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L’initiative de l’ONU en matière de dette a changé

Le développement économique nécessite des financements abordables, accessibles et dont les échéances correspondent aux résultats du développement. Pourtant, pour la…

Le développement économique nécessite des financements abordables, accessibles et dont les échéances correspondent aux résultats du développement. Pourtant, pour la plupart des pays en développement, rien de tout cela ne s’applique. Au lieu de cela, une « catastrophe de la dette » de plus en plus grave est en train de se produire dans une grande partie du monde en développement, exacerbée par une série de crises mondiales en cascade.

 

On ne saurait trop insister sur l’urgence de la crise actuelle. Plus de la moitié des 68 pays éligibles au Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC) du Fonds monétaire international (FMI) sont aujourd’hui confrontés au surendettement, soit plus du double qu’en 2015.

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Ce chiffre ne rend cependant pas intégralement compte de l’ampleur du problème, car de nombreux pays qui ne relèvent pas du FRPC sont également aux prises avec un endettement écrasant et des problèmes de liquidité. Entre 2017 et 2023, le coût moyen du service de la dette des pays en développement a augmenté de près de 12 % par an, soit plus du double du taux de croissance de leurs exportations et de leurs envois de fonds. Par conséquent, la viabilité de la dette extérieure s’est détériorée dans deux tiers des pays en développement au cours de cette période, y compris dans 37 des 45 pays africains pour lesquels des données sont disponibles.

 

Malgré le poids insoutenable de leur dette, de nombreux pays hésitent à faire défaut, en raison de l’inefficacité des mécanismes de résolution de la dette et des coûts politiques et économiques prohibitifs. En conséquence, les pays endettés donnent la priorité à leurs obligations envers leurs créanciers plutôt qu’à leur propre développement. L’explosion des paiements au titre du service de la dette empêche ainsi les investissements vitaux dans les infrastructures et le capital humain, ce qui étouffe la croissance et retarde l’action en faveur du climat. Aujourd’hui, 3,3 milliards de personnes vivent dans des pays qui consacrent plus d’argent au service de la dette qu’aux soins de santé et à l’éducation, la grande majorité d’entre elles se trouvant dans des économies à revenu intermédiaire.

 

Si rien n’est fait, les contraintes de liquidité actuelles pourraient rapidement se transformer en une véritable crise de solvabilité. Une intervention urgente est donc nécessaire pour éviter une vague de défauts de paiement et mettre les pays endettés sur la voie de l’indépendance économique.

 

En réponse à l’escalade de la crise de la dette dans les pays du Sud, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a créé le groupe d’experts sur la dette en décembre 2024. Ses membres sont chargés d’identifier et de proposer des solutions politiques pour aider les économies en développement – en particulier les pays africains et les petits États insulaires en développement – à sortir du cercle vicieux du surendettement.

 

Bien que de précédents groupes de travail des Nations unies se soient penchés sur la question de la dette souveraine, plusieurs facteurs distinguent cette initiative. Le premier est le calendrier : les chocs économiques successifs ont contraint les pays en développement à emprunter, généralement à des taux d’intérêt élevés, ce qui a considérablement réduit leur marge de manœuvre budgétaire. À cinq ans de l’échéance de 2030 fixée pour la réalisation des objectifs de développement durable (ODD), les pays en développement – entravés par un déficit de financement annuel persistant de 4 000 milliards de dollars – sont en passe d’en atteindre moins d’un cinquième.

 

Deuxièmement, alors que les initiatives précédentes se sont concentrées sur la capacité des pays en développement à rembourser et à assurer le service de leur dette, le groupe d’experts vise à s’assurer que toutes les solutions proposées soutiennent le développement durable.

 

Troisièmement, le groupe d’experts a pour objectif d’identifier et de promouvoir des solutions susceptibles d’obtenir un soutien politique et public aux niveaux mondial, régional et national. Si des mesures audacieuses et ambitieuses sont essentielles pour résoudre la crise actuelle de la dette et du développement, nous ne pouvons pas nous permettre de poursuivre des propositions qui ont peu de chances d’obtenir le soutien nécessaire pour conduire un changement significatif.

 

C’est dans cet esprit que le groupe d’experts cherche à développer des stratégies globales. Si les solutions ne s’appliquent qu’aux nouvelles dettes ou ne favorisent pas la croissance économique, la stabilisation de la dynamique de la dette pourrait prendre des années. Les compromis doivent également être soigneusement pris en compte ; un recours accru aux garanties, par exemple, pourrait mobiliser davantage de capitaux privés, mais pourrait réduire l’accès aux financements concessionnels et aux subventions pour les États souverains.

 

Enfin, la composition et la portée du groupe d’experts le placent dans une position unique pour aborder ces questions. Soutenu par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) et d’autres organismes internationaux, le groupe rassemble d’anciens et d’actuels fonctionnaires, des décideurs politiques et des universitaires de premier plan, alliant expertise technique et influence de haut niveau.

 

Les liens étroits que le groupe entretient avec des institutions et des réseaux clés – notamment les institutions financières internationales, le G20, Jubilee 2025 et diverses organisations et agences régionales et nationales – créent des opportunités précieuses pour engager les décideurs politiques, les universitaires, les représentants de la société civile et d’autres parties prenantes. En favorisant la coordination entre les États membres des Nations unies, le groupe peut contribuer à mobiliser la volonté politique et à affiner les propositions émergentes.

 

Trois rassemblements à venir – la quatrième conférence internationale sur le financement du développement en juillet en Espagne, le sommet du G20 en Afrique du Sud et la conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP30) en novembre au Brésil – pourraient particulièrement servir de plateformes essentielles pour promouvoir des solutions politiques réalistes et pratiques.

 

Certes, aucune réforme ne résoudra à elle seule la crise de la dette des pays en développement du jour au lendemain. La crise a toutefois mis en évidence les limites des approches conventionnelles, ce qui souligne le besoin urgent de repenser la structure et l’objectif de la dette souveraine afin que les pays ne soient plus contraints de choisir entre rembourser leurs créanciers et assurer leur avenir.

 

Compte tenu des enjeux, toute solution doit être à la fois rapide et capable d’unir une large coalition de parties prenantes. Mais la rapidité ne peut se faire au détriment du progrès à long terme. Pour briser le cycle du surendettement, les solutions doivent aller au-delà des solutions à court terme et servir de base au développement durable.

 

Mahmoud Mohieldin, envoyé spécial des Nations unies pour le financement du Programme de développement durable à l’horizon 2030, est coprésident du groupe d’experts sur la dette. Paolo Gentiloni, ancien commissaire européen à l’économie, est coprésident du groupe d’experts sur la dette. Trevor Manuel, ancien ministre des Finances d’Afrique du Sud, est coprésident du groupe d’experts sur la dette. Yan Wang, ancien économiste principal à la Banque mondiale, est chercheur universitaire principal au Global Development Policy Center de l’Université de Boston et coprésident du groupe d’experts sur la dette.

 

Project Syndicate, 2025.
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