Modibo Mao Makalou est un économiste formé au Canada et aux États-Unis, ayant occupé des postes clés à la Présidence de la République malienne de 2002 à 2017. Il a également travaillé dans les secteurs des hydrocarbures et des mines. Dans cette interview, il met en lumière l’importance de la session budgétaire du Conseil National de Transition et le projet de loi de finances 2025, soulignant que le budget est un outil crucial pour équilibrer les finances de l’État et soutenir les populations vulnérables face aux défis économiques. Propos recueillis par Massiré Diop.
- Une nouvelle session appelée « session budgétaire du Conseil National de Transition s’est ouverte depuis la semaine dernière. Parmi les points à l’ordre du jour de cette session figure le projet de Loi de finance 2025. Pouvez-vous revenir sur les grandes lignes et l’importance de cette session ?
Modibo Mao MAKALOU: Chaque Etat doit déterminer ses ressources et ses charges. Il est même fait obligation par la Constitution d’établir un équilibre budgétaire, c’est-à- dire que les charges soient déterminées, et que l’on doive aussi déterminer les ressources pour financer ces charges. En réalité, le budget est un acte politique symbolique très fort qui est adopté en Conseil des ministres puis voté par les députés. Il permet à l’Etat non seulement de lever l’impot, de s’endetter mais aussi de faire face à ses dépenses régaliennes et autres dépenses de fonctionnement et d’investissements. Le budget d’État est un document très important qui contient des priorités nationales dûment définies ainsi que les dotations budgétaires qui correspondent à ces priorités.
La session parlementaire d’octobre est appelée la session budgétaire et c’est durant cette période que le projet de loi de finances qu’on appelle aussi la loi de finances initiale devient la loi de finances, quand elle est approuvée par le parlement, autorisant ainsi l’Etat à prélever les recettes fiscales et budgétaires et à effectuer les dépenses budgétaires. La Constitution du 25 février 1992 détermine en ses articles. 70 et 77 que l’Etat doit déterminer ses charges et ressources dans un équilibre budgétaire et financier. Pour cela, l’Etat et ses démembrements expriment leurs besoins en termes des charges financières. Après on consolide tout cela ensuite, on détermine les ressources financières qui vont couvrir ses charges durant une année.
- Quelles sont vos impressions sur les grandes du projet de loi de finances 2025.
MMM: Le Gouvernement du Mali a adopté le mercredi 18 septembre 2024 lors du Conseil des Ministres un projet de loi de finances pour l’exercice 2025. Les dépenses budgétaires sont estimées à 3229,8 milliards FCFA en 2025 contre 3070,7 milliards FCFA en 2024, soit une progression de 5,18 milliards F contre une progression des recettes budgétaires de 10,93%, celles sont évaluées à 2648,9 milliards FCFA en 2025 contre 2387,8 milliards FCFA en 2024. Aussi, le déficit budgétaire est estimé à 581 milliards FCFA pour 2025 contre 682,8 milliards FCFA en 2024 soit une baisse de 14,92%.
Par ailleurs, les dépenses électorales sont estimées à 80,750 milliards FCFA et les dépenses de fonctionnement régulier de l’Autorité Indépendante de Gestion des Élections (AIGE) sont estimées à 6,093 milliards FCFA dans le projet de loi de finances 2025.
- Avec le défi de maintenir une croissance économique tout en faisant face à l’instabilité politique et sécuritaire, quelles stratégies budgétaires le Mali devrait-il adopter pour stabiliser son économie et soutenir la création d’emplois pour la jeunesse malienne?
MMM: Présentement, le pouvoir d’achat est en train de s’effriter et c’est partout dans le monde dans les pays les plus riches tout comme dans les pays aux revenus les plus faibles. Les prix de l’alimentation ont beaucoup augmenté, de même que ceux de l’énergie suite à la hausse du prix du baril de pétrole et de l’appréciation du dollar face à l’euro et au F CFA. L’Etat devra nécessairement continuer les subventions des produits de première nécessité de même que des transferts d’argent ciblés envers les couches de
population les plus vulnérables, et cela engendrera une hausse des dépenses publiques et de la dette publique. Il va falloir trouver des solutions pour améliorer le pouvoir d’achat, c’est-à-dire en subventionnant davantage et en diminuant certains prix des produits de première nécessité tout en surveillant étroitement que les subventions sont réellement bénéfiques aux populations. Les hausses de prix impactent de façon disproportionnée les ménages les plus pauvres, qui doivent dépenser une plus grande part de leurs revenus sur l’alimentation, par rapport aux ménages plus aisés.
Pour relancer son économie, le Mali devrait essentiellement utiliser la politique budgétaire ou fiscale qui constitue le meilleur instrument de politique économique conjoncturelle plutôt que la politique monétaire. Il s’agira essentiellement à travers les dépenses publiques de cibler les secteurs clés et les services de base essentiels, comme l’agriculture, l’éducation, la santé, la protection sociale, l’eau potable, l’industrie, les logements, le développement urbain et l’assainissement, de même que des infrastructures de base de qualité qui ont une forte incidence sur la réduction des inégalités, surtout parmi les couches les plus vulnérables, notamment le secteur informel, les femmes, les filles et les jeunes mais aussi d’augmenter, de diversifier et de transformer la production nationale, stimuler la production d’aliments et d’engrais, améliorer les systèmes alimentaires, soutenir les ménages les plus vulnérables et les producteurs vulnérables pour renforcer la sécurité alimentaire et nutritionnelle.
- Pensez-vous que les prévisions budgétaires actuelles suffisent pour faire face aux défis posés par la dette publique et le service de la dette dans le contexte de la situation économique globale du Mali? Quels ajustements recommanderiez-vous?
MMM: Le gouvernement du Mali est en train d’exécuter son 7ème budget- programme de budget même si nous n’avons pas entièrement basculé dans le budget programme. Il y a des programmes avec leurs objectifs et indicateurs de performance, c’est la gestion axée sur les résultats. Avant, nous avions ce qu’on appelle un budget des moyens, c’est-à-dire on vous donne une somme et vous devriez la dépenser. Maintenant, c’est en termes d’objectifs. C’est ce qui explique les programmes, objectifs et les indicateurs. Cette approche permet de savoir si les institutions et ministères ont atteint les cibles ou pas. Dans presque tous les pays du monde, les dépenses budgétaires dépassent les recettes budgétaires. Le fonctionnement d’un Etat demande un certain nombre de choses. Il y a des missions régaliennes comme les services sociaux de base, la défense, la justice…. Le déficit budgétaire est financé par la dette publique (qui est constituée de la dette intérieure qui est libellée en monnaie locale et de la dette extérieure qui est libellée en monnaie étrangère qui lorsqu’elles ont librement convertibles sont appelées devises). Aussi certains pays qui bénéficient de l’assistance extérieure ou l’aide publique au développement l’utilise pour combler une partie des déficits budgétaires. Malheureusement cette aide publique au développement est en train de tarir car ceux qui fournissent l’aide sont eux-mêmes confrontés à des difficultés financières et budgétaires. Notons que les 8 pays membres de l’Union monétaire Ouest africaine (UMOA) qui ont en partage le FCFA en Afrique de l’Ouest utilisent constamment le marché sous-régional monétaire et financier pour financer la trésorerie des 8 États membres. La stratégie d’endettement de notre pays envisage d’emprunter environ 150 milliards de FCFA sur le marché financier de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) durant le 4ème trimestre de 2024.
La dette extérieure du Mali demeure modérée selon le Fonds Monétaire International (FMI), avec une certaine marge pour absorber les chocs. La dette publique (extérieure et intérieure) se situe à 56,9% du PIB à fin 2023, contre 53,1% en 2022. Quant à la dette intérieure, elle est essentiellement composée de titres publics (85,7%). La dette publique était estimée à 51,6% du PIB en 2024 et devrait baisser à 50,6% du PIB en 2025. La hausse sur le court terme de la dette publique malien résulterait d’une hausse du service de la dette suite au resserrement de ma politique monétaire pour lutter contre l’inflation mais aussi d’une accumulation importante d’arriérés intérieurs envers les fournisseurs pour faire face au remboursement de la dette publique.