Tensions entre l’État malien et Barrick Gold : Un accord financier pour apaiser les relations  

Après près de deux ans de contentieux, la compagnie canadienne Barrick Gold et le gouvernement malien ont trouvé un terrain d’entente. L’accord, conclu le 19 février 2025, prévoit un versement de 438 millions de dollars (environ 275 milliards de francs CFA) au Trésor public. Cette somme vise à régulariser les différends fiscaux et réglementaires qui avaient conduit à des mesures sévères de la part des autorités maliennes.

Le différend remonte à 2023, lorsque l’État a adopté un nouveau code minier visant à renforcer sa participation dans les revenus générés par l’exploitation de ses ressources naturelles. Cette réforme a entraîné des tensions avec plusieurs multinationales, dont Barrick Gold, exploitant du complexe minier de Loulo-Gounkoto, un des piliers de la production aurifère du pays. En janvier 2025, le gouvernement malien avait durci sa position en saisissant trois tonnes d’or d’une valeur estimée à 245 millions de dollars et en procédant à l’arrestation de plusieurs employés de l’entreprise.
L’accord obtenu repose sur plusieurs engagements réciproques. Ainsi, Barrick Gold s’acquitte de la somme de 438 millions de dollars, en contrepartie de la restitution de l’or saisi et de la libération des employés détenus. De plus, les activités du complexe minier Loulo-Gounkoto pourront reprendre dans un cadre clarifié, avec la mise en place d’une commission de suivi garantissant l’application des nouvelles régulations minières.
Selon Mark Bristow, PDG de Barrick Gold, cet accord représente « un tournant positif » et témoigne de la volonté de la société de collaborer avec le gouvernement malien dans un cadre légal stabilisé. Du côté de Bamako, cette entente est perçue comme une victoire économique qui confirme la souveraineté de l’État sur ses ressources minières.
L’annonce de cet accord a immédiatement eu des répercussions sur les marchés financiers. Le 19 février, à 14h38 HNE, les actions de Barrick Gold ont progressé de 3,37 % à la Bourse de Toronto. Cette hausse reflète un regain de confiance des investisseurs qui considèrent désormais le climat des affaires au Mali sous un jour plus serein.
Dans le cadre de cette résolution, une délégation officielle composée de représentants des ministères maliens, de la présidence et de la société de conseil Iventus Mining a récemment effectué une mission d’inspection de trois jours au sein du complexe minier de Barrick. L’objectif était de vérifier la conformité des opérations avec la législation nationale et d’assurer la mise en œuvre effective des termes de l’accord.
Cet accord pourrait ouvrir la voie à d’autres négociations similaires avec les compagnies minières opérant au Mali. L’État malien entend renforcer son contrôle sur l’exploitation de ses ressources tout en assurant un climat favorable aux investisseurs étrangers. Barrick Gold, pour sa part, devra désormais opérer sous un cadre plus rigoureux tout en bénéficiant d’une plus grande sécurité juridique.
L’affaire constitue un jalon important dans la gestion des relations entre le Mali et les investisseurs internationaux, illustrant un équilibre délicat entre souveraineté économique et attractivité des investissements étrangers.

Retombées du Mining Indaba 2025 : Vers une souveraineté minière africaine plus affirmée

L’Afrique cherche à renforcer son contrôle sur ses ressources minières. C’est ce qui ressort de la 31ème édition du Mining Indaba 2025, tenue récemment en Afrique du Sud. Au cours de ce grand rendez-vous du secteur minier africain, plusieurs gouvernements ont exprimé leur volonté de renforcer leur souveraineté minière face aux multinationales. Des débats ont mis en avant la nécessité d’une régulation plus stricte pour lutter contre l’évasion fiscale et d’encourager la transformation locale des minerais afin d’augmenter la valeur ajoutée pour le continent.

Plusieurs pays africains ajustent leurs cadres réglementaires afin d’augmenter la participation de l’État dans l’exploitation minière et de garantir une redistribution plus équitable des revenus. Une analyse récente estime que près de 70% des recettes minières du continent continuent d’échapper aux pays producteurs en raison d’exonérations fiscales excessives et de pratiques de sous-évaluation.

Le Mali est en première ligne de cette dynamique. Face à un manque à gagner fiscal estimé à 230 millions de dollars en 2024, le gouvernement a adopté des mesures strictes à l’encontre de plusieurs sociétés minières. Le litige avec Barrick Gold, marqué par la rétention de trois tonnes d’or destinées à l’exportation et des accusations de violations contractuelles, illustre cette volonté d’assurer le respect des engagements fiscaux. En décembre 2024, des mandats d’arrêt internationaux ont été émis contre des responsables de Barrick pour blanchiment d’argent, tandis que plusieurs cadres ont été arrêtés en novembre.

Contrebande et évasion fiscale : un manque à gagner colossal

Un rapport de Swissaid publié en 2024 a révélé que près de 435 tonnes d’or, d’une valeur estimée à 31 milliards de dollars, ont quitté illégalement le continent en 2022. En 2023, le Mali, le Soudan et la RDC auraient vu plus de 50 tonnes d’or exportées illicitement vers des marchés comme les Émirats arabes unis et la Suisse. Pour y répondre, certains pays africains envisagent un renforcement des capacités de surveillance et de contrôle, ainsi qu’une régulation accrue du commerce de l’or artisanal. Des propositions ont été formulées pour harmoniser les politiques minières et douanières à l’échelle régionale.

Par ailleurs, les experts du secteur insistent sur l’importance de la transformation locale des minerais. Actuellement, plus de 80% des exportations minières africaines se font à l’état brut, limitant ainsi les retombées économiques et la création d’emplois. Le développement d’infrastructures de raffinage et de transformation est essentiel pour réduire la dépendance aux marchés étrangers et assurer des bénéfices plus conséquents aux économies locales.

Ces stratégies visent à permettre aux pays africains de garantir que l’exploitation minière serve avant tout leurs intérêts économiques et sociaux.

Massiré Diop

Mine: Mandats d’arrêt contre le PDG de Barrick Gold et le directeur de Loulo-Gounkoto

Le bras de fer opposant les autorités et des entreprises minières opérant dans le pays se poursuit. Le Pôle économique et financier de Bamako a émis des mandats d’arrêt internationaux contre Mark Bristow, PDG de la société canadienne Barrick Gold et Cheick Abass Coulibaly, directeur général du complexe minier Loulo-Gounkoto, pour des accusations de blanchiment de capitaux et de violations des réglementations financières.

Ces accusations concernent des faits présumés survenus entre 2019 et 2023, liés à un différend sur le non-respect d’un accord financier entre Barrick Gold et le gouvernement malien, notamment en matière de paiement des taxes et impôts. En octobre 2024, Barrick Gold avait pourtant annoncé avoir trouvé un accord avec les autorités maliennes, acceptant de verser 50 milliards de FCFA (environ 80 millions d’euros) dans le cadre de négociations pour résoudre ces différends. Cependant, le gouvernement malien a ultérieurement accusé la société de ne pas avoir respecté certains engagements liés à cet accord, notamment en matière de responsabilité sociétale et environnementale, alimentant ainsi les tensions.
Cette action judiciaire s’inscrit dans un contexte de relations tendues entre le Mali et les compagnies minières internationales, exacerbées par des allégations de détournement de fonds et des litiges sur la répartition des bénéfices. Fin novembre 2024, quatre autres employés maliens de Barrick Gold avaient déjà été inculpés et placés en détention en attendant leur procès. Ces arrestations reflètent la volonté des autorités maliennes de renforcer le contrôle sur les opérations minières et les revenus générés par l’exploitation des ressources naturelles.
Parallèlement, la société minière australienne Resolute Mining a également été confrontée à des actions similaires. Le 8 novembre 2024, le PDG Terence Holohan et deux autres employés ont été arrêtés à Bamako lors de discussions avec les autorités maliennes concernant des différends financiers. Pour obtenir leur libération, Resolute Mining a accepté de verser 160 millions de dollars au gouvernement malien, soulignant ainsi la détermination de l’État à percevoir des revenus supplémentaires du secteur minier.
Ces événements s’inscrivent dans le cadre du nouveau code minier malien de 2023, qui vise à augmenter la participation de l’État dans les entreprises minières et à maximiser les bénéfices tirés des ressources naturelles du pays. Lors du Conseil des ministres du mercredi 4 décembre 2024, le gouvernement malien a décidé de prendre des parts dans plusieurs mines du pays, affirmant sa volonté de renforcer la souveraineté économique nationale.
Cette série d’actions judiciaires, combinée aux réformes législatives, reflète une stratégie plus large du Mali pour rééquilibrer les relations avec les multinationales minières et assurer une distribution plus équitable des richesses générées par l’exploitation de ses ressources naturelles. Toutefois, ces mesures suscitent des inquiétudes quant à l’attractivité du pays pour les investisseurs étrangers et pourraient avoir des implications significatives pour l’avenir du secteur minier malien.

Exploitation minière au Mali : L’or au cœur de la souveraineté

En quête d’une plus grande maîtrise de ses ressources aurifères, le Mali s’est engagé dans plusieurs réformes majeures pour renforcer sa souveraineté sur le secteur minier. Considéré comme le troisième producteur d’or en Afrique, le pays entend récupérer une part plus équitable des 1 926 milliards de francs CFA de recettes d’exportation générées par la vente de son or en 2023. Cette ambition s’accompagne de tensions croissantes avec des géants miniers comme Barrick Gold. Parallèlement, la révision des textes régissant le secteur et la création de la SOREM visent à renforcer la souveraineté nationale. Ces initiatives pourraient transformer le paysage minier, impactant non seulement les multinationales mais aussi l’avenir économique du Mali.

En 2023, le Mali a atteint une production record de 65,91 tonnes d’or (Rapport ITIE 2023). Cette production a généré des recettes d’exportation dépassant 1 926 milliards de francs CFA. La production d’or est concentrée principalement dans les régions de Kayes et Sikasso. Les mines de Loulo-Gounkoto (23,49 tonnes, Barrick Gold) et de Fekola (20,63 tonnes, B2Gold) dominent cette production, suivies de SOMISY (6,76 tonnes) et SEMOS (6,28 tonnes). Ces chiffres témoignent de la richesse du sous-sol malien, mais aussi de l’importance stratégique de l’exploitation industrielle, qui représente près de 95% de la production. Malgré cette dépendance envers les multinationales, l’État malien affiche une volonté de prendre en main la gestion de ses ressources.

La concentration minière à Kayes et Sikasso fait de ces régions des pôles de développement économique pour le Mali, représentant respectivement des productions valorisées à 1 318 et 597 milliards de francs CFA. Cependant, cette dépendance accrue soulève des questions sur la durabilité de cette exploitation intensive et l’urgence de diversifier l’économie nationale. En effet, avec environ 644 milliards de francs CFA de recettes issues de l’industrie extractive en 2023, dont 602 milliards ont été directement alloués au Trésor public, le Mali compte significativement sur l’or pour soutenir ses finances publiques et ses projets de développement.

Pourtant, les déséquilibres régionaux se creusent, car Kayes et Sikasso concentrent non seulement la production minière, mais aussi les principales infrastructures soutenant ce secteur. Face à cette situation, le gouvernement malien a renforcé ses exigences envers les entreprises étrangères par le biais d’une clause de « Contenu local » dans le nouveau Code minier. Cela oblige les entreprises à investir dans les infrastructures locales et à favoriser l’emploi de la main-d’œuvre malienne, réduisant ainsi la dépendance aux travailleurs étrangers et augmentant les bénéfices locaux.

L’État et Barrick Gold à couteaux tirés

Le différend entre l’État malien et Barrick Gold porte sur un montant significatif de 500 milliards de francs CFA d’arriérés que les autorités souhaitent mobiliser pour financer des projets d’infrastructure essentiels. Barrick, de son côté, affirme avoir déjà versé 50 milliards. Le gouvernement malien a donc commandé un audit pour clarifier les contributions des différentes mines, mais le rapport officiel est toujours attendu. Pour le Mali, ces arriérés représentent plus qu’une somme d’argent, en ce sens qu’ils incarnent une bataille pour la « transparence » et la « réappropriation » des richesses nationales.

En réponse aux critiques de faible contrôle de ses ressources, l’État a adopté en 2023 un nouveau Code minier. Dans ce Code, la part gratuite de l’État dans le capital reste à 10%. Mais l’État peut prendre d’autres parts contre des numéraires à hauteur de 20%. Les sociétés ont aussi l’obligation d’ouvrir leur capital à des investisseurs nationaux à hauteur de 5%. Ce changement manifeste la volonté de renforcer la souveraineté nationale sur l’exploitation des ressources naturelles. Recommandée lors des Assises nationales de la refondation en décembre 2021, cette réforme répond à une aspiration collective pour que les bénéfices des ressources minières soient redistribués équitablement, en particulier vers les communautés locales, souvent marginalisées.

La création de SOREM et la symbolique de Yatela

La création de la Société de Recherche et d’Exploitation des Ressources Minérales du Mali (SOREM-Mali), qui contrôle désormais la mine de Morila, illustre parfaitement cette gestion nationale des ressources. Ce modèle de gestion devrait permettre au Mali de mieux contrôler les retombées économiques de son secteur minier. De plus, la reprise par l’État de la mine de Yatela, suspendue depuis 2013, marque une avancée symbolique vers la récupération des actifs miniers nationaux. Bien que la production de Yatela soit actuellement limitée, ce geste témoigne d’une volonté de renforcement de la souveraineté économique.

Avec l’échéance de l’un des permis d’exploitation de Barrick Gold, prévue en 2026, la pression s’intensifie. Le gouvernement pourrait refuser son renouvellement en cas de désaccord prolongé sur les redevances, un mouvement qui affirmerait la position de l’État dans les négociations futures avec les multinationales.

Les contraintes des conventions internationales

Cependant, la route vers une autonomie complète du secteur minier reste semée d’obstacles. Les contrats signés avec des multinationales incluent souvent des clauses de stabilité visant à protéger les investissements étrangers contre les changements législatifs. Ces clauses, reconnues par les textes internationaux, limitent parfois l’application de nouvelles réformes aux exploitants actuels. Bien que légitimes sur le plan international, ces restrictions contraignent les actions de l’État malien, qui doit concilier ses ambitions de souveraineté avec le respect de ses engagements internationaux.

Il convient de rappeler qu’en 2023 les revenus générés par le secteur extractif se sont élevés à 644 milliards de francs CFA, dont 602 milliards à destination du Trésor public. Ces fonds, essentiels au Budget national, sont affectés à des secteurs vitaux tels que l’éducation et la santé. La contribution des industries extractives représente près de 27,8% des recettes de l’État et 9,2% du PIB (en 2022), révélant l’importance de ce secteur pour le développement national.

Les recettes collectées servent également à soutenir des programmes sociaux importants, incluant 30 milliards de francs CFA de cotisations sociales et 9 milliards pour les assurances obligatoires, ainsi que divers paiements sociaux. En augmentant sa participation dans les sociétés minières, le Mali choisit de renforcer son indépendance économique. Cependant, cette décision pourrait potentiellement dissuader certains investisseurs étrangers, préoccupés par la stabilité de leurs investissements dans un cadre de régulation de plus en plus strict.

Vers une exploitation minière mieux contrôlée et souveraine ?

Plutôt que de céder aux exigences des multinationales, le Mali semble déterminé à réguler de manière plus équitable son secteur minier. En 2023, l’État a réparti entre divers fonds et budgets de soutien aux collectivités une partie des recettes minières. Cette manne financière permet de soutenir des secteurs vitaux pour le pays, mais elle souligne également l’importance d’une régulation rigoureuse pour garantir une exploitation équitable et transparente des ressources naturelles.

L’établissement de partenariats avec des experts locaux et la formation d’une main-d’œuvre qualifiée constituent des pistes prometteuses pour faire du secteur minier un pilier véritablement national. En diversifiant les activités minières et en optimisant les bénéfices pour le pays, le Mali pourrait réduire sa dépendance aux multinationales et renforcer sa souveraineté sur ses ressources.

En s’engageant résolument sur la voie de la souveraineté minière, le Mali affiche certes une ambition forte. Il s’agit de faire de ses ressources un levier de développement au service de tous. Bien qu’étant audacieux, ce choix comporte de nombreux risques. En effet, tourner le dos aux multinationales pourrait exposer le pays à des défis économiques et techniques majeurs, surtout avec des insuffisances techniques et des infrastructures encore insuffisamment développées. Les entreprises internationales, malgré leurs intérêts propres, apportent un savoir-faire et des moyens financiers dont le Mali pourrait difficilement se passer. Plutôt que de s’orienter vers un bras de fer aux issues incertaines, il serait peut-être plus sage de rechercher des partenariats « gagnant – gagnant », permettant d’avancer sans se couper de ressources précieuses.

Ainsi, pour le Mali, le principal défi pourrait résider dans l’équilibre entre indépendance et coopération. Si le pays parvient à maintenir une posture ferme tout en ouvrant la voie à des échanges équilibrés, l’exploitation de l’or pourra enfin servir non seulement les intérêts de quelques-uns, mais de tous les Maliens. En bâtissant des partenariats intelligents et des partenariats mutuellement profitables, en exigeant transparence et équité, le Mali pourrait atteindre une souveraineté minière qui profite réellement à sa population sans compromettre le développement du secteur. L’or malien, sous une gouvernance éclairée, pourrait devenir un véritable moteur de croissance et un pilier de stabilité pour le pays.

En tout état de cause, cette quête de souveraineté est une prise de position courageuse, mais elle doit être accompagnée de pragmatisme. L’indépendance, si précieuse, n’empêche pas de collaborer. Il s’agit pour le Mali de construire un modèle unique, un équilibre entre contrôle national et ouverture maîtrisée, où les richesses du sous-sol servent à construire un avenir solide pour tous les citoyens. Avec une vision à long terme et un pragmatisme réfléchi, le Mali pourrait démontrer qu’il est possible de transformer les ressources naturelles en un bien commun, durable et inclusif.

Journal du Mali