Sécurité : changement de cap pour les groupes armés rebelles ?

Le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), qui regroupait depuis 2021 les ex-rebelles des groupes armés du nord à dominante touareg, est officiellement devenu depuis le 24 avril 2024 le Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l’Azawad (CSP-DPA). Un changement de dénomination, avec de nouveaux objectifs, qui semble ouvrir un nouveau chapitre dans la guerre qui a repris depuis quelques mois entre ces groupes et l’armée malienne.

Comme son nom l’indiquait, le désormais ex-CSP-PSD, composé de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), de la Plateforme et de certains Mouvements de l’inclusivité, avait été mis en place dans le but de sécuriser les régions du Nord, d’accélérer leur développement et d’accompagner la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale signé en 2015.

Le Cadre stratégique pour la défense du peuple de l’Azawad (CSP-DPA), qui le remplace, s’adapte, selon ses initiateurs, au contexte, qui a évolué depuis plusieurs mois. En effet, contrairement à la situation de dialogue entre ces groupes armés et l’État malien pour la mise en œuvre de l’Accord pour la paix qui prévalait à la création du CSP-PSD en 2021, les deux parties sont aujourd’hui de nouveau en guerre et l’Accord qui les liait n’existe plus.

« Les objectifs changent en fonction du contexte du moment. Avec le CSP-DPA, d’autres décisions importantes seront prises », affirme Mohamed Elmaouloud Ramadane, Porte-parole du Cadre.

Retour à la lutte indépendantiste ?

En plus de changer la dénomination du Cadre qui les réunit, les groupes armés rebelles du Nord ont également dissous la CMA et la Plateforme, ou plutôt une tendance du GATIA dirigée par Fahad Ag Almahmoud et qui leur est fidèle. Le CSP-DPA est dirigé par le Chef du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), Bilal Ag Achérif. Ce dernier, qui prend la place d’Alghabass Ag Intalla, qui présidait l’ex CSP-PSD, est connu pour son militantisme poussé pour l’indépendance de l’Azawad.

« C’est peut-être une indication pour les ex-rebelles, pour signifier que désormais leur principale revendication ne sera plus la demande de développement des régions du Nord du Mali ou encore une décentralisation plus poussée, mais carrément plutôt l’indépendance de plusieurs régions de cette partie du pays », estime un analyste.

Officiellement, ce retour à la lutte indépendantiste n’est pas encore acté, d’autant plus que, selon certaines sources, le débat ne serait pas encore tranché au sein du CSP-DPA. En effet, sur cette question et sur bien d’autres, les différents groupes qui composent le Cadre ne seraient pas sur la même longueur d’ondes. Selon nos informations, au moins deux tendances divergentes se sont formées au sein de la nouvelle coalition. D’un côté l’aile la plus dure, incarnée par le MNLA de Bilal Ag Achérif et les soutiens de Fahad Ag Almahmoud qui seraient en Mauritanie, et de l’autre des mouvements comme le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) et le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), dont les principaux tenants se trouveraient du côté de l’Algérie.

Mais, que ce soit pour une réplique après sa défaite à Kidal en novembre dernier ou pour des velléités indépendantistes, une reprise des combats contre l’armée malienne était déjà en préparation du côté de l’ex-rébellion touareg depuis plusieurs mois. Début mars dernier, Alghabass Ag Intalla, alors Président du Cadre, avait procédé à la nomination de nouveaux Commandants de zone dans les régions du Nord et le Porte-parole de la coalition affirmait alors que la reprise des combats n’était plus qu’une question de temps. Le 6 avril dernier, la tendance portée par Bilal Ag Achérif et Fahad Ag Almahmoud a tenté une incursion vers Nara, mais l’attaque a été repoussée par les terroristes du … JNIM. Ces derniers leur avaient interdit toute attaque dans cette zone, la considérant comme la leur, injonction respectée par le HCUA mais pas par le MNLA. Selon certaines sources, une dizaine de morts a été enregistrée des deux côtés. Ni les FAMa, ni les autorités n’ont réagi officiellement aux dernières actualités des rebelles du Nord, mais l’armée est aujourd’hui engagée dans une dynamique offensive, notamment dans la Zone des trois frontières, ce qui a permis de neutraliser de nombreux terroristes, dont un important chef de l’État islamique.

Kidal : la reconquête en marche ?

Partie de Gao le 2 octobre dernier, la colonne militaire des Forces armées maliennes (FAMa), en route vers Kidal, poursuit son avancée. Alors qu’elle a repris le contrôle de la ville d’Anefis, à environ 112 km de Kidal, le 7 octobre, l’armée malienne est plus que jamais tournée vers la reconquête de ce bastion des ex-rebelles de la CMA, hors de contrôle de Bamako depuis plus d’une décennie.

Le calme avant la tempête. Après d’intenses combats les 4, 5 et 6 octobre, les forces armées maliennes, appuyées par des Russes, ont pris le contrôle le 7 octobre de la localité d’Anefis, une ville stratégique qui permet d’accéder à Tessalit, Aguelhoc et Kidal. La colonne des FAMa, qui a quitté Gao le 2 octobre vers la région de Kidal, a été la cible de plusieurs attaques de groupes terroristes. Depuis la reprise des hostilités avec la CMA, les autorités de la Transition ainsi que l’armée emploient indistinctement le terme « terroristes » pour désigner les ennemis qu’elles combattent. Selon des sources crédibles, les combats entre les FAMa et la CMA, appuyée par des éléments de GATIA fidèles à Fahad Ag Almahmoud, ont causé de nombreux morts et dégâts. Aucune des parties n’a communiqué le bilan de ses pertes. La colonne, composée de véhicules blindés et pick-up, plus d’une centaine, escortés par des avions et des drones, a finalement eu raison de la résistance des groupes armés grâce à l’apport des vecteurs aériens. Le terrain plat et dégagé favorisait les frappes et offrait peu de possibilités aux assaillants de se couvrir. Désavantagés par le terrain et alors que leurs pertes s’accumulaient, ils ont été contraints d’abandonner Anefis. « Aujourd’hui, l’armée malienne occupe Anefis et ses alentours. La situation sécuritaire est sous contrôle mais reste toujours imprévisible », a confié dans la foulée un officier à la télévision nationale. Selon certaines sources, Fahad Ag Almahmoud et ses hommes sont principalement stationnés aux alentours d’Anefis avec quelques éléments de la CMA. Le reste des troupes est replié sur la ville de Kidal, ainsi qu’à Aguelhoc et à Tessalit. En prévision de la reprise des hostilités, plusieurs combattants venus de Libye sont venus se joindre à la CMA. Ils ont apporté avec eux plusieurs armes, dont des missiles sol-air pour tenter d’abattre les avions des FAMa.

Objectif Kidal

Si l’objectif final reste l’occupation de l’emprise de la MINUSMA dans la ville de Kidal, programmée pour novembre, les FAMa doivent aussi, selon le calendrier, prendre possession des emprises de la mission onusienne à Aguelhoc et à Tessalit. Du fait de la situation sécuritaire précaire, les acteurs, aussi bien gouvernementaux que de la MINUSMA, se gardent de donner une date précise pour la reprise de ces camps. La seule certitude qui semble partagée est que la MINUSMA va achever son retrait le 31 décembre 2023. En attendant, les différentes forces se préparent. « La CMA, qui a attaqué plusieurs camps le mois dernier (Bourem, Léré, Bamba, Dioura…), ne peut se permettre de perdre ses positions à Kidal », confie un analyste qui a requis l’anonymat. De leur côté, les autorités de la Transition, qui pourraient faire face à une contestation suite au report de la présidentielle, ont grandement besoin du gain politique que leur apporterait la prise des bastions de la rébellion, qui cristallise l’attention de beaucoup de Maliens. Selon des observateurs, de nouvelles batailles sanglantes et coûteuses s’annoncent. D’autant que se trouvent aussi dans cette zone les terroristes du JNIM, dont la collusion avec la CMA a été rapporté par de nombreuses sources, qui prendront certainement part aux différentes batailles. L’environnement devrait leur être favorable, notamment dans l’Adrar du Tigharghar, une montagne située entre Kidal et Tessalit qui a servi de sanctuaire aux terroristes d’Al Qaïda et d’Ansar Eddine en 2012, et qui est une cachette parfaite pour tendre des embuscades et prendre à revers une unité de combat.

Panique à Kidal ?

En attendant, des sources rapportent une certaine panique dans la ville de Kidal. Les habitants redoutent l’offensive. Beaucoup d’entre eux, qui s’étaient habitués à la non présence de l’État malien, plient bagage en direction de Tinzawatene, à la frontière avec l’Algérie, ou de Bordj Badji Moctar, sur le territoire algérien. C’est dans cette situation tendue que la composante FAMa et celle et de la Plateforme des mouvements du 14 juin d’Alger du Bataillon des Forces armées reconstituées a quitté le 10 octobre le Camp 1 de Kidal pour celui de la MINUSMA. Le camp est depuis occupé exclusivement par la CMA. La MINUSMA précise qu’elle n’a pas évacué les 110 éléments mais qu’ils sont « venus » d’eux-mêmes. Rappelons qu’en février 2020, la première compagnie du Bataillon reconstitué de l’armée malienne (BAFTAR) est arrivée à Kidal. Depuis lors, cette armée, cantonnée dans son camp, n’a pas pu mener d’opérations.