L’agitation trumpienne gagne le Moyen-Orient

La victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine la semaine dernière a plongé dans la consternation un grand nombre de dirigeants mondiaux. Les dirigeants européens craignent qu’il ne les malmène sur certains sujets allant du commerce aux dépenses de défense, tandis que les pays d’Amérique latine redoutent d’être sanctionnés en raison des flux migratoires. Au Moyen-Orient, les réactions sont en revanche plus contrastées. Certains dirigeants sont dépités, d’autres absolument ravis. Ceux qui applaudissent la victoire de Trump pourraient toutefois regretter l’absence d’un chef d’État américain moins capricieux lorsque Trump aura pris ses fonctions.

 

Les dirigeants autoritaires tels que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le président turc Recep Tayyip Erdogan sont ceux qui ont le plus à gagner d’un second mandat de Trump. Ce dernier encense en effet les deux hommes, parlant d’al-Sissi comme de son « dictateur préféré », et se disant « grand fan » d’Erdogan. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que Trump les contrarie sur les questions de droits de l’homme et de valeurs démocratiques, contrairement aux précédentes administrations américaines. Tous deux bénéficieront avec joie de l’approche du laissez-faire appliquée par Trump en matière de politique étrangère, et de son désintérêt pour les détails. Les États-Unis enregistrant par ailleurs un excédent commercial vis-à-vis de l’Égypte, et seulement un léger déficit dans le cas de la Turquie, ces deux pays n’auront pas à redouter la fureur de l’administration Trump sur le plan commercial, contrairement à l’Allemagne, au Japon et à la Corée du Sud.

Les monarchies du golfe Persique bénéficieront elles aussi de la nouvelle présidence Trump. À la différence d’al-Sissi et d’Erdogan, les dirigeants du Bahreïn, de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis espèrent une politique étrangère américaine musclée, susceptible d’affaiblir l’influence iranienne. Le retour d’un discours agressif de la part de Trump ainsi qu’une campagne de « pression maximale » sur l’Iran réjouiraient en particulier la monarchie sunnite du Bahreïn, en occupant les mollahs à autre chose qu’une démarche de déstabilisation de la majorité chiite de cette petite île. Les États du Golfe sont par ailleurs idéalement positionnés pour exploiter le penchant transactionnel de Trump, et son goût pour le spectacle au détriment du fond, eux qui ont annoncé par le passé des contrats d’achat d’armements de plusieurs milliards de dollars sans réelle intention de les conclure.

D’autres alliés des États-Unis dans la région souffriront en revanche du mandat Trump. Les Républicains malmèneront le Qatar pour son soutien au Hamas et à d’autres groupes islamistes. C’en sera fini également des navettes effectuées entre Jérusalem et Beyrouth par les envoyés américains pour tenter de mettre fin aux bombardements au Liban.

Mais le grand perdant de la présidence Trump pourrait être le Parti de l’Union Démocratique kurde syrien (PYD). Cette branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan turc (PKK) mène par intermittence une insurrection contre le gouvernement turc depuis 1984, et a récemment tué cinq personnes dans une entreprise aérospatiale à Ankara.

L’aversion de Trump pour les déploiements de troupes américaines, combinée à son affection pour Erdogan, pourrait le conduire à rappeler les quelque 900 soldats stationnés en Syrie. Officiellement présents pour empêcher une résurgence de l’État islamique, ces militaires protègent également le PYD face à la Syrie et la Turquie. Un PYD privé du soutien américain sur le terrain, et vulnérable à une offensive turque, pourrait demander aux forces russes ou syriennes de se redéployer à la frontière. La Syrie pourrait ainsi bénéficier indirectement d’un Trump au pouvoir.

Ce sont toutefois les adversaires de l’Amérique – l’Iran et ses alliés, le Hamas et le Hezbollah – qui doivent s’inquiéter le plus du retour de Trump à la Maison-Blanche. Trump donnera probablement carte blanche au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, levant les quelques restrictions imposées par le président Joe Biden dans un vain effort de prévention d’un élargissement du conflit. Les récentes révélations autour d’un complot iranien visant à assassiner Trump provoquera certainement la colère du président américain élu, et pourrait même influencer sa réponse. Il est difficile d’imaginer Trump s’opposer à des attaques israéliennes contre les infrastructures pétrolières et nucléaires iraniennes, ou exprimer une quelconque compassion pour les pertes civiles à Gaza ou les victimes des violences croissantes commises par les colons israéliens en Cisjordanie.

Durant son premier mandat, Netanyahou souhaitait simplement que Trump laisse Israël tranquille – tout irait bien tant que le président américain n’encouragerait pas la création d’un État palestinien, ou ne critiquerait pas l’expansion des colonies en Cisjordanie. Désormais, Israël a besoin d’un solide soutien américain pour exécuter les politiques audacieuses que mène Netanyahou.

Trump pourrait volontiers sous-traiter à Israël la conduite d’une guerre contre l’Iran. Si toutefois les mollahs ripostaient en ciblant des intérêts américains, Trump pourrait reprocher à Netanyahou de l’avoir entraîné dans ce type de conflit qu’il s’était précisément engagé à éviter durant sa campagne. De même, si Netanyahou trahissait ses promesses – comme il l’a fait vis-à-vis de Biden, qui a paraît-il réagi en le qualifiant de « saloperie de menteur » et de « sale type » – Trump pourrait être tout aussi furieux, voire plus.

C’est un exercice que Trump connaît bien. Après que Netanyahou ait annoncé son intention d’annexer des colonies lors d’un événement à la Maison-Blanche en 2020, Trump aurait été pris de court et aurait déclaré « Je me sens sale », allant jusqu’à laisser entendre qu’il pourrait soutenir l’adversaire politique de Netanyahou. Si Biden a toléré les manœuvres de Netanyahou, c’est parce que l’affaiblissement de l’axe iranien s’inscrivait dans l’intérêt des États-Unis. Trump, qui ne s’intéresse qu’à la soumission de l’autre, pourrait ne pas se montrer aussi compréhensif.

Le retour de Trump bouleversera la politique étrangère des États-Unis, notamment au Moyen-Orient. Ayant enduré des guerres, des révolutions et des insurrections djihadistes, cette région est capable de survivre à la présence d’une brute à la Maison-Blanche. Reste en revanche à savoir si les alliés et les ennemis des États-Unis y gagneront et y perdront dans les mêmes proportions.

 

Barak Barfi a été chercheur au sein de New America, et membre intervenant à la Brookings Institution.

 

Project Syndicate, 2024.
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