L’agriculture carbone ne sauvera pas la planète

Les sols sains sont indispensables à la vie sur Terre, assurant la subsistance d’environ 60 % des êtres vivants. Deuxième plus grand réservoir de carbone après les océans, les sols comptent également parmi les plus importants atouts naturels de notre planète dans la lutte contre le changement climatique.

Or, les sols mondiaux sont soumis à une pression considérable. Les sécheresses sont de plus en plus nombreuses à transformer des terres fertiles en déserts, de même que l’utilisation de pesticides réduit fortement la biodiversité des sols, ce qui menace notre capacité à produire des aliments sains. Les terres agricoles de qualité devenant de plus en plus rares, les conflits s’intensifient autour d’une couche arable indispensable à la croissance des cultures.

Le récent atlas des sols de la Heinrich Böll Foundation met en évidence les nombreuses manières dont nous malmenons la terre qui nous nourrit. L’actuel système agricole industriel constitue un facteur majeur de dégradation des sols, accélérant la perte de biodiversité et l’épuisement de réservoirs de carbone vitaux. Or, malgré l’impact qu’il exerce, le secteur agricole réalise peu d’avancées sur la voie des objectifs climatiques. Sur la période des dix dernières années, ses émissions mondiales de gaz à effet de serre sont globalement restées stables.

Tandis que les États du monde entier fixent actuellement de nouveaux objectifs de réduction des émissions en vertu de l’accord de Paris 2015 sur le climat, il apparaît évident que l’accomplissement de véritables réductions des émissions nécessitera d’élaborer des stratégies de diminution de l’empreinte carbone du secteur agricole.

L’une des approches présentées comme une solution potentielle réside dans « l’agriculture carbone », qui consiste à user de mécanismes de marché incitatifs pour récompenser les agriculteurs qui stockent du carbone dans leurs sols. En adoptant des pratiques telles que la plantation de cultures de couverture végétale, les agriculteurs peuvent obtenir des certificats liés à l’amélioration du stockage de carbone. Ces certificats peuvent ensuite être vendus en tant que crédits carbone sur les marchés volontaires ou réglementés, conférant ainsi aux agriculteurs une source de revenus supplémentaire.

Ce concept gagne du terrain à la fois dans le domaine des politiques publiques et dans le secteur privé. Plusieurs sociétés d’engrais et de pesticides, telles que Yara et Bayer, ont d’ores et déjà lancé leurs propres programmes de certification, et certains grands pays producteurs agricoles, dont le Canada et l’Australie, ont intégré ces crédits dans leurs marchés. L’Union européenne élabore également un programme de certification pour l’agriculture carbone, et cette tendance sera probablement suivie par les marchés mondiaux du carbone.

Malheureusement, cette nouvelle popularité de l’agriculture carbone risque de perpétuer l’idée fausse selon laquelle la réduction des émissions et le stockage de carbone dans les sols seraient interchangeables. Même si l’on admettait cette hypothèse, l’élaboration d’un système de compensation des émissions via le stockage de carbone demeurerait extrêmement difficile. Pour qu’un tel système soit efficace, le stockage devrait reposer sur un changement dans les pratiques agricoles, être mesurable, et rester en place pendant au moins un siècle.

Or, le carbone stocké dans les sols étant intrinsèquement instable, et facilement susceptible d’être à nouveau libéré dans l’atmosphère en cas de sécheresses, d’inondations ou de changements dans les pratiques agricoles, le stockage à long terme demeure extrêmement peu fiable.

Plusieurs tentatives précédentes de résolution de ce problème d’instabilité, au sein d’autres réservoirs naturels, ont échoué. À titre d’exemple, les crédits de stockage mis en place en Californie pour compenser les libérations accidentelles de carbone issu des forêts s’épuisent plus rapidement que prévu à l’issue de violents incendies de forêt dans cet État. De même, les crédits accompagnés de dates d’expiration, imposant aux acheteurs un renouvèlement périodique, suscitent peu d’intérêt.

Bien qu’il soit possible de mesurer le carbone stocké dans les sols, c’est à la fois difficile et coûteux. L’exactitude des mesures dépend par ailleurs de multiples facteurs, tels que la profondeur du prélèvement, sa localisation, ainsi que la période. Les méthodes alternatives, basées sur des échantillonnages limités ou sur des modèles mathématiques, échouent à résoudre ces difficultés liées aux mesures.

Les prix des crédits carbone liés aux sols étant trop peu élevés pour couvrir les coûts des changements dans les pratiques agricoles, les agriculteurs sont peu enclins à les adopter. Résultat, les régulateurs européens ont choisi de faciliter l’attribution de crédits, plutôt que de revoir les incitations financières, ce qui compromet en fin de compte l’intégrité du système.

Au-delà de ces défis méthodologiques, l’agriculture carbone sert parfois d’écran de fumée au secteur de l’élevage. Plusieurs groupes industriels prétendent que le stockage de carbone dans les pâturages permet de compenser les émissions de méthane et d’oxyde nitreux. C’est très peu probable, car cela nécessiterait d’immenses quantités de prairies. Il est aujourd’hui démontré que le moyen le plus efficace de réduire les émissions issues du bétail consiste à réduire les cheptels et la consommation de viande ainsi que de produits laitiers.

L’approche du marché carbone sous-entend la nécessité de faire un choix entre préserver la santé des sols et réduire les émissions. En réalité, les deux sont nécessaires, puisque la santé des sols est essentielle à la production alimentaire. Comme l’explique le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la séquestration du carbone dans les sols – ou ailleurs – ne saurait remplacer la réduction des émissions. Le fait d’œuvrer pour la réduction des émissions, plutôt que de recourir simplement aux crédits de stockage dans les sols, présenterait également l’avantage de limiter l’attrait pour des technologies controversées consistant à éliminer le carbone de l’atmosphère.

Autrement dit, une approche de stockage du carbone fondée sur le marché ne produira pas le changement radical dont nous avons besoin. Nous ne sortirons pas de la crise climatique par le truchement des compensations. Il nous faut davantage réorienter les fonds publics actuellement dépensés en subventions agricoles, en direction d’investissements qui améliorent la santé des sols, et qui soutiennent les agriculteurs dans leur transition vers un système alimentaire résilient face au climat.

 

Sophie Scherger est responsable des politiques relatives au climat et à l’agriculture au sein des bureaux européens de l’Institute for Agriculture and Trade Policy.

 

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Pour des financements climatiques adaptés aux économies en voie de développement

En 2011, l’accord de partenariat de Busan préconisait une plus grande appropriation nationale de l’agenda du développement, dans le cadre d’une initiative internationale en direction de politiques de développement plus efficaces. Cet accord marquait ainsi la reconnaissance positive du fait que les pays à faible revenu sont plus susceptibles d’améliorer l’allocation des ressources, et de parvenir à une croissance durable, lorsqu’ils définissent eux-mêmes leurs priorités de développement.

Plus de dix ans plus tard, l’approche dominante en matière de développement, une approche uniforme et imposée d’en haut, demeure obstinément en place. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les financements climatiques, très largement destinés à des projets de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), y compris dans les pays qui ont le moins contribué à la crise climatique. À titre d’illustration, 58 % des 83,3 milliards $ de financements climatiques accordés par les pays du Nord aux pays en voie de développement en 2020 ont concerné des initiatives d’atténuation de ce type.

Le défi le plus urgent pour les pays à faible revenu consiste à renforcer la capacité de l’État et de la société à résister ainsi qu’à s’adapter aux effets dommageables du réchauffement climatique. Or, seulement 34 % des flux de financement climatique en direction des pays à faible revenu, soit un total de 28,6 milliards $, ont été alloués à des mesures d’adaptation en 2020. Ce pourcentage est tombé à environ 27 % en 2021 et 2022 (respectivement 24,6 milliards $ et 32,4 milliards $). Ces montants demeurent très éloignés des 160 à 340 milliards $ estimés nécessaires chaque année pour l’adaptation au changement climatique dans les pays en voie de développement.

Par ailleurs, près de trois quarts du total des financements climatiques fournis aux pays en voie de développement entre 2016 et 2022 ont été octroyés sous forme de prêts, ce qui risque d’aggraver l’instabilité macroéconomique et les vulnérabilités liées à la dette. Près de 60 % de ces pays sont déjà confrontés ou exposés à un risque élevé de surendettement, en raison du « péché originel » de l’emprunt étranger, lequel s’accompagne de taux d’intérêt écrasants qui alourdissent considérablement l’incidence budgétaire de la dette extérieure.

Si les investisseurs mondiaux sont attirés par les projets d’atténuation du changement climatique, c’est parce que ces projets génèrent des rendements plus immédiats, par opposition aux retombées à plus long terme des investissements dans l’adaptation. Or, cette approche déséquilibrée échoue à tenir compte de la nature du changement climatique : alors que les pays du Nord sont historiquement responsables d’une majeure partie des émissions de GES, c’est le Sud global (où les températures annuelles moyennes dépassent régulièrement le seuil de 24°C) qui en subit les pires effets, lui qui est également particulièrement vulnérable face aux futures augmentations de température qu’annoncent les prévisions.

Il est difficile d’imaginer comment les effets du changement climatique pourraient être plus graves encore pour les pays à faible revenu. En 2022, des inondations ont submergé un tiers du territoire du Pakistan, faisant 15 000 morts, plongeant dans la pauvreté plus de neuf millions de personnes, et provoquant des pertes économiques équivalant à 2,2 % du PIB. De même, en 2023, l’Afrique de l’Est (qui n’a contribué qu’à hauteur de 0,1 % aux émissions mondiales de GES) a connu des sécheresses extrêmes qui ont décimé pour environ 7,4 milliards $ de bétail, entraîné une terrible crise de la faim, et aggravé la pauvreté. Le refus des pays du Nord d’assumer leur responsabilité dans l’augmentation des températures, ainsi que de tenir compte des besoins spécifiques des pays vulnérables, risque d’amplifier les coûts économiques et sociaux déjà élevés de l’urgence climatique dans ces pays.

Aspect essentiel, les progrès dans l’adaptation ne dépendent pas entièrement de la réussite des mesures d’adaptation, en ce sens que la relation n’est pas unidirectionnelle. Certaines initiatives d’adaptation, telles que l’amélioration de l’isolation des bâtiments et les mesures de conservation de l’énergie, qui réduisent le recours aux centrales à charbon, peuvent dynamiser les efforts d’atténuation. Si nous n’adaptons pas nos comportements et nos systèmes pour modérer les effets dévastateurs des émissions de GES, les coûts sociaux et économiques du changement climatique continueront d’augmenter, et frapperont particulièrement les pays les plus vulnérables.

Plus largement, la construction d’infrastructures durables et résilientes permettrait de réduire la vulnérabilité des pays face aux chocs climatiques et autres risques associés. Non seulement ces infrastructures limiteraient l’impact budgétaire direct de tels chocs, ainsi que les passifs éventuels menaçant la stabilité macroéconomique et la viabilité de la dette, mais elles pourraient également permettre aux pays énergétiquement pauvres d’accomplir un bond vers une nouvelle ère d’énergie propre, accélérant ainsi la transition vers le zéro émission nette.

L’amélioration de la coordination entre les efforts d’adaptation et les efforts d’atténuation pourrait rendre les projets plus rentables et plus attrayants pour les investisseurs, catalysant ainsi davantage de financements d’adaptation au climat en direction des pays du Sud. Dans le même temps, la mobilisation de davantage de capitaux privés pour l’adaptation nécessite une augmentation du nombre de projets d’infrastructures résilientes prêts à recevoir des investissements, à un rythme durable et avec un partage approprié des risques entre les parties prenantes.

Selon une récente analyse de J.P. Morgan concernant les projets en phase de démarrage dans les économies émergentes et en voie de développement, on peut estimer dans ce pipeline à 1 200 milliards $ le montant des projets d’infrastructures durables à potentiel d’investissement, ce qui représente environ la moitié de l’investissement annuel dont ces économies ont besoin pour de telles infrastructures. Seulement voilà, nombre de ces projets n’en sont qu’aux toutes premières étapes de développement, et leur chantier ne sera pas prêt à être lancé avant plusieurs années. Il est ainsi clairement nécessaire que le côté demande de l’équation des financements pour l’adaptation soit renforcé de manière à diriger davantage de financements vers les pays à faible revenu, et que soit rééquilibrée l’allocation des financements climatiques par la communauté internationale, qui demeure trop axée sur l’atténuation.

Renforcer les financements pour l’adaptation du Sud global, c’est non seulement faire le bon choix pour la planète, mais également faire un choix intelligent sur le plan économique. Les premières estimations indiquent que chaque dollar investi dans l’adaptation pourrait générer jusqu’à 10 $ de gains économiques nets. Par ailleurs, reporter ou sous-estimer les investissements dans l’adaptation, ce serait prendre le risque de voir augmenter les coûts mondiaux, et compromettre les efforts internationaux visant à atteindre zéro émission nette d’ici 2050 ainsi qu’à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels, objectif fixé dans l’accord de Paris sur le climat.

Le monde ne pourra pas remporter la lutte contre le changement climatique s’il néglige un front essentiel – celui de l’adaptation – sur lequel il risque des pertes considérables, notamment en termes de vies humaines. Pour éviter de se concentrer exclusivement sur l’atténuation, les pays riches doivent promouvoir un partenariat de développement plus inclusif, qui réduise le déficit de financement de l’adaptation dans les pays les plus vulnérables face au climat.

 

Hippolyte Fofack, ancien économiste en chef de la Banque africaine d’import-export, est membre du Réseau des solutions pour le développement durable à l’Université de Columbia, associé de recherche au Centre d’études africaines de l’Université d’Harvard, et membre de l’Académie africaine des sciences.

 

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Tracer la voie de la résilience du littoral

Environ 40 % de la population mondiale vit dans les zones côtières. Outre le fait qu’elles abritent 12 des 15 plus grandes villes du monde, ces régions constituent une ligne de vie essentielle pour d’innombrables petits villages et villes. Avec environ 80 % du commerce international transitant par les ports maritimes, les régions côtières jouent également un rôle économique majeur, représentant 60 à 70 % du PIB mondial.

Les températures mondiales augmentant à un rythme alarmant, les communautés côtières se retrouvent en première ligne des crises du climat et de la biodiversité. Rien que dans les douze derniers mois, les ouragans Beryl, Helene et Milton ont frappé les Caraïbes et la côte américaine du Golfe du Mexique, tandis que la tempête Daniel a fait des milliers de victimes en Libye, soulignant ainsi la vulnérabilité croissante des populations vivant le long des côtes de la planète.

La crise climatique s’aggrave, tout comme les menaces posées par l’élévation du niveau des mers, l’acidification et le réchauffement des océans. Ces dangers sont aggravés par la destruction des habitats, la surpêche et la pollution, qui érodent la santé et la biodiversité des écosystèmes marins. La disparition des mangroves et des récifs coralliens qui en résulte devrait entraîner d’énormes pertes économiques et déplacer de nombreuses communautés côtières, en particulier dans les petits États insulaires en développement où tous les aspects de la vie sont liés à la mer.

Compte tenu des enjeux, le renforcement de la résilience des communautés côtières et la protection des vies, des moyens de subsistance et des économies de leurs habitants ne constituent pas seulement une priorité régionale ou nationale, mais un impératif mondial. Pour y répondre, il faudra un effort coordonné des secteurs public et privé, en particulier des institutions financières capables de générer les investissements nécessaires pour soutenir des solutions durables et à long terme.

À cette fin, la conférence des Nations unies sur la biodiversité étudie les moyens de faire progresser le cadre mondial pour la biodiversité de 2022, qui vise à protéger 30 % de l’ensemble des zones terrestres et océaniques d’ici à 2030. La prochaine conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP29), qui se tiendra en Azerbaïdjan, se concentrera sur les solutions de financement. La conférence des Nations unies sur les océans, qui se tiendra l’année prochaine, ainsi que le premier forum sur l’économie et la finance bleues, pourraient contribuer à catalyser l’action urgente et coordonnée nécessaire à la sauvegarde des écosystèmes les plus vulnérables de notre planète.

Il est encourageant de constater que les institutions financières privées commencent également à reconnaître la nécessité de renforcer la résilience climatique. Un montant stupéfiant de 1 000 milliards de dollars d’obligations vertes, sociales et liées à la durabilité a été émis en 2023, reflétant l’intérêt croissant des investisseurs pour les projets alignés sur les objectifs de développement durable des Nations unies. Mais les investissements dans la régénération des océans et la résilience côtière restent bien en deçà des centaines de milliards de dollars nécessaires chaque année pour protéger les communautés et les villes vulnérables.

S’il est essentiel de combler ce déficit de financement, il est tout aussi important de s’engager auprès des communautés locales. En tenant compte du point de vue des populations autochtones, les décideurs politiques pourraient élaborer des mesures qui protègent la nature, favorisent le développement durable et garantissent que les investissements dans les infrastructures et la résilience des communautés sont à la fois équitables et efficaces.

Les partenariats intersectoriels seront essentiels pour constituer une réserve de projets susceptibles d’être investis. L’Ocean Risk and Resilience Action Alliance (ORRAA), dont je suis le directeur exécutif, cherche à mobiliser des financements pour la résilience des océans. En travaillant avec des partenaires engagés, nous visons à doter les banquiers et les assureurs des outils nécessaires pour tenir compte de la valeur des actifs naturels dans leurs bilans, tout en exploitant l’ingéniosité et l’esprit d’entreprise des dirigeants locaux, dont beaucoup sont des femmes.

Certes, il reste encore beaucoup à faire. Pour construire des communautés côtières véritablement résilientes, les risques climatiques doivent être pris en compte dans chaque projet d’infrastructure, proposition de politique et décision d’investissement affectant les régions vulnérables au climat. En outre, en encourageant les solutions basées sur la nature, telles que la restauration des mangroves et des récifs coralliens, les décideurs politiques pourraient renforcer les défenses naturelles contre les tempêtes et l’érosion tout en soutenant la biodiversité et les économies locales. Des initiatives telles que l’indice des risques côtiers – une plateforme interactive qui exploite les données pour aider les investisseurs, les assureurs et les décideurs politiques à évaluer les risques côtiers – seront essentielles à cet effort.

Étant donné que le financement public ne peut à lui seul générer le capital nécessaire à la protection des communautés côtières, une plus grande coopération entre les secteurs public et privé sera essentielle pour combler le déficit de financement actuel. Pour ce faire, il faudra développer des instruments financiers innovants afin de réduire les risques et d’encourager la participation du secteur privé. C’est dans cette optique que l’Orraa s’est associée au Groupe de garantie du développement, un garant qui soutient les projets d’adaptation au climat et d’atténuation de ses effets, pour créer un mécanisme visant à réduire les risques liés aux investissements durables dans les secteurs de « l’économie bleue ».

La conférence des Nations unies sur les océans, qui se tiendra l’année prochaine en France, et le forum sur l’économie et la finance bleues, qui aura lieu à Monaco, offrent une occasion unique d’unir ces différents efforts. En réunissant des chefs d’entreprise et des décideurs politiques, ces rencontres pourraient débloquer des financements à grande échelle pour la conservation et la résilience des océans, en veillant à ce que les communautés côtières bénéficient d’une approche globale et durable des défis complexes posés par la crise climatique.

Cependant, pour saisir cette opportunité, les investisseurs, les décideurs politiques et les dirigeants locaux doivent aligner leurs efforts. Grâce à une action climatique décisive et coordonnée, nous pouvons orienter des investissements ciblés vers la résilience des océans et assurer un avenir durable aux communautés côtières – et à l’économie mondiale qui en dépend.

 

Karen Sack est directrice exécutive de l’Ocean Risk and Resilience Action Alliance.

 

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COP 28 : le Mali cherche la bonne température

Le Mali fait partie des 20 pays les plus vulnérables au changement climatique, selon l’index Notre Dame Global Adaptation Initiative (ND-Gain). Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), en Afrique de l’Ouest, il est prévu une augmentation de la température moyenne de 3,3°C d’ici 2 100. Elle pourrait atteindre 4,7°C dans la moitié nord du Mali. Le changement climatique frappe donc durement les plus pauvres et les plus vulnérables. C’est pourquoi il est attendu des décideurs réunis à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre 2023, pour la COP 28, des mesures concrètes pour répondre à la menace immédiate.

Canicules, sécheresses, inondations, pluies torrentielles ou tempêtes, les phénomènes extrêmes dus au changement climatique se sont multipliés par 5 dans le monde entre 1970 et 2019, selon l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM). Outre les dégâts environnementaux, ces catastrophes ont négativement impacté le taux de mortalité et l’économie. Environ 2 millions de décès dus à ces catastrophes ont été enregistrés en 50 ans. Des chiffres qui ont évolué d’environ 170 morts par jour au début des années 1970 à 40 aujourd’hui.

Sur le plan économique, les pertes liées au changement climatique ont été multipliées par 7 les 50 dernières années dans le monde. Aux États-Unis, ces évènements ont coûté plus de 2 000 milliards de dollars pour la même période. Un coût qui, selon le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), pourrait atteindre entre 140 et 300 milliards de dollars par an pour les pays en développement dans les prochaines années.

Vulnérabilité accrue

Le Mali fait face depuis plusieurs décennies aux impacts de la dégradation des conditions climatiques. Désertique sur une large partie de son territoire, il compte 124 millions d’hectares, dont 60% de désert, 4% de forêts potentielles et 36% de terres utilisables pour l’agriculture et l’élevage. Estimée à plus de 22 millions d’habitants en 2022, sa population vit principalement en milieu rural et enregistre un taux de croissance annuelle de 3,3%. L’économie, essentiellement basée sur l’exploitation des ressources naturelles, accroît la dépendance aux aléas du climat. L’agriculture et l’élevage représentent respectivement 16,2% et 15,2% du PIB, le sous-secteur forêt 7,2% et la pêche 5%, selon les données de l’INSTAT.

La hausse de températures, les sécheresses, les inondations, les vents forts et les vents de sable sont des manifestations visibles de l’impact négatif du changement climatique sur l’environnement au Mali. Selon l’Évaluation environnementale intégrée au Mali (EEI), réalisée en 2022 conjointement par le PNUD et le PNUE en collaboration avec le gouvernement, les parties prenantes onusiennes et la société civile, les projections montrent que la température de l’air au Mali pourrait augmenter de 2,0°C à 4,6°C d’ici 2080 par rapport aux niveaux préindustriels. D’après les mêmes constats, le pays connaît depuis 2005 une période relativement riche en pluies. Mais celles-ci sont plus irrégulières et respectent moins la saisonnalité. En outre, elles s’accompagnent généralement d’inondations qui causent d’énormes dégâts et font des victimes. Même s’il demeure des incertitudes quant à l’évolution de la pluviométrie, en raison de sa grande variabilité, les estimations de Mali Météo font état d’une diminution de la pluviométrie de 22% sur la période 1950 – 1970 et entre 1971 et 2000, d’après une étude réalisée en 2011. « Depuis 10 à 15 ans, l’isohyète 1 500 mm a disparu, Bamako et ses environs ont connu une sahélisation et les zones désertiques et semi-désertiques ont progressé jusqu’à la latitude de Mopti (14°31’N) ».

La croissance démographique et l’augmentation de la pression sur les ressources naturelles accentuent la dégradation de l’environnement au Mali. Les superficies agricoles ont connu une augmentation annuelle de 8% entre 1984 et 2020. Le système, essentiellement extensif, se fait donc au détriment des espaces forestiers et des pâturages. Les faibles rendements ne permettent pas de couvrir tous les besoins et l’utilisation de produits phytosanitaires contribue non seulement à dégrader la santé humaine mais constitue un facteur supplémentaire d’érosion des sols, de pollution des eaux et de destruction de l’écosystème. L’agriculture irriguée est la principale consommatrice d’eau, avec 97%.

Ces facteurs climatiques, combinés à un contexte sécuritaire dégradé depuis 10 ans, contribuent à une forte urbanisation et à ses conséquences sur la diminution des espaces naturels autour des villes, ainsi qu’aux insuffisances dans la gestion des déchets solides et liquides. De 600 000 en 1960, la population urbaine est passée à 9 millions en 2020 et représente 44% de la population totale.

Solutions collectives

Même si les plus touchés ne sont pas les plus grands pollueurs, nous sommes « tous responsables, même à des degrés divers », de la planète qui souffre, explique Berthé Minian Bengaly, Directrice du Centre international pour le conseil (CICF), spécialisé en accompagnement et formation dans les domaines de la finance durable, de la sécurité et du changement climatique au Mali depuis 2010.

Puisque « les conséquences concernent tout le monde », les solutions doivent être globales. L’une des raisons de la COP, qui réunit les acteurs publics et privés. Engagée dans la sensibilisation, surtout du secteur privé, pour la prise en compte de la pertinence du changement climatique, l’organisation s’attèle à accompagner les « entreprises à changer de modèle économique » pour s’approprier des innovations liées au changement et les mettre en œuvre dans les chaînes de production.

Pour la Présidente du CICF, la COP 28 est surtout l’opportunité pour les pays en développement de se faire entendre et de mettre en œuvre la responsabilité collective. Il s’agit de nouer des contacts afin que le secteur privé puisse bénéficier des fonds disponibles, dont souvent il n’a pas connaissance ou ne sait pas comment y accéder. L’occasion est bonne pour « faire des prospections, voir le bon créneau pour être éligible et préparer l’adaptation. Car on ne peut plus évoluer de manière classique », conclut-elle.

Également présente à la COP 28, Fatoumata Boubou Koita est la Présidente du Mouvement Mali Propre (MMP), fondé en 2018. L’organisation évolue dans les domaines de la sensibilisation et de l’éducation environnementale, la communication et l’entrepreneuriat vert.

Faisant le constat qu’au Mali l’insalubrité, avec une prédominance des déchets plastiques, est un fléau qui contribue à cette dégradation de l’environnement et menace la vie des animaux, elle ne se contente d’un rôle d’observatrice. Le mouvement prépare 3 activités et envisage des projets capables d’aider les jeunes et les entreprises afin de créer une synergie d’action avec le Sahel et le monde. Le « Green circle » est destiné à faire partager les expériences et à proposer des solutions vertes. Le MMP prévoit aussi une mobilisation éducative pour participer au renforcement de capacités, parce qu’en la manière les innovations sont permanentes et qu’il faut s’en inspirer pour les adapter à notre contexte. Le film « Gnaman », « Des ordures en or ou comment transformer les déchets en richesse », sera présenté au public. Une manière d’envisager la création d’une chaîne de valeur et de réunir les acteurs « pour faire des déchets une nouvelle alternative pour créer des emplois ».

Investissements durables

Les banques multilatérales de développement ont souscrit à une déclaration commune le 3 décembre 2023 lors de la COP 28 à Dubaï. Elles se sont engagées à renforcer leur collaboration avec leurs clients, partenaires au développement, société civile et secteur privé, afin de réduire la pauvreté et les inégalités et de faire face aux crises. Déterminées à renforcer leur « ambition climatique », les banques se disent « prêtes » à « consolider les progrès et les résultats majeurs obtenus au cours de l’année écoulée ». Ainsi, en 2022, elles ont conjointement engagé 61 milliards de dollars de financement climatique pour les économies à revenu faible et intermédiaire, soit une hausse de 18% par rapport à 2021, et près de 100 milliards de dollars dans toutes les économies où elles opèrent.

Dans les pays à revenu faible et intermédiaire, le financement de l’adaptation représente 37% de cette somme et le cofinancement climatique a atteint 46 milliards de dollars, dont 15 milliards provenant de la mobilisation de financements privés.

COP 28 : un rendez vous crucial pour la planète

La Conférence des Parties à la Convention – Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (COP 28) se tient du 30 novembre au 12 décembre 2023 à Dubaï. Pour les Nations Unies, l’action climatique ne peut plus attendre, car les températures de la planète ont atteint des niveaux records et que les phénomènes météorologiques extrêmes perturbent un peu partout la vie des populations. C’est donc « une opportunité unique de rectifier le tir », en accélérant le rythme des mesures à prendre.

La COP 28 fera le bilan des actions entreprises depuis l’Accord de Paris de 2015 et planifiera les actions à envisager. Selon les données scientifiques, pour préserver un climat vivable, la production de charbon, de pétrole et de gaz doit diminuer rapidement et la capacité mondiale d’énergies renouvelables (éolienne, solaire, hydraulique et géothermique), doit tripler d’ici 2030. Dans le même temps, le financement de l’adaptation et les investissements pour la résilience doivent augmenter.

Rencontre cruciale

La Conférence de Dubaï ne peut pas être une conférence de plus. Elle doit être un tournant où les pays se mettront d’accord sur les mesures strictes à adopter en faveur du climat, mais aussi sur la manière dont ces mesures seront mises en œuvre, et évalueront les progrès réalisés pour l’atteinte des objectifs de Paris en termes d’atténuation, d’adaptation et de financement.

À Dubaï se conclura le premier Bilan mondial, débuté à Glasgow lors de la COP 26. Le processus doit permettre aux pays de mesurer ce qui reste à faire et les inciter à des plans d’action climatique ambitieux et accélérés. Les enjeux sont la santé et le bien-être de notre planète, alerte l’ONU.

« La banquise de l’Antarctique est à son plus bas niveau. De nouveaux chiffres montrent qu’en septembre elle était inférieure de 1,5 millions de kilomètres carrés à la moyenne de la période de l’année, une superficie à peu près égale à la taille du Portugal, de l’Espagne, de la France et de l’Allemagne réunis ». Mais le monde entier  est concerné, « parce que ce qui se passe là-bas a des impacts à des milliers de kilomètres », relève le Secrétaire général de l’ONU. Plus d’un siècle d’utilisation non rationnelle des énergies et des terres a donc entraîné un réchauffement de 1,1°C par rapport aux niveaux préindustriels. Chaque augmentation du réchauffement est susceptible d’aggraver les phénomènes météorologiques extrêmes, comme la chaleur et les inondations, et entraîner des changements climatiques irréversibles.

Sommet africain sur le climat : la déclaration de Nairobi adoptée

Ouvert le lundi, le premier sommet africain sur le climat a pris fin hier mercredi. Il s’est achevé par l’adoption de la déclaration de Nairobi qui est destinée à concrétiser le potentiel du continent dans une croissance verte.         

Ce premier sommet africain sur le climat visait à mettre en valeur les ressources inexploitées pour les énergies renouvelables, afin de permettre aux pays africains de se développer économiquement tout en participant à la lutte contre le réchauffement climatique, dont ils sont une des principales victimes. Les dirigeants africains ont appelé hier mercredi la communauté internationale à les aider à faire fructifier le potentiel du continent dans la lutte contre le réchauffement climatique, via des investissements et une réforme du système financier international, en clôture d’un sommet historique

« L’Afrique possède à la fois le potentiel et l’ambition d’être un élément essentiel de la solution mondiale au changement climatique », affirment les participants dans leur déclaration finale commune, baptisée « Déclaration de Nairobi ». Ils ont ajouté qu’il faudra une nette augmentation des financements pour libérer son potentiel à une échelle susceptible de contribuer de manière significative à la décarbonations de l’économie mondiale. Lesdits participants demandent notamment pour cela une nouvelle architecture de financement adaptée aux besoins de l’Afrique y compris la restructuration et l’allégement de la dette, dont le fardeau pèse lourdement sur leurs économies.

Un total de 23 milliards de dollars d’investissements internationaux ont également été promis durant les trois jours de sommet, a déclaré le président du Kenya, William Ruto, dont 4,5 milliards de dollars (4,1 milliards d’euros) venant des Emirats arabes unis pour les énergies propres en Afrique.

Selon le président de la Commission de l’Union africaine Moussa Faki Mahamat, cette déclaration de Nairobi, adoptée à l’unanimité, servira de base à la position commune de l’Afrique dans le processus mondial sur le changement climatique jusqu’à la COP28 et au-delà.