique n’est pas neutre du point de vue du genre, et nos solutions ne peuvent pas l’être non plus. Si nous ne mettons pas systématiquement l’accent sur un financement climatique sensible au genre, nous risquons de perpétuer les cycles de vulnérabilité. Trente ans après que la déclaration et le programme d’action de Pékin ont inscrit l’égalité des sexes à l’ordre du jour mondial, nous devons faire un nouveau pas en avant pour les droits des femmes, cette fois en tant qu’élément essentiel de la lutte contre le changement climatique.

 

María Fernanda Espinosa, ancienne présidente de l’Assemblée générale des Nations unies, est directrice exécutive de GWL Voices et coprésidente du projet Debt Relief for a Green and Inclusive Recovery. Elle a été membre du Comité consultatif international de la COP29.

 

Project Syndicate, 2024.
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La bataille de l’impeachment en Corée du Sud, c’est la démocratie en action

La dernière manœuvre politique de Yoon Suk-yeol ne s’est sans doute pas déroulée comme il l’avait prévu. Après avoir brusquement décrété la loi martiale le 3 décembre, le président sud-coréen, en proie aux scandales, a été contraint de lever le décret quelques heures plus tard face aux protestations de la population et à l’opposition du pouvoir législatif. Il doit maintenant faire face à une motion de destitution déposée par le parti démocratique, qui a condamné son « comportement insurrectionnel ».

 

À l’heure où nous écrivons ces lignes, il manque huit voix à l’opposition pour évincer Yoon. Mais compte tenu de la conception astucieuse de la constitution sud-coréenne de 1987 et de l’expérience récente du pays en matière de destitution, l’opposition a un avantage, et elle s’appuie sur une base juridique solide. La destitution de Yoon servirait d’exemple mondial – en contraste frappant avec les États-Unis – de la manière dont les démocraties peuvent et doivent traiter ceux qui abusent des privilèges du pouvoir en place.

Un président sud-coréen peut être mis en accusation pour avoir violé « la Constitution ou d’autres lois dans l’exercice de ses fonctions officielles ». Un projet de loi de destitution peut être proposé par une majorité simple à l’Assemblée nationale, mais il doit ensuite être approuvé par une supermajorité des deux tiers. Comme aux États-Unis, la constitution limite l’effet de la destitution à la révocation et laisse expressément ouverte la possibilité de poursuites pénales. Toutefois, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, un président coréen qui fait l’objet d’une procédure de destitution transmet immédiatement ses fonctions au premier ministre. Autre différence par rapport au modèle américain, la motion de destitution est ensuite soumise à la Cour constitutionnelle pour approbation finale.

Ce modèle a permis deux destitutions réussies au cours des deux dernières décennies. En 2004, le président Roh Moo-hyun a été mis en accusation, mais la Cour a estimé que les charges retenues contre lui n’étaient pas suffisantes pour justifier sa destitution. Roh est allé jusqu’au bout de son mandat, mais s’est ensuite suicidé alors qu’il était accusé de corruption. Puis, en décembre 2016, la présidente Park Geun-hye a été destituée et, cette fois, la Cour constitutionnelle a confirmé la décision. En 2018, Park a été reconnue coupable de corruption criminelle et d’abus de pouvoir et condamnée à une peine de prison (elle a été libérée en 2021).

L’expérience de la Corée du Sud en matière de destitution est rare. Une étude récente que j’ai corédigée montre qu’il n’y a eu que dix destitutions réussies dans le monde entre 1990 et 2017. Pourtant, la Corée du Sud a créé des précédents précieux que d’autres pourront suivre. Alors que certains pourraient affirmer qu’il est antidémocratique de destituer un dirigeant démocratiquement élu, l’expérience sud-coréenne montre que la destitution peut être un instrument efficace pour défendre la démocratie.

Les législateurs sud-coréens savent aujourd’hui qu’ils n’innoveront pas s’ils mettent en accusation Yoon. Contrairement à l’impeachment aux États-Unis, le processus coréen reste un élément crédible et sérieux de la politique démocratique du pays. Les législateurs peuvent être rassurés par le fait que les décisions antérieures de destitution d’un président n’ont pas été considérées comme purement partisanes. Puisque le vote dans l’affaire Park était bipartisan, les membres du People Power Party de Yoon ne peuvent pas se réfugier dans le simple fait de voter selon les lignes du parti. La jurisprudence exige qu’ils prennent au sérieux leur responsabilité constitutionnelle, comme d’autres l’ont fait avant eux.

La certification de leur décision par la Cour constitutionnelle – en fait, la vérification de la légalité de leur travail – remplit également une fonction importante, protégeant les législateurs des accusations d’irrégularité partisane. En 2004, la Cour a clairement indiqué que si l’Assemblée nationale avait un rôle politique, d’établissement des faits, à jouer, les juges décideraient en dernier ressort si les faits présentés atteignaient le seuil constitutionnel de révocation. Les législateurs ne peuvent pas non plus être accusés d’agir de manière antidémocratique. Après tout, une nouvelle élection découle nécessairement d’un vote de destitution réussi. Loin de prendre le pas sur le peuple, ils empêchent que la confiance du peuple ne soit abusée.

Le contrôle final de la Cour constitutionnelle et le déclenchement rapide de nouvelles élections sont tous deux absents du système américain, qui en pâtit manifestement. Grâce aux choix judicieux des rédacteurs de la constitution sud-coréenne, l’impeachment fonctionne comme un « hard reset » du système démocratique. Lorsque des titulaires malveillants montrent leur vrai visage, ils peuvent être mis à la porte avant que la confiance du public dans le système ne soit perdue. L’arrêt rendu par la Cour en 2004 dans l’affaire Roh va dans ce sens. Les juges ont estimé que la mise en accusation ne devait intervenir qu’en cas de violation grave de la loi et que la destitution d’un président était « nécessaire pour réhabiliter l’ordre constitutionnel endommagé ».

Compte tenu de ce critère, il y a de bonnes raisons de conclure que les actions de Yoon – plus encore que celles de Park – correspondent à ce critère. En vertu de la constitution de 1987, le président peut déclarer la loi martiale uniquement « pour faire face à une nécessité militaire ou pour maintenir la sécurité et l’ordre publics par la mobilisation des forces militaires en cas de guerre, de conflit armé ou d’urgence nationale similaire ». La décision de Yoon ne s’est pas contentée de ne pas respecter cette norme, elle l’a tournée en dérision.

Dans son discours déclarant la loi martiale, Yoon n’a même pas pris la peine de citer une quelconque « nécessité militaire » ou une menace crédible pour « l’ordre public ». Au lieu de cela, il a présenté une salade de mots intempestive composée de plaintes concernant les décisions fiscales des législateurs (qui auraient transformé le pays en un « paradis de la drogue »), d’enquêtes sur ses scandales et d’affirmations non fondées concernant « les menaces des forces communistes nord-coréennes et … des forces antiétatiques pro-nord-coréennes sans vergogne ». Loin de satisfaire aux normes constitutionnelles permettant d’imposer la loi martiale, le comportement erratique de Yoon et son mépris flagrant des faits ont révélé un mépris inconsidéré pour le système démocratique sud-coréen.

À l’heure où les dirigeants d’autres démocraties en déclin semblent jouir de l’impunité, la dernière saga de destitution en Corée du Sud nous rappelle que la démocratie, une fois établie, peut facilement être perdue à cause de l’inattention ou de la vénalité. L’autorité d’un président ne doit pas être confondue avec l’exercice pur et simple du pouvoir par quelqu’un qui a gagné une élection.

 

Aziz Huq, professeur de droit à l’université de Chicago, est l’auteur de The Collapse of Constitutional Remedies (Oxford University Press, 2021).

 

Project Syndicate, 2024.
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Anticiper la politique étrangère de Trump

 Il est toujours difficile de prédire, mais c’est encore plus vrai dans le cas du président élu des États-Unis. Non seulement Donald Trump parle peu et change souvent de position, mais il considère également l’imprévisibilité comme un outil de négociation utile. Néanmoins, on peut essayer de se faire une idée de ce que sera sa politique étrangère à partir de ses déclarations de campagne, de ses nominations à haut niveau et de son premier mandat.

 

À Washington, on dit souvent que « le personnel fait la politique ». Mais si nous savons déjà qui Trump veut nommer à des postes clés, le problème est que leurs opinions déclarées entrent parfois en conflit les unes avec les autres. Comme Trump s’efforce d’éviter les républicains traditionnels qui l’ont bridé pendant son premier mandat, le dénominateur commun de ses choix est cette fois la loyauté personnelle. Mais cette qualité ne nous aide pas à prédire la politique qui sera mise en œuvre.

Prenons la question de la Chine. Les choix de Trump pour le poste de secrétaire d’État et de conseiller à la sécurité nationale – respectivement le sénateur Marco Rubio et le représentant Michael Waltz – sont des « faucons » bien connus qui considèrent la Chine comme la principale menace, exigeant une réponse forte. Nous savons également, grâce à sa campagne, que Trump est impatient d’introduire de nouveaux droits de douane sur les importations en provenance de ses alliés, et des droits encore plus élevés sur les marchandises en provenance de la Chine.

Trump ayant déjà annoncé son intention d’imposer des droits de douane sur les importations en provenance du Mexique, du Canada et de la Chine, il faut certainement s’attendre à ce que de nouvelles taxes soient imposées. Mais les taux, la durée et les exemptions des droits de douane restent incertains et soumis à la fois aux pressions politiques nationales et aux caprices personnels de Trump. Comme l’a récemment déclaré son candidat au poste de secrétaire au Trésor, Scott Bessent, « je pense qu’une grande partie de ce que fait [Trump] consiste à escalader pour désescalader, et mon objectif pour son administration serait de sauver le commerce international ».

La manière dont Trump pourrait répondre aux représailles des partenaires commerciaux des États-Unis est tout aussi incertaine. Si les guerres commerciales menées au coup par coup entraînent une hausse des tarifs douaniers et des prix, le retour de l’inflation pourrait déclencher une réaction politique intérieure. Comme Trump se targue d’être un négociateur hors pair, il pourrait chercher à faire des compromis. Offrira-t-il à son homologue chinois, Xi Jinping, un affaiblissement du soutien des États-Unis à Taïwan en échange d’un accord commercial qu’il pourrait présenter comme une victoire ? Certains alliés asiatiques des États-Unis s’inquiètent précisément de ce scénario.

À en juger par les déclarations de campagne de Trump et son précédent mandat à la Maison Blanche, il faut également s’attendre à ce qu’il dévalorise le multilatéralisme et les alliances. Il a promis de se retirer à nouveau de l’accord de Paris sur le climat et d’augmenter la production nationale et les exportations de pétrole et de gaz. Alors que le prix des énergies renouvelables a baissé aux États-Unis, il reste à voir si ses politiques annuleront cet effet bénéfique du marché en réduisant la compétitivité relative des coûts de ces industries.

Pour ce qui est du Moyen-Orient, Trump a déclaré pendant la campagne un soutien inconditionnel à Israël, et il est toujours fier d’avoir négocié les accords d’Abraham, qui ont normalisé les relations entre Israël et quatre pays arabes. Lorsque l’administration Biden a tenté de tirer parti de cette avancée en incitant l’Arabie saoudite à reconnaître Israël, les Saoudiens ont posé une condition préalable : Israël doit prendre des mesures pour créer un État palestinien. Or, la coalition de droite du Premier ministre israélien Binyamin Netanyahou s’oppose farouchement à une solution à deux États et, depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, le soutien de l’opinion publique israélienne à une telle solution, déjà faible, s’est encore amoindri. Il ne fait aucun doute que Donald Trump souhaite étendre ses succès antérieurs dans la région, mais personne ne sait comment il s’y prendra.

En ce qui concerne l’Europe et l’OTAN, Trump a déclaré pendant la campagne qu’il mettrait fin à la guerre en Ukraine« en un jour ». Nous savons que cela n’arrivera pas, mais il y a une grande incertitude quant à la manière dont il tentera de négocier un armistice. Une possibilité est de réduire l’aide à l’Ukraine et d’affaiblir sa position de négociation afin qu’elle soit obligée d’accepter les conditions russes. Ou bien Trump pourrait temporairement étendre son soutien à l’Ukraine tout en s’orientant vers une « solution coréenne ».

Dans ce dernier scénario, la ligne de front actuelle deviendrait une zone démilitarisée occupée par des forces de maintien de la paix des Nations unies ou européennes, que la Russie devrait expulser si elle veut relancer la guerre. L’Ukraine pourrait continuer à affirmer sa souveraineté sur des régions comme le Donbass, mais elle ne pourrait probablement pas adhérer à l’Otan ; en revanche, un sous-ensemble de pays (« amis de l’Ukraine ») pourrait peut-être proposer de lui venir en aide si la Russie violait la zone démilitarisée. On ne sait pas si Trump utilisera son pouvoir de négociation vis-à-vis du président ukrainien Volodymyr Zelensky et du président russe Vladimir Poutine pour parvenir à un tel compromis. Mais il sera certainement intéressant pour lui de parvenir à un accord s’il pense à son héritage.

Même si les prévisions basées sur les déclarations de campagne et le personnel nous laissent dans l’incertitude, nous pouvons au moins situer Trump dans les traditions historiques de la politique étrangère américaine. Rappelons son premier discours d’investiture, dans lequel il proclamait que « à partir de maintenant, ce sera l’Amérique d’abord… nous ne cherchons pas à imposer notre mode de vie à qui que ce soit, mais plutôt à le laisser briller comme un exemple ». Ce point de vue est conforme à l’approche traditionnelle, de la « city on the hill », une ville sur une colline, de la politique étrangère américaine, qui a une longue histoire. Il ne s’agit pas d’un isolationnisme, mais d’un manque d’activisme.

En revanche, au XXe siècle, Woodrow Wilson a cherché à mettre en place une politique étrangère visant à sécuriser la démocratie dans le monde, et John F. Kennedy a exhorté les Américains à réfléchir à ce qu’ils pouvaient faire pour le reste du monde, en créant le Corps de la paix en 1961. Jimmy Carter a fait des droits de l’homme une préoccupation centrale de la politique étrangère américaine, et la stratégie internationale de George W. Bush repose sur les deux piliers que sont la direction d’une communauté mondiale croissante de démocraties et la promotion de la liberté, de la justice et de la dignité humaine.

La seule prédiction qui semble sûre est que l’approche de Trump vis-à-vis du monde sera plus conforme à la première de ces traditions qu’à la seconde.

 

Joseph S. Nye Jr, professeur émérite à l’université de Harvard, est un ancien secrétaire adjoint à la défense des États-Unis et l’auteur des mémoires A Life in the American Century ( Polity Press, 2024).

 

Project Syndicate, 2024.
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Le défi de Trump au Moyen-Orient

La victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine n’a pas surpris les habitants du Moyen-Orient. Les gouvernements de la région s’y étaient préparés et, plus d’un mois avant l’investiture de Trump, ils sont prêts à traiter avec lui. C’est Trump qui pourrait se trouver pris au dépourvu, car le Moyen-Orient d’aujourd’hui est fondamentalement différent de celui auquel il a été confronté au cours de son premier mandat à la Maison Blanche. Les deux changements les plus importants sont l’Iran et Gaza.

 

Commençons par l’Iran. Au cours de son premier mandat, Donald Trump a déchiré le plan d’action global conjoint de 2015 visant à limiter le programme nucléaire iranien. Alors que le président iranien de l’époque, le modéré Hassan Rouhani, a été remplacé en 2021 par un ultra-conservateur, feu Ebrahim Raisi, la présidence est à nouveau occupée par un modéré relatif, Masoud Pezeshkian.

Avant même l’entrée en fonction de Pezeshkian, l’Iran s’est engagé dans un processus de rapprochement avec ses voisins arabes, rétablissant les relations diplomatiques avec son grand rival régional, l’Arabie Saoudite, en mars 2023. Cette détente inattendue et lourde de conséquences s’inscrivait dans le cadre d’une initiative soutenue par la Chine, visant apparemment à réduire les tensions et à renforcer la stabilité dans la région.

Cela nous amène à un autre changement depuis le dernier mandat de Trump : la Chine et la Russie ont renforcé leurs relations avec l’Iran (et entre elles). Alors que Trump a toujours été antagoniste à l’égard de la Chine et de l’Iran, il a entretenu une sorte de « bromance » avec le président russe Vladimir Poutine pendant son premier mandat. Mais s’il semble désireux de coordonner une désescalade des guerres en Ukraine et au Moyen-Orient directement avec Poutine, il devra naviguer dans une nouvelle dynamique relationnelle.

Quoi qu’il en soit, une désescalade des hostilités au Moyen-Orient sera difficile à obtenir. La campagne brutale d’Israël contre Gaza a commencé en représailles à l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, mais elle a maintenant causé un nombre effroyable de morts, de déplacements et de souffrances parmi les civils. Certes, les États-Unis et la France ayant négocié un cessez-le-feu au Liban, la campagne d’Israël contre le Hezbollah devrait être terminée avant l’investiture de Trump. Mais il est difficile de prédire si un accord de « paix » au Liban rendra plus facile ou plus difficile la conclusion d’un accord similaire à Gaza, notamment parce que Trump n’a pas de position claire sur pratiquement tous les sujets.

Le président américain Joe Biden a été plus facile à cerner. Lui et son secrétaire d’État, Antony Blinken, ont un certain bagage idéologique sioniste. Ainsi, alors que l’administration Biden a exhorté Israël à mettre fin à son offensive et a menacé de suspendre son aide si les conditions de vie des civils à Gaza ne s’amélioraient pas, elle a toujours rationalisé les actions d’Israël et a continué à lui fournir des armes. Même après le cessez-le-feu au Liban, l’administration Biden serait en train de procéder à une vente d’armes à Israël pour un montant de 680 millions de dollars.

Trump a montré une préférence similaire pour les intérêts d’Israël. Au cours de sa première administration, il a rompu avec des décennies de politique établie en transférant l’ambassade des États-Unis en Israël à Jérusalem, en reconnaissant la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan occupé et en supprimant le financement de l’Office de secours et de travaux des Nations unies (United Nations Relief and Works Agency, UNRWA), le principal programme d’aide aux réfugiés palestiniens. Il a également lancé le processus de normalisation israélo-arabe. Israël a signé les accords dits d’Abraham avec les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc et le Soudan en 2020-21.

Trump prévoit d’inclure de nombreuses personnalités pro-israéliennes dans sa nouvelle administration. Mais en ce qui concerne la guerre à Gaza, son absence d’engagement idéologique fixe signifie que son objectif est simple : conclure un accord. Quel que soit cet accord, il est presque certain qu’il sera mauvais pour les Palestiniens, non seulement en raison de l’orientation pro-israélienne de l’administration, mais aussi parce que les accords négociés de l’extérieur tendent à refléter l’équilibre des forces sur le terrain, qui est clairement en faveur d’Israël.

Les Palestiniens ne bénéficient même pas d’un soutien particulièrement fort de la part des pays arabes, bien que l’Arabie saoudite ait déclaré qu’elle n’établirait pas de relations diplomatiques avec Israël tant qu’un État palestinien indépendant ne serait pas créé à l’intérieur des frontières de 1967. Les accords d’Abraham sont mis à rude épreuve, mais ils ne se sont pas effondrés.

Cependant, l’accord conclu par Trump pourrait ne pas être très bon pour les Israéliens non plus. Selon le journaliste israélien Barak Ravid, Trump en voulait au Premier ministre israélien Binyamin Netanyahou, qui s’est empressé de féliciter Biden après avoir battu Trump aux élections de 2020. Pour un président qui a juré à plusieurs reprises de s’en prendre à ses ennemis, ce n’est pas tout à fait farfelu.

Le scénario le plus probable semble être la fin de la guerre actuelle et un retour au statu quo d’avant le 7 octobre, et non une quelconque avancée vers une solution politique plus large. Mais l’imprévisibilité de Trump et le caractère pro-israélien de son administration font craindre à de nombreuses personnes dans la région qu’il ne donne son feu vert à l’annexion par Israël d’une partie de la Cisjordanie, voire qu’il n’accepte d’établir des colonies juives à Gaza. Trump a déjà tenté de conclure un accord pro-israélien en publiant son plan de paix pour le Moyen-Orient en janvier 2020. Mais ce qu’il a appelé « l’accord du siècle » a lamentablement échoué.

Le problème, qui devrait être tout à fait évident à présent, est que lorsque les Palestiniens ne voient aucune perspective de solution à deux États, ils finissent par passer à l’action. Ainsi, même si Trump négocie un retour au statu quo, il est peu probable qu’il tienne longtemps.

 

Daoud Kuttab, journaliste palestinien qui a reçu des prix prestigieux, a été professeur de journalisme à l’université de Princeton et directeur et fondateur de l’Institut des médias modernes à l’université Al-Quds de Ramallah.

 

Project Syndicate, 2024.
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La clé de la souveraineté de l’Afrique en matière de vaccins

L’Afrique est à l’aube d’une profonde transformation économique. Le boom démographique dans les pays subsahariens, qui devrait faire passer le nombre d’Africains de 1,4 milliard aujourd’hui à 3,3 milliards en 2075, est susceptible de déclencher une croissance rapide du PIB et d’améliorer le niveau de vie sur l’ensemble du continent.

 

Mon pays, le Ghana, entend être à l’avant-garde de cette évolution. Mais notre capacité à tirer parti du dividende démographique dépend d’un facteur essentiel : la santé de nos citoyens. C’est pourquoi nous cherchons à former des partenariats internationaux stratégiques qui nous aident à améliorer les résultats en matière de santé, à stimuler la croissance économique et à assurer une prospérité largement partagée.

Cela soulève une question fondamentale. À quoi ressemble un partenariat stratégique équitable entre les pays africains et les pays du Nord ? Historiquement, l’aide au développement pour les projets de santé vitaux dans le monde en développement, bien que bien intentionnée, a souvent été mal coordonnée et non durable, se concentrant sur les crises à court terme plutôt que de s’attaquer aux problèmes systémiques qui en sont la cause.

Au cours des deux dernières décennies, les pays africains ont jeté les bases d’un système de santé entièrement financé par des ressources nationales. Les tendances récentes suggèrent que les partenariats entre les secteurs public et privé sont essentiels pour élargir l’accès aux soins et parvenir à une véritable autosuffisance en matière de santé.

Gavi, l’Alliance du vaccin, en est un bon exemple. Depuis sa création en 2000, ce partenariat international a aidé les pays africains à vacciner près d’un demi-milliard d’enfants, à réduire de moitié les taux de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans et à générer des dizaines de milliards de dollars de bénéfices économiques en améliorant les résultats scolaires, en stimulant la productivité et en réduisant considérablement les coûts des soins de santé.

Ces effets positifs sur la santé et les performances économiques des pays africains ne sont qu’un point de départ. Une croissance durable et inclusive des revenus pourrait permettre à des pays comme le Ghana de diversifier leurs économies et de favoriser des sociétés plus stables. Elle pourrait également nous aider à retenir les talents, car davantage de personnes choisissent de construire leur avenir ici plutôt que de chercher des opportunités économiques à l’étranger. En outre, une Afrique prospère profiterait à nos partenaires commerciaux, contribuant ainsi à une économie mondiale plus forte et plus résistante.

Les avantages immédiats des partenariats stratégiques dans le domaine de la santé sont évidents. L’achat et le déploiement rapides de vaccins contre la variole au cours des deux derniers mois montrent que les principales leçons de la pandémie de Covid-19 ont été tirées. Les nouveaux mécanismes de financement d’urgence, établis grâce à des efforts à l’échelle du continent et soutenus par des partenaires internationaux, ont stimulé l’équité en matière de vaccins et renforcé la sécurité sanitaire.

À l’avenir, de nouvelles initiatives visant à développer la fabrication nationale de vaccins offrent une occasion inestimable de répondre à la demande croissante de l’Afrique et de parvenir à la souveraineté en matière de vaccins. Si les partenariats internationaux sont essentiels pour favoriser la croissance à long terme, notre objectif ultime reste l’autosuffisance. En 2023, les gouvernements africains ont versé plus de 200 millions de dollars aux programmes de vaccination de Gavi – une étape historique. Les pays du Sud fournissant désormais 40 % du financement des activités de routine de Gavi. De nombreux pays, dont le Ghana, sont en passe de financer leurs efforts de vaccination de manière autonome d’ici à la fin de la décennie.

Cependant, pour que l’Afrique parvienne à une souveraineté totale en matière de vaccins, Gavi doit obtenir au moins 9 milliards de dollars pour les cinq prochaines années. L’importance de ce soutien est évidente au Ghana, où notre partenariat avec Gavi a revigoré la lutte contre le paludisme – un fléau de longue date – et contribuera bientôt à protéger les jeunes femmes du cancer du col de l’utérus, pour la première fois, en élargissant l’accès au vaccin contre le papillomavirus.

L’un des points forts du modèle de Gavi est sa capacité à exploiter et à transposer à plus grande échelle les innovations du secteur privé. Cela permet aux gouvernements des pays du Sud de vacciner davantage d’enfants, de fournir des soins de santé de qualité et de réduire les coûts. Au Ghana, le soutien financier et logistique de Gavi nous a aidés à intégrer dans notre système de santé des avancées technologiques telles que la tenue de registres numériques, l’énergie solaire, la livraison par drone et l’identification biométrique des nourrissons.

Mon message aux donateurs de Gavi est simple : en tant que partenaires, nous avons accompli ensemble des progrès remarquables. Reculer maintenant mettrait en péril nos gains durement acquis. Un avenir plus sain, plus sûr, plus prospère et plus équitable pour tous est à portée de main. En renforçant notre collaboration, nous pouvons y parvenir.

 

Nana Akufo-Addo est président du Ghana.

 

Project Syndicate, 2024.
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Dernière chance pour les ODD ?

 Le monde est en train de perdre une bataille qui pouvait être gagnée. Le secrétaire général de l’ONU, António Guterresprévient que les Objectifs de développement durable (ODD) pour 2030 sont sur le point de devenir « l’épitaphe d’un monde qui aurait pu être ». Le patient peut-il être réanimé ?

 

Les décisions prises dans les prochains jours auront une incidence importante sur la réponse. Le 7 décembre, les gouvernements annonceront leurs promesses de financement pour l’Association internationale de développement (IDA), la branche du groupe de la Banque mondiale qui fournit des financements aux pays les plus pauvres du monde (dont le revenu annuel par habitant est inférieur à 1 315 dollars). La reconstitution des ressources de l’IDA a lieu tous les trois ans, ce qui signifie que les engagements pris aujourd’hui couvrent la période d’investissement critique pour sauver les objectifs du Millénaire pour le développement. Malheureusement, les choses ne se présentent pas bien. Plusieurs donateurs clés n’ont pas mis tout leur poids dans la balance.

C’est dans les 78 pays couverts par l’IDA que la bataille pour les ODD sera gagnée ou perdue. Abritant 500 millions de personnes qui survivent avec moins de 2,15 dollars par jour, ils représentent environ 70 % de l’extrême pauvreté et plus de 90 % de la faim dans le monde. Pire encore, ce sont les enfants qui sont en première ligne. Dans un récent rapport de l’ODI Global, un think tank, mes coauteurs et moi-même estimons que quelque 257 millions d’enfants des pays éligibles à l’IDA grandissent dans la faim, ce qui a des conséquences désastreuses sur leur santé et leurs perspectives d’éducation.

Des revers récents ont aggravé des problèmes déjà graves, provoquant des revirements majeurs. Après avoir été durement touchés par la pandémie de Covid-19, les pays couverts par l’IDA ont été secoués par des ralentissements économiques post-pandémiques, la hausse des prix des denrées alimentaires et l’augmentation de la dette publique. Plus de la moitié d’entre eux sont en train de se laisser distancer par les pays riches, alors que les inégalités mondiales se creusent. La réduction de la pauvreté s’est ralentie par rapport à un rythme déjà insuffisant. Les progrès contre la faim se sont arrêtés. Le service de la dette évince les investissements vitaux, les remboursements l’emportant désormais sur les dépenses de santé et d’éducation de base.

Dans ce contexte peu réjouissant, l’accès à un financement du développement abordable s’est réduit. Les transferts financiers réels (corrigés de l’inflation) des donateurs vers l’Afrique ont chuté, et la hausse des taux d’intérêt réels a exclu la plupart des pays de l’IDA des marchés des obligations souveraines (ou les a soumis à des coûts d’emprunt excessivement élevés).

L’IDA est l’arme financière multilatérale la plus puissante de l’arsenal de lutte contre la pauvreté. Au cours de la dernière année fiscale, elle a fourni 31 milliards de dollars de soutien aux pays membres. Cela en a fait, de loin, la plus grande source de financement du développement pour l’Afrique, qui bénéficie de subventions à taux zéro, de prêts concessionnels remboursables sur 30 à 40 ans, ou les deux à la fois.

Ce type de financement est une bouée de sauvetage pour les objectifs du Millénaire pour le développement (ODD), car il est majoritairement destiné à des domaines dont les bénéfices pour les pauvres sont avérés, tels que la protection sociale, les investissements dans la santé infantile et maternelle, et l’éducation. Avec une reconstitution généreuse, l’IDA pourrait contribuer à sortir des millions de personnes de l’extrême pauvreté, à élargir les possibilités d’amélioration de la santé et de l’apprentissage, et à soutenir l’adaptation au changement climatique.

En outre, pour les donateurs qui cherchent à optimiser leurs ressources, l’IDA présente un avantage unique : chaque dollar reçu peut rapporter 3,50 dollars. L’IDA peut tirer parti de la note de crédit AAA de la Banque mondiale pour obtenir des financements à faible taux d’intérêt en émettant des obligations et en prêtant le produit de ces émissions aux pays en développement. Lorsque les donateurs fournissent des fonds par l’intermédiaire de programmes d’aide bilatérale ou de fonds mondiaux pour la santé, l’argent qui sort reflète l’argent qui entre. Mais l’IDA permet d’en faire bien plus pour son argent.

L’IDA permet également d’atténuer les pratiques dommageables de l’aide internationale. À l’heure actuelle, seuls 8 % environ de l’aide au développement liée à la pauvreté sont fournis par l’intermédiaire des budgets gouvernementaux. Le reste arrive par le biais de fonds de projets contrôlés par les donateurs, ce qui entraîne une fragmentation, une faible coordination et des coûts de transaction élevés pour les gouvernements. Ainsi, l’Éthiopie a dû gérer 454 transactions d’aide pour la seule agriculture en 2021. En revanche, l’IDA apporte son soutien par le biais de budgets nationaux pour des programmes pris en charge par le pays, ce qui explique pourquoi les gouvernements de toute l’Afrique la soutiennent fermement.

La Banque mondiale plaide, à juste titre, en faveur d’une augmentation importante de l’IDA. L’année dernière, son président, Ajay Bangaa appelé les donateurs à fournir plus de 120 milliards de dollars, ce qui ferait de cette reconstitution « la plus importante de tous les temps ». Malheureusement, cette ambition s’est estompée. Les promesses actuelles impliquant une reconstitution de moins de 105 milliards de dollars, soit moins que la précédente, en termes réels.

Alors que l’administration du président américain Joe Bidenannoncé une augmentation de son engagement dans l’IDA, et que plusieurs petits pays et nouveaux donateurs ont également augmenté leurs contributions, certaines grandes économies du G7 ont fait marche arrière. L’année dernière, le président français Emmanuel Macron a accueilli un sommet visant à créer un nouveau pacte financier mondial pour lutter contre la pauvreté et la crise climatique ; cette année, il s’apprête à réduire la contribution de la France à l’IDA.

Le Royaume-Uni est tout aussi décevant. Il figurait parmi les plus gros contributeurs à l’IDA au cours de la décennie qui s’est achevée en 2022 :­ un héritage du leadership de l’ancien Premier ministre Gordon Brown. La situation a radicalement changé lors de la dernière reconstitution des ressources de l’IDA, lorsque la contribution du Royaume-Uni a été réduite de moitié, les gouvernements conservateurs s’étant attaqués au budget de l’aide.

La reconstitution de cette année donne au nouveau gouvernement travailliste l’occasion de commencer à reconstruire la réputation de la Grande-Bretagne en tant que « superpuissance du développement ». Le ministre des Affaires étrangères, David Lammy, a promis une nouvelle ère dans laquelle le Royaume-Uni « utilisera des moyens réalistes pour poursuivre des objectifs progressistes ». Revenir sur les coupes opérées par les conservateurs en augmentant de 54 % la contribution du Royaume-Uni (ce qui représente un engagement de 2,2 milliards de dollars) répondrait certainement à ces critères. Pourtant, le Trésor veut plafonner toute contribution supplémentaire à 20-40 %.

Il s’agirait là d’une tragédie. Si le Trésor a raison de noter qu’il a hérité de ses prédécesseurs conservateurs un calice empoisonné de finances publiques insoutenables, il a tort de suggérer que le Royaume-Uni ne peut pas se permettre d’envoyer un signal positif dans l’intérêt de la coopération internationale et de son propre pouvoir d’attraction (« soft power »).

Pire encore, le gouvernement a effectivement mis au placard des engagements d’aide de longue date en maintenant la politique des gouvernements précédents consistant à les soumettre à des tests fiscaux irréalisables et invraisemblables, dont l’un consiste à atteindre un excédent budgétaire (ce qui ne s’est produit que quatre fois depuis 1971). Il n’y a rien de réaliste ou de progressiste à utiliser des objectifs invraisemblables comme prétexte pour tourner le dos aux pauvres du monde. Le Royaume-Uni devrait rétablir intégralement les réductions de l’IDA opérées par le gouvernement conservateur.

L’IDA n’est peut-être pas parfaite, mais c’est le meilleur outil dont nous disposons pour restaurer l’espoir que les ODD ont suscité. Les gouvernements devraient l’utiliser.

 

Kevin Watkins, ancien PDG de Save the Children UK, est professeur invité à l’Institut Firoz Lalji pour l’Afrique de la London School of Economics.

 

Project Syndicate, 2024.
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Le multilatéralisme ou l’échec

 À 82 ans, j’ai vécu d’innombrables bouleversements politiques et sociaux, suffisamment pour m’habituer aux cycles récurrents de l’histoire. Mais les événements récents m’ont profondément ébranlé et effrayé. Les principes fondamentaux du droit international, établis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, sont mis à mal de manière flagrante. L’interdiction d’acquérir des territoires par la force, l’obligation de protéger les civils pendant les conflits, les limites du droit à l’autodéfense et le mandat du Conseil de sécurité des Nations unies de « maintenir la paix et la sécurité internationales » sont en train de s’effilocher, sans que l’on se préoccupe vraiment des conséquences.

 

En Ukraine et à Gaza, l’occupation a été transformée en arme pour régler les différends, les civils servant de chair à canon et le droit à l’autodéfense étant déformé pour justifier des actes de représailles et de vengeance – à Gaza, ces actions sont à la limite du génocide. Pendant ce temps, les États-Unis et la Russie abusent régulièrement de leur droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU, le réduisant à un organe édenté incapable d’appeler à un cessez-le-feu dans l’un ou l’autre conflit. Au milieu de cette agitation géopolitique, les exécutions extrajudiciaires, autrefois universellement condamnées, sont célébrées comme des triomphes.

Cet effondrement reflète la transformation rapide du système de sécurité multilatéral en un ordre multipolaire dominé par trois grandes puissances, chacune se concentrant sur la protection de ses intérêts et l’expansion de sa sphère d’influence, laissant le reste du monde dans une situation d’insécurité croissante. Dans le paysage mondial actuel, la règle cardinale semble être la suivante : avec suffisamment de pouvoir, les gouvernements peuvent s’en tirer à bon compte.

L’érosion des règles et des normes internationales est aggravée par une politique flagrante de deux poids, deux mesures. Le soutien inconditionnel des puissances occidentales aux actions d’Israël à Gaza et au Liban – justifié à maintes reprises par le refrain « Israël a le droit de se défendre » – contraste fortement avec les sanctions économiques sévères imposées à la Russie. Certes, la Russie a déclenché la guerre en Ukraine, tout comme le Hamas l’a fait à Gaza, mais les violations du droit international par Israël ont été si nombreuses et si flagrantes qu’il a effectivement assumé le rôle d’agresseur.

Cette politique de deux poids deux mesures a été durement ressentie dans les pays en développement, où l’on pense généralement que l’engagement des grandes démocraties en faveur des droits de l’homme s’arrête à leurs propres frontières. Par conséquent, un profond sentiment d’injustice et d’hypocrisie a intensifié la méfiance qui règne depuis longtemps entre le Nord et le Sud.

Il est alarmant de constater que les tensions géopolitiques s’aggravent au moment même où l’humanité est aux prises avec trois menaces existentielles qui nécessitent une coopération internationale étroite : le changement climatique, la course aux armements nucléaires et l’essor de l’intelligence artificielle.

La crise climatique s’est déjà transformée en une véritable catastrophe environnementale, marquée par des tempêtes, des inondations, des sécheresses et des incendies de forêt de plus en plus fréquents et de plus en plus graves. Sans réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, le réchauffement de la planète devrait dépasser le seuil de 2° Celsius fixé par l’accord de Paris de 2015 sur le climat et atteindre 3°C d’ici la fin du siècle. Pourtant, la communauté internationale n’arrive pas à se mettre d’accord sur les actions et les financements nécessaires pour éviter la catastrophe. Le président élu américain Donald Trump, qui s’est retiré de l’accord de Paris au cours de son premier mandat, est largement susceptible de le faire à nouveau, mettant en péril les progrès vers une action climatique efficace.

De même, les efforts visant à atténuer la menace nucléaire ont régressé en une course effrénée aux armements. Contrairement à l’affirmation de Ronald Reagan et de Mikhaïl Gorbatchev selon laquelle « une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée », certains États dotés de l’arme nucléaire affichent aujourd’hui ouvertement leurs stocks. La Russie, par exemple, a menacé à plusieurs reprises de déployer des armes nucléaires tactiques en Ukraine. Pour ajouter à ces dangers, le nouveau traité START – le dernier accord régissant les arsenaux des deux plus grandes puissances nucléaires du monde – doit expirer au début de l’année 2026.

À l’instar de l’énergie nucléaire, la lutte contre les risques posés par l’IA nécessite une surveillance et une collaboration à l’échelle mondiale. Toutefois, dans le climat actuel de confrontation et d’hostilité, une coopération significative entre les États-Unis, la Chine et la Russie est hautement improbable.

L’augmentation des inégalités, tant à l’intérieur des pays qu’entre eux, est un autre facteur majeur d’instabilité mondiale. Les disparités économiques, associées à la méfiance croissante du public à l’égard des élites, ont alimenté la récente montée du populisme. Cette situation est particulièrement préoccupante, car l’histoire a montré qu’une inégalité non maîtrisée crée un terrain fertile pour la montée des dirigeants autoritaires et fascistes.

Il est urgent d’adopter un nouvel état d’esprit. En l’absence d’un ordre de sécurité efficace et inclusif, la course mondiale aux armements s’intensifiera, augmentant la probabilité d’une guerre nucléaire. L’isolationnisme et les guerres commerciales, qui étouffent la croissance économique et remplacent l’État de droit par l’État de force, ne sont pas la solution. Au contraire, les gouvernements doivent reconnaître que la seule voie à suivre est celle de la coopération et du compromis.

Il est également nécessaire de reconnaître que la mondialisation, même si elle n’est pas exempte de défauts, apporte des avantages considérables. Face aux défis monumentaux d’aujourd’hui, nous pouvons soit œuvrer pour garantir la liberté et la sécurité pour tous, soit regarder le monde sombrer dans le chaos. À ceux qui appelleraient cela de l’idéalisme de pacotille, voici un réalisme à toute épreuve : sans un engagement renouvelé en faveur de la liberté, de l’égalité, de la dignité humaine et de la solidarité, nous sommes confrontés à la perspective bien réelle d’une ruine collective.

 

Mohamed ElBaradei, directeur général émérite de l’Agence internationale de l’énergie atomique et ancien vice-président de l’Égypte, a reçu le prix Nobel de la paix en 2005, conjointement avec l’AIEA.

 

Project Syndicate, 2024.
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Les bébés du monde entier ont besoin d’antibiotiques, pas seulement de vaccins

Au cours des cinquante dernières années, le nombre d’enfants qui meurent avant d’atteindre l’âge de cinq ans a chuté de façon spectaculaire, passant d’environ 20 millions en 1960 à 4,9 millions en 2022, en grande partie grâce au Programme élargi de vaccination (PEV). Créé par l’Organisation mondiale de la santé en 1974, le PEV a connu un succès extraordinaire en permettant aux plus jeunes d’accéder aux vaccins, sauvant ainsi plus de 150 millions de vies. Mais si ces progrès méritent d’être célébrés, il reste encore beaucoup à faire, car les nouveau-nés représentent chaque année la moitié des décès d’enfants de moins de cinq ans, dont beaucoup sont dus à des infections.

 

Les progrès en matière de réduction de la mortalité néonatale ont toujours été beaucoup plus lents que pour les enfants de moins de cinq ans. Ils ont commencé à s’essouffler au cours des dernières décennies, malgré des réductions significatives de la transmission du VIH, de la syphilis et de l’hépatite de la mère à l’enfant. Cela s’explique par le fait que bon nombre de ces décès sont dus à des infections bactériennes qui peuvent être traitées, mais qui ne le sont pas. Pour inverser cette tendance, la communauté internationale doit veiller à ce que tous les enfants – en particulier dans les pays africains où se produisent la plupart de ces décès – puissent avoir accès aux antibiotiques, comme le PEV l’a fait pour les vaccins.

Les nourrissons sont particulièrement sensibles aux infections au cours des 28 premiers jours de leur vie. En tant que pédiatre, j’ai pu le constater directement lorsque j’étais plus jeune et que je travaillais dans l’unité de soins intensifs néonatals de l’hôpital Chris Hani Baragwanath à Soweto. Il est possible d’éviter certains types de maladies grâce à la prévention et au contrôle des infections, à l’accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène, ainsi qu’aux vaccins. Mais pour celles qui ne peuvent être évitées, des antibiotiques sont nécessaires pour éviter d’autres complications telles que la septicémie, qui touche jusqu’à trois millions de nouveau-nés par an.

Malheureusement, la plupart des pays africains n’ont pas accès aux antibiotiques, existants et nouveaux, ce qui expose les bébés déjà vulnérables à un risque beaucoup plus élevé de mourir d’infections traitables. La pénurie de versions génériques s’explique en grande partie par le fait que les sociétés pharmaceutiques se sont progressivement retirées du marché des antibiotiques au cours des dernières décennies, en raison de leur faible rentabilité. De même, les nouveaux antibiotiques ne sont souvent vendus que dans les pays les plus riches ou sont hors de portée de la plupart des gouvernements et des citoyens africains.

Par exemple, moins de la moitié des nouveaux antibiotiques approuvés entre 1999 et 2014 ont été enregistrés dans plus de dix pays. Pire encore, seuls quatre des 40 nouveaux antibiotiques approuvés depuis 2000 sont labellisés pour un usage pédiatrique. Lorsque le développement de médicaments est motivé principalement par la rentabilité plutôt que par les besoins en matière de santé publique, les nourrissons des pays les plus pauvres – l’une des populations les plus vulnérables au monde – sont les grands oubliés de l’histoire.

Si les cliniciens ne peuvent accéder aux bons antibiotiques de première intention ou les utiliser en raison d’une infection résistante, ils se tournent souvent vers ceux qui sont spécialisés ou gardés en réserve en dernier recours. Ces substituts peuvent être moins efficaces et leur utilisation augmente le risque de développement d’une résistance aux médicaments, ce qui rend les infections plus difficiles à traiter à long terme (bien que les pays africains soient souvent privés de ces antibiotiques de dernier recours).

En conséquence, les enfants de moins de cinq ans représentent un décès sur cinq causé par des infections résistantes aux médicaments, et 99,7 % d’entre eux vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. Dans le même temps, l’absence de traitement de ces infections chez les nouveau-nés alimente l’augmentation et la propagation de la résistance aux antimicrobiens (RAM), qui est déjà associée à 4,7 millions de décès par an.

Aucun pays ne peut s’attaquer seul à ce problème. Pour que tous les nourrissons soient protégés contre les infections, il faut une initiative mondiale à l’échelle du PEV afin d’aider les pays en développement à renforcer leurs capacités et leur surveillance, à identifier les antibiotiques nécessaires et à consolider leurs systèmes de santé. Il est tout aussi important d’augmenter considérablement la disponibilité des antibiotiques existants et de stimuler le développement de nouveaux antibiotiques sûrs et efficaces pour les enfants. Ces deux impératifs exigent de donner la priorité à la santé publique plutôt qu’au profit.

La réunion de haut niveau des Nations unies sur la résistance aux antimicrobiens a récemment débouché sur une déclaration politique engageant les pays à réduire de 10 % par an les décès liés à la résistance aux antimicrobiens dans le monde jusqu’en 2030. Les gouvernements donateurs peuvent commencer à le faire – et à sauver la vie de nouveau-nés – en soutenant des organisations comme la mienne, le Partenariat mondial pour la recherche et le développement des antibiotiques, qui s’efforcent d’améliorer l’accès aux antibiotiques et d’encourager leur développement.

Les exercices d’optimisation des médicaments pédiatriques de l’OMS ont permis d’établir une liste restreinte d’antibiotiques qui devraient être prioritaires par rapport à tous les autres pour un usage pédiatrique. Mais les parties prenantes, notamment l’OMS, les organismes de réglementation, l’industrie pharmaceutique, les promoteurs à but non lucratif et les experts en pédiatrie, doivent collaborer pour mener ces traitements jusqu’au stade du développement et de l’approbation. Prévenir les décès de nourrissons dus à des infections traitables contribuerait grandement à stopper la propagation de la résistance aux antimicrobiens et à préserver notre avenir.

 

Glenda Gray est présidente du conseil d’administration du Partenariat mondial pour la recherche et le développement des antibiotiques.

Project Syndicate, 2024.
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Le fonds de réponse aux pertes et dommages est-il en train de devenir une promesse creuse ?

Les inondations, vagues de chaleur, sécheresses, tempêtes et incendies de forêt ont jusqu’à présent provoqué cette année plusieurs milliers de décès, impacté la santé ainsi que les moyens de subsistance de millions de personnes, et causé des dommages à hauteur de dizaines de milliards de dollars – au moins 41 milliards $ au stade du mois de juin. En septembre et octobre, deux ouragans – Hélène et Milton – ont provoqué à eux seuls plus de 100 milliards $ de dégâts aux États-Unis. Les études récentes indiquent que les dommages climatiques pourraient coûter à l’économie mondiale entre 19 000 et 59 000 milliards $ par an d’ici l’année 2049. Le message est clair : nous devons mobiliser dès aujourd’hui d’importantes ressources financières pour le climat si nous entendons préserver notre avenir.

 

Tous les États ne partagent évidemment pas la même responsabilité dans la crise climatique. L’injustice fondamentale du changement climatique réside en ce que les pays qui ont le moins contribué au problème en subissent bien souvent les pires effets. En phase avec cette situation, l’accord de Paris 2015 sur le climat a énoncé que les économies développées devaient fournir des ressources financières en soutien des efforts d’atténuation et d’adaptation des pays en voie de développement.

Or, en l’état actuel des choses, les pays à revenu élevé ne consacrent qu’environ 100 milliards $ chaque année au financement public des efforts climatiques des économies en voie de développement, sachant par ailleurs que ce chiffre relativement faible est une nouveauté : alors que cet engagement a été formulé en 2009, il a été honoré pour la première fois en 2022 seulement – deux ans après la date initialement fixée. Cette situation est d’autant plus problématique que l’essentiel de ce soutien s’effectue sous la forme de prêts, notamment de financements non concessionnels.

La bonne nouvelle, c’est que durant la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP29) qui se tient actuellement à Bakou, en Azerbaïdjan, il est prévu que les États s’entendent sur un objectif de financement actualisé : le « nouvel objectif collectif quantifié » (NOCQ) pour le financement climatique. La mauvaise, c’est qu’en dépit de près de trois ans de délibérations techniques et politiques – et leurs milliers de pages de soumissions officielles, d’études universitaires et de documents de plaidoyer – l’ampleur nécessaire du NOCQ demeure extrêmement débattue. À ce stade, il n’est absolument pas certain que les dirigeants mondiaux parviendront à un accord sur le NOCQ, et encore moins sur un objectif suffisamment ambitieux.

Les conséquences d’un tel échec seraient incalculables. Le NOCQ est en effet voué à jouer un rôle majeur dans la détermination de la prochaine phase de plans d’action climatique – les contributions déterminées au niveau national (CDN) – que les États soumettront en début d’année prochaine, conformément à l’accord de Paris. Si le NOCQ est insuffisant, les États se trouveront dans l’incapacité d’accomplir ce qui est nécessaire pour combler les lacunes mondiales en matière d’émissions et d’adaptation. Une partie seulement des CDN actuelles des pays en voie de développement représente entre 5 000 et 6 800 milliards $ d’ici 2030.

L’atténuation et l’adaptation ne constituent cependant qu’une partie du défi. Les économies en voie de développement sont en effet également confrontées à des pertes et dommages croissants – résultant non seulement d’événements climatiques extrêmes, mais également d’évolutions lentes telles que la fonte des glaciers, la désertification et l’élévation du niveau de la mer – qui pourraient leur coûter entre 447 et 894 milliards $ par an d’ici 2030. L’incapacité à convenir d’un NOCQ suffisamment robuste, notamment des financements de réponse aux pertes et dommages, affaiblirait un système international d’action climatique censé insister sur la solidarité et l’équité.

Cela ne semble toutefois pas préoccuper les pays développés : menés par les États-Unis, ils rejettent explicitement toute obligation de compenser les pertes et dommages des pays en voie de développement liés au changement climatique. Tout est d’ailleurs en place pour qu’ils se dérobent à leur responsabilité. En effet, alors que les pertes et dommages possèdent leur propre article dans l’accord de Paris (distinct de l’adaptation), ils ont été volontairement exclus des engagements financiers prévus par le pacte. Par ailleurs, les pays riches peuvent faire valoir l’idée selon laquelle cette question serait déjà couverte par le Fonds de réponse aux pertes et dommages (FRLD) créé l’an dernier lors de la COP28.

Or, cette affirmation n’est pas recevable, comme le démontre un examen plus attentif des dispositions du FRLD : toutes les contributions financières sont entièrement volontaires. Ces financements reposent sur « la coopération et la facilitation », et « n’impliquent ni responsabilité, ni compensation ».

De plus, les États-Unis ont anéanti la distinction entre pays riches et pays pauvres en tant que base des contributions au Fonds, avec des conséquences pour l’action collective dans le cadre du régime climatique international et de l’accord de Paris. Contrairement, par exemple, à la charte du Fonds vert pour le climat créé en 2010, le texte du FRLD ne désigne jamais explicitement les pays développés comme ceux qui doivent fournir le soutien financier.

Il n’est donc pas surprenant qu’un an après sa création, les promesses de dons au FRLD atteignent un total de seulement 702 millions $, et que peu d’engagements supplémentaires relatifs au fonds soient attendus à Bakou (un seul a été pris jusqu’à présent). Ce montant inclut un engagement dérisoire de 17,5 millions $ de la part des États-Unis – pays qui est de loin le plus grand émetteur de gaz à effet de serre de toute l’histoire. Ce chiffre est infiniment inférieur à la « juste part » de contribution que l’on attendrait des États-Unis, une part qui devrait en théorie s’élever d’après certaines estimations à 340 milliards $ par an (en soutien à la fois à l’adaptation et aux pertes et dommages).

Salué il y a un an comme un triomphe pour la justice climatique, le FRLD pourrait ainsi se révéler une victoire à la Pyrrhus, échouant non seulement à fournir le soutien dont les économies en voie de développement ont besoin pour faire face aux pertes et dommages liés au climat, mais servant également de prétexte à la non-inclusion de ce soutien dans le NOCQ. Il risque même de poser les bases d’une situation dans laquelle d’autres types de contributions financières climatiques deviendraient volontaires dans un avenir proche.

Les gouvernements et représentants de la société civile des pays en voie de développement présents à la COP29 doivent maintenir la pression sur les pays riches pour que ceux-ci formulent un NOCQ satisfaisant, contraignant les pays développés à fournir des financements climatiques, même si d’autres sont invités à y contribuer de manière volontaire. Les gouvernements des pays développés seront jugés sévèrement par l’opinion publique mondiale s’ils ne revoient pas leur approche insensible des négociations sur les financements climatiques, et s’ils ne fournissent pas les ressources suffisantes aux pays en voie de développement, qui souffrent d’une crise climatique qu’ils n’ont pas provoquée.

 

Liane Schalatek est directrice adjointe des bureaux de la Heinrich Böll Foundation à Washington DC.

Project Syndicate, 2024.
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Le G20 doit aider l’Afrique à combler le manque de financements climatiques

Dans un monde confronté à des défis climatiques sans précédent, l’attribution à l’Union africaine d’un siège permanent au G20 constitue une opportunité majeure. À l’heure où le continent subit des inondations, des sécheresses et des vagues de chaleur de plus en plus fréquentes et sévères – conséquences d’une crise dont il n’est pas à l’origine – l’Afrique a d’urgence besoin de soutien financier pour échapper à ce cycle de la dette et des catastrophes naturelles qui entrave sa résilience climatique et son développement durable.

La voie à suivre est claire : les riches économies du G20 doivent allier les actes à la parole, en fournissant des financements climatiques durables à long terme ainsi que des prêts concessionnels pour permettre à l’Afrique de combler l’actuel manque de financements. Les dirigeants du groupe se réuniront à Rio de Janeiro pour le sommet du G20 les 18 et 19 novembre, un événement qu’observeront attentivement les États du monde entier, et en particulier les pays africains.

L’attribution à l’Afrique d’un siège au G20 était attendue depuis longtemps. Elle illustre à la fois l’importance croissante et la gravité des crises auxquelles le continent est confronté. La simple représentation de l’Afrique au sein du groupe ne suffira pas néanmoins. Son inclusion doit se traduire par un soutien réel et par des bienfaits tangibles pour les communautés locales en proie à des défis économiques, environnementaux et énergétiques.

L’Afrique a trop longtemps été reléguée à la périphérie de l’économie mondiale. Maintenant qu’elle est représentée au G20, les plus grandes économies de la planète ont pour responsabilité de démanteler les structures enracinées qui maintiennent dans la pauvreté le continent et d’autres régions en voie de développement.

Le secteur de l’énergie en constitue l’une des illustrations frappantes. Malgré plusieurs décennies de promesses formulées par les dirigeants politiques, les énergies fossiles ont échoué à fournir de l’électricité à de vastes régions du continent. Quelque 600 millions d’Africains vivant encore aujourd’hui sans électricité, la « transition » énergétique de l’Afrique consiste moins à passer d’énergies polluantes à des énergies propres qu’à passer d’une absence d’énergie à des sources durables.

Les enjeux sont plus élevés que jamais. L’avenir de la croissance et de la prospérité de l’Afrique dépend de sa capacité à fournir un accès énergétique universel, abordable et fiable. Fort heureusement, le continent possède d’abondantes ressources d’énergies renouvelables, et, d’après les prévisions des experts, l’énergie solaire constituera d’ici 2030 la source d’électricité la moins coûteuse du continent.

Plus grand parc solaire au monde, le complexe solaire Noor Ouarzazate illustre ce que les pays africains sont capables d’accomplir lorsqu’ils bénéficient d’un soutien et de financements suffisants. De même, plusieurs projets tels que les centrales géothermiques Olkaria, situées au Kenya et financées par le gouvernement japonais, ou encore les parcs éoliens Adama en Éthiopie, soutenus par des prêts concessionnels chinois, démontrent que les objectifs énergétiques de l’Afrique sont tout à fait atteignables.

Pour libérer son immense potentiel en matière d’énergies renouvelables, l’Afrique a cependant besoin d’importants investissements financiers et soutiens techniques. Il est par conséquent nécessaire que le développement du continent s’inscrive au cœur de l’effort mondial visant à multiplier par trois la production d’énergies renouvelables d’ici 2030. La création d’opportunités économiques significatives pour les Africains impose d’enraciner cet effort dans des cadres fiables et autosuffisants répondant aux besoins des communautés locales, plutôt que de perpétuer le modèle d’exploitation des ressources qui caractérise les combustibles fossiles.

Si elle disposait d’une capacité énergétique élargie, l’Afrique pourrait développer des secteurs produisant des biens écologiques à valeur ajoutée, ce qui réduirait la dépendance du continent aux exportations de matières premières. Pour y parvenir, la sécurité énergétique ne suffit pas ; des réformes globales doivent être appliquées aux systèmes commerciaux mondiaux qui entravent la croissance économique et la compétitivité des pays en voie de développement. Le soutien du G20 est indispensable à cette transformation.

Le moment est venu de transformer les promesses en actions concrètes. Les conférences annuelles des Nations Unies sur les changements climatiques (COP), depuis longtemps caractérisées par des discours grandiloquents, ne peuvent plus constituer la simple tribune de gestes symboliques. Les pays du G20 doivent d’urgence formuler et honorer la promesse de fournir aux pays en développement 1 000 milliards $ par an de financements climatiques à long terme sous forme de subventions.

Ce chiffre n’est pas arbitraire ; pour les économies les moins développées de la planète, il correspond à la différence entre stagnation et progrès véritable. Le sommet du G20 au Brésil – qui coïncide avec la COP29 en Azerbaïdjan – peut contribuer à la sécurisation des fonds nécessaires, en créant des mécanismes de financement fiables et innovants, allant des taxes sur les ultra-riches jusqu’aux prélèvements sur les billets d’avion, les transactions financières ou encore la production fossile.

À mesure que s’intensifie la crise climatique, le système financier mondial doit évoluer pour soutenir ceux qui sont les plus touchés par ses effets dévastateurs. Pour rendre le financement du développement plus accessible et plus équitable, le G20 doit promouvoir des réformes essentielles, telles que l’augmentation des capitaux des banques multilatérales de développement et la simplification des procédures bureaucratiques.

Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, fervent défenseur du Sud global, s’est exprimé cette année au sommet de l’Union africaine d’Addis-Abeba, et s’est engagé à tirer parti de la présidence brésilienne du G20 pour défendre les intérêts de l’Afrique. Cet acte de solidarité a préparé le terrain pour le sommet du G20, au cours duquel les dirigeants doivent répondre à l’urgence des financements climatiques. Pour les pays africains, ces fonds constituent bien plus qu’une aide financière ; ils représentent l’espoir d’un changement véritable, d’une résilience économique et d’un développement durable, dans un monde marqué par des inégalités, une fragilité environnementale et des crises sociales croissantes.

L’Afrique, le Brésil et le Sud global au sens large doivent tirer parti de leur influence au sein du G20 pour offrir des perspectives nouvelles et des stratégies pratiques de réponse aux crises mondiales actuelles. Ensemble, ces pays peuvent jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre le changement climatique, en promouvant des politiques et des partenariats visant à garantir un avenir durable.

Le siège permanent de l’Union africaine au sein du G20 constitue une étape historique, dont la véritable signification dépendra néanmoins de la manière dont elle utilisera ce siège pour créer un avenir dans lequel les pays africains pourront non seulement s’adapter aux crises, mais également les surmonter, en façonnant l’agenda climatique mondial aux côtés de leurs homologues plus fortunés.

 

Raila Amolo Odinga, ancien Premier ministre du Kenya (2008-2013), est candidat à la présidence de la Commission de l’Union africaine.

 

Project Syndicate, 2024.
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L’agriculture carbone ne sauvera pas la planète

Les sols sains sont indispensables à la vie sur Terre, assurant la subsistance d’environ 60 % des êtres vivants. Deuxième plus grand réservoir de carbone après les océans, les sols comptent également parmi les plus importants atouts naturels de notre planète dans la lutte contre le changement climatique.

Or, les sols mondiaux sont soumis à une pression considérable. Les sécheresses sont de plus en plus nombreuses à transformer des terres fertiles en déserts, de même que l’utilisation de pesticides réduit fortement la biodiversité des sols, ce qui menace notre capacité à produire des aliments sains. Les terres agricoles de qualité devenant de plus en plus rares, les conflits s’intensifient autour d’une couche arable indispensable à la croissance des cultures.

Le récent atlas des sols de la Heinrich Böll Foundation met en évidence les nombreuses manières dont nous malmenons la terre qui nous nourrit. L’actuel système agricole industriel constitue un facteur majeur de dégradation des sols, accélérant la perte de biodiversité et l’épuisement de réservoirs de carbone vitaux. Or, malgré l’impact qu’il exerce, le secteur agricole réalise peu d’avancées sur la voie des objectifs climatiques. Sur la période des dix dernières années, ses émissions mondiales de gaz à effet de serre sont globalement restées stables.

Tandis que les États du monde entier fixent actuellement de nouveaux objectifs de réduction des émissions en vertu de l’accord de Paris 2015 sur le climat, il apparaît évident que l’accomplissement de véritables réductions des émissions nécessitera d’élaborer des stratégies de diminution de l’empreinte carbone du secteur agricole.

L’une des approches présentées comme une solution potentielle réside dans « l’agriculture carbone », qui consiste à user de mécanismes de marché incitatifs pour récompenser les agriculteurs qui stockent du carbone dans leurs sols. En adoptant des pratiques telles que la plantation de cultures de couverture végétale, les agriculteurs peuvent obtenir des certificats liés à l’amélioration du stockage de carbone. Ces certificats peuvent ensuite être vendus en tant que crédits carbone sur les marchés volontaires ou réglementés, conférant ainsi aux agriculteurs une source de revenus supplémentaire.

Ce concept gagne du terrain à la fois dans le domaine des politiques publiques et dans le secteur privé. Plusieurs sociétés d’engrais et de pesticides, telles que Yara et Bayer, ont d’ores et déjà lancé leurs propres programmes de certification, et certains grands pays producteurs agricoles, dont le Canada et l’Australie, ont intégré ces crédits dans leurs marchés. L’Union européenne élabore également un programme de certification pour l’agriculture carbone, et cette tendance sera probablement suivie par les marchés mondiaux du carbone.

Malheureusement, cette nouvelle popularité de l’agriculture carbone risque de perpétuer l’idée fausse selon laquelle la réduction des émissions et le stockage de carbone dans les sols seraient interchangeables. Même si l’on admettait cette hypothèse, l’élaboration d’un système de compensation des émissions via le stockage de carbone demeurerait extrêmement difficile. Pour qu’un tel système soit efficace, le stockage devrait reposer sur un changement dans les pratiques agricoles, être mesurable, et rester en place pendant au moins un siècle.

Or, le carbone stocké dans les sols étant intrinsèquement instable, et facilement susceptible d’être à nouveau libéré dans l’atmosphère en cas de sécheresses, d’inondations ou de changements dans les pratiques agricoles, le stockage à long terme demeure extrêmement peu fiable.

Plusieurs tentatives précédentes de résolution de ce problème d’instabilité, au sein d’autres réservoirs naturels, ont échoué. À titre d’exemple, les crédits de stockage mis en place en Californie pour compenser les libérations accidentelles de carbone issu des forêts s’épuisent plus rapidement que prévu à l’issue de violents incendies de forêt dans cet État. De même, les crédits accompagnés de dates d’expiration, imposant aux acheteurs un renouvèlement périodique, suscitent peu d’intérêt.

Bien qu’il soit possible de mesurer le carbone stocké dans les sols, c’est à la fois difficile et coûteux. L’exactitude des mesures dépend par ailleurs de multiples facteurs, tels que la profondeur du prélèvement, sa localisation, ainsi que la période. Les méthodes alternatives, basées sur des échantillonnages limités ou sur des modèles mathématiques, échouent à résoudre ces difficultés liées aux mesures.

Les prix des crédits carbone liés aux sols étant trop peu élevés pour couvrir les coûts des changements dans les pratiques agricoles, les agriculteurs sont peu enclins à les adopter. Résultat, les régulateurs européens ont choisi de faciliter l’attribution de crédits, plutôt que de revoir les incitations financières, ce qui compromet en fin de compte l’intégrité du système.

Au-delà de ces défis méthodologiques, l’agriculture carbone sert parfois d’écran de fumée au secteur de l’élevage. Plusieurs groupes industriels prétendent que le stockage de carbone dans les pâturages permet de compenser les émissions de méthane et d’oxyde nitreux. C’est très peu probable, car cela nécessiterait d’immenses quantités de prairies. Il est aujourd’hui démontré que le moyen le plus efficace de réduire les émissions issues du bétail consiste à réduire les cheptels et la consommation de viande ainsi que de produits laitiers.

L’approche du marché carbone sous-entend la nécessité de faire un choix entre préserver la santé des sols et réduire les émissions. En réalité, les deux sont nécessaires, puisque la santé des sols est essentielle à la production alimentaire. Comme l’explique le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la séquestration du carbone dans les sols – ou ailleurs – ne saurait remplacer la réduction des émissions. Le fait d’œuvrer pour la réduction des émissions, plutôt que de recourir simplement aux crédits de stockage dans les sols, présenterait également l’avantage de limiter l’attrait pour des technologies controversées consistant à éliminer le carbone de l’atmosphère.

Autrement dit, une approche de stockage du carbone fondée sur le marché ne produira pas le changement radical dont nous avons besoin. Nous ne sortirons pas de la crise climatique par le truchement des compensations. Il nous faut davantage réorienter les fonds publics actuellement dépensés en subventions agricoles, en direction d’investissements qui améliorent la santé des sols, et qui soutiennent les agriculteurs dans leur transition vers un système alimentaire résilient face au climat.

 

Sophie Scherger est responsable des politiques relatives au climat et à l’agriculture au sein des bureaux européens de l’Institute for Agriculture and Trade Policy.

 

Project Syndicate, 2024.
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Les technologies dont ont besoin les agriculteurs africains

CAMBRIDGE — L’Éthiopie a longtemps subi des famines récurrentes à grande échelle, plus particulièrement au début des années 1980, alors qu’on recensait le décès d’au moins un million de personnes, et le déplacement de millions d’autres. Pourtant, cette année, l’Éthiopie est devenue un exportateur net de blé pour la première fois, ce qui relève de l’exploit étant donné la vulnérabilité du pays face aux changements climatiques et aux crises de sécurité alimentaire.

 

Même si de nombreux facteurs ont contribué à cette réussite, elle reflète en grande partie le rôle central que les nouvelles technologies ont joué dans la transformation du secteur agraire de l’Éthiopie. En augmentant le rendement des cultures et en renforçant la capacité d’adaptation aux événements météorologiques extrêmes, ces innovations se sont avérées particulièrement utiles dans des régions confrontées à l’intensification des sécheresses et des autres risques climatiques.

 

Le programme-cadre Technologies pour la transformation de l’agriculture en Afrique, mis sur pied par le Centre international pour le développement des engrais, a joué un rôle déterminant dans le déploiement à grande échelle de techniques agraires éprouvées et à rendement élevé, dans le but d’aider les agriculteurs à augmenter la production de millet, du maïs, du riz, du blé et d’autres denrées. En raison de ces techniques à rendements croissants, la surface affectée à des variétés de blé tolérantes à la chaleur en Éthiopie est passée de 5 000 hectares en 2018 à plus de 2,2 millions d’hectares en 2023, mettant le pays sur la voie de l’autonomie alimentaire.

 

Le monde de la « polycrise » de plus en plus volatile des chaînes logistiques a accéléré la tendance vers l’autonomie. La guerre en Ukraine a déclenché une flambée des prix des denrées en Afrique, l’indice élémentaire du blé, par exemple, atteignant un sommet de plusieurs années en mai 2022. L’Éthiopie a été particulièrement frappée, car la moitié de son blé était importé de Russie et d’Ukraine. L’interdiction des exportations que l’Inde, le plus grand exportateur de riz, a récemment imposée sur plusieurs variétés a ébranlé le continent africain.

 

Dans cet environnement difficile, la capacité remarquable de l’État éthiopien à utiliser les technologies pour stimuler la production nationale et réduire les risques liés à une dépendance sur les importations d’aliments pourrait bien représenter une percée. De tels progrès, particulièrement dans un pays où l’agriculture était jugée cause perdue durant plusieurs décennies humiliantes, offrent un espoir pour l’Afrique, qui se trouve depuis longtemps aux premières loges de la crise climatique, avec l’insécurité alimentaire attisant l’instabilité politique.

 

Prenons, par exemple, les rendements céréaliers en Afrique qui stagnent à 1 589 kg par hectare, bien en deçà de la moyenne mondiale de 4 153 kg. Cela est dû à de nombreuses raisons, mais la principale demeure le manque d’accès chronique aux technologies. Le sous-développement des secteurs agroalimentaires à haute valeur ajoutée a toujours été un autre obstacle de longue date à l’essor de la production agricole et à la croissance de la productivité sur le continent. Il a également exacerbé les pertes après récolte qu’on évalue entre 30 et 50 % de la production alimentaire totale en Afrique.

 

À ce problème s’ajoutent l’utilisation restreinte d’engrais du continent et une dépendance excessive sur l’agriculture pluviale. À environ 7,6 millions de tonnes métriques en 2021, l’utilisation d’engrais est bien inférieure à celle de l’Asie de l’Est (61,9 millions de tonnes métriques) et de l’Asie du Sud (38,7 millions de tonnes métriques), tandis que le manque de systèmes d’irrigation et d’autres moyens de conservation de l’eau est particulièrement inquiétant compte tenu du rythme accéléré du réchauffement planétaire. Ces lacunes ont précipité une hausse des épisodes aigus de famine, et un grand nombre de collectivités du continent ont vécu leur pire crise alimentaire des 40 dernières années.

 

Or, les conséquences de bouleversements géopolitiques et d’intensification des risques climatiques débordent les enjeux de sécurité alimentaire pour créer un cycle infernal de sécheresses, d’inondations, d’instabilité macroéconomique et de crises de balance des paiements dans tout le continent. Environ 85 % des aliments consommés en Afrique subsaharienne sont importés, en raison surtout d’une agriculture régionale vulnérable aux intempéries. Le continent dépense à l’heure actuelle 75 milliards de dollars par an en importations de céréales, épuisant les réserves en devise et exerçant une pression croissante sur le taux de change. (la plupart des devises des pays africains se sont fortement dépréciées en 2022, avec le birr éthiopien éprouvant des baisses particulièrement prononcées.) Cette dépendance sur les importations a des conséquences négatives sur la balance des paiements, avec des ruptures d’approvisionnement de plus en plus fréquentes exacerbant la vulnérabilité de la région.

 

La facture d’importation de nourriture de l’Afrique devrait radicalement augmenter dans les prochaines années, en partie en raison de perturbations générées par des événements géopolitiques et par un élan démographique anticipé. Sans compter le réchauffement planétaire qui ne fera qu’amplifier cette hausse. Selon l’indice de risque climatique, cinq des dix pays les plus touchés par les changements climatiques en 2019 se trouvaient en Afrique équatoriale, où un tiers des sécheresses dans le monde sévissent, mais où moins de 1 % des terres arables sont irriguées. La Banque mondiale estime que, si la température mondiale s’élève à 2 ° Celsius au-dessus des niveaux préindustriels d’ici 2050, la production agricole en Afrique équatoriale diminuera de 10 %.

 

Une prédiction si sombre pourrait bien s’avérer. Cette année, la planète est en voie d’atteindre la température record, autour de 1,4 °C au-dessus de la température moyenne préindustrielle. De plus, si les émissions de gaz à effet de serre continuent de monter au rythme actuel, les modèles climatiques prévoient un réchauffement additionnel de 4 °C au cours du siècle. La nécessité d’investir davantage dans l’atténuation des effets des changements climatiques et dans la capacité d’adaptation des populations.

 

Devant la dépendance sur les importations de nourriture et des prévisions climatiques décourageantes, l’Afrique doit s’éloigner du modèle traditionnel de production agricole dépendant de la pluviosité. Dans le sillon de l’exemple de l’Éthiopie, le continent devrait adopter des technologies qui augmentent la productivité agraire et améliorent la sécurité alimentaire. Ceci nécessitera des investissements substantiels dans les technologies d’agriculture de précision, comme l’irrigation à débit variable, qui maximise la productivité dans un environnement à ressources limitées.

 

Outre les innovations visant à réduire la consommation d’eau, les instances devraient investir dans les variétés de semences à rendement élevé qui poussent bien dans des conditions de sécheresse. Elles devraient également munir les agriculteurs de matériel agricole pour mécaniser le secteur. Il faudra aussi de meilleures infrastructures, notamment les systèmes d’irrigation et les technologies numériques alimentées par pile solaire qui permettent aux agriculteurs d’accéder à des systèmes d’alerte rapide et qui améliorent l’efficacité.

 

Le déploiement d’un vaste éventail de technologies pour la transformation de l’agriculture en Afrique réglera les enjeux de sécurité alimentaire ainsi que les problèmes sur le plan de l’environnement et de la pérennité. Une telle transition est depuis longtemps attendue : même si le continent africain compte pour plus de 60 % des terres arables non cultivées dans le monde, il n’a pas encore joui des retombées de la révolution verte qui a augmenté les rendements ailleurs. Les dures réalités des changements climatiques et les bouleversements géopolitiques peuvent finalement pousser les Africains à prendre des mesures pour réaliser le potentiel du continent et assurer une plus grande autonomie et une plus grande capacité d’adaptation de la production alimentaire.

 

Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier

 

Hippolyte Fofack, ex-économiste en chef et directeur de la recherche à la Banque africaine d’exportation et d’importation, occupait auparavant le poste d’économiste à la Banque mondiale, un associé de recherche au centre de l’Université Harvard pour les études africaines, et un membre de l’Académie africaine des sciences.

 

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