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Drone malien abattu : Alger et Bamako au bord de la rupture

La destruction d’un drone malien à la frontière algérienne, dans la nuit du 31 mars au 1er avril 2025, a ravivé…

La destruction d’un drone malien à la frontière algérienne, dans la nuit du 31 mars au 1er avril 2025, a ravivé une tension déjà vive entre les deux voisins. Rappel des ambassadeurs, retrait du CEMOC, fermeture de l’espace aérien, jamais l’escalade n’avait atteint un tel niveau de dégradation. Bamako accuse Alger d’actes hostiles, sur fond de divorce politique entamé depuis 2022.

L’affaire du drone malien de type Akıncı, abattu près de Tinzaouatène, a provoqué une onde de choc diplomatique entre le Mali et l’Algérie. L’appareil, selon Bamako, n’avait pas franchi la frontière alors que, pour Alger, il s’agissait d’une violation caractérisée de son espace aérien. Cet épisode a déclenché une cascade de décisions. En effet, le Mali a fermé son espace aérien en réponse à une décision similaire de l’Algérie, s’est retiré du Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC) basé à Tamanrasset et a saisi le Conseil de sécurité des Nations unies.

La réaction des pays membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) a été partagée. Si les ambassadeurs du Niger et du Burkina Faso ont été rappelés, ces pays n’ont pas suivi le Mali dans la fermeture de leur espace aérien. De plus, le Niger, en particulier, est resté dans le CEMOC, soulignant des divergences stratégiques au sein de l’alliance sahélienne.

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Au-delà de l’incident, c’est l’accumulation de tensions depuis 2022 qui a mené à cette situation. En janvier 2024, Bamako a officiellement dénoncé l’Accord d’Alger signé en 2015, reprochant à l’Algérie d’héberger des figures jugées hostiles à la Transition, comme l’Imam Mahmoud Dicko ou certains responsables de l’ex-CMA, aujourd’hui regroupés sous la bannière du FLA. Des accusations de complaisance avec des groupes armés sévissant au Mali circulent, alimentant une méfiance persistante.

Les joutes diplomatiques ont franchi un seuil inédit lorsqu’elles se sont invitées à la tribune du Conseil de sécurité. Le Mali y a évoqué des actes de déstabilisation, tandis qu’Alger a dénoncé des « dérives » et mis en garde contre l’escalade. En parallèle, les autorités maliennes ont renforcé leurs liens avec Moscou et Ankara, tout en affichant un rapprochement politique avec Rabat, notamment autour de l’Initiative royale pour l’accès à l’océan Atlantique.

Coopération bilatérale forte désormais suspendue

Longtemps considérée comme un pilier de la stabilité régionale, la coopération entre le Mali et l’Algérie s’articulait autour de plusieurs axes tels que la sécurité, l’éducation, l’économie, la diplomatie… Cette architecture s’est progressivement effondrée.

Sur le plan sécuritaire, l’Algérie jouait depuis les années 1990 un rôle de médiateur entre Bamako et les groupes armés du Nord. Elle a parrainé successivement les accords de Tamanrasset (1991), le Pacte national (1992), l’accord de 2006, puis celui de 2015. Ce dernier, soutenu par l’ONU, a longtemps été le socle de la paix fragile dans le Septentrion malien. Sa dénonciation par le Mali en 2024 a marqué un tournant stratégique.

La Commission mixte Mali – Algérie, autrefois moteur du dialogue bilatéral, est aujourd’hui inactive. Les réunions conjointes sur la sécurisation des 1 329 km de frontière commune sont suspendues. Le corridor transsaharien qui facilitait jadis les échanges militaires et humanitaires – notamment l’acheminement des équipements russes depuis 2021 – est désormais fermé.

Les échanges commerciaux, eux aussi, sont en chute libre. De 67 millions de dollars en 2016, leur volume est tombé à environ 22 millions en 2024, selon des données algériennes. Les prévisions pour 2025 évoquent moins de 10 millions. Les postes frontaliers sont de plus en plus inactifs et les projets transfrontaliers, comme le développement des infrastructures dans la zone de Bordj Badji Mokhtar, sont gelés.

Seule la coopération éducative est encore fonctionnelle. L’Algérie a accordé 825 bourses aux étudiants maliens pour l’année universitaire 2023 – 2024, contre seulement 200 en 2022 – 2023. Ces étudiants sont répartis entre Alger, Tizi Ouzou, Oran, Béjaïa, Batna, Blida, Biskra et Mostaganem, avec des filières prioritaires comme les sciences de l’ingénieur, la médecine, l’économie, l’agronomie et le droit. Aucun incident diplomatique n’est venu perturber cette coopération universitaire, qui reste l’un des derniers canaux de contact entre les deux pays.

Sur le plan militaire, des officiers maliens poursuivent toujours des formations dans les académies algériennes, notamment à Cherchell. Le nombre de stagiaires varie de 10 à 20 par an, selon des estimations diplomatiques. Là aussi, aucune décision officielle n’a mis fin à ces programmes, bien qu’ils soient devenus plus discrets.

Enfin, la présence humaine reste importante. Des milliers de Maliens vivent en Algérie, en particulier dans les zones sahariennes comme Tamanrasset. Si certaines tensions migratoires ont été signalées, aucun refoulement massif n’a été confirmé récemment. Les relations humaines et commerciales entre populations locales, notamment à travers la transhumance et les marchés transfrontaliers, restent actives à petite échelle, bien que fragilisées.

La crise énergétique s’invite

Depuis l’escalade des tensions, plusieurs régions du nord du Mali, notamment Kidal, Gao et Ménaka, font face à une aggravation de la crise logistique et énergétique. L’un des signes les plus frappants de cette dégradation est l’augmentation spectaculaire des prix des produits de première nécessité, en particulier du carburant.

Selon plusieurs sources locales, le litre d’essence est désormais vendu 2 000 francs CFA contre environ 1 000 francs quelques semaines plus tôt. Cette hausse est attribuée à la raréfaction de l’approvisionnement depuis la fermeture du corridor transsaharien. Les camions en provenance d’Algérie, souvent porteurs de produits essentiels, sont désormais bloqués et les circuits d’approvisionnement informels sont asphyxiés.

La situation a des effets en cascade comme la raréfaction des transports, la hausse des prix des denrées alimentaires, l’effondrement de l’activité commerciale dans les marchés hebdomadaires, l’exode temporaire de certaines populations vers des zones plus accessibles. Des ONGs évoquent un risque de crise humanitaire silencieuse si la situation persiste.

Réalignement géopolitique et déséquilibres internes

Le durcissement de la posture diplomatique malienne traduit un repositionnement stratégique assumé. Le pays a tourné le dos à la CEDEAO, au G5 Sahel, à Barkhane et à la Minusma pour privilégier des partenaires comme la Russie, la Turquie ou le Maroc. Ce virage, qualifié de souverainiste par les autorités, est perçu par certains comme une forme d’isolement diplomatique risqué, surtout dans un contexte régional instable.

L’Algérie, quant à elle, maintient une diplomatie prudente, multilatérale et conserve un rôle majeur dans les enceintes comme l’Union africaine ou l’ONU. Son retrait des affaires maliennes, volontaire ou contraint, pourrait désorganiser les processus de paix dans le nord du Mali et rendre les acteurs armés non étatiques plus libres de leurs mouvements.

Certains analystes sont convaincus que la rupture actuelle pourrait n’être que  temporaire. Des canaux indirects – notamment via l’Union africaine ou certains pays intermédiaires comme la Russie ou la Chine – pourraient servir de ponts pour une reprise du dialogue. Le maintien de certaines coopérations techniques (bourses, formations, diaspora) est souvent perçu comme une soupape de sécurité permettant d’éviter une rupture totale.

Les relations entre le Mali et l’Algérie sont au plus bas, le dialogue est gelé, la confiance brisée et les mécanismes de coopération suspendus. Pourtant, les deux pays restent liés par la géographie, l’histoire, les communautés et des défis communs tels que le terrorisme, les migrations, la circulation des armes et l’économie frontalière.

La fracture actuelle reflète autant une crise bilatérale qu’un changement profond dans les équilibres géopolitiques du Sahel. Pour que la dynamique bilatérale reparte, il faudra un signal fort, une volonté réelle d’apaisement et probablement l’implication de médiateurs extérieurs. En attendant, la crise du drone restera comme le symbole d’un divorce malien-algérien plus large qu’un simple incident militaire.

Massiré Diop