Alors que la localité de Tinzawatène, dans l’extrême nord du pays, à la frontière avec l’Algérie, mobilise depuis plusieurs semaines les grands moyens de l’armée pour son contrôle, le Centre du Mali continue de s’enfoncer dans la crise. Les conséquences de l’insécurité généralisée qui règne dans les régions de cette partie du pays depuis des années se multiplient, faisant du Centre une zone en constante quête de stabilité.
Le Centre du Mali est-il condamné ad vitam æternam à croupir dans l’instabilité ? Depuis 2015, lorsque la crise sécuritaire s’est intensifiée, elle s’est métastasée au fil des années pour atteindre les régions de cette partie du territoire national. Bien que les régions de Mopti, Bandiagara, Douentza et Ségou, où les groupes armés terroristes subissent de plus en plus fréquemment les ratissages des Forces armées maliennes, continuent d’enregistrer quelques attaques sporadiques, celle de San fait face depuis quelques semaines à une augmentation des incidents sécuritaires visant les forces de sécurité, particulièrement dans le cercle de Tominian.
Le 9 octobre dernier, une mission d’escorte de la Garde nationale a été prise dans une embuscade entre Wena et Ganga, faisant un mort et des blessés dans les rangs de l’armée. Plus tôt, au début du mois d’octobre, une autre mission de la Gendarmerie nationale avait été visée par une embuscade dans la même zone, à Ouan. Fin juillet, une patrouille de la Gendarmerie nationale a également été attaquée par des éléments du JNIM au nord-est de Timissa, causant des morts et des dégâts matériels des deux côtés.
Les civils ne sont pas épargnés. Au cours des derniers mois, plusieurs forains ont été la cible d’attaques de groupes armés. Une église dans la localité de Mandiakuy a également été prise pour cible. Ces groupes armés ont multiplié les incursions dans d’autres villages de la région de San, notamment ceux qui ont refusé de conclure des pactes de soumission avec eux. En conséquence, plusieurs personnes ont été contraintes de se déplacer vers le chef-lieu de la région ou d’autres localités avoisinantes.
Déplacements massifs
Ces récents déplacements dans la région de San viennent accentuer l’épineux problème des personnes déplacées internes auquel est particulièrement confronté le Centre du Mali ces dernières années. Selon la Direction régionale du développement social et de l’économie solidaire (DRDSES) de Mopti, il a été enregistré concernant les personnes déplacées internes (PDI) dans la région au cours du premier semestre de l’année 2024, un total de 465 ménages, regroupant 2 522 personnes, 1 165 hommes et 1 357 femmes. Parmi eux, 1 455 enfants.
Sur la même période, la Matrice de suivi des déplacements (DTM) publiée par la Direction nationale du développement social (DNDS) a recensé plus de 11 500 personnes déplacées internes supplémentaires à Bandiagara, Douentza et Mopti, soit 33% du total des PDI identifiées dans le Centre. Plus globalement, à la date du 31 mai 2024, dans la région de Mopti, 17 611 ménages, soit un total de 57 524 personnes, étaient déplacés. C’est la région qui enregistre le plus grand nombre de ménages déplacés même si, en termes d’individus touchés, la région de Ménaka vient en première position. Avec respectivement 47 122, 38 940 et 15 741 personnes déplacées internes, les régions de Bandiagara, Ségou et San figurent parmi celles qui enregistraient le plus grand nombre de PDI à la même date. Au Centre, celle de Douentza est la moins touchée avec 6 931 personnes déplacées internes. Toutefois, ce chiffre a connu une évolution de 12,79%, puisque seules 6 145 personnes étaient concernées en décembre 2023.
Écoles fermées
Les mêmes raisons sécuritaires à l’origine du déplacement massif à l’intérieur des régions du Centre ont aussi conduit à la fermeture de plusieurs écoles. Dans la région de Mopti, la situation en juin 2024 montrait, selon les chiffres de l’Académie d’enseignement de la région, 262 écoles non fonctionnelles sur un total de 787, soit un taux de 33,29% dans les deux académies de Mopti et Tenenkou.
Selon la même source, 47% de ces écoles sont fermées en raison de la menace des groupes armés et 34% pour absence des enseignants par peur de l’insécurité. Au total, dans la région de Mopti, 745 enseignants ont abandonné leur poste.
À en croire la même source, dans la région voisine de Douentza, 223 écoles ont fermé leurs portes, privant 66 000 enfants d’accès aux classes. Une source locale contactée confirme cette situation mais affirme que la ville de Douentza n’est pas concernée. « À l’intérieur de la région, pratiquement toutes les écoles sont fermées. Mais à Douentza ville, elles ont toutes ouvert l’année passée et sont prêtes à ouvrir cette année » estime-t-il.
Économie au ralenti
La détérioration du climat sécuritaire dans le Centre du Mali a conduit au fil des années à la paralysie totale de l’économie locale. Avec la multiplication des attaques des groupes armés et la persistance de la menace terroriste dans cette zone, le tourisme, qui autrefois participait significativement à la vitalité économique des régions de Mopti et de Bandiagara notamment, ne prospère plus. Plusieurs autres activités génératrices de revenus sont également à l’arrêt.
« En ce qui concerne Bankass, on peut dire que l’économie locale est paralysée. Ni les commerçants ni les opérateurs économiques ne peuvent participer aux foires hebdomadaires des communes », se désole Mamoutou Guindo, Président du Conseil local de la jeunesse de Bankass.
« À cela s’ajoute l’arrêt des activités génératrices de revenus. Les activités des jeunes sont presque au point mort. Les femmes qui épaulaient leurs maris dans les charges des ménages ne peuvent plus tenir de petits commerces dans les foires », poursuit-il.
Ce porte-voix de la jeunesse locale de Bankass affirme par ailleurs que plus de la moitié des terres cultivables du cercle est abandonnée pour des raisons sécuritaires et, plus grave, que la plupart des champs ont été récemment affectés par les inondations. À l’en croire, l’élevage, l’autre principale activité pratiquée dans le cercle, est aussi impacté par la crise, tout le bétail ayant été emporté par les terroristes.
À Douentza, la situation est aujourd’hui un peu moins alarmante, selon une source locale qui confie qu’à l’exception d’une commune, Haïré, qui subit un blocus depuis un an et demi, sans entrée ni sortie de marchandises, « dans les autres localités, les marchés fonctionnent et les commerçants s’y rendent ».
Des initiatives sans résultats concrets
Face à la persistance de la crise sécuritaire au Centre du Mali, le gouvernement a adopté en février 2017 un Plan de sécurisation intégré des régions du Centre. Il concernait uniquement les régions de Mopti et de Ségou et avait pour objectif de pacifier ces régions et d’y réduire de manière significative, voire supprimer complètement, les causes de l’insécurité et du terrorisme par la mise en œuvre d’actions en matière de sécurité, de gouvernance, de développement local et de communication. Mais ce plan a connu des manquements dans la concrétisation des actions définies, au point que malgré son adoption, trois ans après, en 2020, la crise s’est élargie à d’autres localités.
En août 2022, deux ans après le renversement du régime du Président IBK, le gouvernement de transition a à son tour adopté une Stratégie nationale de stabilisation des régions du Centre, avec un lancement officiel en mars 2023 et un plan d’actions 2022-2024. Estimée à 956,1 milliards de francs CFA, elle s’articule autour de quatre axes : le rétablissement de la paix, de la sécurité et de la cohésion sociale ; l’amélioration de la gouvernance et le renforcement de la justice ; la gestion des questions humanitaires et le relèvement économique et la communication et la coordination des interventions. À l’instar du plan de sécurisation intégré des régions du Centre de 2017, cette Stratégie nationale peine également à résoudre définitivement la crise.
Pour Baba Dakono, Secrétaire exécutif de l’Observatoire citoyen sur la gouvernance et la sécurité, cela est dû à un certain nombre de paramètres. « La stratégie n’a jamais véritablement décollé. Elle a été élaborée principalement par le cadre politique pour la gestion de la crise sécuritaire au Centre. Ce cadre était principalement soutenu par des partenaires étrangers, dont la MINUSMA et d’autres acteurs. Avec le retrait de certains de ces partenaires, comme la mission onusienne, et le rétrécissement de l’appui au pays, le cadre politique lui-même a été fermé il y a peu plus d’un an, sans qu’on ait véritablement eu l’occasion d’implémenter cette stratégie », explique-t-il.
Pour cet expert des questions sécuritaires, la crise du Centre du Mali perdure parce que les autorités du pays peinent à trouver une réponse globale et multiforme qui inclurait, en plus de la réponse militaire, une stratégie politique, économique et sociale. « Tant qu’on n’aura pas une réponse intégrée qui prenne en compte les différentes dimensions, il sera difficile de venir à bout de cette insécurité », avertit Baba Dakono. « Il y a la nécessité d’avoir une stratégie globale de sécurisation du pays qui permettra de mettre un peu plus en avant les autres dimensions de la crise pour y apporter des réponses », conclut-il.
Mohamed Kenouvi