Retrait de la CEDEAO : L’AES face à la pression internationale

Alors que la fin de l’échéance pour le retrait effectif du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CEDEAO approche à grands pas, la médiation de la dernière chance tentée par la communauté sous-régionale se prépare. En attendant son issue, l’Union africaine et les Nations unies, dans une moindre mesure, maintiennent une certaine pression sur les dirigeants de la Confédération de l’AES. 

La médiation annoncée par la CEDEAO à l’issue de son sommet du 7 juillet 2024 pour dialoguer avec les pays de l’AES, qui avaient annoncé fin janvier leur retrait de l’institution sous-régionale, n’est pas encore entrée dans sa phase active.

Désigné facilitateur, aux côtés du Président Faure Gnassingbé, par ses pairs de la CEDEAO, le Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a indiqué le 13 juillet dernier qu’il allait se rendre, sans préciser de date, chez son homologue togolais pour « définir ensemble les voies et moyens pour trouver au moins une plage de discussion » avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger.

Bassirou Diomaye Faye, qui s’exprimait lors d’une interview avec la presse nationale à l’occasion de ses 100 jours au pouvoir, ne se « fait pas d’illusions » et ira chez ses homologues de la Confédération AES « avec beaucoup d’humilité ».

« J’ai eu la chance ou la malchance de ne pas être là quand les sanctions étaient prises par la CEDEAO contre les États de l’AES.  Ces États ne me regardent pas comme quelqu’un qui était parmi ceux qui les ont sanctionnés, donc ils ont une facilité à me parler plus qu’ils ne peuvent en avoir pour les autres. C’est un atout qu’il faut mettre au service de la communauté pour faire en sorte que la réconciliation renforce l’objectif d’intégration », a souligné par ailleurs le Président sénégalais.

« Inacceptable pour l’UA »

Lors de son allocution d’ouverture du 65ème Sommet de la CEDEAO, le 7 juillet à Abuja, le Président de la Commission de l’institution ouest africaine, Omar Alieu Touray, avait mis en garde les pays de la Confédération de l’AES sur les éventuelles conséquences négatives qui pourraient découler de leur retrait du bloc sous-régional. Une sorte d’intimidation envers eux, selon certains analystes. Le Chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, avait d’ailleurs dénoncé cette démarche comme une tentative de retournement des populations contre les dirigeants de l’AES.

« Le retrait des 3 pays de la CEDEAO est inacceptable pour l’Union africaine et nous croyons en une seule CEDEAO », avait déclaré de son côté le représentant de l’Union africaine à ce sommet, Bankole Adeoye, Commissaire en charge des Affaires politiques, paix et sécurité. Ces propos ont provoqué le courroux des États de l’AES, que les ministres des Affaires étrangères ont souligné dans une déclaration commune en date du 11 juillet 2024.

« Les ministres des Affaires étrangères de la Confédération des États du Sahel désapprouvent et condamnent avec la dernière rigueur cette attitude, contraire au devoir de réserve et à l’obligation d’impartialité qui incombe à tout fonctionnaire d’une organisation intergouvernementale », ont-ils répliqué.

L’ONU pour l’unité régionale

Le 12 juillet, le Chef du Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, Représentant spécial du Secrétaire général, Leonardo Santos Simão, a également appelé à la préservation de l’unité régionale en Afrique de l’ouest, tout en s’inquiétant de la réduction de la participation des pays de l’AES aux mécanismes régionaux de coopération en matière de sécurité.

« La position de L’Union Africaine, comme celle des Nations Unies, se comprend. Ce sont des réactions tout à fait normales dans le sens où c’est l’architecture même des organismes internationaux qui est ainsi faite », estime l’analyste en stratégie internationale et ancien ambassadeur du Mali en Turquie Birahim Soumaré.

« En dehors d’un compromis avec la CEDEAO, j’ai bien peur qu’il y ait une sorte d’isolement qui s’installe au niveau des pays de l’AES par rapport aux organisations internationales, tant au niveau de l’Union Africaine que du Système des Nations Unies », craint l’ancien diplomate.

Le ton est tout autre chez le Premier ministre burkinabé. Dans une intervention, le 10 juillet lors d’une rencontre avec les Directeurs régionaux des Nations Unies, Dr. Apollinaire Joachimson Kyélem de Tambèla a déclaré que son pays (membre de l’AES) n’hésiterait pas à quitter l’Union africaine et l’ONU si elles se comportaient comme la CEDEAO.

AES – CEDEAO : l’inévitable divorce

L’adoption le 6 juillet 2024 à Niamey du traité instituant la Confédération « Alliance des États du Sahel », regroupant le Burkina Faso, le Mali et le Niger, lors du 1er sommet des Chefs d’États de l’Alliance, marque une étape décisive dans la séparation des trois pays d’avec la CEDEAO. Même si le bloc sous-régional ouest-africain s’active toujours pour leur retour au sein de la Communauté, le divorce entre les deux entités semble de plus en plus inévitable et pourrait bouleverser les dynamiques d’intégration politique et institutionnelle en Afrique de l’ouest.

C’était attendu depuis quelques mois. Le 1er sommet des Chefs d’États des pays membres de l’Alliance des États du Sahel, tenu à Niamey le 6 juillet, a consacré la naissance de la Confédération « AES » entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, après la volonté commune des trois pays, en septembre 2023, de mettre en place une architecture de défense collective.

« Les Chefs d’États ont décidé de franchir une étape supplémentaire vers une intégration plus poussée entre les pays membres. À cet effet, ils ont adopté le traité instituant une Confédération entre le Burkina Faso, la République du Mali et la République du Niger, dénommée Confédération « Alliance des États du Sahel », en abrégé Confédération AES », indique le communiqué final du sommet.

Outre la concrétisation de la Confédération, les trois chefs d’États, le Capitaine Ibrahim Traoré, le Colonel Assimi Goïta et le Général Abdourahamane Tiani, ont souligné la nécessité d’une coordination de l’action diplomatique ainsi que l’importance de parler d’une seule voix et celle de mutualiser leurs moyens en vue de mettre en place des projets structurants et intégrateurs dans des secteurs stratégiques, tels qu’entre autres l’agriculture et la sécurité alimentaire, l’énergie et les mines, la communication et les télécommunications, ainsi que l’éducation et la formation professionnelle. Ils ont par ailleurs décidé de la création d’une Banque d’investissement de l’AES et de la mise en place d’un fonds de stabilisation.

Rupture presque consommée

Alors qu’en parallèle au sommet des Chefs d’États des pays membres de l’AES le 65ème sommet ordinaire des Chefs d’États et de gouvernements de la CEDEAO, tenu le 7 juillet 2024 à Abuja, aurait pu définitivement prendre acte du retrait annoncé des pays de l’AES, les dirigeants de l’institution ouest-africaine ont décidé de poursuivre la dynamique de discussion avec les trois pays concernés en vue d’éviter leur départ du bloc sous-régional.

En reconnaissant le « manque de progrès dans les interactions avec les autorités des trois pays », la Conférence des Chefs d’États et de gouvernements de la CEDEAO a décidé d’entamer une « approche plus vigoureuse » et a désigné le Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye, en collaboration avec son homologue togolais Faure Gnassingbé, comme facilitateur de la CEDEAO dans les discussions de la Communauté avec l’AES.

Pour Bassirou Diomaye Faye, qui avait déjà rencontré les Présidents de transition Goïta et Traoré lors de sa visite au Mali et au Burkina Faso le 30 mai dernier, le retrait des pays de l’AES de la CEDEAO serait « le pire des scénarios et une grande blessure au panafricanisme que les pères fondateurs nous ont légué et que nous avons la responsabilité historique de sauvegarder et de transmettre aux générations futures ».

Mais si le Président sénégalais affiche son optimisme par rapport à un rapprochement des positions d’ici la fin du délai du « préavis » de retrait, la plupart des analystes jugent infimes les chances d’un retour des pays de l’AES au sein de la CEDEAO. D’ailleurs, pour les militaires aux commandes de la Confédération AES, comme souligné pendant les prises de paroles et consigné dans le communiqué final, le retrait de la CEDEAO est « irrévocable et sans délai ».

« Par rapport à la CEDEAO, nos Chefs d’États ont été très clairs à Niamey en indiquant que le retrait des trois pays de la CEDEAO est irrévocable et qu’à partir de cet instant nous devons cesser de regarder dans le rétroviseur », a clamé lundi à la télévision nationale le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Abdoulaye Diop.

Selon Boubacar Bocoum, analyste politique au Centre d’études stratégiques Sénè, la voie prise par les dirigeants des pays de l’AES est un chemin de non-retour, parce que, soutient-il, la CEDEAO a été arrogante envers ces trois pays et a montré son incapacité à aller vers un une intégration économique.

« Nous ne sommes pas isolés, ni sortis de l’esprit de fédéralisme et de solidarité entre les peuples prônés par les pères fondateurs de la CEDEAO. L’AES, au contraire, est l’embryon d’une nouvelle CEDEAO, propulseuse des États Unis d’Afrique », affirme-t-il.

Quelle cohabitation ?

Si les dirigeants de l’AES et de la CEDEAO sont loin d’un compromis pouvant permettre un maintien du Burkina Faso, du Mali et du Niger dans la communauté sous-régionale ouest africaine, ils sont conscients, d’un côté comme de l’autre, de la nécessité d’une cohabitation pacifique entre deux blocs partageant le même espace géographique.

« Nous restons ouverts à un travail avec nos voisins et d’autres organisations, avec lesquelles nous partageons cet espace et avec lesquelles nous sommes condamnés à vivre. Nous allons devoir maintenir les discussions avec les autres pour avancer », a déclaré le ministre Abdoulaye Diop. « Dans tous les cas, dans un processus d’intégration, il y a des gains et des pertes pour tout le monde. Mais nous devons travailler à en minimiser l’impact pour nos populations et c’est à cela que s’attèlent nos autorités », a assuré le Chef de la diplomatie malienne.

La Conférence des Chefs d’États et de gouvernements de la CEDEAO, parallèlement à la mission de facilitation assignée au Président Diomaye Faye, qui sera épaulé par le Président Faure Gnassingbé, se prépare aussi au changement de nature des relations de l’institution avec les pays membres de la Confédération AES après l’effectivité de leur retrait, en janvier 2025. Ainsi, les dirigeants ouest-africains ont demandé à la Commission d’élaborer un plan d’urgence prospectif à leur intention pour « faire face à toutes les éventualités dans les relations avec les pays de l’AES », en tenant compte des exigences de l’article 91 du Traité révisé de la CEDEAO de 1993.

Parmi les conséquences du retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CEDEAO, le Président de la Commission de la CEDEAO, Omar  Alieu Touray, avait  évoqué, lors de l’ouverture du sommet d’Abuja du 7 juillet, l’éventualité pour les ressortissants des trois pays de devoir mener des démarches en vue de l’obtention d’un visa avant de voyager dans la sous-région et la fin pour eux du bénéfice des facilités de la CEDEAO pour résider ou créer librement des entreprises dans les différents pays où ils seraient alors soumis à diverses lois nationales.

Pour l’analyste Ousmane Bamba, modérateur du « Forum du Kenoudougou », de telles mesures, si elles venaient à être prises par les pays de la CEDEAO, vont entraîner de facto le principe de réciprocité du côté des pays de la Confédération AES.

« On peut divorcer en sauvant les meubles. Nous avons intérêt à nous entendre », glisse-t-il, prenant l’exemple sur l’importance de l’espace aérien de l’AES pour les vols de la sous-région vers l’Europe, dont l’imposition d’un contournement entraînerait un véritable renchérissement des billets d’avion.

Le sociologue Bréhima Ely Dicko souligne pour sa part la nécessité d’aller vers des accords en termes de relecture du protocole de libre circulation des personnes et des biens de la CEDEAO, 84% des Maliens vivant à l’étranger étant installés dans les pays de la CEDEAO. « Si nous sortons de la CEDEAO, il faut aller vers des accords avec les pays membres pour que nos populations qui résident dans ces pays ne soient pas victimes des mesures que la CEDEAO pourrait être amenée à prendre », alerte-t-il.

CEDEAO : quelles chances pour un retour des pays de l’AES ?

Les appels du pied et les initiatives pour ramener le Burkina Faso, le Mali et le Niger dans la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se multiplient depuis un moment. Alors que les trois pays, qui ont annoncé leur départ du bloc sous-régional fin janvier, sont pleinement tournés vers la création de la Confédération de l’Alliance des États du Sahel, un retour dans la CEDEAO est-il envisageable ?

La CEDEAO est visiblement décidée à tout mettre en œuvre pour ne pas laisser s’en aller le Burkina Faso, le Mali et le Niger de la communauté sous-régionale. D’ailleurs, dès l’annonce du retrait des trois pays, le 29 janvier 2024, l’institution ouest africaine a affiché son intention de privilégier le dialogue avec les pays concernés pour parvenir à un compromis.

À l’issue de la deuxième Session extraordinaire du Parlement de la CEDEAO de l’année 2024, tenue du 20 au 25 mai dernier à Kano, au Nigéria, il a été décidé  de la création d’une Commission ad hoc de facilitation, de médiation et de réconciliation pour le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Objectif, « trouver des compromis entre les États membres désireux de quitter la CEDEAO et les instances dirigeantes de la Communauté ».

« Je ne pense pas que cette commission pourra faire des miracles parce que tant que les questions sécuritaires ne seront pas réglés, les militaires au pouvoir dans ces 3 pays n’organiseront pas les  élections. Si la CEDEAO est capable de laisser tomber toutes ses exigences, il y a peut-être une chance que ces pays reviennent », estime un analyste.

Plus tôt, le 16 mai, lors de la visite du Président Bassirou Diomaye Faye au Nigéria, le Président nigérian Bola Ahmed Tinubu, par ailleurs Président en exercice de la CEDEAO, avait invité son homologue sénégalais à « collaborer et à rencontrer les autres frères (le Mali, le Burkina Faso et le Niger) pour les persuader de revenir au bercail ». Ce dernier vient d’ailleurs d’effectuer le 30 mai une visite de travail au Mali et au Burkina Faso. A Bamako, le chef de l’Etat Sénégalais a assuré qu’il n’était pas là en tant que médiateur de la CEDEAO avant d’ajouter : « Je ne désespère pas de voir la CEDEAO repartir sur de nouvelles bases qui nous évite la situation que nous traversons aujourd’hui. Tant que nous sommes dans cet élan, je considère qu’il nous faut travailler au sein de la CEDEAO avec les différentes parties prenantes pour voir comment réconcilier les positions ». Il a également fait que ce n’était pas à l’ordre du jour pour le Sénégal de rejoindre l’AES.

Le 30 avril, réuni à Abidjan, le Conseil des sages de la CEDEAO, présidé par l’ancien Président nigérian et ancien médiateur de la CEDEAO au Mali Goodluck Jonathan, avait également exprimé des inquiétudes et invité les trois pays membres de l’AES à « reconsidérer leur position dans l’intérêt de l’unité de la Communauté ».

Un retour difficile 

Malgré la volonté affichée des dirigeants de la CEDEAO de faire revenir le Burkina Faso, le Mali et le Niger dans le bloc régional, la tâche s’annonce compliquée, d’autant plus que les trois pays semblent bien engagés dans une dynamique de non retour.

« Notre itinéraire est un chemin de non retour. Les chaînes que nous sommes en train de briser, c’est pour toujours. C’est fini, plus de CEDEAO », avait d’ailleurs martelé le Président de la transition du Burkina Faso, le Capitaine Ibrahim Traoré, le 31 janvier dans un entretien accordé au journaliste Alain Foka.

Pour Boubacar Bocoum, analyste politique et en économie de guerre au Centre d’études stratégiques Sènè, la décision de l’AES est une décision « mûrement réfléchie et responsable » et il est  hors de question de retourner dans le giron de la CEDEAO.

« Ce serait totalement illogique, parce que ce qui est reproché à la CEDEAO n’a pas changé, rien n’a évolué. Je ne vois donc pas comment les pays de l’AES décideraient aujourd’hui d’arrêter leur projet de confédération pour retourner au sein de la CEDEAO », clame-t-il.

Pour lui, par ailleurs, c’est à la CEDEAO de se reconvertir vers l’Alliance des États du Sahel et non le contraire. « Les États de la CEDEAO qui souhaiteraient une union monétaire et une cohésion des États en Afrique de l’Ouest doivent muter vers une nouvelle dynamique fédérative qui prenne en compte les intérêts des communautés », soutient M. Bocoum.

Naira, Cédi, Franc guinéen : Des fortunes diverses

Le Naira a atteint un niveau historiquement bas ce 20 février 2024. Il fallait 1 712 unités pour un dollar sur le marché officiel. Même si les autorités de la banque centrale assurent que les devises en monnaie étrangère s’améliorent, le Nigeria est confronté à une pénurie de dollars qui pousse sa monnaie locale à la baisse. De la même manière, d’autres pays d’Afrique de l’Ouest qui disposent de leur propre monnaie ont également été confrontés à une crise.

La crise d’argent liquide a coûté à l’économie nigériane un montant estimé à 20 000 milliards de nairas, en raison de la paralysie des activités commerciales, de l’étouffement de l’économie informelle et de la contraction du secteur agricole, a déclaré l’organisation pour la promotion des entreprises privées du pays. Elle a aussi estimé que la situation avait réduit le nombre de travailleurs et d’entreprises dans un pays où 63% de la population est pauvre et 33% est au chômage.

La plus grande économie du continent fait face à une inflation record, 29,9% en janvier, jamais connue depuis 1996. La population, confrontée à la hausse du prix du gaz suite à l’arrêt des subventions, manifeste son mécontentement. Le Nigeria, dépendant des importations pour satisfaire ses besoins, est vulnérable aux chocs externes.

Premier producteur africain d’or, le Ghana est également confronté à une grave crise économique. Sa monnaie, le Cedi, a perdu environ 81% de sa valeur fin 2022. Une baisse significative qui la classe au 4ème rang des 20 monnaies africaines les moins performantes, après la Sierra Leone (6èmeet le Nigeria (12ème). Selon la Banque mondiale, le pays est devenu le 8ème pays plus endetté du continent, avec une dette publique estimée à 90,7% du PIB fin 2022. Le Ghana, talonné par l’Angola au classement des monnaies les moins performantes, traverse une grave crise malgré sa richesse en matières premières. La faute à une mauvaise gouvernance et à peu de diversification, surtout pour l’Angola.

Dans ses perspectives économiques d’octobre 2023, la Banque africaine de développement note que la croissance, estimée à 4,4% en 2022, contenue d’être soutenue par la production minière et la résilience en Guinée. L’inflation a baissé à 12,2%, contre 12,6% en 2021. « Importée (elle) est partiellement compensée par l’appréciation du Franc Guinéen ». La croissance du PIB devrait atteindre 5,6% en 2024 grâce à la production minière et la disponibilité en énergie. L’inflation est prévue à la baisse à 9,9% en 2024.

Mais le faible regain d’activités dans les branches non extractives, les effets de la crise russo-ukrainienne et la faible mobilisation des ressources internes (12,6% du PIB en 2022), contre 20% dans la Zone CEDEAO, et les tensions sociopolitiques, continueront d’être des risques pour une croissance durable.

AES : Vers la création d’une monnaie commune ?

Le 15 février 2024, plusieurs ministres de l’Alliance des États du Sahel (AES) se sont réunis à Ouagadougou. Suite à la réunion des hauts fonctionnaires et en prélude à la rencontre des chefs d’État, ils ont recommandé la validation de l’architecture institutionnelle pour la nouvelle confédération. Avec pour ambition d’élargir les objectifs de l’Alliance aux domaines diplomatique et économique, les États de l’alliance souhaitent concrétiser des mesures et visent à terme une union économique et monétaire. Une monnaie commune est-elle envisageable, quel délai pour son émission, quels atouts et quels risques? Ce sont quelques-unes des questions posées à notre interlocuteur Mohamed Diarra, économiste financier au cabinet d’études et conseils Nord Sud Multiservices Consulting.

Une sortie des États de l’AES de la Zone CFA est-elle inévitable ?

Cette sortie est envisageable. Mais en ce moment la Zone AES n’est pas forcément prête à sortir de la Zone CFA. Les États peuvent sortir de la Zone CEDEAO, qui est un espace économique, et rester dans l’UEMOA, qui est une zone monétaire. Ce sont des entités différentes. Ces pays vont mettre un peu de temps et devront réfléchir, parce qu’il y a beaucoup d’instruments à mettre en place. Présentement, beaucoup d’États sont en train de se financer sur le marché monétaire des titres de l’UEMOA, ce qui est une méthode de gestion budgétaire. Il semble un peu prématuré que ces États sortent de cette zone.

Une monnaie commune à l’AES est-elle possible ?

Complètement. Il suffit que les États se mettent d’accord pour le faire, mettre en place un système de banque centrale et lui donner l’autorisation d’émettre la monnaie de l’AES. Naturellement il y a d’autres aspects techniques qui précèdent sinon a ma connaissance Il n’y aucune clause ou contrainte juridique qui leur interdit de le faire. Bien entendu il y a d’autres aspects qu’il faut voir, notamment sur plan international avec la Banque de Règlements Internationaux sis a Bale en Suisse, bien que mineur. Mais lors de la création ils devront par exemple régler leurs dettes au niveau de leur compte d’opération. À part cela, il n’y a pas de problème juridique, ils peuvent librement créer leur monnaie.

Combien de temps peut prendre la création de cette monnaie ?

L’émission d’une monnaie propre à l’AES dépend des États. Décider d’émettre une monnaie est une question de convention entre eux. Il suffit d’en prendre la décision en un jour ou deux. Il s’agit de créer le cadre conceptuel et juridique et d’émettre la monnaie. C’est une question d’accord. Mais je ne pense pas qu’ils veuillent le faire tout de suite. Parce qu’il y a un certain nombre de mesures à mettre en place, qui, a ma compréhension ne le sont pas encore, une façon de dire qu’il ne faut surtout pas se précipiter.

Quels seront les facteurs de réussite de cette monnaie ?

Les facteurs de réussite d’une monnaie résident dans la capacité de gestion de cette monnaie. C’est-à-dire le sérieux que l’on met dans sa gestion. Cela signifie d’abord la maîtrise des déficits budgétaires, de l’inflation. Il y a aussi la capacité de production c’est dire le revenu réel des Etats (PNB), le taux d’inflation, la gestion des taux
d’intérêt à court et moyen terme et le maintien d’une relation stable des taux d’intérêt. En d’autres termes le respect et la maitrise de l’évolution de certains agrégats macroéconomiques. Ceux-ci sont des aspect très importants a prendre en compte.

Les pays de l’AES peuvent-ils réunir ces conditions ?

Oui.

À quelle monnaie pourrait s’arrimer cette nouvelle monnaie ?

Si on décide de créer une monnaie, il ne faut pas penser à la faire s’arrimer à une autre (ce que l’on appelle dans le jargon Currency Bord). Parce que cela veut dire laisser sa souveraineté monétaire à une autre monnaie. L’AES peut créer sa monnaie et ne pas l’arrimer. Il y a la possibilité de production de ces États, que ce soit les matières premières ou autre chose. La viabilité d’une monnaie réside dans sa bonne gestion et la capacité de production de cette zone monétaire. Arrimer sa monnaie signifie qu’on ne peut pas bien la gérer, qu’on ne peut pas la supporter. Je préfère parler de garantie. Elle peut être l’étalon or qui garantissait d’ailleurs toutes les monnaies avant la modification a travers les accords de la Jamaïque des statuts de FMI pour prendre le dollar comme monnaie de référence. Aujourd’hui presque 80% de l’affacturage international est fait en Dollar US. La valeur de la monnaie par rapport à une autre dépend de la capacité de production du pays. Donc la capacité de production de
l’AES va déterminer la puissance de sa monnaie., pour garantir le dollar par exemple. Les monnaies d’ailleurs se donnent leur valeur sur le marché monétaire. Cela veut dire qu’elles doivent trouver un espace de fluctuation. Elle ne doit pas avoir normalement, comme ce que l’on a fait avec le franc CFA et l’euro une partite fixe qui,
au demeurent ne favorise pas trop le développement de nos économies. Cette parité fixe donne même une certaine contrainte pour ne pas dire asphyxie à l’égard de nos économies. Bien entendu il y a des défenseurs de la théorie de la parité fixe. Je peux d’ailleurs m’hasarder a dire que la valeur réelle du CFA aujourd’hui est surévaluée.

La parité fixe n’est donc pas un facteur de stabilité ?

Ce sont des facteurs que l’on peut envier. Mais, en réalité, je dirais que le franc CFA est surévalué. Une monnaie se donne de la valeur en fonction de la production du pays ou des groupes de pays qui l’émettent. Je préfère une monnaie qui n’a pas de parité fixe, qui flotte en fonction de l’offre et de la demande, plutôt que la parité factuelle que nous avons entre le franc CFA et l’euro. C’est un facteur de stabilité macroéconomique. Mais que vaut cette stabilité si les peuples qui vivent dans cette zone sont pauvres?

Quels sont les éléments déterminants d’une monnaie ?

Les déterminants d’une monnaie forte dépendent de la demande. Si beaucoup d’acteurs économiques demandent cette monnaie sur les marchés, dans un premier temps cela peut lui donner de la puissance. Il y a aussi la maîtrise de l’inflation, qui est un facteur important. Le taux directeur de la banque centrale, la croissance économique de la zone qui émet la monnaie ainsi que sa balance commerciale (ses échanges), peuvent rendre une monnaie forte.

Les problèmes de sécurité ne jouent-ils pas en défaveur des États de l’AES ?

Que ce soit pour la monnaie ou pour le commerce, le problème de sécurité est un facteur de risque, mais cela n’impacte pas du tout l’émission d’une monnaie. Il faut seulement maîtriser l’inflation et faire une bonne gestion.

L’Eco(monnaie commune de la CEDEAO) est prévu pour être lancé en 2027. Cela ne posera-t-il pas un problème, sachant que les pays qui l’adopteront seront les plus nombreux en Afrique de l’Ouest ?

Non, je ne pense pas que cela puisse poser un problème. La Gambie a sa monnaie, la Sierra Leone et la Guinée aussi. Même si l’Eco était lancé, cela ne posera aucun problème de confrontation. La réussite de la monnaie réside essentiellement dans la bonne gestion macroéconomique. Il n’y a pas de crainte vis-à-vis de la Zone Eco. Il pourra y avoir des relations monétaires pour faciliter les échanges entre les deux zones, qui sont obligées de vivre ensemble.

Quels sont les atouts de pays de l’AES ?

Ils disposent de matières premières et de pierres précieuses, d’uranium, de lithium, d’or ou encore de pétrole. Ils ont aussi un potentiel dans l’agriculture. Il leur suffit d’accroître la productivité pour assurer l’autosuffisance alimentaire à l’interne, ce qui leur permettra de réduire leurs importations de denrées alimentaires. Les pays de l’AES disposent donc d’atouts pour lancer une zone monétaire. Des atouts qui peuvent permettre de gérer leurs économies et de créer une zone de prospérité économique.

Sénégal : Après le report de la présidentielle, la tension est à son comble

Une plongée dans l’inconnu. Les députés de la coalition présidentielle et du groupe appartenant au Parti démocratique sénégalais (PDS), dont la candidature du leader, Karim Wade, a été déclaré irrecevable, ont adopté le 5 février une proposition de loi reportant l’élection présidentielle au 15 décembre prochain.

Le projet de loi décalant le scrutin a été voté à la quasi-unanimité, après l’exclusion de députés d’opposition de l’Hémicycle par la gendarmerie. Le mandat du chef d’État Macky Sall a également été prorogé jusqu’à l’investiture de son successeur. Le Président de la République, réaffirmant sa décision de ne pas se présenter à la prochaine présidentielle, avait annoncé le 3 janvier avoir abrogé le décret convoquant le corps électoral le 25 février prochain, en attendant les résultats de la commission d’enquête parlementaire visant à clarifier les conditions dans lesquelles certaines candidatures avaient été déclarées irrecevables. Le Parti démocratique sénégalais (PDS) avait demandé et obtenu la mise en place de cette commission après l’invalidation de la candidature de Karim Wade pour cause de double nationalité. Le PDS avait également émis des accusations de corruption présumée à l’encontre de certains membres du Conseil constitutionnel, chargé de l’examen des candidatures. L’opposition dénonce un « coup d’Etat institutionnel » et cette crise précipite le Sénégal dans l’incertitude car c’est la première fois que la présidentielle est reportée dans le pays. Juste après l’annonce du report, des manifestations ont été organisées, dispersées par des tirs de gaz lacrymogènes des forces de l’ordre. Une partie de l’opposition appelle à la désobéissance civile. Certains proches du Président Sall ont choisi de démissionner. D’après certains journaux, la décision du report cache un conflit entre le Premier ministre Amadou Ba, dauphin désigné du Président Sall, et des très proches de celui-ci qui ont peu confiance en ses chances de victoire. Après le vote des députés, El Hadji Mamadou Diao, candidat à l’élection présidentielle, a déposé une requête auprès du Conseil constitutionnel « aux fins de poursuite du processus électoral », a annoncé la coalition qui le soutient. La CEDEAO, très scrutée sur ce dossier, a dans un communiqué, le 6 février, « encouragé » la classe politique sénégalaise à prendre de toute urgence les mesures nécessaires pour « rétablir » le calendrier électoral conformément aux dispositions de la Constitution du Sénégal. L’organisation régionale assure qu’elle restera attentive aux évènements et prendra « toutes les mesures nécessaires pour accompagner le gouvernement et le peuple sénégalais à maintenir la tradition démocratique du Sénégal ».

Pr Abdoul Karim Diamouténé : « si le retrait est effectif, cela veut dire qu’il faut négocier un accord entre le nouveau bloc AES et l’ancienne communauté CEDEAO »

Le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont annoncé le 28 janvier dans un communiqué conjoint leur retrait de la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Quelles peuvent être les conséquences de cette décision pour notre pays? Entretien avec Pr Abdoul Karim Diamouténé, économiste.

Quel regard portez-vous sur la décision des autorités de retirer notre pays de la CEDEAO ?

C’est une décision qui m’a surpris. En tant qu’économiste on voit les avantages théoriques qu’offre la CEDEAO en ce qui concerne la libre circulation des personnes et des biens et la liberté d’entreprise. Se retirer revient à annihiler ces avantages. Systémiquement, on pouvait dire qu’il y avait des aspects que l’on pouvait gérer sans forcément se retirer. Mais comme la crise actuelle est politique, les décideurs savent pourquoi ils se sont retirés.

Quelles peuvent être les conséquences économiques d’une telle décision ?

Les avantages et inconvénients sont d’abord théoriques. C’est-à-dire que si l’on va vers une communauté, on édicte les règles pour aller vers les objectifs. Entre les règles et les objectifs consignés et les résultats réels, souvent il y a un écart. Pour preuve, la libre circulation est admise, mais quand vous avez le malheur de prendre le car, pour aller en Côte d’Ivoire ou ailleurs, vous vous rendez compte que cette liberté connaît beaucoup d’entraves. Cela est à tous les niveaux. L’effectivité des acquis est un autre aspect. L’un des éléments fondamentaux, c’est l’intensification des échanges. Mais lorsque l’on prend les statistiques du commerce extérieur, on se rend compte que les pays de l’espace échangent peu, environ 15%. Ce qui n’est pas normal. Les pays pris individuellement échangent plus avec l’extérieur. Les avantages théoriques ne sont donc pas effectifs. L’autre élément concerne la liberté de mouvement et d’entreprendre, qui est perdue, mais là il faut s’interroger sur où on en était réellement. Dans les différents pays, les gens se réclament de telle ou telle nationalité mais ont les documents du pays d’accueil, ce qui pourrait amoindrir les impacts sur la liberté de mouvement.

Le processus de retrait dure une année. Quelles peuvent être les perspectives ?

Si le retrait est effectif, cela veut dire qu’il faut négocier un accord entre le nouveau bloc AES et l’ancienne communauté CEDEAO. Si on trouve de meilleurs arrangements, qui dépendent des rapports de force et des opportunités, on pourra  déterminer les avantages et les inconvénients. Tout dépendra des nouveaux accords. Le bloc peut aussi signer des accords en dehors de la CEDEAO. Par exemple avec  la Mauritanie, qui n’est plus de la CEDEAO et a un débouché sur la mer. Or, l’une des contraintes majeures de l’AES est l’accès à la mer. Donc il peut y avoir des accords préférentiels Mauritanie et AES.

Peut-on envisager un retour de ces pays ?

En matière de développement, tout dépend des intérêts et résultats attendus. L’AES agit de la sorte parce qu’elle estime que ses intérêts sont piétinés dans le cadre actuel. La CEDEAO voudrait une négociation afin que ses pays ne sortent pas. Mais la question est qu’est ce qu’elle peut proposer en retour pour compenser les gains de la position actuelle. À mon avis, il est difficile de trouver un terrain d’entente actuellement, étant donné les divergences, qui sont plus politiques et géostratégiques. Cette rupture n’est qu’une conséquence politique et géostratégique. Difficile que ces pays reviennent tant que la CEDEAO ne sera pas réformée afin que les objectifs que les pays de l’AES recherchent sur le plan sécuritaire et politique soient garantis. La CEDEAO dans sa forme actuelle constitue un obstacle majeur au développement de nos pays. La liberté de circuler est consignée, mais dans la pratique elle rencontre des problèmes. Un autre élément est l’Union économique et monétaire. Dans le cadre de la gestion d’une économie, la monnaie est un élément indispensable de gestion des différents chocs. Or, tout le problème d’aller vers l’Union monétaire au sein de l’espace CEDEAO bute sur des problèmes d’ordre politiques. Théoriquement, la CEDEAO devait aller vers une monnaie commune depuis 2015. Mais cela a été repoussé à 2020 et l’on a observé les débats théoriques et toutes les interférences en dehors de l’espace dans le cadre de l’Éco pour défendre d’autres intérêts que ceux de la CEDEAO.

CEDEAO : réduite à 12 pays, l’organisation face à un tournant

Ils avaient déjà donné l’alerte lorsque la CEDEAO menaçait d’intervention militaire le Niger suite au coup d’État du 26 juillet 2023. Ils sont désormais passés à l’acte. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger, réunis depuis le 16 septembre 2023 au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), ont définitivement claqué la porte de la CEDEAO le 28 janvier 2024, laissant l’organisation sous-régionale, désormais réduite à 12 pays, face à une crise sans précédent.

« Leurs Excellences le Capitaine Ibrahim Traoré, le Colonel Assimi Goita et le Général de brigade Abdourahamane Tiani, respectivement Chefs d’État du Burkina Faso, de la République du Mali et de la République du Niger, prenant toutes leurs responsabilités devant l’histoire et répondant aux attentes, préoccupations et aspirations de leurs populations, décident en toute souveraineté du retrait sans délai du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest », indique le communiqué conjoint lu à la télévision publique des trois pays.

« Après 49 ans, les vaillants peuples du Burkina Faso, du Mali et du Niger constatent avec beaucoup de regret, d’amertume et une grande déception que leur organisation s’est éloignée des idéaux de ses pères fondateurs et du panafricanisme », se désolent les autorités de transition des trois pays, selon lesquelles « la CEDEAO, sous influence de puissances étrangères, trahissant ses principes fondateurs, est devenue une menace pour ses États membres et ses populations, dont elle est censée assurer le bonheur ».

Les trois pays reprochent également à la CEDEAO une non-assistance dans la lutte contre le terrorisme et l’insécurité, ainsi qu’une imposition de sanctions, jugées illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables, en violation des propres textes de l’organisation, « toutes choses qui ont davantage fragilisé les populations déjà meurtries par des années de violence imposées par des hordes terroristes instrumentalisées et téléguidées ».

Un retrait « sans délai » remis en cause

Selon l’article 91 du traité révisé de la  CEDEAO, « tout État membre désireux de se retirer de la Communauté notifie par écrit, dans un délai d’un (1) ans, sa décision au Secrétaire exécutif, qui en informe les États membres. À l’expiration de ce délai, si sa notification n’est pas retirée, cet État cesse d’être membre de la Communauté ». « Autour de la période d’un (1) an visée au paragraphe précédent, cet État membre continue de se conformer aux dispositions du présent traité et reste tenu de s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu du présent traité », précise l’alinéa 2 du même article.

Après l’annonce du retrait des pays de l’AES de la CEDEAO, la Commission de l’organisation sous-régionale, qui s’est dite « déterminée à trouver une solution négociée à l’impasse politique », a indiqué dans la foulée dans un communiqué n’avoir pas encore reçu de notification formelle directe des trois États membres  concernant leur intention de se retirer de la communauté. Mais  les  trois pays n’ont pas tardé à notifier formellement leur décision.

« Par communiqué conjoint en date du 28 janvier 2024, le Burkina Faso, la République du Mali et la République du Niger informent de leur décision de se retirer conjointement et sans délai de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). À cet égard, la présente communication vaut notification formelle de cette décision à la Commission de la Cedeao, Autorité dépositaire et pour l’information des États membres de la Cedeao, de l’Union africaine, de l’Organisation des Nations Unies et de toutes les organisations pertinentes », souligne un courrier du ministère des Affaires étrangères et de la coopération internationale du Mali daté du 29 janvier 2024 et adressé à la Commission de la CEDEAO. Selon des sources officielles au Burkina Faso et au Niger, les deux pays ont également  envoyé lundi leurs notifications formelles de retrait à la CEDEAO.

Pour l’analyste politique Dr. Amidou Tidiani, cette demande de retrait avec effet immédiat des trois pays aura du mal à se concrétiser et ne devrait être effective qu’après les 12 mois prévus dans les textes de la CEDEAO. « La sortie d’une organisation internationale avec effet immédiat n’existe pas en droit international », tranche-t-il.

« Fuite en avant » ?

Du point de vue du M. Tidiani, d’ailleurs, l’insistance sur la sortie sans délai est une manière pour ces différents régimes d’échapper à de nouvelles éventuelles sanctions de la CEDEAO suite au non-respect du chronogramme établi pour un retour à l’ordre constitutionnel au Mali et au Burkina Faso.

« Le seul moyen pour ces régimes d’opposer une fin de non-recevoir à la CEDEAO et de contester la légitimité de l’organisation à prendre toute sanction à leurs encontre, c’est de sortir de la CEDEAO », affirme-t-il.

« Le chronogramme du Mali prévoyait l’organisation d’élections en février et le Mali, bien évidemment, n’organisera pas ces élections en février. On s’attendait donc à ce que la CEDEAO fasse preuve de menaces particulières concernant le Mali dans les semaines à venir. C’est donc par anticipation à cette mesure que les communiqués sont tombés en prenant soin d’insister sur le fait que le retrait soit avec effet immédiat », poursuit l’enseignant-chercheur à l’Université Paris-13.

Liberté de circulation entravée ?

Pour plusieurs observateurs, ce retrait annoncé du Burkina, du Mali et du Niger de la Cedeao ne sera pas sans conséquences pour les trois pays, mais également pour l’organisation sous-régionale elle-même. En ce qui concerne les trois pays, si cette décision pourrait avoir des conséquences diverses, c’est surtout son impact sur la libre circulation des ressortissants et de leurs biens dans l’espace CEDEAO que craignent certains analystes.

« Le premier point à mettre en relief est celui de la libre circulation. Le grand acquis de la CEDEAO, depuis sa création, a vraiment été de permettre les déplacements sans autorisation ou nécessité de visa entre les pays membres. Le retrait du Burkina, du Mali et du Niger va entraver cette libre circulation des populations », pense Niagalé Bagayoko, Présidente de l’African Security Sector Network (ASSN).

Amidou Tidiani soutient que ce retrait implique que les avantages accordés aux ressortissants de ces États soient tout simplement levés. Toutefois, admet l’universitaire, « les trois États vont essayer de développer des relations bilatérales pour obtenir individuellement avec les autres États des conditions favorables de circulation et d’échanges économiques avec leurs voisins, indépendamment du cadre de la CEDEAO. Ce que ces pays perdront via la CEDEAO, ils essayeront de le récupérer à travers des accords bilatéraux ».

« Les États ont existé avant d’être ensemble dans les organisations. Il s’agit maintenant d’activer les conventions bilatérales que nous avons avec les pays de la CEDEAO pour baliser le rapport », appuie pour sa part l’analyste politique Ousmane Bamba, pour lequel, par ailleurs, le fait que le Mali soit sorti de la CEDEAO n’impactera pas la libre circulation des ses ressortissants à l’intérieur de cet espace, parce que « dans les relations internationales, les relations bilatérales ont précédé les multilatérales ».

L’exemple mauritanien

La CEDEAO a connu un précédent en matière de retrait, celui de la Mauritanie en 2000. Pays charnière entre le Maghreb et l’Afrique de l’ouest, la République islamique avait motivé son retrait par sa volonté de se concentrer sur l’Union du Maghreb Arabe (UMA) pour des raisons culturelles. 17 ans après, la Mauritanie a signé en mai 2017 un accord avec la CEDEAO portant sur quatre points, dont la libre circulation des personnes et des biens, l’application d’un tarif extérieur commun et la lutte contre le terrorisme. Le pays cherche depuis de nombreuses années à réintégrer le bloc régional. En 2017 toujours, à l’occasion d’un sommet à Monrovia, les Chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO avaient émis une fin de non-recevoir à la demande de la Mauritanie de revenir au sein de la communauté.

CEDEAO : le Mali, le Niger et le Burkina Faso annoncent leur retrait

Par un communiqué conjoint daté du 28 janvier, le Mali, le Niger et le Burkina Faso annoncent le « retrait sans délai » de leurs pays de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest. Après l’annonce de retrait, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est déclarée prête dimanche dans un communiqué à trouver « une solution négociée ». Ces trois pays sont « des membres importants de la Communauté » qui « reste engagée à trouver une solution négociée à l’impasse politique » créée par l’annonce de leur retrait dimanche dans un communiqué commun. La CEDEAO dit attendre encore « la notification formelle et directe » de cette décision. Les trois pays reprochent à la CEDEAO un éloignement des idéaux des pères fondateurs et du panafricanisme, une influence de puissances étrangères, une menace pour ses États membres et non-assistance dans la lutte contre le terrorisme et l’insécurité ainsi qu’une imposition de sanctions jugées « illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables en violation de ses propres textes ». En septembre 2023, Mali, Burkina Faso et Niger ont formé une Alliance des États du Sahel (AES) placée sous le signe de la souveraineté et du panafricanisme. Cette décision de retrait pourrait produire des effets considérables, par exemple pour la circulation des biens et des personnes, pour les trois pays concernés, dépourvus d’accès à la mer, et pour la région. Elle suppose des implications sur les exemptions de visa et les exonérations de taxe, avec des retombées sur les prix.

Yaya Sangaré : « Organiser la présidentielle est un impératif »

Alors que les autorités n’ont toujours pas annoncé de nouvelle date pour la présidentielle, les partis politiques s’impatientent. Yaya Sangaré, Secrétaire général de l’ADEMA, répond à nos questions.

De récentes déclarations des autorités de la Transition, notamment le Premier ministre et le ministre de la Refondation, font planer le doute sur la tenue de la présidentielle en 2024. Cela vous inquiète-t-il ?

L’engagement pris par les autorités de la Transition pour fixer la date au 24 février  est souverain. Un engagement pris non seulement en accord avec les acteurs politiques, mais également avec la CEDEAO et la communauté internationale. Un moment donné, pour des raisons techniques avancées par le ministre en charge, un léger report est intervenu. Ces déclarations nouvelles, qui pourrissent l’atmosphère, doivent être analysées avec beaucoup de lucidité. Il faut comprendre que l’organisation de la présidentielle est un impératif pour deux raisons. La première est que les autorités se sont engagées à un retour à l’ordre constitutionnel qui n’est possible que si nous organisons des élections. Cela nous permettra de renouer avec le reste du monde et de freiner les conséquences d’un isolement diplomatique qu’on ne veut pas nommer. Le deuxième impératif est l’engagement. La parole donnée doit être respectée. Si l’on ne devait pas aller aux élections en 2024, cela devrait faire l’objet d’un consensus avec la classe politique et les autres acteurs impliqués. Le gouvernement fixe les dates, mais les élections concernent d’abord la classe politique et ceux qui veulent être candidats. Il ne s’agit pas de nous imposer quoi que ce soit, il s’agit de respecter la parole donnée, de respecter le pays en tant qu’État souverain et de s’engager pour un retour à l’ordre constitutionnel.

Les autorités ont-elles compris cet impératif ? 

Lorsque l’on suit certaines déclarations et que l’on analyse le fait qu’aucun cadre n’est mis en place, nous n’avons aucun élément d’appréciation sur la bonne volonté des autorités d’aller aux élections. Lorsque nous entendons des soutiens de la Transition assurer que les élections ne sont pas une priorité, nous avons peur. Nous nous disons que les uns et les autres reviendront à la raison pour comprendre que la meilleure chance que nous puissions donner au Mali est de faire en sorte que cette transition réussisse. Pour cela, il faut écouter les Maliens, de croire à leur maturité. Penser que le Président qui sera élu ne sera pas aussi patriote est une insulte aux Maliens.

Le SADI est actuellement assigné en justice pour dissolution. Est-ce un message envoyé aux formations politiques ?

C’est au niveau de la justice, difficile donc de se prononcer. Ce n’est pas un bon message, ni pour la liberté d’expression, ni pour les partis politiques. Nous nous sommes battus pour le pluralisme, nous nous sommes battus pour la démocratie, nous devons faire en sorte qu’aux questions politiques il y ait des réponses politiques. Nous ne pouvons accepter que des situations au sein des partis soient judiciarisées. Cela restreint les libertés et crée une épée de Damoclès. Ce n’est pas bon pour un pays qui traverse aujourd’hui une telle crise.

2024 : une transition à durée indéfinie

Déjà reportée à deux reprises, l’élection présidentielle qui marquera le retour à l’ordre constitutionnel au Mali devrait se tenir en 2024. Initialement prévue pour février, en accord avec la CEDEAO, elle a été repoussée sine die en septembre dernier, sans l’approbation de l’institution sous-régionale. Même si cette dernière semble dans une nouvelle posture conciliante, ses relations avec le Mali pourraient à nouveau se tendre dans les mois à venir. Les partis politiques, dans l’incertitude, doivent se préparer pour une élection dont les dates ne sont pas encore connues.

« Les dates de l’élection présidentielle initialement prévues pour le dimanche 4 février 2024 (premier tour) et le dimanche 18 février 2024 (second tour) éventuellement, connaîtront un léger report, pour des raisons techniques (…) Le Gouvernement de la Transition précise que les nouvelles dates de l’élection présidentielle feront l’objet de communiqué ultérieurement, après échange avec l’Autorité indépendante de Gestion des Élections (AIGE) », annonçait le 25 septembre 2023 le ministre d’État de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Porte-parole du gouvernement, Colonel Abdoulaye Maiga. Trois mois après, les autorités de la Transition n’ont toujours pas communiqué de nouvelles dates pour cette élection très attendue.

S’accorder avec la Cedeao

Alors qu’elle était attendue lors du sommet du 10 décembre dernier pour se prononcer enfin sur le report de la présidentielle au Mali, la Cedeao s’est contentée d’une réaction a minima, déplorant les « décisions prises unilatéralement en ce qui concerne la mise en œuvre du programme de transition qui avait été convenu avec la Cedeao ». L’organisation sous-régionale, après avoir levé l’interdiction de voyage qui pesait sur certaines hautes autorités maliennes, a aussi décidé d’engager une Troïka présidentielle, composée des Présidents du Nigéria, du Bénin et de la Guinée Bissau, à entreprendre d’urgence des visites au Burkina Faso, en Guinée et au Mali, en vue de renouer le dialogue avec ces trois pays pour la mise en œuvre inclusive du programme de transition.

« Cette réaction de la Cedeao signifie qu’elle a pris acte du report de la présidentielle au Mali et qu’elle va s’employer à trouver avec les autorités maliennes de nouvelles dates, qui tiennent dans un délai raisonnable », estime un analyste. « Je pense que le fait de lever l’interdiction de voyage, de décider de renouer le dialogue avec les autorités de la Transition et aussi que le Représentant permanent et Ambassadeur du Mali auprès de la Cedeao ait été reçu dans la foulée par le Président de la Commission de l’institution sont autant de signes annonciateurs d’une certaine décrispation à venir dans les relations », poursuit-il.

Pour un expert politique qui a requis l’anonymat, le seul point d’achoppement entre les deux parties pourrait être la durée d’une nouvelle prolongation de la transition. « Les autorités maliennes ont annoncé un léger report. Mais, si au cours des échanges avec la Cedeao elles proposent de nouvelles dates au-delà de 2024, par exemple, évidemment que la Cedeao ne l’acceptera pas. Elle pourrait alors brandir de nouvelles sanctions contre le Mali ». Selon certains observateurs, il n’est pas exclu que le léger report de la présidentielle soit au delà de 2024. « Les autorités pensent aujourd’hui être dans une position de force vis-à-vis de la Cedeao et de la classe politique ».

Les partis politiques dans l’expectative

Si des signes avant-coureurs sont là, des partis politiques se projettent déjà vers la présidentielle. À l’annonce du report, en septembre dernier, plusieurs formations se sont opposées et exigé la tenue de la présidentielle aux dates initiales den février 2024. Mais, à défaut de pouvoir faire revenir les autorités de Transition sur leur décision, elles se préparent pour une échéance éventuelle avant la fin de l’année 2024.

À en croire Sékou Niamé Bathily, Secrétaire à l’Information et Porte-parole du RPM tendance Bocary Treta, la préparation de la prochaine élection présidentielle a débuté dans l’ancien parti présidentiel depuis la tenue du Congrès extraordinaire, en août dernier, en démarchant dans un premier temps certaines formations de la classe politique et de la société civile. « Nous avons ensuite mis en place des commissions de travail et créé des structures pour une meilleure participation à ces élections, à commencer par une commission qui a travaillé sur la carte politique, que nous avons adaptée à l’organisation interne du parti. Nous avons créé de nouvelles sections et fédérations régionales, conformément au nouveau découpage territorial à base duquel devraient se tenir les prochaines élections dans notre pays ».

Comme le RPM, l’Adema est aussi déjà tournée vers la préparation de la présidentielle à venir. Selon Yaya Sangaré, Secrétaire général du parti, il essaye d’avoir une force politique nouvelle, de tirer les enseignements de tout ce qui a été fait ces dernières années et, en raison du contexte nouveau, d’analyser la situation pour proposer une nouvelle offre aux Maliens.

« Des actions sont déjà engagées. Nous sommes en train de renouveler nos structures à la base. Nous sommes aussi engagés depuis quelques mois à mettre en place une force politique électorale avec d’autres formations, mouvements et associations politiques », confie-t-il, assurant que l’Adema aura son propre candidat, comme recommandé lors du dernier Congrès, et que le parti travaillera à ce que ce candidat bénéficie de l’accompagnement des autres partis qui vont se retrouver dans son projet de société.

Au RPDM de Cheick Modibo Diarra, on se dit également « prêt à aller à la conquête du pouvoir à tout moment », tout comme au parti Yelema, qui va d’ores et déjà désigner son candidat au prochain scrutin présidentiel à l’issue de son 4ème Congrès ordinaire, le 23 décembre 2023.

Préparation impactée ?

Si les partis politiques sont tournés vers la préparation du prochain scrutin présidentiel, cette préparation reste particulière, étant donné que les nouvelles dates de l’élection ne sont pas encore connues. « La préparation est un peu impactée parce que nous ne connaissons pas les dates de l’élection. Dans un premier temps, notre programme de société, nous l’avons calé sur une période donnée, en nous basant sur les engagements des autorités de la Transition. Maintenant que ce délai a été repoussé, bien sûr que cela nous perturbe un peu », avoue Sékou Niamé Bathily, même si, pour lui, cette situation ne constitue pas un handicap. « Cela ne met pas un frein à ce que nous sommes en train de faire. Nous continuons à nous préparer pour être prêts lorsque le collège électoral sera convoqué », assure-t-il.

« C’est à la fois un handicap et une opportunité. Mais nous pensons qu’il est bon qu’on indique une date pour que nous puissions bien nous préparer, parce qu’une élection demande beaucoup de ressources. On ne peut pas se lancer dans une campagne indéfinie », estime pour sa part Yaya Sangaré.

Tenir l’échéance 2024

Même si la classe politique a invité le gouvernement de transition à ouvrir le dialogue en vue de trouver de nouvelles dates consensuelles pour la tenue de la prochaine élection présidentielle, elle n’a jusqu’à là pas encore été sollicitée par les autorités dans ce sens. Mais, pour la plupart des partis politiques, la tenue de l’élection ne devrait pas aller au-delà de l’année 2024.

« Nous devons tout faire pour que les élections puissent se tenir avant la fin de l’année 2024. Un léger report ne devrait pas dépasser 3 à 6 mois. Les autorités doivent mobiliser toutes les ressources, créer un cadre favorable de dialogue et régler tous les problèmes techniques pour que nous allions à cette élection pour mettre fin à la Transition », préconise le Secrétaire général de l’Adema.

C’est ce qu’estime également le RPM, pour lequel le léger report ne devrait pas dépasser 6 mois au plus. « Pour nous, cette élection peut et doit se tenir en 2024. Nous croyons en la bonne foi des autorités pour aller vers une sortie de transition honorable pour tous », appuie pour sa part Sékou Niamé Bathily. Aujourd’hui, l’interrogation porte sur les actions politiques qui seront menées si la Transition se prolonge pour une durée indéfinie. Mais nul doute que la pression pourrait être forte sur les autorités, aussi bien de la part de la Cedeao, des PTF, de la classe politique et des acteurs de la société civile.

Alliance des États du Sahel : la pleine opérationnalisation en marche

Instituée le 16 septembre dernier par la signature de la Charte du Liptako-Gourma entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, dans l’objectif d’établir une architecture de défense collective et d’assistance mutuelle aux parties contractantes, l’Alliance des États du Sahel (AES) vient d’amorcer à Bamako sa pleine opérationnalisation.

Un peu plus de deux mois après sa création, l’opérationnalisation de l’Alliance des États du Sahel est en marche, conformément aux dispositions de la Charte du Liptako – Gourma qui prévoyait à son article 15 qu’elle serait « complétée par des textes additionnels, en vue de la mise en œuvre des dispositions prévues à l’article 3 », qui lui-même stipulait que « les Parties contractantes mettront en place ultérieurement les organes nécessaires au fonctionnement et mécanismes subséquents de l’Alliance et définiront les modalités de son fonctionnement ».

Aller vite et bien. Tel semble être le mot d’ordre des plus hautes autorités du Burkina Faso, du Mali et du Niger dans la mise en place de cette nouvelle Alliance, dont la phase de concrétisation est enclenchée depuis le 23 novembre 2023, avec des concertations ministérielles à Bamako.

Accélérer l’intégration économique

Une première réunion ministérielle de l’Alliance des États du Sahel sur le développement économique dans l’espace du Liptako-Gourma s’est tenue le 25 novembre 2023 dans la capitale malienne, réunissant les ministres chargés de l’Économie et des Finances, de l’Énergie, du Commerce et des Industries des pays membres. Cette réunion ministérielle sur les questions de développement économique visait à créer une synergie d’actions pour l’accélération du processus d’intégration économique et financière de l’Alliance.

Précédée de la rencontre des experts, les 23 et 24 novembre, qui ont échangé sur différentes thématiques telles que les échanges commerciaux, la circulation des personnes et des biens au sein de l’AES, la sécurité alimentaire et énergétique, la transformation industrielle, les potentialités et perspectives, le financement,  l’intégration économique, l’arsenal réglementaire et les réformes nécessaires, elle a accouché de plusieurs recommandations.

Celles-ci portent sur l’accélération de la mise en place de l’architecture juridico-institutionnelle et des mécanismes de financement des instances de l’AES, l’amélioration de la libre-circulation des personnes dans l’AES et le renforcement de la fluidité et de la sécurité des corridors d’approvisionnement, en luttant notamment contre les pratiques anormales et les tracasseries dans l’espace AES.

Les ministres ont aussi opté pour l’accélération de la mise en œuvre de projets et programmes énergétiques, agricoles, hydrauliques, de réseaux de transport routier, aérien, ferroviaire et fluvial dans les États de l’AES, la création d’une compagnie aérienne commune, le développement des aménagements hydro-agricoles d’intérêt commun, pour booster la production agricole, la construction et le renforcement des projets d’infrastructures et la mise en place d’un dispositif de sécurité alimentaire  commun aux trois États de l’AES à travers des organes dédiés.

Ils ont en outre recommandé la réalisation d’infrastructures adaptées pour le développement du cheptel et la mise en place d’abattoirs modernes pour l’exportation de la viande et des produits dérivés de l’espace AES, le développement des stocks de sécurité pour améliorer les capacités de stockage en hydrocarbures, la mise en place d’un fonds pour le financement de la recherche et des projets d’investissements énergétiques et en matière de substances énergétiques, notamment à partir de l’exploitation des ressources minières.

Parmi les autres recommandations figurent la réalisation des projets de centrales nucléaires civiles à vocation régionale, l’élaboration d’une stratégie commune d’industrialisation des pays de l’Alliance, la promotion du financement d’infrastructures communautaires par la diaspora, la mise en place d’un Comité d’experts pour approfondir les réflexions sur les questions de l’Union économique et monétaire, la promotion de la diversification des partenariats et la création d’un fonds de stabilisation et d’une banque d’investissement de l’AES.

Les ministres de l’Économie et des Finances des pays membres ont également décidé de la mise en place d’un Comité de suivi de la mise en œuvre de toutes les recommandations issues de leur réunion. « Il y a de bonnes idées, comme le G5 Sahel. Maintenant, il s’agit de les matérialiser. C’est cette matérialisation qui pose beaucoup de problèmes. Il ne s’agit pas de se réunir ou de seulement planifier », estime Hamidou Doumbia, porte-parole du parti Yelema.

Une architecture institutionnelle en gestation

En prélude à la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’Alliance des États du Sahel qui s’est tenue le jeudi 30 novembre, toujours à Bamako, les experts des trois pays se sont réunis les 27 et 28 novembre et se sont penchés sur des propositions pour une structure institutionnelle de l’Alliance, avec les différents organes à mettre en place et l’articulation entre ces organes, à travers des mécanismes de fonctionnement et d’articulation clairement établis.

Ils ont en outre eu pour tâche de compléter la Charte du Liptako-Gourma, texte constitutif de l’AES, pour intégrer aux aspects de défense et de sécurité la dimension diplomatique et les questions relatives au développement économique de l’espace commun aux trois États. « Nous vous chargeons de nous proposer les bases pour faire de l’AES cette Alliance que nos populations attendent, cette Alliance qui leur fera sentir et vivre des conditions améliorées, en œuvrant à la paix et la stabilité ainsi qu’au développement harmonieux de nos États », a dit le Chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, à l’ouverture des travaux.

« Nous attendons de vous des recommandations pour que le Burkina, le Mali et le Niger, liés par une histoire, une culture et des valeurs communes, mais surtout liés par une relation stratégique particulière, puissent parler d’une seule et même voix partout où cela sera nécessaire », a-t-il ajouté.

Les travaux des experts étaient organisés en différents sous-comités, dont « Diplomatie et questions institutionnelles », « Défense et Sécurité » et « Questions de développement économique ». Selon une source au ministère des Affaires étrangères du Mali, leurs recommandations, qui n’ont pas fait l’objet de communication, seront soumises à l’examen des ministres des Affaires étrangères lors de la réunion de ce jeudi, avant d’être rendues publiques à la fin de la session ministérielle.

Bras de fer en vue avec la CEDEAO ?

Le processus d’opérationnalisation de l’AES est enclenché à quelques jours de la tenue du prochain sommet ordinaire de la CEDEAO, avec laquelle sont en froid les 3 pays membres de l’Alliance. D’ailleurs, l’AES, née dans un contexte où l’institution sous-régionale ouest africaine brandissait la menace d’une intervention militaire au Niger pour réinstaller le Président déchu Mohamed Bazoum, s’apparente pour certains observateurs à une organisation « rivale » de celle-ci.

« L’alliance des États du Sahel est en train de prendre une autre forme, qui peut peut-être sembler être une substitution à la CEDEAO ou une alliance qui accepte ceux qui ne sont pas forcément en ligne droite avec les principes démocratiques. Cela me semble très circonstanciel », glisse le politologue Cheik Oumar Doumbia.

Selon nos informations, au cours du sommet de la CEDEAO prévue le 10 décembre prochain à Abuja, au Nigéria, les Chefs d’États vont à nouveau se pencher sur la situation dans les pays en transition et exiger le retour à l’ordre constitutionnel dans les délais convenus. Les sanctions contre le Niger pourraient être maintenues et le Mali pourrait en subir de nouvelles, suite au report sine die en septembre dernier de l’élection présidentielle, initialement prévue pour février 2024.

Mais, selon certains observateurs, l’opérationnalisation enclenchée de l’AES pourrait contribuer à freiner les ardeurs des Chefs d’États de la CEDEAO dans la prise de sanctions contre les trois pays de l’Alliance, qui pourraient alors claquer la porte de l’organisation sous-régionale.

« Un éventuel éloignement de l’Alliance des États du Sahel pourrait remettre en question la cohésion et la solidarité au sein de la CEDEAO. Ces trois pays sont géographiquement situés en plein cœur de la région et leur intégration est essentielle pour la mise en œuvre des projets régionaux, tels que les infrastructures de transport et le commerce transfrontalier. Leur départ pourrait donc ralentir ou compromettre ces projets », avertit un analyste.

Dr. Ibrahima Sangho : « le report de la présidentielle est inacceptable »

Dr Ibrahima Sangho, chef de la Mission d’observation des élections au Mali (MODELE- Mali) répond à nos 3 questions sur le report de la présidentielle.

Quel est votre regard sur le report de la présidentielle ?

Ce léger report n’est pas acceptable. Les autorités de la transition ont pris date avec les Maliennes et les Maliens pour 18 mois de transition et entre temps, avant la fin de ce délai, il y a eu les Assises nationales de la refondation, où il a été décidé de prolonger la transition pour 24 mois. À la fin de ces 24 mois on prolonge encore. Ce n’est pas acceptable.

Que pensez-vous des raisons invoquées par le gouvernement ?

Nous ne sommes pas d’accord avec ces raisons. Sur le plan technique, nous pensons qu’elles ne sont pas suffisantes. Il est toujours possible de tenir l’élection présidentielle en février 2024. Entre autres raisons invoquées, il y a le fait de vouloir conformer la loi électorale à la nouvelle Constitution. Pour nous, cela est tout à fait tenable. En octobre il y a la rentrée parlementaire au niveau du CNT. La loi électorale peut être revue à ce moment et il est possible de convoquer le collège électoral en novembre.

Doit-on craindre de nouvelles sanctions de la CEDEAO ?

Si jamais on s’amuse à prolonger la transition, ce sera un nouvel embargo et cette fois-ci il sera total de la part de la CEDEAO. Les Maliens doivent se préparer à cela. Il faut plutôt que l’on incite les autorités à tenir leurs engagements.

Alliance des États du Sahel : une coalition qui rebat les cartes dans la région

Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont signé le 16 septembre 2023 à Bamako la Charte du Liptako-Gourma instituant l’Alliance des États du Sahel (AES), dans le but d’établir une « architecture de défense collective et d’assistance mutuelle ». Cette nouvelle alliance ouvre également la voie à une plus large coopération sur le plan sécuritaire entre les trois pays et s’apparente à une coalition contre la Cedeao.

Cette Charte, composée de 17 articles et par laquelle le Mali, le Burkina Faso et le Niger « s’engagent à lutter contre le terrorisme sous toutes ses formes et la criminalité en bande organisée dans l’espace commun de l’Alliance », est entrée en vigueur dès sa signature par les parties contractantes.

Pour Dr. Alpha Alhadi Koïna, géopolitologue et expert des groupes extrémistes au Sahel, la création de l’Alliance des États du Sahel est « tout à fait normale ». « Ce sont les 3 pays qui sont les plus touchés par le terrorisme. Avec le retrait du Mali du G5 Sahel, le fonctionnement normal de l’organisation n’était plus possible, parce que le Mali assurait la continuité territoriale ».

Intervention Burkina-Niger au Mali ?

« Les parties contractantes œuvreront en outre à la prévention, à la gestion et au règlement de toute rébellion armée ou autre menace portant atteinte à l’intégrité du territoire et à la souveraineté de chacun des pays membres de l’Alliance, en privilégiant les voies pacifiques et diplomatiques et, en cas de nécessité, à user de la force pour faire face aux situations de rupture de la paix et de la stabilité », stipule l’article 5 de la Charte.

Dans un contexte où les affrontements ont repris entre l’armée malienne et les ex-rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), certains analystes soutiennent que cet article permettrait aux soldats burkinabé et nigériens de combattre aux cotés des FAMa dans le nord du pays.

« Logiquement, les autres pays de l’Alliance devraient nous appuyer dans la guerre contre les groupes armés irrédentistes du nord. Si cela ne se fait pas, cela veut dire qu’on n’a pas appliqués comme il faut les accords de la nouvelle alliance », estime le journaliste et analyste politique, Alexis Kalambry.

« Si les pays sont signataires, cela veut dire qu’ils souscrivent au contenu de ce document et il ne devrait pas y avoir de problème dans l’application. Rien ne les retient (Burkina Faso et Niger, Ndlr) à venir combattre aux côtés des forces maliennes », glisse pour sa part une autre source.

Mais, pour le Dr. Koïna, même si l’article 5 de la Charte du Liptako-Gourma permet au Burkina Faso et au Niger de prêter main forte au Mali en cas de besoin, un éventuel déploiement de ces forces n’est pas encore à l’ordre du jour. « Je pense qu’aujourd’hui on n’en est pas encore là. Les deux pays amis sont aussi occupés à lutter contre les groupes extrémistes chez euc. Il est donc fort probable que cela n’arrivera pas aujourd’hui », avance-t-il.

« Message » à la Cedeao

Alors que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) brandit toujours la menace d’une intervention militaire au Niger, pour rétablir le Président déchu Mohamed Bazoum suite au coup d’État du 26 juillet 2023, le Burkina Faso et le Mali ont déjà indiqué considérer toute intervention militaire dans ce pays comme une déclaration de guerre contre eux deux.

Dans la continuité de l’article 5, l’article 6 de la Charte stipule que « toute atteinte à la souveraineté et à l’intégrité du territoire d’une ou plusieurs parties contractantes sera considérée comme une agression contre les autres parties et engagera un devoir d’assistance et de secours de toutes les parties, de manière individuelle ou collective, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité au sein de l’espace couvert par l’Alliance ».

« Cet article 6 de la Charte du Liptako-gourma fait figure de socle pour une éventuelle intervention du Mali et du Burkina Faso au Niger en cas d’intervention militaire de la CEDEAO. Il n’est autre que l’équivalent de l’article 5 de l’Otan. C’est une configuration inédite et un changement géopolitique majeur, avec ce pacte « Kaki » contre les autres membres de la CEDEAO », souligne Bakary Sambe, Directeur régional du Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies.

Niger : deux décrets autorisent les armées du Burkina et du Mali à intervenir «en cas d’agression»

Les militaires qui ont pris le pouvoir au Niger il y a près d’un mois ont annoncé jeudi 24 août qu’ils autoriseraient les forces armées de leurs voisins du Burkina Faso et du Mali à intervenir sur leur sol «en cas d’agression». Les ministres des Affaires étrangères du Burkina Faso et du Mali, Olivia Rouamba et Abdoulaye Diop, étaient en visite jeudi à Niamey où ils ont été reçus par le nouvel homme fort du Niger, le général Abdourahamane Tiani. Ils ont «salué» la signature d’ordonnances «autorisant les forces de défense et de sécurité du Burkina Faso et du Mali d’intervenir en territoire nigérien en cas d’agression», selon un communiqué lu par Oumarou Ibrahim Sidi, le secrétaire général adjoint du ministère des Affaires étrangères nigérien, à l’issue de la visite. Le général Tiani a signé deux décrets en ce sens. Le Burkina Faso et le Mali ont affiché leur solidarité avec les nouvelles autorités nigériennes, en particulier face à la menace brandie par la Communauté économique des États d’Afrique de l’ouest (CEDEAO) d’intervenir militairement pour rétablir l’ordre constitutionnel. Les ministres des Affaires étrangères des trois pays ont indiqué s’être réunis à Niamey pour discuter du renforcement de leur coopération en matière de sécurité et d’autres questions communes.

Niger : l’Union africaine suspend le pays et prend note du possible recours à la force de la CEDEAO

L’Union africaine (UA) a annoncé mardi 22 août 2023 suspendre le Niger de ses institutions après le coup d’État dans ce pays et affiché une position réservée sur une éventuelle intervention militaire ouest-africaine, selon un communiqué de son Conseil de Paix et de sécurité (CPS).

Le CPS «prend note de la décision de la CEDEAO», l’organisation régionale ouest-africaine, «de déployer une force» au Niger et demande à la Commission de l’UA d’«entreprendre une évaluation des implications économiques, sociales et sécuritaires» d’un tel déploiement, explique le CPS, sur fond de fortes divergences au sein de l’UA à ce sujet. L’Union africaine dans son communiqué réaffirme « sa pleine solidarité avec la CEDEAO en faveur du rétablissement de l’ordre constitutionnel par des moyens diplomatiques ». L’UA va nommer un haut représentant pour encourager les efforts de médiation de la CEDEAO. La Commission de l’UA et la CEDEAO, ont été invités à soumettre d’urgence une liste de membres de la junte militaire et de leurs partisans militaires et civils, y compris ceux impliqués dans la violation des droits de l’homme de M. Bazoum et d’autres détenus, en vue de sanctions ciblées, précise le communiqué.

Niger : les militaires envisagent de poursuivre Mohamed Bazoum pour haute trahison

Les militaires du CNSP ont annoncé dimanche leur intention de « poursuivre » le président renversé Mohamed Bazoum pour « haute trahison » et « atteinte à la sûreté » du pays. « Le gouvernement nigérien a réuni à ce jour » les « preuves pour poursuivre devant les instances nationales et internationales compétentes le président déchu et ses complices locaux et étrangers, pour haute trahison et atteinte à la sûreté intérieure et extérieure du Niger », a déclaré le colonel-major Amadou Abdramane, un des membres du CNSP, dans un communiqué lu à la télévision nationale. Le gouvernement appuie ses accusations sur des « échanges » de Mohamed Bazoum avec des « nationaux », des « chefs d’Etat étrangers », et des « responsables d’organisations internationales ». À propos du président déchu, le CNSP a appelé à « s’interroger sur la sincérité de sa prétention à soutenir qu’il est séquestré, alors même que les militaires n’ont jamais investi sa résidence présidentielle et qu’il dispose encore de tous les moyens de communication ». Mohamed Bazoum, retenu dans sa résidence présidentielle depuis le 26 juillet – jour du coup d’Etat avec son fils et sa femme, avait déclaré dans plusieurs médias être un « otage », puis privé d’électricité et contraint de ne manger que du riz et des pâtes. Samedi, le président déchu a reçu la visite de son médecin pour une consultation médicale. Ce dernier a par la suite déclaré que les conditions de détention de Bazoum étaient inhumaines.

Ces déclarations surviennent après l’accueil par le CNSP d’une délégation de chefs religieux nigerians musulmans samedi, menée avec l’accord du président nigérian Bola Tinubu, également à la tête de la CEDEAO, pour « apaiser les tensions créées par la perspective d’une intervention militaire » de l’organisation.

Selon un communiqué de la médiation religieuse nigériane, le chef du régime militaire, le général Abdourahamane Tiani, avait « déclaré que sa porte était ouverte pour explorer la voie de la diplomatie et de la paix afin de résoudre » la crise.

Seidik Abba : « en dépit des réticences, la CEDEAO pourrait engager une confrontation »

Journaliste, chercheur et auteur spécialiste du Sahel, Seidik Abba répond à nos questions sur la situation au Niger.

Alors que l’ultimatum de la CEDEAO a expiré et que la voie diplomatique est à la peine, croyez-vous possible une intervention militaire au Niger ?

Comme l’ont indiqué le Président en exercice de la CEDEAO, Bola Tinibu, et la Commission de la CEDEAO elle-même, tout porte à croire qu’une intervention militaire n’est pas à exclure. Pour l’instant, l’option diplomatique et la solution politique n’ont pas prospéré et la junte au pouvoir au Niger est restée sourde aux différents appels pour rétablir lePprésident Mohamed Bazoum. À mon avis, elle ne le fera pas. Pour la CEDEAO, le Niger est le coup d’État de trop, et si elle laisse faire elle craint que la contagion régionale, qui était présentée comme une possibilité, ne devienne une réalité. Avec tous ces éléments, on ne peut que sérieusement envisager une confrontation militaire, même si elle présente aujourd’hui beaucoup de risques. En dépit des réticences exprimées ici et là, la CEDEAO pourrait l’engager. Le deuxième sommet à Abuja (10 août) pourrait consacrer l’urgence. Certains pays sont déterminés à ce que l’ordre constitutionnel soit rétabli au Niger, y compris par la force.

Le Mali et le Burkina Faso menacent d’entrer en guerre en cas d’intervention au Niger. Comment interpréter cette position ?

Cette annonce ne me surprend pas. Il y a un front du refus de la CEDEAO et de ses ingérences qui se forme. À mon avis, le fait d’annoncer la possibilité d’engager des hommes pour soutenir les autorités au Niger relève plus du registre de la rhétorique et du positionnement que de la réalité elle-même. Les armées du Burkina Faso et du Mali ont d’autres urgences, comme on le constate avec les récentes attaques, que de s’engager contre la CEDEAO au profit du Niger. Si elles le faisaient, ce serait une occasion pour les groupes terroristes d’en profiter. C’est pour cela que considère que c’est une rhétorique.

Concrètement, les deux pays peuvent-ils se le permettre ?

Ni le Mali, ni le Burkina Faso n’ont les moyens de s’engager dans une guerre autre que contre le terrorisme. S’ils le faisaient, leur présence serait symbolique. Je ne les vois pas mobiliser des bataillons entiers alors qu’ils ont des difficultés à contrôler leurs territoires. La frontière entre le Mali et le Niger n’est occupée que par les terroristes, ils sont libres d’aller et venir entre les deux pays. C’est la même situation avec le Burkina Faso, qui n’a ni la volonté, ni l’effectif, ni les moyens pour mener une autre lutte que celle contre le terrorisme.

Niger : la CEDEAO ordonne le déploiement de la force en attente

Les chefs d’Etat de la CEDEAO se sont de nouveau réunis ce jeudi à Abuja pour évoquer la situation au Niger. Le président de la commission de la CEDEAO, Omar Touray, a déclaré après un sommet d’urgence au Nigeria que les membres avaient décidé « d’ordonner le déploiement de la force en attente de la CEDEAO pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger ».

Au début du sommet, Bola Tinubu avait  reconnu que l’ultimatum qu’ils avaient lancé lors du premier sommet n’a pas donné les résultats escomptés. Le président Tinubu avait aussi assuré  que la négociation avec le régime militaire au Niger doit être le « socle de leur approche

Tous les présidents de la CEDEAO ont participé à ce sommet hormis ceux de la Gambie, du Libéria et du Cap-Vert, qui ont envoyé des représentants. Le président déchu Mohamed Bazoum était aussi représenté par son ministre d’Etat, ministre des affaires Etrangères, M. Massoudou Hassoumi. De retour à Abidjan après le sommet, le président ivoirien Alassane Ouattara a affirmé que les chefs d’État ouest-africains avaient donné leur feu vert pour qu’une opération militaire « démarre dans les plus brefs délais » afin de rétablir l’ordre constitutionnel au Niger. Alassane Ouattara a indiqué que la Côte d’Ivoire fournirait « un bataillon » de 850 à 1.100 hommes, aux côtés du Nigeria et du Bénin notamment, et que « d’autres pays » les rejoindront. « Les putschistes peuvent décider de partir dès demain matin et il n’y aura pas d’intervention militaire, tout dépend d’eux » a t-il réaffirmé. Paris soutient « l’ensemble des conclusions adoptées à l’occasion du sommet extraordinaire » de la CEDEAO à Abuja, y compris la décision d’activer le déploiement d’une « force en attente », a signifié le ministère français des Affaires étrangère

Dans le communiqué final après le sommet, la conférence des chefs d’Etat a lancé un avertissement solennel aux Etats membres dont les actions directes ou indirectes ont pour effet d’entraver le règlement pacifique de la crise au Niger. Sans les nommer, l’avertissement s’adresse certainement au Mali et au Burkina Faso qui ont apporté leur soutien aux militaires du CNSP. Toutefois, la CEDEAO assure aussi de sa détermination à maintenir ouvertes toutes les options en vue d’une règlement pacifique de la crise.

Transition : vers un réaménagement du chronogramme

Un décalage dans l’organisation des différentes élections prévues pour la fin de la Transition était déjà pressenti depuis le report du référendum de mars à juin 2023. Alors que trois scrutins restent encore à tenir d’ici la fin de la période transitoire, en mars 2024, selon le chronogramme en vigueur adopté en juin 2022, le spectre d’une nouvelle prolongation plane de nouveau.

Depuis la proclamation des résultats définitifs du scrutin référendaire du 18 juin 2023, suivie dans la foulée de la promulgation de la nouvelle Constitution par le Président de la Transition, le gouvernement était attendu pour la suite du processus électoral.

Saisis par le ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation pour donner leurs avis, suggestions et propositions pour le reste du chronogramme de la transition, les partis politiques avaient jusqu’au 3 août 2023 pour faire part de leurs idées.

Une réunion du Cadre de concertation du ministère de l’Administration avec les partis et regroupements politiques, tenue le mardi 8 août au Centre de formation des collectivités territoriales, a permis au ministère de faire le point des différentes propositions des acteurs politiques.

Vers une nouvelle prolongation ?

Selon la synthèse présentée par le Directeur de l’Administration territoriale, au total 17 propositions ont été faites par 81 partis politiques sur les 291 sollicités par le gouvernement, soit un taux de réponse de 27,83%. 5 principales tendances se dégagent des 17 propositions faites, en tête desquelles celle d’une « prorogation du délai de la Transition de 3 à 18 mois afin de bien organiser les élections à venir », mise en avant par 15 partis. 14 autres optent pour l’organisation des élections conformément au chronogramme adopté par le gouvernement, 12 proposent de tenir l’élection présidentielle à la date indiquée dans le chronogramme et de coupler les autres élections, 9 préconisent l’organisation des élections en 2024 « lorsque les conditions sécuritaires seront réunies » et, enfin, 8 partis politiques proposent d’organiser les élections législatives en premier lieu puis l’élection présidentielle, les futures autorités organisant les autres scrutins.

Si l’identité des 81 partis politiques ayant fait des propositions n’ont pas été dévoilées, les représentants d’une vingtaine d’entre eux, présents à la réunion du Cadre de concertation, sont montés au créneau pour justifier leurs choix. Parmi les formations politiques majeures, l’Adema-Pasj opte pour l’organisation des élections suivant le chronogramme de juin 2022 et le Parena propose la tenue des élections législatives en décembre 2023, de la présidentielle en février 2024 et l’organisation des autres élections après la Transition, « à la suite de larges concertations entre les partis politiques et la société civile ». La Coalition des forces patriotiques (COFOP), regroupement de 24 partis et associations, estime pour sa part qu’en raison du grand retard qu’accuse le chronogramme électoral, « il y a lieu de prendre en compte que l’essentiel à retenir sur le processus électoral est avant tout l’élection du Président de la République ». « Après son élection le nouveau Président de la République aura toute la latitude d’organiser librement et sans pression les élections législatives, communales et sénatoriales », indique Dr. Abdoulaye Amadou Sy, Président de la Coalition.

Décision au plus haut niveau

Dans la nouvelle loi électorale, il incombe à l’Autorité indépendante de gestion des élections de proposer un chronogramme pour l’ensemble des élections (AIGE). C’est pourquoi certains acteurs politiques rejettent la démarche du ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation de se référer au Cadre de concertation pour définir un nouveau calendrier. Toutefois, selon le Colonel Abdoulaye Maïga, la démarche de son département s’inscrit dans le cadre d’un chronogramme politique de sortie de la Transition qui évite, autant que faire se peut, d’entrer dans des questions en matière électorale.

Si la proposition d’une nouvelle prolongation de la Transition est légèrement en tête des 17 suggestions faites par 81 partis politiques, elle peut ne pas être celle retenue par le gouvernement, qui doit plancher à son tour sur l’ensemble des propositions recensées, y compris auprès des organisations de la société civile, avant d’arrêter un nouveau chronogramme « en tenant compte de l’intérêt général ».

« Nous avons bien noté les différentes propositions. Nous allons fidèlement rendre compte à nos plus hautes autorités, examiner les propositions à la lumière des contraintes techniques et nous faisons la promesse de vous revenir très rapidement pour donner la position du gouvernement. Je voudrais ici préciser qu’il y a beaucoup de propositions qui ont été faites. Forcément, nous ne sortirons pas de ces différentes propositions. Nous allons essayer de trouver les équilibres à maintenir », a expliqué le ministre d’État, ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation aux représentants des partis et regroupements politiques, précisant que le Cadre de concertation n’était pas un cadre décisionnel mais uniquement pour prendre les avis et suggestions.

Alors que tous les ingrédients semblent réunis pour un réaménagement du chronogramme initial de la Transition de juin 2022, le Porte-parole du gouvernement a invité la classe politique à « ne douter en aucune manière de la volonté de nos plus hautes autorités, en premier lieu le Colonel Assimi Goïta, Président de la Transition, de retourner à un ordre constitutionnel normal et apaisé ». « Il n’y a aucune volonté de prendre en otage la transition, de perdurer au pouvoir, comme certains aiment bien le dire. Je pense que l’indicateur de bonne volonté est le référendum constitutionnel », a clamé le ministre d’État.

Mais, le délai étant serré, le nombre de scrutins à tenir et les nouvelles réformes ou création d’institutions qu’impose la Constitution du 22 juillet 2023 mettent en exergue la complexité de la tâche des autorités de transition. Ibrahim Ikassa Maiga, ministre de la Refondation de l’État chargé des relations avec les Institutions, laisse d’ailleurs présager d’un non-respect des dates indiquées dans le chronogramme adopté par le gouvernement.

« Par rapport au peuple malien même, nous, en tant que gouvernement, autorités de la Transition, nous sommes mal à l’aise de ne pas pouvoir tenir les délais, sauf que nous devons faire en sorte de ne pas retomber dans la même situation. À quoi bon se précipiter pour retomber exactement dans la même situation et créer les conditions d’une autre transition alors que l’occasion rêvée est donnée de bien faire les choses ? » s’interroge-t-il.

Nouveau « bras de fer » avec la CEDEAO ?

Tout porte à croire que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), déjà actuellement attendue au tournant dans la résolution de la situation politique au Niger, sera intransigeante sur la tenue des élections au Mali aux dates indiquées dans le chronogramme qu’elle a validé en juin 2022, en accord avec le gouvernement de transition.

L’institution sous-régionale avait déjà d’ailleurs annoncé les couleurs lors de son sommet du 9 juillet dernier, au cours duquel les Chefs d’États se sont clairement prononcé pour un respect du chronogramme actant la fin de la Transition en mars 2024, après la tenue de la présidentielle en février. Le Président de la Commission de l’organisation ouest-africaine n’avait pas exclu de nouvelles sanctions à l’encontre du Mali si les dates prévues n’étaient pas respectées.

Selon certains analystes, avec la nouvelle donne sous-régionale créée par la crise nigérienne, la CEDEAO n’acceptera plus de prolongation de la Transition au Mali et mettra tout en œuvre pour un retour à l’ordre constitutionnel dans les délais impartis. La posture actuelle du Mali et du Burkina Faso, qui soutiennent les nouvelles autorités de Niamey, laisse présager d’un nouveau bras de fer des autorités de transition avec les Chefs d’États de la CEDEAO.

Niger : fin de l’ultimatum de la CEDEAO, l’espace aérien fermé

Selon une publication sur le compte officiel des FAMa ce lundi 7 août, le Mali et le Burkina Faso ont envoyé une délégation au Niger conduite par le ministre d’Etat, ministre de l’Administration territoriale, le Colonel Abdoulaye Maiga. Cette visite intervient alors que l’ultimatum adressé le 30 juillet par la CEDEAO aux militaires pour rétablir dans ses fonctions le président Mohamed Bazoum a expiré hier dimanche. Quelques heures avant la fin de l’ultimatum, le CNSP a annoncé la fermeture de l’espace aérien nigérien face selon eux « face à la menace d’intervention qui se précise à partir des pays voisins ». Le CNSP précise que « toute tentative de violation de l’espace aérien » entraînera « une riposte énergique et instantanée ». Il affirme également qu’un « prédéploiement pour la préparation de l’intervention a été faite dans deux pays d’Afrique centrale », sans préciser lesquels. « Tout Etat impliqué sera considéré comme cobelligérant », ajoute-t-il. Le conseil national pour la défense de la patrie a également lancé un appel aux Nigériens afin de se tenir prêts pour la défense de la patrie. Le même dimanche, près de 30 000 personnes se sont rassemblées dans le plus grand stade de Niamey pour soutenir le coup d’Etat et le CNSP. Vendredi 4 août, à l’issue d’une réunion de trois jours des chefs d’état-major, la CEDEAO a assuré que les contours d’une possible ont été définis. Toutefois, d’après des médias nigérians, le Sénat a appelé le président Bola Tinubu à « encourager les autres dirigeants de la CEDEAO à renforcer l’option politique et diplomatique ». Toujours selon les médias nigérians, une intervention militaire sans l’aval du Sénat serait une violation de la Constitution nigériane. Le président algérien Abdelmadjid  Tebboune rejette également le recours à la force. “L’option militaire n’a jamais été une solution, regardez ce que cela a produit en Syrie et en Libye” a t-il prévenu samedi 5 août. Un nouveau sommet extraordinaire de la CEDEAO sur la situation au Niger se tiendra ce 10 août.

Niger : Mohamed Bazoum appelle à l’aide, échec de la mission de la CEDEAO

Le coup d’Etat au Niger pourrait avoir des conséquences « dévastatrices » pour le monde et faire passer la région du Sahel sous « influence » de la Russie, via les « mercenaires » du groupe Wagner, a écrit le président déchu Mohamed Bazoum dans une tribune parue jeudi dans le Washington Post. « J’appelle le gouvernement américain et l’ensemble de la communauté internationale à aider à restaurer l’ordre constitutionnel », écrit-il, « à titre d’otage ». Tard jeudi, dans un communiqué lu à la télévision, les militaires du CNSP ont dénoncé « les accords de coopération dans le domaine de la sécurité et de la défense avec la France ». La France a un contingent de 1500 militaires déployés au Niger. Le CNSP a aussi promis une « riposte immédiate » à « toute agression » de la part d’un pays de la CEDEAO, hors  membres « amis » suspendus (Mali, Burkina Faso, Guinée) eux aussi dirigés par des militaires.

Arrivée jeudi à Niamey pour trouver une sortie de crise au Niger, la délégation de la CEDEAO conduite par l’ancien président du Nigeria Abdulsalami Abubakar est repartie quelques heures plus tard, sans avoir rencontré le chef du CNSP. Le président du Nigeria Bola Tinubu, aussi président en exercice de la CEDEAO qui se montre intransigeant avait toutefois demandé à la délégation, de « tout faire » pour trouver une « résolution à l’amiable ». L’organisation, qui a notamment suspendu les transactions financières avec le Niger, a dit se préparer à une opération militaire, même si elle a souligné qu’il s’agissait de « la dernière option sur la table ». Les chefs d’état-major de la CEDEAO sont réunis à Abuja jusqu’à vendredi. Plusieurs armées ouest-africaines, dont celle du Sénégal, se disent prêtes à intervenir si l’ultimatum n’est pas respecté dimanche.

Niger : l’Occident veut conserver son dernier allié au Sahel

3ème coup d’État au Sahel depuis 2020, après le Mali et le Burkina Faso, et 4ème en Afrique de l’Ouest avec la Guinée, le renversement du Président Mohamed Bazoum au Niger, le 26 juillet 2023, passe mal dans la communauté internationale. Dans ce pays, considéré comme le dernier allié de l’Occident dans la région, la pression des puissances occidentales s’accentue pour une réhabilitation sans délai du Président déchu.

Le coup d’État au Niger suscite depuis une semaine une vague de condamnations à travers le monde. En première ligne contre le coup de force du Général Abdourahamane Tchiani, à l’heure où nous mettions sous presse certains pays occidentaux brandissaient la menace de suspension de leur coopération et/ou soutenaient les sanctions et les efforts de la CEDEAO et de l’Union Africaine pour un retour à l’ordre constitutionnel.

La France, qui a une présence militaire importante au Niger, où sont stationnés 1 500 militaires dans le cadre de la nouvelle formule de Barkhane après le retrait de l’opération du Mali, a annoncé le 29 juillet suspendre, avec effet immédiat, « toutes ses actions d’aide au développement et d’appui budgétaire, demandant le « retour sans délai à l’ordre constitutionnel nigérien autour du Président Mohamed Bazoum, élu par les Nigériens ».

La veille, le Secrétaire d’État américain Antony Blinken avait assuré du « soutien indéfectible » de Washington au Président déchu et souligné que le renversement de son pouvoir remettait en cause des centaines de millions de dollars d’aide américaine au profit du peuple nigérien.

À l’instar de la France, les États-Unis disposent de près d’environ un millier de militaires au Niger et surtout de deux bases aériennes, l’une à Niamey et l’autre à Agadez, dans le nord du pays, équipée de drones et faisant office de pivot pour l’armée américaine. Les Etats-Unis ont évacué le personnel non nécessaire de leur ambassade. Le président Joe Biden a appelé jeudi 3 août à la libération immédiate du président Mohamed Bazoum.

Par ailleurs, l’Allemagne, dont l’armée possède aussi une base militaire dans la capitale nigérienne, qui lui sert de plateforme pour le retrait de ses forces du Mali et où opèrent actuellement une centaine de soldats, a apporté son « plein soutien à l’évolution démocratique du Niger ».

« Avec l’Union européenne, nous avons soutenu le gouvernement civil et restons persuadés que seul un gouvernement démocratique pourra apporter des réponses aux défis du pays », a martelé Annalena Baerbock, la Cheffe de la diplomatie allemande.

Dans la foulée, Joseph Borell, Chef de la diplomatie européenne, a assuré de son coté que l’Union Européenne « ne reconnait pas et ne reconnaitra pas » les autorités issues du putsch du 26 juillet. L’institution a en outre décidé de la suspension, avec effet immédiat, de toute aide budgétaire et de toute coopération dans le domaine sécuritaire avec le Niger.

CEDEAO – Coups d’État : le tournant Niger ?

Le renversement du pouvoir du Président Mohamed Bazoum au Niger, le 26 juillet 2023, 4ème coup d’État en Afrique de l’Ouest en 3 ans, plonge la région dans un climat de tension exacerbé par les prises de positions tranchées de certains dirigeants vis-à-vis des nouvelles autorités de Niamey. La CEDEAO, soutenue par une grande partie de la communauté internationale, se montre intransigeante sur un retour immédiat à l’ordre constitutionnel dans le pays. Alors que l’ultimatum donné aux militaires du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) prend fin ce dimanche, les jours prochains  s’annoncent incertains au Niger et dans le Sahel.

Tolérance zéro. C’est le maitre-mot des chefs d’États de la CEDEAO face au putsch du Général Abdourahamane Tchiani, 59 ans, chef de la garde présidentielle du Niger depuis 2011, devenu le nouvel homme fort du pays depuis le 28 juillet 2023. Pour joindre l’acte la parole, les dirigeants ouest-africains n’ont pas hésité le 30 juillet, lors d’un sommet extraordinaire de la CEDEAO, à prendre de sévères sanctions contre les militaires nigériens du CNSP.

Déclarant prendre toutes les mesures au cas où les exigences de la Conférence des Chefs d’États ne seraient pas satisfaites dans un délai d’une semaine pour assurer le rétablissement de l’ordre constitutionnel en République du Niger, ce qui n’exclut pas un usage de la force, ils ont décidé de la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays de la CEDEAO et le Niger et de la suspension de toutes les transactions commerciales et financières entre les États membres et Niamey.

Outre ces sanctions, les Chefs d’États de la CEDEAO ont également décidé du gel des avoirs de la République du Niger dans les banques centrales de la BCEAO, de celui de toutes les transactions de service, y compris les services publics, ainsi que des avoirs de l’État du Niger et des entreprises publiques et parapubliques logées dans les banques commerciales, de la suspension du Niger de toutes les formes d’assistance financière et de transactions avec toutes les institutions financières, notamment la BIDC et la BOAD, et de l’interdiction de voyage et du gel des avoirs des officiers militaires impliqués dans la « tentative de coup d’État ».

Bola Tinubu, le Président « anti-putsch »

S’il y a un signal fort que la CEDEAO veut désormais envoyer dans la sous-région, c’est l’image d’une institution forte qui ne laissera plus le champ libre aux renversements de pouvoirs démocratiquement installés.

Dès son arrivée à la tête de l’institution sous-régionale, le 9 juillet dernier, le Président nigérian Bola Tinubu, qui a affiché son intransigeance face aux auteurs de coups d’État, avait donné le ton. « Nous ne permettrons pas qu’il y ait coup d’État après coup d’État en Afrique de l’Ouest », avait-il martelé devant ses pairs pour sa première prise de parole en tant que nouveau leader de la communauté. L’un des premiers dirigeants du continent à condamner officiellement le coup d’État contre Mohamed Bazoum, Tinubu, « homme à poigne », est connu pour ses phrases « choc ». Le 30 juillet, à l’ouverture du Sommet extraordinaire de la CEDEAO sur la situation politique au Niger, le septuagénaire n’y est pas allé de main morte. « L’un de nous est retenu en otage par sa garde présidentielle. Quelle calamité (…). C’est une insulte pour chacun de nous. Nous devons agir fermement pour restaurer la démocratie », a lâché le Président de la plus grande économie du continent, arrivé au pouvoir en mai dernier après avoir remporté dès le premier tour la présidentielle de février 2023.

Le 31 juillet, le chef d’État-major des armées du Nigéria, Christopher Musa, a réitéré sur un média étranger cette position. « Nous allons faire exactement ce que dit le Président Nous sommes prêts et dès que nous recevrons l’ordre d’intervenir nous le ferons. Nous sommes absolument sûr de réussir », a-t-il affirmé.

Des mots à l’action, le Chef d’État nigérian, et par ricochet toute la CEDEAO, est attendu au tournant sur le dossier nigérien. Même s’il semble résolument engagé dans une voie de réhabilitation de son homologue déchu, certains analystes soutiennent que Bola Tinubu court le risque de devenir un « tigre de papier », fort sur le discours mais peu influent et pragmatique en réalité. D’autant que les conséquences sécuritaires d’une intervention pourraient s’avérer dramatiques. Les groupes terroristes Boko Haram, État islamique ou encore JNIM pourraient profiter du chaos ambiant pour asseoir leurs emprises et étendre l’hydre terroriste à d’autres pays de l’organisation.

Issues incertaines

Avant la fin de l’ultimatum de la CEDEAO, le 6 août 2023, des actions sont en cours pour une solution à la crise politique au Niger. Après l’échec de la médiation tentée par le Président béninois Patrice Talon, c’est Mahamat Idriss Déby, Président de la Transition au Tchad, qui s’est rendu dans le pays et a rencontré les principaux protagonistes. Mais les lignes n’ont pas bougé suite à cette visite. Une nouvelle délégation de l’instance sous-régionale est depuis ce mercredi à Niamey pour tenter de trouver une issue pacifique.

En attendant de voir ce qu’il pourra se passer à partir de la semaine prochaine et l’expiration de l’ultimatum « ouest-africain », les analystes avancent plusieurs scénarios pour la suite des évènements au Niger. Allant de l’organisation d’un « coup d’État contre le coup d’État » à une intervention militaire de la CEDEAO avec des pays africains comme le Tchad et soutenue par les Européens, en passant par le soutien à un mouvement populaire de protestation interne contre le coup d’État ou encore des négociations avec les militaires du CNSP pour l’instauration d’une transition, les options sont aussi diverses que risquées pour la stabilité du pays et de la région.  Les militaires qui ont renversé Mohamed Bazoum ont envoyé une délégation conduite par le numéro 2 du CNSP, le général Salifou Mody au Mali et au Burkina le 2 août pour rencontrer les autorités de la transition. Les échanges ont porté sur le renforcement de la coopération sécuritaire notamment alors que les chefs d’état-major de la CEDEAO sont réunis à Abuja au Nigéria au même moment pour plancher sur une éventuelle intervention militaire. La Côte d’Ivoire a déjà fait savoir qu’elle enverrait des troupes si l’intervention était actée.

Incidences sur le Mali ?

Bien avant que le Niger ne tombe dans le cercle des pays de la CEDEAO qui sont dans une rupture de l’ordre constitutionnel, l’institution sous-régionale avait commencé par remettre la pression sur les pays en transition dans l’espace communautaire. Elle prévoyait d’envoyer le Président béninois Patrice Talon au Mali, au Burkina Faso et en Guinée pour relancer le dialogue au plus haut niveau avec leurs autorités respectives, en vue du respect des délais impartis aux transitions. Un nouveau sommet allait d’ailleurs être consacré début août à la situation dans ces 3 pays, selon une source proche de la CEDEAO, comme nous l’évoquions dans notre numéro précédent.

Les évènements au Niger vont-ils amener la CEDEAO, qui n’excluait d’ailleurs déjà pas de nouvelles sanctions, à durcir sa position vis-à-vis des autorités de transition maliennes quant au respect du chronogramme arrêté selon laquelle le pouvoir devrait être remis aux civils en février 2024 ?

Les relations entre le Mali, le Burkina Faso et la CEDEAO semblent à nouveau se dégrader. En réaction aux décisions de la Conférence des Chefs d’États de la CEDEAO du 30 juillet, les deux pays ont indiqué dans un communiqué conjoint le 31 juillet 2023, refuser d’appliquer ces « sanctions illégales, illégitimes et inhumaines contre le peuple et les autorités nigériens ».

« Les gouvernements de Transition du Burkina Faso et du Mali avertissent que toute intervention militaire contre le Niger s’assimilerait à une déclaration de guerre contre le Burkina Faso et le Mali », poursuit par ailleurs le communiqué, dans lequel les deux pays préviennent aussi qu’une intervention militaire contre le Niger entrainerait leur retrait de la CEDEAO et l’adoption de « mesures de légitime défense en soutien aux Forces armées et au peuple du Niger ».

« La CEDEAO, avec le leadership de Bola Tinubu, ne comptait pas tolérer le non-respect du chronogramme de la Transition au Mali et une éventuelle nouvelle prolongation. Avec la nouvelle donne, le cas du Niger et la position des militaires au pouvoir au Mali, elle voudra prendre des mesures pour un retour dans les délais à l’ordre constitutionnel dans le pays, y compris de nouvelles sanctions », glisse un observateur.

Dramane Diarra : « nous voulons contraindre les autorités à surseoir au référendum »

Dans leur volonté d’empêcher la tenue du référendum, les associations de magistrats AMPP et REFSYMA entendent « user de tous les moyens légaux » pour que le scrutin ne se tienne pas. À cet effet, elles ont adressé une lettre à la CEDEAO le 26 mai. Jusqu’où iront-elles ? Entretien avec Dramane Diarra, magistrat, expert électoral, membre des associations susmentionnées et de la coalition Appel du 20 février.

Pourquoi avoir envoyé une lettre à la CEDEAO ?

C’est devant elle que tous les engagements ont été pris par les autorités de la Transition. Et c’est derrière la CEDEAO que s’aligne toute la communauté internationale. Qui mieux qu’elle pour recevoir une correspondance ayant trait justement au retour à l’ordre constitutionnel ? Tout le processus pour l’organisation du referendum est illégal et, la date est intenable à cause de l’impréparation totale des autorités de la Transition : pas de cartes biométriques, pas de fichier électoral, pas de démembrements de l’AIGE prêts. Donc c’est une parodie d’opération référendaire qui est projetée. Il nous revenait de porter cela à l’attention de la CEDEAO et de toute autre partie intéressée.

Qu’attendez-vous de la CEDEAO, qui est loin de faire l’unanimité chez les Maliens ?

Nous comptons sur nous-mêmes pour contraindre les autorités à surseoir à la tenue de ce référendum inconstitutionnel. Mais la CEDEAO à son mot à dire. Avec ce forcing pour faire ce référendum, c’est le respect de la date de fin de la Transition qui est menacé, car il ne nous reste que 8 mois environ pour organiser au moins une élection présidentielle transparente et crédible. Ce n’est pas acquis avec le temps restant et le niveau d’impréparation affiché. Cela interpelle la CEDEAO et toute la communauté internationale. Mieux, nous avons déjà déposé des recours au niveau de la Cour constitutionnelle et de la Cour suprême pour l’annulation de ces opérations. La CEDEAO est aussi informée de ces procédures.

Depuis quelque temps, vous utilisez plusieurs moyens pour que le référendum ne se tienne pas. Jusqu’où ira votre détermination ?

Nous usons de tous les moyens légaux pour que l’illégalité et le mensonge qui ont abattu ce pays ne continuent pas au risque de l’ensevelir. Il mérite mieux. Dieu merci, les Maliens ont compris la vérité. Mais, puisque les autorités s’entêtent dans ces manœuvres, nous avons eu recours à des procédures judiciaires à ce stade. D’autres  suivront. C’est une question d’étapes et d’opportunités. Et toutes ces procédures sont bien fondées. Il revient à chacun, où qu’il soit, de prendre toutes ses responsabilités afin que le pays ne sombre pas de ce fait.

Mali – Transition: des rendez-vous manqués

Depuis le début de la Transition, le respect des échéances préétablies pour la mise en œuvre des réformes et la tenue des élections n’a souvent pas été effectif. Pour certains, la nouvelle date du référendum risque de ne pas faire exception, tant les défis qui restent à relever dans ce petit laps de temps sont nombreux. Encore une date pour du beurre?

En avril 2021, le gouvernement de transition établit un chronogramme de 18 mois fixant la fin de la transition à février 2022, avec la tenue couplée des élections présidentielle et législatives le 27 février 2022. Le référendum était fixé au 31 octobre 2021 et l’élection des conseillers des collectivités territoriales au 26 décembre 2021. Mais ces différentes dates ne seront pas respectées.

Le 24 mai 2021, Bah N’Daw, alors Président de la Transition est renversé par le Colonel Assimi Goita. Les Assises nationales de la Refondation sont organisées en décembre  2021. Parmi les recommandations, une durée de transition allant de 6 mois à 5 ans. Après plusieurs semaines  de tractations internes, sur fond de pressions de la CEDEAO et de la communauté internationale, la transition est prolongée de 24 mois, jusqu’à février 2024, à compter du 26 mars 2022.

Un nouveau chronogramme est publié en juin 2022. Il prévoit l’organisation du référendum le 19 mars, l’élection des conseillers des collectivités territoriales le 25 juin 2023, celle des députés à l’Assemblée nationale le 29 octobre 2023 et la présidentielle le 4  février 2024.

Le 10 mars 2023, après un retard dans l’organisation du référendum, le ministre de l’Administration territoriale annonce un « léger report » et assure que la nouvelle date du référendum sera fixée après concertation avec l’Autorité indépendante de gestion des élections et l’ensemble des acteurs du processus électoral. Près de 2 mois après, le gouvernement annonce la nouvelle date, le 18 juin 2023.

Chez les politiques, le ton est à la prudence. « Le parti aujourd’hui n’a pas toutes les informations techniques. C’est le ministre qui a les informations, qui sait le niveau de préparation, qui connait exactement la situation sécuritaire sur le plan territorial. S’il sort et dit qu’ils peuvent tenir le référendum à cette date, nous ne pouvons que suivre », relativise Hamidou Doumbia, Secrétaire politique du parti Yelema de l’ancien Premier ministre Moussa Mara.

Toutefois, pour celui qui est également Porte-parole de Yelema et espère que le gouvernement ne sera pas à nouveau dans une mauvaise planification, il faudrait à chaque fois  tenir compte des contours de chaque décision qu’on prend pour ne pas se tromper,  afin d’éviter des reports de dates sources de méfiance entre les acteurs.

Report du référendum : Quel impact sur les relations Mali – CEDEAO ?

Au Mali, le report du référendum suscite des questionnements. Parmi lesquels l’impact que cela aura sur les relations entre le pays et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

En visite au Mali fin février dernier pour s’enquérir de l’état de progression de la Transition vers un régime démocratique, le Médiateur de la CEDEAO, Goodluck Jonathan, a exhorté les autorités du pays « à maintenir le cap pour le retour à un ordre constitutionnel au délai convenu ». Quelques semaines après, le 10 mars 2023, le gouvernement a annoncé un report sine die du référendum, premier scrutin devant être organisé dans le chronogramme qu’il a proposé à l’organisation sous-régionale le 28 juin 2022. De quoi présager d’un nouveau désaccord ?

« En effet, ça pourrait créer une autre possibilité de désaccord entre la CEDEAO et le Mali », estime l’analyse politico-sécuritaire Cheick Oumar Doumbia. Mais, en même temps, selon ce dernier, « faire le référendum et les autres élections dans les délais indiqués, au vu des réformes institutionnelles et politiques qu’il fallait mener, l’organisation sait que les autorités pourraient être confrontées à des difficultés qui impacteront le processus. En plus, il y a des législations de la CEDEAO qui stipulent que quand on change de Constitution et quand on révise la loi électorale il faut au moins 6 mois pour aller aux élections. Tout cela va faire que la CEDEAO sera plus conciliante à l’égard du Mali », explique-t-il. De même, Jean-François Camara, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences administratives et politiques de Bamako (FSAP), atteste que le report du référendum ne devrait pas avoir « un impact négatif » sur les relations Mali – CEDEAO.

« La CEDEAO tient surtout au respect du chronogramme donné par les autorités et il s’étale jusqu’en 2024. Et, dans ce chronogramme, elle tient surtout à l’organisation des élections générales, à savoir celles du Président de la République et des députés. Tant qu’on n’annoncera pas le report de ces dates, la CEDEAO ne va pas réagir négativement », pense-t-il.

Le risque de voir la relation s’amenuiser est toutefois de mise. L’Autorité indépendante de gestions des élections (AIGE), en charge d’organiser les scrutins, n’est pas opérationnelle du fait que ses démembrements ne sont toujours pas installés à l’intérieur du pays. De même restent la promulgation des six projets de loi portant réorganisation administrative du Mali et la vulgarisation du projet de Constitution. Des raisons qui, selon le gouvernement, ont nécessité le report du référendum. « Elles pourraient aussi avoir un impact sur les dates des autres élections. Et, du coup, aussi sur les relations Mali – CEDEAO », prévient l’analyste Cheick Oumar Doumbia.

Chronogramme électoral : l’inévitable glissement

C’était un secret de Polichinelle. C’est désormais officiel. Le référendum, initialement prévu pour le 19 mars 2023, a été reporté le 10 mars dernier à une date ultérieure. Ce report, qui ne faisait plus guère de doute depuis quelques semaines, pourrait impacter la tenue à date des autres scrutins prévus dans le chronogramme de la Transition.

« Ce report se justifie par la ferme volonté des autorités de la Transition d’appliquer les recommandations des Assises nationales de la refondation (ANR), notamment la pleine opérationnalisation de l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE), à travers l’installation de ses démembrements dans les 19 régions administratives du Mali et le District de Bamako dans les plus brefs délais, ainsi que la vulgarisation du projet de Constitution », a expliqué le ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, Porte-parole du gouvernement, le Colonel Abdoulaye Maiga.

« C’est à nous, quand on regarde le temps restant, de fournir beaucoup d’efforts afin que tous les objectifs que nous nous sommes fixés soient atteints », a-t-il souligné, assurant que le Président de la Transition « tient fermement au respect de la date butoir que nous avons pu négocier avec la CEDEAO ».

Un chronogramme impacté

La loi portant création des circonscriptions administratives en République du Mali, dont dépend l’installation des démembrements de l’AIGE et le projet de loi portant modification de la loi N2022-019 du 24 juin 2022 portant loi électorale, adoptés respectivement les 20 et 28 février 2023 par le Conseil national de Transition (CNT), ne sont pas encore promulgués par le Président de la Transition.

Pour Hamidou Doumbia, Porte-parole du parti Yelema, un deuxième report va sûrement suivre : celui de l’élection des conseillers des collectivités territoriales, prévue en juin prochain, parce que « le Collège électoral devait être convoqué fin mars mais qu’aujourd’hui les démembrements de l’AIGE ne sont pas mis en place ».

« Il y a vraiment des doutes sur le reste du processus. Nous espérons que le gouvernement, notamment le ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, va rencontrer tous les autres acteurs pour qu’ensemble nous essayions de voir ce qui peut être fait pour que nous ne sortions pas du délai global », indique M. Doumbia.

« Il y aura forcément un décalage dans le reste du chronogramme », tranche pour sa part Bréhima Mamadou Koné. Selon cet analyste politique, le chronogramme que le gouvernement avait établi  était juste un « document de politique ». « Avec la mise en place de l’AIGE, c’est de sa responsabilité d’établir un chronogramme électoral, en synergie avec l’ensemble des acteurs, les partis politiques et les organisations de la société civile, et c’est sur la base de ce chronogramme qu’on pourrait être fixé sur la tenue des différentes élections à venir », soutient-il.

Dr. Ibrahima Sangho, Président de la Mission d’observation des élections au Mali (MODELE) est de cet avis. À l’en croire,  le chronogramme de juin 2022 avait  été donné « juste pour sortir de l’embargo de la CEDEAO ». « Un chronogramme réaliste n’est pas encore sur la table. Aujourd’hui, il n’appartient plus au gouvernement de donner un chronogramme, d’organiser des élections en République du Mali. Il appartient à l’AIGE d’organiser les élections, donc de donner un chronogramme », appuie l’expert électoral.

Impératif réaménagement

Le gouvernement de transition a indiqué que la nouvelle date du référendum sera fixée après concertation avec l’Autorité indépendante de gestion des élections et l’ensemble des acteurs du processus électoral. Cette nouvelle date, devrait, selon des analystes, conduire à un réaménagement de tout le chronogramme initial, ce qui pourrait aboutir à repousser la date des différentes élections ou à en abandonner certaines.

« C’est sûr que nous serons obligés de renoncer aux élections locales (élections des conseillers des collectivités territoriales, NDRL) et de nous concentrer sur le référendum et les élections  couplées présidentielle et législatives. Je pense que c’est possible de redéfinir les choses de cette manière », propose l’analyste Dr. Mahamadou Konaté, Directeur général de Conseils Donko pour la gouvernance et la sécurité.

« Ce qui est possible de faire pour sortir de la Transition, il faut le faire. À notre avis, le référendum peut se tenir en juin. Si c’est le cas, au premier trimestre 2024 on peut organiser les élections législatives et la présidentielle ou alors uniquement la présidentielle, pour mettre fin à la Transition », renchérit Dr. Ibrahima Sangho.

Dans un communiqué en date du 20 février, la Coalition pour l’observation citoyenne des élections au Mali (COCEM), composée de l’Association malienne des droits de l’Homme (AMDH), de la Jeune Chambre Internationale (JCI-Mali), de Wildaf Mali, du RPL (Réseau Plaidoyer et Lobbying) et de SOS Démocratie, avait proposé aux autorités de la Transition de prévoir le référendum le 25 juin 2023, l’élection des conseillers des collectivités territoriales le 29 octobre 2023 et celle couplée du Président de la République et des députés à l’Assemblée nationale le 4 février 2024 pour les premiers tours et le18 février 2024 pour les seconds, le cas échéant.

« Il est fort possible de changer un peu l’ordre des élections, de surseoir à certaines si la nécessité est. Mais ce qui est important, c’est que la Transition doit prendre fin comme prévu en 2024. Nous espérons que nous allons pouvoir travailler et essayer de dégager un chronogramme pour que nous puissions, avec une certaine rigueur, respecter nos engagements », plaide Hamidou Doumbia, pour lequel tout dépendra de ce qui sera discuté avec le ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation.

« Dès qu’on observe un  retard, il faut appeler les acteurs pour en discuter et travailler techniquement à voir ce qui peut être sauvé et non attendre que les échéances arrivent avant d’informer sur un report », insiste le porte-parole du parti de l’ancien Premier ministre Moussa Mara.

Février 2024, tenable ?

Malgré les assurances du gouvernement pour le retour à l’ordre constitutionnel « dans le respect de la durée de la Transition après avoir mené les réformes nécessaires », pour plusieurs observateurs, l’échéance de février 2024 qui a été donnée à la Transition risque de ne pas être respectée avec la tenue effective de toutes les élections prévues, en raison du retard pris et du décalage dans le calendrier qui va découler du report du référendum.

« On ne peut pas, à mon avis, tenir tous les scrutins tels qu’ils étaient prévus et rester dans le délai imparti de la Transition », avance Dr. Mahamadou Konaté, qui préconise la renonciation à au moins l’un des scrutins prévus pour rester dans le délai. Certains acteurs politiques qui alertent depuis quelques mois sur la lenteur dans la mise en œuvre du chronogramme de la Transition n’excluent pas, par ailleurs, que le gouvernement de transition traîne à dessein dans le processus afin d’aboutir à une nouvelle prolongation de la Transition au-delà des 24 mois supplémentaires convenus.

Dr. Mahamadou Konaté ne partage pas cette crainte. « Pour l’instant, je crois que le gouvernement a toujours l’intention de tenir le délai », glisse-t-il. « On n’est pas encore au point où des actes de mauvaise foi sont suffisamment patents pour démontrer que les autorités souhaitent à nouveau aller vers une prolongation de la Transition », recadre cet analyste.

Pour lui, jusqu’à la fin la fin de l’année  2023, « tant qu’on n’aura pas perdu la possibilité de redéfinir le calendrier et de renoncer à une ou deux élections pour se concentrer sur celles qui sont essentielles pour le retour à l’ordre constitutionnel, je pense que c’est toujours possible de tenir le délai de février 2024 ».

Commerce : TradeMark Africa se déploie en Afrique de l’Ouest

TradeMark Africa, organisation non lucrative d’aide au commerce financée par les agences de développement des pays développés (essentiellement d’Amérique du Nord et d’Europe) a lancé ses activités en Afrique de l’Ouest ce 30 janvier, avec comme objectif d’y faciliter le commerce. La structure, créée en 2010 et dont le siège se situe à Nairobi au Kenya, avait jusque là opéré seulement en Afrique de l’Est, où elle a aidé, à l’en croire, à fluidifier le commerce (réduction des temps de transit des marchandises, amélioration de l’efficacité des frontières et réduction des obstacles aux commerce) et à favoriser l’intégration régionale en travaillant avec les organisations intergouvernementales régionales (UA, EAC, IGAD, COMESA, SADC), ainsi que le secteur privé et la société civile. Avec une enveloppe d’environ 80 millions de dollars, TradeMark East Africa (TMEA) qui devient TradeMark Africa (TMA) en se déployant en Afrique de l’Ouest, entend soutenir le Secrétariat de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) et travaillera avec les organismes régionaux comme la Cedeao et ses États membres. En outre, TMA, dont le nouveau siège se situera au Ghana, « se concentrera sur le développement de corridors commerciaux numériques et verts », fait savoir l’organisation.

Journée de la souveraineté retrouvée au Mali : une leçon-modèle dispensée dans les écoles

Dans le cadre de la célébration du 14 janvier, Journée nationale de la souveraineté retrouvée en souvenir de la grande mobilisation contre « les sanctions illégales, illégitimes et inhumaines de la CEDEAO et de l’UEMOA », le ministère de la Refondation a convié l’ensemble des départements pour identifier ce qu’ils pouvaient organiser.

Le ministère de l’Éducation nationale s’est vu confier l’exécution de leçons-modèles dans l’ensemble des écoles primaires et secondaires du Mali et l’organisation de jeux-concours. « Les leçons-modèles ont été préparées pour éveiller et créer le déclic chez les enfants de la nécessité d’être conscient de son appartenance à une Nation et de l’engagement qu’il faut avoir pour répondre présent à chaque fois que notre pays est exposé à un danger », explique Kinane Ag Gadega, Secrétaire général du ministère de l’Éducation nationale. Le vendredi 13 janvier 2023 est prévu pour l’exécution de cette leçon-modèle dans les classes du préscolaire, fondamental et secondaire et verra la mobilisation des hautes autorités politiques, administratives et scolaires. Pour rappel, après les sanctions infligées au Mali par la CEDEAO et l’UEMOA, les Maliens ont répondu le vendredi 14 janvier 2022 favorablement à l’appel lancé par les autorités de la Transition pour un sursaut patriotique afin de défendre la partie, la souveraineté du Mali, son intégrité, sa dignité et l’honneur des Maliens. À Bamako, une marée humaine s’était amassée sur le Boulevard de l’Indépendance. Il en a été de même dans toutes les régions du Mali pour dire non aux sanctions.