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Classe politique : une remise en selle au goût d’inachevé

Trois mois après son entrée en vigueur, le gouvernement a levé le 10 juillet dernier la mesure d’interdiction des activités…

Trois mois après son entrée en vigueur, le gouvernement a levé le 10 juillet dernier la mesure d’interdiction des activités des partis politiques et des activités à caractère politique des associations. Réduite au silence depuis plusieurs mois, la classe politique pourrait retrouver un poids dans le débat public pour la suite de la Transition. Mais les marges de manœuvre des partis politiques, surtout en rapport avec les élections à venir, sont assez réduites.

C’était une grande demande des partis politiques, mais peu s’y attendaient à ce moment-là. Le 10 juillet 2024, trois mois jour pour jour après sa décision initiale, le gouvernement a décidé de lever la mesure de suspension qui frappait les partis politiques et les activités à caractère politique des associations. Une décision, selon le communiqué du Conseil des ministres, qui intervient « en cette phase de mise en œuvre des recommandations du Dialogue, dans un climat de maitrise de la situation sécuritaire, politique et sociale ».

« Par cette mesure dissuasive, le gouvernement a pu contenir toutes les menaces de troubles à l’ordre public qui planaient sur cet évènement majeur (Dialogue inter-Maliens pour la paix et la réconciliation nationale, Ndlr) pour la vie de la Nation », a par ailleurs précisé le Conseil des ministres concernant la suspension.

Plusieurs partis ou personnalités politiques ont réagi suite à cette levée de la décision. « L’URD se félicite de cette décision des autorités, car elle répond à la forte préoccupation exprimée par notre parti dans son communiqué en date du 12 avril 2024 », souligne le parti de la Poignée de mains dans un communiqué, le 11 juillet. Pour l’URD, cette décision contribue à « un apaisement du climat politique et social en vue d’un rassemblement des Maliens, condition indispensable à la réussite des réformes institutionnelles et politiques en cours ».

Pour sa part, l’ancien Premier ministre Moussa Mara, tout en saluant  une « décision raisonnable demandée par la majorité des forces vives du pays », appelle  les autorités à « engager des mesures d’apaisement de l’environnement sociopolitique et à travailler avec les acteurs politiques en vue de la mise en place d’un chronogramme crédible vers le retour de notre pays à l’ordre constitutionnel ».

Même son de cloche à la Coalition des Forces patriotiques (COFOP). « La Conférence des Présidents de la COFOP profite de cette occasion pour demander aux autorités judiciaires du Mali d’examiner avec bienveillance les dossiers de tous les détenus politiques. Cela permettra à tous les acteurs politiques de participer pleinement à l’édification de notre pays conformément aux lois et règlements en vigueur », indique un communiqué de la Coalition en date du 15 juillet 2024.

Reprise et malentendus

Quelques jours seulement après la levée de la mesure suspendant les activités des partis politiques, l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE) a convié la classe politique, le 15 juillet 2024, à une rencontre pour la relance des activités du Cadre de concertation AIGE – Partis politiques.

Alors que les partis politiques s’attendaient lors de cette rencontre à un début de discussion autour d’un chronogramme électoral pour l’élection présidentielle qui devrait mettre fin à la Transition, les débats ont certes tourné autour des avancées de l’AIGE pour l’organisation des scrutins à venir mais aucune indication de calendrier électoral n’en est ressortie.

Bien qu’ils soient restés sur leur faim, la plupart des partis politiques présents à la rencontre ont salué l’initiative de l’AIGE et appelé à sa poursuite. Sauf les partis signataires de la Déclaration du 31 mars 2024. Présents à la rencontre, les représentants de ces formations parmi lesquels, entre autres, les FARE Anka Wuli de l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, l’ADEMA-PASJ, le PARENA, le parti Yelema ou encore le PS-Yeleen Koura ont décidé de suspendre leur participation à la rencontre ainsi qu’aux autres à venir jusqu’à l’obtention de la libération de leurs 11 camarades politiques « détenus injustement ». Ces leaders politiques avaient été arrêtés le 20 juin 2024 lors d’une réunion politique dans un domicile privé, alors que les activités politiques étaient encore interdites.

« L’AIGE ne peut pas se porter garant, porte-parole ou interlocuteur de citoyens, quel que soit leur rang, qui ont des difficultés avec eux-mêmes, avec la justice ou avec des tiers. À l’AIGE nous n’interférons pas dans la marche de la justice. Cela ne fait pas partie de nos prérogatives », a clamé le Président de l’AIGE, Maitre Moustapha Cissé.

Back in business ?

La levée de la suspension des activités des partis politiques et des activités à caractère politique des associations, suivie dans la foulée de la sollicitation des partis politiques par l’AIGE, pourrait ouvrir la voie à une remobilisation au sein d’une classe politique devenue l’ombre d’elle-même depuis plusieurs mois.

À nouveau libre de mener des activités et initiatives politiques sous le régime de la Transition, les partis politiques pourraient revenir au devant de la scène nationale. Mais le contexte actuel ne permet pas réellement aux hommes politiques de redorer leur blason, comme l’analyse le politologue Ballan Diakité.

« À mon avis, la levée de la suspension des activités des partis politiques ne nous permet pas dans l’immédiat d’aboutir à une revitalisation des activités des partis politiques, pour au moins deux raisons principales. D’abord, aujourd’hui, en l’absence de financement de l’État, beaucoup d’entre eux, même si on leur donne le droit de reprendre leurs activités, sont confrontés à un problème financier. Or, sans moyens financiers, difficile de mener des activités politiques », argue-t-il.

« Ensuite, dans la conjoncture politique actuelle, les partis politiques sont généralement réticents quant à l’organisation de certaines activités à caractère massif. Les leaders politiques sont dans une sorte de psychose sur la garantie même d’un certain nombre de libertés, surtout en termes de manifestions ou de réunions. Cet état général lié à la situation actuelle du pays fait que même si les partis politiques sont amenés à organiser des activités, elles ne pourront pas être d’une certaine envergure », poursuit M. Diakité.

Marges de manœuvre réduites

Largement discréditée auprès de l’opinion nationale et très souvent indexés comme responsables de plusieurs années de mauvaise gestion ayant abouti à la crise multi-dimensionnelle que vit le Mali depuis plusieurs années, les politiques sont loin de pouvoir imposer des élections dans un délai raisonnable aux militaires de la Transition.

Si une partie de la classe politique, en l’occurrence les partis membres de la COFOP, appelle à l’organisation de la présidentielle avant la fin de l’année 2024, il est certain que le gouvernement fixera lui-même en temps voulu un chronogramme électoral, même s’il revient à l’AIGE de convoquer le collège électoral. Selon certaines informations, des dates devraient être proposées très prochainement.

Pour Ballan Diakité, cette absence de perspectives immédiates pour l’organisation des élections réduit considérablement les marges de manœuvres des partis politiques pour les élections à venir, avec l’éventualité d’une candidature du Président de la Transition lui-même, comme recommandé dans les conclusions du Dialogue inter-Maliens.

« C’est une situation qui met mal à l’aise les partis politiques. Comme on le sait, un parti politique est créé pour la conquête et l’exercice du pouvoir. Mais encore faudrait-il qu’il y ait des élections et que les dates soient connues pour que les partis puissent se mobiliser et préparer les campagnes », confie le politologue.

« À défaut de précisions sur l’organisation des élections dans un futur proche, les seules marges de manœuvre qu’ont les partis politiques sont la poursuite des activités ordinaires, la participation au débat politique et la prise de position vis-à-vis de certaines décisions prises par le gouvernement », renchérit-il.

Certains analystes estiment par ailleurs que les autorités de Transition pourraient prendre la classe politique de court en dévoilant un calendrier électoral à un moment où les politiques s’y attendraient le moins et ne seraient pas suffisamment prêts pour la compétition électorale.