Droits des femmes : L’autre urgence de la crise malienne

La crise multidimensionnelle que vit le Mali depuis 2012 a gravement exacerbé les violations des droits des femmes. Cela s’est manifesté par une augmentation des violences à l’égard des femmes et une dégradation de leur situation socio-économique. Pour se reconstruire, les femmes ont endossé de nouvelles responsabilités et réclamé une participation effective aux processus de paix, condition essentielle à un retour à la stabilité.

« Il ressort que, depuis 2019, la situation des droits des femmes et des filles au Mali a connu une détérioration flagrante, principalement due à la dégradation du contexte sécuritaire et aux défis liés au genre, aggravant de surcroît les violences basées sur le genre (VBG) ». Selon le plan d’action du projet HYDROMET – Mali, la situation des VBG au Mali présente un tableau peu reluisant. Selon les statistiques, plus de 45% des femmes maliennes sont victimes de violences sexuelles au moins une fois dans leur vie et l’accès à une prise en charge holistique demeure problématique pour un grand nombre de survivantes. D’après le Système de Gestion des Informations sur les Violences Basées sur le Genre (GBVIMS), l’augmentation des VBG prend des proportions inquiétantes. En effet, 36% de ces cas sont des violences sexuelles, 19% des agressions physiques, 16% des dénis de ressources, 21% des violences psychologiques et 8% des mariages précoces. En outre, 97% de ces cas ont été signalés par des femmes, parmi lesquelles 48% sont des filles de moins de 18 ans. Ces données ne sont pas exhaustives et cachent une réalité alarmante : près de 70% des femmes ayant subi des violences n’en ont guère parlé, par crainte de représailles ou de stigmatisation.

La crise a favorisé le déplacement massif des femmes et des enfants, les exposant à divers dangers, y compris les VBG. Parmi ces femmes, plusieurs, devenues veuves, sont contraintes de chercher un peu de réconfort en ville. En plus de l’obligation de s’occuper de leurs enfants, elles sont souvent marginalisées et considérées comme des « porteuses de malheur », explique Mariam Sidibé, Conseillère technique en Genre au Conseil régional de Mopti.

Difficile reconstruction

Ces crises ont également entraîné la perte d’infrastructures sociales de base, ce qui accentue la vulnérabilité des femmes et des enfants, compromettant gravement leur santé et leur éducation.

Pour la prise en charge de ces femmes et de leurs enfants, les collectivités, faute de moyens, se contentent de mener des plaidoyers auprès des ONG afin d’améliorer les secours de tous ordres à ces victimes. Ces déplacés, ayant des besoins variés, sont secourus en fonction des capacités des partenaires, que le Conseil régional appuie pour assurer une synergie d’actions. Il intervient également pour faciliter la réinsertion socio-professionnelle de ces personnes.

Pour aider les personnes déplacées à se reconstruire, plusieurs mécanismes et dispositions ont été mis en place, notamment des séances de sensibilisation généralement menées en milieu urbain. En milieu rural, où il est plus difficile d’accéder à ces femmes, les communautés sont formées pour assurer le relais et sensibiliser les femmes à leur rôle pendant et après le conflit, afin d’apaiser le climat social. C’est un travail de longue haleine, dont les résultats ne sont pas immédiatement visibles, ajoute Mme Sidibé.

La reconstruction est également l’objectif de Hadeye Maïga, Présidente de l’IGDa, qui signifie « ça suffit », et membre du Comité de suivi de l’Accord issu du processus  d’Alger, dénoncé par les autorités il y a un an. « Dans un pays en guerre, ce sont les femmes qui souffrent », déplore-t-elle. Épouses et mères, elles sont généralement sans formation et « lorsqu’elles perdent leurs maris, c’est le désespoir ». Grâce à des organisations locales comme Wildaf, ces femmes veuves et déplacées sont formées à des métiers tels que la savonnerie ou la tapisserie. Actuellement, l’organisation soutient une centaine de femmes, des victimes ayant fui Ménaka. En raison de la persistance de la crise, même si certains y retournent, plusieurs habitants des cercles de Ménaka se retrouvent à Bamako et d’autres continuent de quitter cette ville. Les activités de soutien, menées tant dans la capitale que dans la région de Ménaka, sont gravement entravées par l’insécurité et la cherté de la vie.

Faible participation aux processus de paix

L’État a lancé un nouveau processus de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR) dans un contexte sécuritaire marqué par une circulation massive des armes dépassant les frontières nationales. Cette situation impacte tous les secteurs de la vie, notamment la santé, l’éducation et le développement. Déjà critiqué pour son manque d’inclusivité, le processus affecte directement et indirectement les femmes, qui espèrent une meilleure intégration.

La crise a provoqué un bouleversement social dans lequel les femmes, perdant leurs soutiens de familles, se retrouvent dans un rôle qui n’est pas le leur, ce qui pose de nouvelles problématiques et influence l’éducation des enfants ainsi que le bien-être familial.

Sur le plan économique, généralement commerçantes et vivant de la petite agriculture, les femmes sont affectées par les difficultés de déplacement. Les menaces constantes, telles que les attaques armées et les engins explosifs, compromettent leur vie et leurs activités, explique Fatoumata Maïga, Présidente de l’Association des Femmes pour les Initiatives de Paix (AFIP). À cela s’ajoute le manque d’accès aux centres de santé, même pour les véhicules médicaux.

Pour réussir leur intégration dans le processus de paix, les femmes doivent s’unir et dialoguer avec les groupes locaux, suggère Madame Maïga. Les groupes armés s’appuient souvent sur les chefs locaux. Avec la crise internationale et la disparition de certains financements extérieurs, le soutien aux personnes vulnérables se complique, mais les acteurs locaux continuent d’œuvrer pour répondre aux urgences. La constitution de banques de céréales et la facilitation de l’accès à l’eau figurent parmi les priorités, car les « conflits ouverts autour de l’eau » sont une facette de la crise multidimensionnelle.

Malgré un cadre institutionnel et des mécanismes sociaux garantissant la participation des femmes aux processus de paix, ceux-ci restent peu appliqués. « Les femmes ont un rôle clé à jouer dans la paix et la reconstruction du pays, mais elles sont encore trop souvent exclues des prises de décision », estime Aminatou Walet Azarock, Présidente de l’ONG ADSPM.

À commencer par la Résolution 1325 du Conseil de Sécurité de l’ONU, que le Mali a ratifiée et qui reconnaît leur rôle, demandant qu’elles soient pleinement impliquées dans les processus de paix et de sécurité. Sur le plan national, la Loi 052 instaure un quota d’au moins 30% de représentativité du genre sur les listes électorales et nominatives. Ces outils sont importants pour garantir une meilleure participation des femmes à la gouvernance. Toutefois, au-delà des textes, la Présidente de l’ONG ADSPM souhaite voir des actions concrètes pour former les femmes aux négociations, leur donner des opportunités d’accéder aux instances décisionnelles et soutenir les initiatives qu’elles portent sur le terrain, car une paix durable ne peut se construire sans elles.

Fatoumata Maguiraga

VBG : Pourquoi la lutte peine

À l’occasion des 16 jours d’activisme contre les Violences basées sur le genre, il est clair que la situation au Mali demeure préoccupante. Alors que les VBG continuent d’augmenter, il est crucial d’analyser les obstacles qui freinent une réponse efficace à ce fléau touchant particulièrement les femmes et les filles, dans un contexte de crise sécuritaire.

Entre janvier et juin 2024, le système GBVIMS (Gender-Based Violence Information Management System) a recensé 7 641 incidents de Violences basées sur le genre (VBG). Cette augmentation est attribuée, selon ses auteurs, à « la détérioration de la situation sécuritaire, à l’affaiblissement des mécanismes de protection des populations civiles, ainsi qu’à une diminution des services spécialisés en VBG ». À cela s’ajoutent de nombreux défis dans la lutte contre les VBG, notamment la disponibilité de statistiques fiables et une réponse adéquate aux facteurs de risque.

Le terme VBG désigne « un acte préjudiciable perpétré contre la volonté d’une personne, fondé sur les différences sociales (le genre) entre les hommes et les femmes ». Ce phénomène, qui prend une ampleur inquiétante, persiste dans un contexte de crise multidimensionnelle au Mali. En effet, la persistance des incidents sécuritaires, notamment les attaques des groupes armés, continue de provoquer des déplacements massifs de populations, principalement dans les régions de Gao, Tombouctou et Kidal.

En septembre 2024, le Displacement Tracking Matrix (DTM) a recensé 388 363 personnes déplacées, dont 58% de femmes et de filles. Ces déplacements se concentrent dans les régions de Ménaka, Mopti, Gao, Bandiagara, Tombouctou et Ségou. Cette situation a engendré un climat général de peur et de violations des droits humains, exacerbant ainsi la vulnérabilité des femmes et des filles.

Le monitoring de protection a enregistré 10 415 violations des droits humains d’avril à juin 2024. Les catégories de violations rapportées incluent, entre autres, les atteintes au droit à la vie, les atteintes à l’intégrité physique et/ou psychique, ainsi que les atteintes à la liberté et à la sécurité. Le nombre de femmes et de filles touchées par ces violences a atteint 3 058 au deuxième trimestre 2024.

Améliorer la collecte de données

Plusieurs structures gouvernementales, ONGs, associations, réseaux et agences des Nations Unies travaillent sur la problématique des VBG. Toutefois, la collecte de données sur les VBG, les pratiques traditionnelles néfastes (PTN) et la santé reproductive (SR) constituent un véritable défi pour les acteurs du domaine. C’est le constat établi par « l’Étude diagnostique des structures et acteurs producteurs de données sur les Violences Basées sur le Genre (VBG), les Pratiques Traditionnelles Néfastes (PTN) et la Santé Reproductive (SR) dans les zones d’intervention du programme Initiative Spotlight : Kayes, Koulikoro, Sikasso, Ségou et le District de Bamako ».

Plusieurs facteurs expliquent cette réalité, notamment l’insuffisance ou l’inexistence de mécanismes de collecte de données dans la plupart des structures concernées. L’absence de matériel de collecte et de personnel formé, ainsi que le manque de points focaux pour le traitement des cas répertoriés, aggravent la situation. Enfin, les ressources financières et humaines de qualité manquent pour produire des données fiables.

Ce constat est partagé par les acteurs de la lutte et des mesures sont envisagées pour y remédier. La fiabilité des statistiques est essentielle, compte tenu de la multiplicité des intervenants. C’est pourquoi le gouvernement préconise que les collectes de données au niveau de l’INSTAT ne se fassent pas de manière redondante. En effet, il arrive que des femmes, en quête d’aide, changent d’organisation avant la fin de la procédure de peur d’être repérées. Souvent pressées d’obtenir des résultats et en l’absence de solution immédiate, elles peuvent se tourner vers d’autres structures. Ces faiblesses rendent difficile la collecte de données fiables sur les VBG et les catégories les plus fréquentes, indispensable pour adapter les stratégies.

Persistance

La diversité des acteurs contribuant à la lutte contre les VBG a permis une meilleure connaissance de ces violences et une sensibilisation accrue des femmes à les dénoncer, estime Madame Diarra Djingarey Maïga, Présidente du Mouvement Féministe du Mali (MFM). « Les femmes comprennent désormais mieux plusieurs situations qu’elles ne considéraient pas auparavant comme des VBG ». Il ne s’agit pas seulement de violences physiques, mais aussi de violences morales, économiques et sexuelles. Cela conduit les organisations à enregistrer un nombre plus élevé de plaintes et de demandes d’assistance.

Cependant, la persistance des VBG est également liée à des facteurs sociaux. Une construction sociale « demande à la femme de se soumettre et d’accepter, afin que les choses marchent ». Si ce n’est pas le cas, « c’est sa faute », ajoute Madame Diarra. Par ailleurs, une interprétation traditionnelle de la coutume donne « la possibilité à l’homme de « corriger » la femme en faute ». Ainsi, lorsque la femme subit une violence, on en conclut souvent qu’elle a fauté. De plus, celles qui se plaignent au sein de la famille ou de la communauté après une violence sont souvent « priées » de prendre exemple sur d’autres ayant subi la même chose et d’accepter leur condition.

L’évolution inquiétante des VBG et leur persistance doivent interpeller bien au-delà des organisations qui luttent contre ce phénomène. La jeunesse, souvent perçue comme l’auteure présumée de ces violences, « sombre dans les drogues et l’alcool. Un phénomène récurrent qui perturbe la stabilité des jeunes et, par ricochet, celle des foyers », alerte M. Makan Kaloga, psychologue. La stigmatisation des victimes, le manque d’informations, les inégalités et les abus de pouvoir sont également des facteurs évoqués par les acteurs pour expliquer la hausse des cas de VBG, malgré le nombre élevé d’associations engagées dans la lutte.

Adapter la prise en charge

Les VBG représentent un phénomène complexe dont la prise en charge nécessite l’implication de plusieurs acteurs. Cette nécessité a été perçue par le gouvernement et ses partenaires, qui ont opté pour un changement d’approche. La mise en place de « One Stop Centers », où les victimes peuvent accéder à des médecins, psychologues et agents de justice, constitue une réponse adéquate permettant une prise en charge holistique des survivantes, souvent confrontées à plusieurs besoins. Dans un pays multiculturel comme le Mali, il est parfois difficile pour une femme de se rendre à plusieurs endroits pour discuter de ses problèmes. Si elle peut être entendue et prise en charge en un seul lieu, cela est salutaire, se réjouit un acteur du domaine.

Actif dans ce secteur, le réseau d’organisations Women in Law and Development in Africa (Wildaf) s’inscrit également dans une dynamique de changement de stratégie. Représentant un réseau d’associations et d’ONG engagées dans la promotion et la protection des droits des femmes et des enfants, l’organisation se consacre à la sensibilisation, la formation et le plaidoyer. Ses cibles incluent les leaders communautaires, religieux, jeunes ambassadeurs et groupements féminins, en abordant des thématiques liées aux VBG, au Genre et aux violences sexuelles liées aux conflits. Les leaders communautaires sont particulièrement formés aux techniques de médiation, « car les femmes qui viennent nous voir ne souhaitent pas recourir à la justice, elles préfèrent que leurs problèmes soient résolus à l’amiable », explique Mme Aïcha Bourama Diarra, responsable de la Clinique juridique de Wildaf.

Désormais, Wildaf a également adopté une approche mixte dans le choix de ses para-juristes, qui étaient essentiellement des femmes : « afin que les hommes se sentent concernés par la lutte », précise Mme Diarra. Cependant, ce qu’il faut, c’est un changement de politique, assure-t-elle. L’adoption des nouveaux Code pénal et Code de procédure pénale constitue un grand pas. Ces textes, qui prennent en compte plusieurs recommandations des organisations de lutte contre les VBG, permettront aux acteurs de s’en prévaloir pour mieux assurer la justice.

Fatoumata Maguiraga