Drogue au Mali : Le trafic et la consommation en hausse

Le phénomène du trafic de drogue et de substances psychoactives prend des proportions inquiétantes dans le pays. Le rapport des neuf premiers mois de 2024 de l’Office Central des Stupéfiants (OCS) décrit une réalité alarmante. Le pays est devenu un point névralgique pour les trafiquants internationaux, tandis qu’une majorité des acteurs impliqués sont des nationaux, en grande partie des jeunes âgés de 18 à 39 ans. Ce fléau pose de sérieux défis à la stabilité et au développement.

Depuis un certain temps, le Mali est confronté à une crise préoccupante liée au trafic de drogues et de substances psychoactives. La situation tend à échapper à tout contrôle, comme en témoigne le rapport des neuf premiers mois de 2024 de l’OCS. Le pays est en passe de devenir une plaque tournante du trafic de drogue. Le constat est qu’une majorité des acteurs de ce trafic sont des nationaux, principalement des jeunes. En effet, plus de 75% des personnes impliquées dans le trafic de stupéfiants se situent dans la tranche d’âge de 18 à 39 ans.

Au cours de cette période, les autorités maliennes ont interpellé 372 personnes, dont 355 de nationalité malienne, soit 95,43% des interpellés, et 17 étrangers, soit 4,57%. Parmi les interpellés, 41 étaient des femmes (11,02%) et 331 des hommes (88,98%). Les statistiques révèlent également que 231 personnes ont été déférées (62,10%), tandis que 141 sont toujours recherchées (37,90%). Ces chiffres soulignent l’ampleur du problème et la nécessité d’actions concertées pour faire face à cette crise.

Par ailleurs, les saisies de drogues dans le pays montrent une tendance inquiétante. En effet, les autorités ont saisi plus de 4,708 tonnes de produits pharmaceutiques contrefaits, ainsi que 26,32 kg de cocaïne. Le cannabis demeure la drogue la plus couramment saisie, suivi de produits comme le Skunk et le Kush.

De plus, les régions de Sikasso, Bougouni et Dioïla sont particulièrement préoccupantes, affichant des volumes de saisies élevés, ce qui indique une activité intense de trafic dans ces zones. Les chiffres révèlent également des saisies notables, avec 20 498 pieds de cannabis découverts.

Des champs utilisés comme couvertures

La découverte de champs de cannabis est particulièrement révélatrice de la stratégie des trafiquants et de leur capacité à s’adapter à n’importe quel environnement. Ainsi, des champs de 15 000 pieds à Bougouni, 5 000 pieds à Dioïla et 4 800 pieds à Sikasso ont été identifiés, illustrant l’ampleur de la culture illicite. Ces plantations témoignent d’un changement de tactique de la part des trafiquants, qui s’adaptent aux dispositifs de sécurité mis en place tout en continuant à alimenter le marché local.

Il convient de préciser également que la violence des trafiquants représente un autre défi majeur. Pour protéger leurs activités, ces derniers n’hésitent pas à s’armer. Des interpellations ont conduit à la saisie d’armes, dont des pistolets artisanaux, et de munitions. Cette militarisation du trafic crée des risques importants pour la sécurité publique et démontre la nécessité d’une réponse adaptée de la part des autorités.

Pourtant, le cadre législatif national en matière de drogues distingue le trafic et la consommation, avec des peines spécifiques pour chaque infraction. La Loi N°01-078/AN-RM du 18 juillet 2001 sur le contrôle des drogues et des précurseurs, modifiée par l’Ordonnance n°2013-012/P-RM du 2 septembre 2013, a notamment créé l’Office Central des Stupéfiants (OCS), chargé de coordonner les actions de lutte contre le trafic illicite de drogues. Les sanctions prévues pour le trafic, la détention et le transport de drogues sont sévères, allant de 5 à 10 ans d’emprisonnement. En revanche, la consommation est qualifiée de délit, passible d’une peine d’emprisonnement de 6 mois à 3 ans.

Notons également que le Mali est signataire de plusieurs conventions internationales relatives aux stupéfiants, notamment la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 et la Convention des Nations unies contre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes de 1988. Ces engagements ont influencé la législation nationale, notamment en ce qui concerne la classification des infractions liées aux drogues et les sanctions correspondantes.

L’OCS, en tant qu’organisme d’enquête principal, est composé d’agents de divers services, tels que la police, la gendarmerie, la douane, la justice et la santé, qui travaillent ensemble pour prévenir et réprimer le trafic de drogues.

La jeunesse, une cible privilégiée

Le rapport souligne aussi les conséquences désastreuses de la toxicomanie sur la jeunesse malienne. La dépendance accrue aux drogues entraîne une série de problèmes sociaux et économiques. Les jeunes, souvent en proie à des conditions de vie précaires, sont de plus en plus attirés par le trafic et la consommation de drogues. Cela a des répercussions directes sur leur santé, entraînant une augmentation des maladies chroniques et des troubles mentaux. De plus, cette situation favorise la criminalité, avec des jeunes impliqués dans des actes de vol et de violence pour financer leur consommation.

L’impact de cette crise va au-delà de la santé individuelle. Un avenir marqué par une jeunesse dépendante des drogues est synonyme d’une diminution de la productivité et un affaiblissement du capital humain. Une main-d’œuvre malade et dépendante compromet les secteurs économiques clés, limite l’innovation et freine le développement industriel. Cette situation engendre également une baisse de l’engagement scolaire, réduisant ainsi le niveau d’éducation et les compétences disponibles sur le marché du travail.

Les statistiques du rapport des 9 premiers mois de l’année dressé par l’OCS révèlent des tendances inquiétantes concernant la participation des femmes dans le trafic. Bien que représentant une minorité des interpellés, leur nombre est en augmentation. Cela pourrait signaler une évolution dans la dynamique du trafic, avec des femmes prenant un rôle plus actif dans les activités criminelles, ce qui mérite une attention particulière.

En parallèle, les rapports sur les saisies de drogues en 2023 montrent une augmentation alarmante des quantités saisies par rapport aux années précédentes. Rappelons qu’en 2022 les autorités ont saisi 36,89 tonnes de cannabis et plus de 823 706 comprimés de Tramadol. En 2023, les saisies de cocaïne ont également augmenté, atteignant 11,028 kg. Cette tendance souligne la nécessité d’une vigilance continue face à la montée des activités criminelles.

Dans le même temps, force est de reconnaître que l’axe Dakar – Bamako est devenu une route stratégique pour les trafiquants, facilitant le transit des drogues entre le Sénégal et le Mali. Plusieurs opérations récentes ont démontré cette dynamique, révélant l’implication de réseaux internationaux sophistiqués. En février 2024, un réseau de trafic de Tramadol opérant entre Dakar, Bamako et Niamey a été démantelé, mettant en évidence la complexité et l’envergure du problème, qui est en passe de se transformer en crime transfrontalier.

Les groupes armés non étatiques jouent également un rôle dans l’intensification du trafic. Ils tirent profit de la situation en taxant les trafiquants pour leur garantir un passage sécurisé à travers les zones qu’ils contrôlent. Ce qui contribue à l’instabilité croissante dans la région, rendant la lutte contre le trafic encore plus complexe.

La situation actuelle nécessite une réponse collective et concertée. Les efforts de l’OCS, bien que significatifs, doivent être renforcés pour faire face à l’évolution des méthodes des trafiquants et à la violence. L’engagement des autorités maliennes dans la lutte contre le trafic de drogues sera déterminant pour restaurer la sécurité et protéger la jeunesse du pays.

Le Mali fait donc désormais face à une crise qui touche profondément sa société et son économie. La participation notoire des jeunes dans le trafic, couplée à une violence accrue, pose des défis majeurs pour l’avenir. Dans ce contexte, l’heure doit être consacrée à l’union des efforts pour combattre ce fléau et offrir des perspectives d’avenir à la jeunesse malienne, afin de prévenir une détérioration supplémentaire de la situation. Selon de nombreux experts de la question, pour lutter efficacement contre ce fléau, protéger la jeunesse et assurer la stabilité de la Nation, il faut une approche intégrée alliant répression, sensibilisation et prévention.

Massiré Diop

Interdiction de la chicha : un écran de fumée ?

Le 15 août 2022, un arrêté interministériel du gouvernement interdisait l’importation, la distribution, la vente et l’usage de la chicha sur toute l’étendue du territoire national. Les six mois accordés pour se conformer aux dispositions arriveront à terme ce 15 février 2023. Alors que les autorités réaffirment leur détermination à faire appliquer la mesure, les distributeurs ne semblent pas se précipiter. Le défi reste de savoir si les autorités parviendront à faire respecter la réglementation cette fois-ci.

L’arrêté interministériel n°2022-3597/MSPC/MJDH/MSDS/MEF/MIC/MJSCICCC-SG Gouvernement du 15 août 2022, portant interdiction de l’importation, la distribution, la vente et l’usage de la chicha ou tout autre appareil similaire sur l’étendue du territoire, est la suite logique d’un combat que les autorités mènent contre une « toxicomanie banalisée ».

En effet, c’est suite à plusieurs investigations et à des certificats d’analyses du Laboratoire national de la santé que l’Office central de lutte contre les stupéfiants (OCS) a conclu que la chicha permettait de « dissimuler la consommation de plusieurs drogues, dont le cannabis » et de médicaments détournés de leur usage. Il a donc initié cette décision d’interdire ce phénomène, qui favorise selon lui la consommation précoce de drogues chez les jeunes.

Mesure discriminatoire ?

« Nous n’avons pas pu évacuer nos stocks. Nous n’avons pas échangé avec les autorités et nous avons déposé une plainte le 14 octobre contre l’arrêté d’interdiction », s’indigne Mahamadou Diawara, Président des Distributeurs de chicha du Mali. Après avoir demandé un sursis à la décision avant le jugement au fond, la Cour suprême a rejeté ce 26 janvier 2023 la requête de l’association.

Mais celle-ci n’en démord pas pour autant. « Nous avons appelé des experts, nous appellerons d’autres experts d’ici pour démontrer que la chicha n’est pas une drogue », clame le Président de l’association. « La chicha est un tabac, pourquoi les autorités n’ont-elles pas touché au tabac ou à l’alcool », s’interroge-t-il ? Si la chicha est nuisible à la santé, l’alcool et la cigarette aussi.

Quant à l’usage « déguisé de drogue » auquel se livreraient les adeptes de la chicha, M. Diawara se défend d’être responsable d’un tel phénomène. « Nous n’avons rien à voir dans cela. Nous ne sommes pas des vendeurs de drogue », rétorque-t-il, ajoutant que la lutte devrait plutôt se concentrer sur l’interdiction d’entrée de la drogue. Parce que si elle « n’entre pas, elle n’est pas consommée ». Dénonçant des « analyses partiales », il nie que le tabac de la chicha soit plus nocif.

En outre, le secteur absorbe une partie du chômage. Selon le Président des Distributeurs, le secteur emploie des milliers de personnes, environ 3 000 emplois directs au moins, d’après les chiffres qu’il avance, difficilement vérifiables. Serveurs, cuisiniers, sociétés de gardiennage et de nettoyage, la chicha étant un point de convergence dans beaucoup d’espaces, comme les bars ou les night-clubs. S’ils ne souhaitent pas d’affrontement, les distributeurs promettent que l’application de la mesure sera difficile dans ces conditions. Ils sont prêts à aller en prison plutôt que de perdre leur travail. Déplorant l’absence de concertations, ils reprochent aux autorités de n’avoir pas mesuré toutes les conséquences de leur décision. « La chicha aujourd’hui est plus positive que négative dans l’économie. Pour toucher au tabac chicha, il faut toucher à la cigarette et à l’alcool, parce que tout est nuisible à la santé », même à des degrés différents.

Le bâton après la carotte

Dans une communication, ce 31 janvier, l’OCS rappelle que c’est à partir du 15 février 2023 que « l’importation, la vente, la distribution et la consommation de chicha seront interdites sur toute l’étendue du territoire national ». Signé de la Direction de l’Office Central des Stupéfiants – OCS », elle souligne que « les contrevenants s’exposeront à des lourdes sanctions d’emprisonnement et d’amende ». C’est pourquoi l’Office, sous le leadership du ministère de la Sécurité et de la Protection civile, ainsi ses collègues signataires de l’arrêté interministériel interdisant la chicha ou tout appareil similaire au Mali, invite à se conformer à l’arrêté interministériel d’ici le 15 février 2023.

Si les termes du communiqué ne permettent pas d’équivoque sur la volonté des autorités de faire appliquer l’arrêté, ils doivent compter avec celle des distributeurs de faire valoir leurs droits. Ils ont à cet effet attaqué l’arrêté interministériel devant la Cour suprême le 15 octobre 2022. D’abord pour demander la suspension de son exécution, avant de demander son annulation. Une demande de suspension rejetée le 26 janvier 2023.

Estimant qu’après 6 mois de campagne de sensibilisation les populations sont suffisamment informées, le Directeur général adjoint de l’OCS, le Contrôleur général de police Bassirou Bamba souligne que les autorités vont « sévir sans faiblesse », parce qu’il faut que « force reste à la loi ». Et, pour ce faire, des dispositions seront prises et les autres services en charge seront mobilisés pour faire respecter l’arrêté interministériel. Dans une interview accordée à la télévision TM1 le 1er février 2023, il rappelle aux commerçants, consommateurs et distributeurs de chicha que cette interdiction décidée par l’État dans le cadre de « l’impérieuse nécessité de préserver la santé de la population », s’impose à tous et sera respectée.

En attendant, l’arrêté prévoit des peines d’emprisonnement allant de 1 à 10 jours et des amendes de 300 à 18 000 francs CFA pour la production, l’importation, la commercialisation, la détention et l’usage de la chicha.

Selon une étude menée par le service de Pneumologie de l’Hôpital du Point G auprès d’un échantillon de 3 000 lycéens, 71% d’entre eux fumaient la chicha « et certains présentaient des symptômes respiratoires », selon le Pr Yacouba Toloba, chef dudit service. Concernant la dangerosité de la chicha, une autre étude de l’OMS avait déjà alerté, dans une note publiée en 2017, en rappelant les résultats de plusieurs études réalisées une dizaine d’années plus tôt. Compte tenu de la gravité du « tabagisme par pipe à eau », l’organisme mondial de la Santé suggérait aux autorités de régulation de prendre des mesures fiscales ou encore d’interdire ce tabagisme dans les espaces publics, tout en poursuivant la sensibilisation sur les effets nocifs.

Une substance dangereuse surtout pour des jeunes censés être l’avenir du pays. L’une des raisons ayant conduit la Mairie de la Commune IV du District de Bamako à interdire le produit dès 2019. « Si l’avenir d’un pays dépend de sa jeunesse, il faut qu’elle soit saine », expliquait le Maire de la Commune IV, M. Adama Bérété. Pas question pour lui donc de laisser la jeunesse se « détruire ». Car, assez souvent, ce sont des produits de substitution, comme l’alcool et ses dérivés ou la drogue, qui sont utilisés, rendant « les conséquences de cette fumée incalculables ».

Diversement appréciée, la mesure a d’abord été « incomprise », selon le Maire. Mais, entre approbation et réticence, la Mairie a souvent dû faire intervenir les forces de l’ordre pour faire appliquer la mesure. En dépit de tout cela, elle a beaucoup de mal à être respectée, plusieurs « chicha houses » se trouvant dans la commune couverte par elle. L’interdiction étant désormais étendue à l’ensemble du territoire, le maire espère que « nul n’est et ne sera au-dessus de la loi », qu’il faut appliquer avec la dernière rigueur.

Le défi du respect

Pour assurer la mise en œuvre et obliger les acteurs à se conformer, outre l’OCS, la Direction générale des Douanes, la Direction générale du Commerce, de la concurrence et de la consommation (DGCC), la Direction générale de la Police et la Direction générale de la Gendarmerie sont chargées de veiller à l’effectivité de la mesure d’interdiction. Même si les différentes entités concernées n’ont pas encore dévoilé leurs plans, selon certains les forces de l’ordre vont sévir afin que cela serve de dissuasion. Mais, pour un observateur qui a requis l’anonymat, ces actions seraient comme « suer sous la pluie ». Les boutiques de chicha ou encore les chicha houses seront les premières touchées, puisque très visibles, appuie-t-il. Mais qu’en sera-t-il dans les différents clubs, lounges ou restaurants, sans parler des domiciles et espaces privés ? Les forces de sécurité feront-elles des descentes ? Des questions qui trouveront sûrement un début de réponse lors des premiers jours du début effectif de l’interdiction. Ce qui sera déjà impossible à faire pour les autorités, c’est de contrôler totalement la consommation, notamment dans un cadre privé. À moins que grâce aux Douanes, ces produits ne soient réellement interdits d’entrée sur le territoire. Ce que certains clients craignent déjà, c’est que cette interdiction n’entraîne des coûts supplémentaires sur la chicha, avec des revendeurs et tenanciers de boutiques qui mettraient en avant les difficultés pour augmenter leurs prix. À moins de deux semaines de la date retenue pour l’interdiction effective, de nombreux clients et des personnes qui sont dans le milieu de la chicha n’envisagent nullement que la décision puisse être respectée.

Quid chez nos voisins ?

L’exemple chez nos voisins n’incite pas non plus à l’optimisme pour l’effectivité de la décision. L’exemple ivoirien est le plus illustratif. Dans le cadre de l’application d’un décret de 2012 interdisant de fumer dans les lieux publics, les autorités ivoiriennes ont essayé de sévir en 2022. Les forces de l’ordre ont mené des opérations d’envergure, mais cela n’a pas duré deux mois. Les opérations ont cessé, les contrôles aussi. Un journaliste sur place à Abidjan nous confirme que les consommateurs de la chicha fument partout comme si de rien n’était. Au Sénégal, l’interdiction décidée en 2020 est somme toute similaire à celle du Mali. Les autorités sénégalaises avaient également donné six mois aux importateurs et distributeurs de chicha pour s’y conformer. Mais, deux ans plus tard, les autorités n’ont pas réussi à faire respecter la décision. La raison, selon une source au Sénégal, est que les consommateurs ne s’affichent que rarement en public et que le degré de consommation est moindre que celui du Mali. Mais, après la décision des autorités maliennes, le Président de la Ligue sénégalaise de lutte contre le tabac (Listab), Amadou Moustapha Gaye, a saisi l’occasion pour interpeller le chef de l’État Macky Sall pour qu’il s’implique. À partir du 15 février, les capacités des autorités compétentes à faire respecter la décision seront scrutées, afin de déterminer si ce n’est ou non qu’un simple écran de fumée qui finira par se dissiper.