Discours religieux : Quand les mots attisent la discorde et menacent la paix sociale

Depuis plusieurs années, le Mali, pays historiquement connu pour sa tolérance interreligieuse, est confronté à une recrudescence de discours religieux polémiques. Ces prêches, souvent amplifiés par les réseaux sociaux, exaspèrent les tensions et fragilisent la cohésion sociale.

Des figures influentes telles que Mahi Ouattara, Abdoulaye Koïta ou le Révérend Michel Samaké ont récemment été convoquées par les juridictions, accusées d’incitation à la haine ou d’avoir tenu des propos offensants envers certaines confessions. Ces affaires reflètent les défis auxquels fait face le pays pour préserver l’harmonie entre ses différentes communautés religieuses.

Selon un document de l’ambassade des États-Unis au Mali publié en 2021, avec une population de plus de 22 millions d’habitants composée à 95% de Musulmans, majoritairement sunnites de rite malékite, et à 5% de Chrétiens (deux tiers catholiques, un tiers protestants), le Mali a toujours misé sur le dialogue interreligieux pour maintenir son unité. Cependant, les récentes dynamiques sociales et politiques, combinées à une utilisation intense des technologies numériques, amplifient les fractures et exacerbent les tensions.

Pourtant, le pays dispose d’un cadre légal robuste pour assurer la coexistence des confessions. La Constitution de 2023 consacre la laïcité de l’État tout en respectant les croyances religieuses. L’article 32 précise que la laïcité « ne s’oppose pas à la religion et aux croyances », mais vise à promouvoir le vivre-ensemble. En parallèle, l’article 1er interdit toute discrimination religieuse, tandis que l’article 14 garantit la liberté de pensée, de conscience et de culte.

Le Code pénal renforce ces principes à travers des dispositions spécifiques. L’article 242-1 punit tout propos ou acte portant atteinte à la liberté de conscience ou incitant à une discrimination religieuse d’un emprisonnement de sept ans et d’une interdiction de séjour de dix ans. L’article 255-1, quant à lui, condamne l’apologie du terrorisme, particulièrement lorsqu’elle attise les tensions interconfessionnelles.

Des références internationales pour renforcer la tolérance

Le Mali est également signataire de plusieurs conventions internationales protégeant la liberté religieuse. Parmi celles-ci figurent entre autres la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948), qui consacre la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 18), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966), qui réaffirme ce droit en insistant sur la liberté de manifester sa religion individuellement ou collectivement, la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion (1981) et la Convention relative aux droits de l’enfant (1989), dont l’article 14 garantit aux enfants la liberté religieuse tout en respectant le rôle des parents.

Ces instruments renforcent les engagements du Mali en faveur d’un climat de tolérance et d’égalité entre toutes les confessions.

Les médersas : un pilier éducatif sous pression

Les médersas, ou écoles coraniques, jouent un rôle central dans l’éducation religieuse au Mali. Elles représentent environ 16% des établissements scolaires, avec plus de 3 000 écoles accueillant environ 400 000 élèves. Ces institutions, bien qu’essentielles pour la transmission des valeurs islamiques, font face à des défis importants. Dans certaines régions, le manque de supervision permet la propagation de discours radicaux ou l’enseignement d’idéologies extrémistes.

Pour y remédier, le ministère des Affaires religieuses a lancé des initiatives visant à mieux encadrer ces écoles. Des formations pour les maîtres coraniques axées sur la tolérance et la coexistence pacifique ont été mises en place. De plus, des modules éducatifs sur la paix et le respect des diversités ont été introduits dans certains programmes scolaires. Ces efforts cherchent à renforcer le rôle positif des médersas dans la société.

Les conséquences de la radicalisation sur les communautés

Entre 2021 et 2024, les activités des groupes armés dans les régions du nord et du centre ont eu des conséquences dramatiques sur l’éducation. Selon le rapport du Cluster Éducation Mali publié fin 2024, l’insécurité persistante a entraîné la fermeture de 1 792 écoles, affectant environ 537 600 élèves et 10 752 enseignants. Cette crise éducative est alimentée par des discours religieux polémiques qui, en déshumanisant ou en diabolisant « l’autre », justifient le recours à la violence contre des groupes perçus comme des menaces. Le rapport « La Fabrique de l’islamisme » et les travaux d’Open Edition Books confirment que ce type de rhétorique, combiné aux tensions sociales et politiques, facilite la montée de l’extrémisme violent. Cette dynamique offre aux groupes radicaux un terreau fertile pour recruter des partisans, exacerbant davantage les tensions et l’instabilité dans le pays.

Selon le Rapport 2021 de l’Aide à l’Église en Détresse (AED), la liberté religieuse est menacée dans un pays sur trois, avec des violations notoires dans 62 pays parmi les 196 étudiés. Le Mali fait partie de ces nations où la liberté religieuse est compromise, principalement en raison de l’expansion du terrorisme et des tensions intercommunautaires. Cette situation illustre les défis auxquels le pays est confronté pour garantir la coexistence pacifique entre les différentes communautés religieuses

Des lieux de culte chrétiens, bien que minoritaires, ont également été pris pour cible. De plus, plusieurs attaques et enlèvements de religieux, Musulmans et Chrétiens, ont été signalés, alimentant un climat de peur et de méfiance entre les communautés. Ces tensions soulignent l’impact direct des discours polarisants sur la cohésion sociale.

Discours de haine en ligne : une menace amplifiée par le numérique

Avec 7,82 millions d’internautes en 2024, soit un taux de pénétration de 33,1%, et 2,15 millions d’utilisateurs de réseaux sociaux, selon DaraReportal, le Mali fait face à une utilisation grandissante des technologies numériques. Cependant, ces plateformes deviennent également des espaces privilégiés pour la diffusion de discours clivants et haineux. Les algorithmes des réseaux sociaux favorisent souvent les contenus polémiques, créant des « chambres d’écho » qui renforcent les croyances extrémistes.

Par ailleurs, le Pôle national de lutte contre la cybercriminalité s’efforce de réguler ces discours en ligne, mais il manque de moyens techniques et financiers. De plus, des campagnes de sensibilisation, souvent menées par des ONG locales, visent à éduquer les utilisateurs sur les dangers des contenus extrémistes et à promouvoir un usage responsable des plateformes numériques.

Des exemples régionaux pour inspirer le Mali

Certains pays africains offrent des modèles réussis pour encadrer les discours religieux. Au Maroc, le Haut Conseil des Oulémas supervise les prêches et veille à ce qu’ils respectent les principes d’un Islam modéré. Depuis 2005, plus de 12 000 Imams y ont été formés pour diffuser des messages de tolérance. Le Sénégal, quant à lui, dispose du Conseil National des Imams et Oulémas, qui joue un rôle similaire en encourageant des sermons prônant la paix et la coexistence pacifique. À l’international, l’ambassade des États-Unis au Mali soutient des initiatives de dialogue interreligieux et des formations en médiation ayant bénéficié à plus de 500 participants en 2021 pour renforcer la cohésion sociale et contrer l’extrémisme violent. Ces exemples montrent qu’un encadrement institutionnel rigoureux peut prévenir la radicalisation et renforcer la cohésion sociale.

Les initiatives nationales pour promouvoir la paix

Pour contrer les discours haineux et prévenir l’extrémisme, le gouvernement a mis en place plusieurs initiatives. Le Plan d’action national pour la prévention de l’extrémisme violent (2021 – 2025) constitue une réponse stratégique aux causes profondes de la radicalisation. Ce plan s’appuie sur l’éducation, le dialogue interreligieux et le renforcement des institutions locales. Malgré l’énorme travail abattu, cette initiative fait face à plusieurs limites objectives. Le Plan d’action national pour la prévention de l’extrémisme violent au Mali présente plusieurs failles, notamment une coordination insuffisante entre les acteurs impliqués, des ressources financières et humaines limitées et un contexte sécuritaire instable marqué par des violences persistantes. De plus, bien que l’engagement communautaire soit essentiel, la mobilisation effective des populations locales reste un défi. Ces facteurs limitent l’efficacité et la portée du plan dans la lutte contre l’extrémisme violent.

Parallèlement à cette initiative, le Projet Alternatif Redevable pour Lutter contre l’Extrémisme Radical (PARLER), lancé en 2022, forme les leaders religieux à diffuser des prêches modérés. De plus, le Cadre de concertation interreligieux, actif depuis 2021, organise des forums pour désamorcer les tensions et encourager la compréhension mutuelle entre les confessions.

Le Mali dispose d’un cadre juridique solide et de nombreuses initiatives pour faire face aux défis posés par les discours religieux polémiques. Cependant, leur mise en œuvre nécessite une meilleure coordination entre l’État, les institutions religieuses et la société civile. En s’inspirant de modèles régionaux et en mobilisant tous les acteurs, le pays peut renforcer sa résilience et préserver son identité de nation tolérante et inclusive.

Massiré Diop

 

La fintech doit embrasser l’inclusion universelle

Ces dernières années, le monde a réalisé des progrès remarquables en matière d’inclusion financière. Au cours de la décennie qui a débuté en 2011, la proportion d’adultes ayant accès à des services financiers a augmenté de 50 %, pour atteindre plus de trois quarts. Mais nous avons encore un long chemin à parcourir pour créer un système financier véritablement inclusif. Au-delà de l’élargissement de l’accès aux produits et services financiers, nous devons veiller à ce que ces produits et services conviennent à tous, y compris aux 1,2 milliard de personnes handicapées dans le monde.

 

La première génération de technologies financières a perturbé les services bancaires traditionnels en facilitant l’accès des personnes sous-bancarisées (pensez à l’argent mobile et aux micro-prêts). La prochaine vague d’innovation doit aller plus loin, et adopter l' »inclusion universelle » comme principe de conception de base. L’inclusion universelle traduit l’idée que chacun mérite d’avoir accès à des outils financiers qui répondent réellement à ses besoins et améliorent son bien-être.

 

Nous avons déjà des exemples de ce à quoi cela pourrait ressembler. Prenons l’exemple de la technologie « tap-to-phone », qui permet aux commerçants d’accepter des paiements à l’aide de leur smartphone, sans avoir besoin d’un terminal de paiement. Cette fonctionnalité présente des avantages évidents pour tous les acheteurs et vendeurs, qu’il s’agisse de commodité ou de sécurité. Mais elle permet également aux personnes aveugles ou malvoyantes, qui pourraient avoir du mal à compter l’argent liquide, de participer plus pleinement à l’économie numérique. Les personnes dont la mobilité est affectée, par des maladies comme l’arthrite, la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson et l’infirmité motrice cérébrale, peuvent également avoir recours à la technologie « tap-to-phone ».

 

Il en va de même pour les paiements à commande vocale : ils sont pratiques pour tous, mais essentiels pour les personnes souffrant de déficiences visuelles, d’une mobilité limitée ou de problèmes d’alphabétisation. Il s’agit là d’une conception universellement inclusive optimale – si pratique que tout le monde, handicapé ou non, l’utilise. En fait, l’adoption généralisée de ces technologies les rend encore plus faciles à utiliser pour les personnes handicapées. Étant donné que 62 % des handicaps sont invisibles, il peut être très difficile de demander des aménagements. Mais personne ne sourcillera devant un outil « accessible » s’il l’utilise déjà.

 

Malgré quelques succès, l’approche dominante du développement des produits financiers ne met pas suffisamment l’accent sur l’inclusivité. Il s’agit non seulement d’un échec moral, mais aussi d’une opportunité économique manquée. Les personnes handicapées, ainsi que leurs amis et leur famille, représentent un revenu disponible colossal de 13 000 milliards de dollars. Avec l’allongement de l’espérance de vie, le nombre de personnes handicapées – et leur pouvoir d’achat – est appelé à augmenter.

 

Au-delà des bénéfices directs liés à l’exploitation de ce vaste marché mal desservi, les sociétés de services financiers qui s’engagent dans la voie de l’inclusion universelle deviendraient plus attrayantes pour d’autres clients, en particulier les jeunes générations. Une étude de 2018 a montré que 91 % des millennials (nés entre 1980 et 1994) remplaceraient un produit qu’ils achètent habituellement par une alternative provenant d’une entreprise « à mission ». La génération Z (née entre le milieu des années 1990 et le début des années 2010) est également très encline à s’intéresser aux marques qui mettent l’accent sur les valeurs sociales.

 

Pour tirer le meilleur parti de l’inclusion universelle, les institutions financières devraient adopter un nouveau cadre d’innovation reposant sur trois piliers. Le premier est une approche de conception universellement inclusive, dans laquelle les considérations d’accessibilité façonnent les solutions dès le départ. Il s’agirait d’un changement important par rapport à l’approche actuelle fondée sur la conformité, dans laquelle les ajustements sont souvent effectués après coup pour répondre aux normes minimales d’accessibilité. Son succès dépendrait en grande partie de la participation des personnes handicapées à toutes les phases du processus de conception.

 

Le deuxième pilier d’un nouveau cadre pour les fintechs est constitué par les données. Il est important de mesurer nos progrès en matière d’inclusion financière globale, mais il est tout aussi important de collecter des données détaillées qui différencient les groupes ou les segments. Ces données devraient aller au-delà de l’accès, pour couvrir la qualité des services et les changements dans le bien-être financier qui résultent des produits de l’industrie.

 

Enfin, il est essentiel d’établir des normes claires en matière de responsabilité et d’information. Les cadres réglementaires doivent prévoir des mesures qui incitent les institutions de services financiers à divulguer leurs progrès en matière d’inclusion universelle, en faisant de ces résultats un élément fondamental de leurs rapports, au même titre que les indicateurs financiers traditionnels.

 

Les avantages de l’inclusion universelle vont au-delà du profit. L’économie devient plus résiliente et plus dynamique lorsque tous les individus peuvent y participer pleinement. Les efforts déployés pour répondre aux besoins d’un groupe mal desservi peuvent déboucher sur des innovations qui profitent à tous – un phénomène connu sous le nom d' »effet de trottoir », en référence aux rampes d’accès aux trottoirs conçues pour les utilisateurs de fauteuils roulants, mais qui ont amélioré la vie de nombreuses autres personnes, qu’il s’agisse de parents avec des poussettes ou de travailleurs de la livraison.

 

Plutôt que de considérer l’accessibilité comme un obstacle à surmonter, nous devons reconnaître son potentiel en tant que catalyseur de l’innovation et de la croissance. L’inclusion universelle dans les services financiers n’est pas seulement une question de bien faire, c’est aussi une question de bien faire des affaires.

 

Carl Manlan est vice-président de l’impact inclusif et de la durabilité chez Visa CEMEA. Adanna Chukwuma, Aspen First Mover Fellow, est directeur principal de la mesure de l’impact mondial chez Visa.

 

Project Syndicate, 2025.
www.project-syndicate.org

Inondations et pollution : La crainte d’une crise environnementale majeure en 2025

Le Mali fait face à deux crises environnementales majeures : des inondations historiques qui continuent de dévaster des régions entières malgré la fin de l’hivernage et une pollution atmosphérique croissante, à Bamako notamment. Ces phénomènes, aggravés par les pratiques humaines et le manque d’application des politiques environnementales, posent des défis colossaux pour l’avenir.

Depuis juillet 2024, des inondations d’une ampleur exceptionnelle ravagent le pays, causant des dégâts considérables. Près de 259 795 personnes ont été touchées, avec un bilan d’une centaine de décès et 148 blessés. Les régions de Ségou, Gao et Tombouctou sont parmi les plus durement affectées. À Gao, plus de 1 990 maisons se sont effondrées sous l’effet de précipitations intenses. Malgré la fin de l’hivernage en octobre 2024, les niveaux d’eau restent critiques, détruisant des infrastructures et exposant les populations à des déplacements et risques sanitaires tels que le choléra et le paludisme.

Parallèlement, la capitale, Bamako, est confrontée à une pollution atmosphérique alarmante. Selon l’Indice de Qualité de l’Air (IQA), les concentrations de particules fines dépassent largement les normes recommandées par l’OMS, classant l’air de la ville comme « nocif ». Le Pr Yacouba Toloba, pneumologue, a alerté sur l’augmentation des maladies respiratoires et cardiovasculaires. En 2024, 83 décès liés aux maladies respiratoires, dont une part significative attribuable à la mauvaise qualité de l’air, ont été dénombrés. La même étude a également indiqué que plus de 260 000 personnes fréquentent les hôpitaux chaque année pour bénéficier de soins contre les pathologies respiratoires.

La Pr Fatoumata Maïga, spécialiste des questions environnementales, attribue cette pollution à plusieurs facteurs : les véhicules de seconde main, souvent mal entretenus, les activités industrielles et artisanales, ainsi que les pratiques agricoles et minières. Des pratiques qui libèrent des fumées toxiques et des particules de poussière dans l’atmosphère. Même l’élevage intensif contribue à ce problème par le dégagement de gaz issus des mélanges de bouses et d’urines.

Pour réduire cette crise, elle recommande de restreindre l’importation de véhicules trop âgés, de diminuer l’utilisation de moteurs diesel et de réguler strictement les activités industrielles. Cependant, elle souligne que l’application des politiques publiques reste un défi majeur, malgré l’existence de textes. Une situation qu’elle attribue à des pratiques sociales néfastes, comme le favoritisme et l’impunité.

Ainsi, l’année 2025 s’annonce déterminante pour le pays, où des actions concrètes et une sensibilisation accrue sont nécessaires pour faire face à des crises environnementales aux conséquences imprévisibles.

Croissance économique : Les chantiers pour une transition énergétique durable

La croissance économique du Mali devrait s’accélérer à 5,3% en 2025, tirée notamment par le secteur minier. Cependant, l’année 2025 s’annonce également avec de nombreux défis, notamment celui de l’accès à l’énergie. Si le démarrage de la production de lithium présente de nouvelles opportunités en matière d’énergies renouvelables, le modèle d’exploitation doit évoluer pour permettre de soutenir d’autres secteurs de l’économie. La relance de l’économie reste en outre confrontée aux conséquences des chocs climatiques et à l’insécurité.

Le lancement des activités de la mine de lithium de Goulamina, le 15 décembre 2024, devrait contribuer à booster la transition énergétique grâce à la fourniture d’équipements utilisés dans l’énergie solaire, espèrent les autorités.

Cependant, pour offrir de nouvelles perspectives dans le secteur des énergies renouvelables, cette opportunité doit, au-delà de l’extraction, permettre au Mali de bénéficier à d’autres niveaux de cette chaîne de valeur. « À défaut d’avoir des usines de transformation sur place, on peut négocier des conditions d’accès plus faciles au produit », explique Abdrahamane Tamboura, économiste. Avec 51% de parts accordées aux entreprises maliennes, les contrats de sous-traitance devraient générer environ 250 milliards de francs CFA. De plus, la mine de Goulamina contribuera au développement local avec un investissement compris entre 20 et 25 milliards.

Le domaine des technologies à base de lithium est en expansion, mais les compétences locales pour répondre à ces besoins sont insuffisantes. Il est donc essentiel de développer ces talents.

Changer de schéma

À terme, il s’agit de changer le modèle d’exploitation de nos matières premières, actuellement basé sur l’exportation de produits bruts. Le chantier de la transformation économique doit être envisagé sur le long terme, sous peine de ne pas obtenir les résultats escomptés.

Le contexte devrait permettre une réflexion approfondie, estime M. Tamboura. Le développement que l’on envisage nécessite de sortir de l’urgence et de trouver un juste milieu entre la satisfaction des besoins pressants et l’exploitation judicieuse des potentialités.

En octobre 2024, le Gouvernement a interdit l’exportation de certains produits, dont l’arachide, la noix de karité et le sésame. Cette mesure vise à booster l’industrie locale, mais elle est redoutée par les producteurs, qui craignent une baisse de revenus, l’industrie locale ne transformant qu’une partie infime de la production. Pour renforcer cette capacité, il est crucial de fournir le secteur agricole en énergie, estime M. Tamboura.

Cela peut se faire à travers le développement du sous-secteur de la bioénergie, par exemple. Le secteur agricole, qui est un bon pourvoyeur de matières premières pour le sous-secteur des bioénergies, a également besoin d’énergie pour son propre développement. Un développement basé sur la valorisation des produits agricoles. Ce modèle, qui combine production et transformation, peut conduire à intensifier la production et à la valoriser.

Aigles du Mali : De nouveaux challenges en 2025

En 2025, les Aigles du Mali se préparent à relever deux défis majeurs : les éliminatoires de la Coupe du Monde 2026 et la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2025 au Maroc. Ces compétitions représentent une étape décisive pour le football malien, en quête de renouveau.

Dans le cadre des éliminatoires de la Coupe du Monde 2026, le Mali se trouve dans le Groupe I, aux côtés du Ghana, de Madagascar, de la République centrafricaine, des Comores et du Tchad. Après quatre journées, les Aigles occupent la quatrième place avec cinq points. Ils sont devancés par les Comores et le Ghana (9 points chacun) et Madagascar (7 points). Le Mali a remporté une victoire contre le Tchad (3-1), concédé un match nul contre la République centrafricaine (1-1), subi une défaite face au Ghana (1-2) et partagé les points avec Madagascar (0-0). Pour espérer une qualification historique au Mondial, les Aigles doivent améliorer leurs performances lors des prochaines journées, à partir de mars, avec des matches importants. Cette compétition, qui se déroulera pour la première fois dans trois pays (États-Unis, Canada et Mexique), est un objectif majeur pour les Maliens, surtout après leur élimination par la Tunisie lors des barrages de 2022.

En parallèle, le Mali a validé sa qualification pour la CAN 2025 en terminant premier de son groupe. Sous la direction de l’entraîneur belge Tom Saintfiet, les Aigles ont affiché des performances solides, totalisant 14 points avec 4 victoires et 10 buts marqués, tout en n’encaissant qu’un seul but. Prévue du 21 décembre 2025 au 18 janvier 2026 au Maroc, la CAN a été décalée pour des raisons climatiques. Le tirage au sort des groupes, le 27 janvier 2025, déterminera les adversaires des Aigles. Cette compétition est une occasion pour le Mali de briller, après avoir atteint les quarts de finale en 2024, éliminés par le pays-hôte, la Côte d’Ivoire (1-0). Fort de cette expérience, il vise les demi-finales, voire le titre.

L’année 2025 représente une véritable opportunité pour le Mali de confirmer sa progression sur la scène continentale et mondiale. Entre la CAN et les éliminatoires du Mondial, les défis sont immenses, mais les Aigles semblent prêts pour les relever. Le soutien des supporters et la rigueur dans la préparation seront essentiels pour atteindre ces ambitions.

 

2025 Année de la Culture : Des opportunités pour les acteurs

L’année 2025 a été déclarée « Année de la Culture » par le Président de la Transition. Creuset de valeurs et de talents, la culture est reconnue par ses acteurs comme un levier de développement. Cependant, pour faire de cet atout un allié capable de résoudre les maux de notre société, il est nécessaire d’élaborer une stratégie, de mobiliser des moyens et, surtout, de montrer une volonté politique.

L’Année de la Culture représente une opportunité pour tous les artistes qui doivent se sentir concernés, soutient Cheick Tidiane Seck, artiste musicien. La culture, en tant que facteur de vivre ensemble, constitue un pont qui doit nous relier sans pour autant nous fermer aux autres. Les artistes sont donc mis à l’honneur et doivent « transformer l’essai » grâce à des projets innovants, destinés à accroître la visibilité de notre culture et à engager un dialogue avec le reste du monde. D’après lui, il est impératif « d’imprégner les jeunes », car toute connaissance débute par la connaissance de soi. En s’appuyant sur la « profondeur des valeurs », M. Seck estime que « nous devons colorer le modernisme avec nos parfums » pour affirmer notre spécificité. Par exemple, en matière de musique, il est essentiel d’être à la fois créatif et éthique, afin de tirer un bon parti de la modernité. On peut harmoniser son identité avec son époque sans perdre son authenticité.

Libérer l’expression

Pour se développer à travers la culture, il est indispensable d’adopter une véritable stratégie et un programme d’action, estime Souleymane Cissé, cinéaste. Cette stratégie doit être conçue en collaboration avec les acteurs, car « c’est à nous de valoriser notre culture, de l’exprimer ».

Si nous consommons des cultures d’ailleurs, c’est parce que ces pays ont travaillé pour se faire connaître à l’échelle mondiale. Aucun pays ne peut se développer sans sa culture, ajoute M. Cissé.

Il est donc crucial « d’obligatoirement écouter les acteurs de la culture ». Pour le cinéaste, chaque acteur de la culture est d’abord un patriote, une personne qui aime profondément son pays. C’est donc à eux d’établir les fondements de la culture,

En ce qui concerne l’industrie cinématographique, elle ne peut prospérer sans une implication effective des autorités, des ressources adéquates et des soutiens. Cependant, « le cinéma cherche toujours du soutien » souligne M. Cissé.

Avant tout, il est primordial de libérer l’expression culturelle, insiste M. Cissé. Sans cela, aucun développement ou épanouissement n’est possible. Il plaide aussi pour que le CNCM (Centre National de la Cinématographie et du Mali) soit doté des moyens de sa politique. Avant d’inviter les autorités à encourager la création et à soutenir les créateurs.

2025 : Entre espoirs et défis

L’année 2024 a été particulièrement éprouvante pour le pays, confronté à des défis majeurs sur plusieurs fronts. Malgré des efforts, la situation sécuritaire demeure préoccupante, avec des attaques récurrentes de groupes armés perturbant la quiétude des populations.

La transition politique, quant à elle, se poursuit sans annonce précise quant à l’organisation de l’élection présidentielle tant attendue. Lors de son discours à la Nation, le 31 décembre 2024, le Président de la Transition n’a pas évoqué de date pour ce scrutin important et attendu, laissant planer l’incertitude sur le retour à un ordre constitutionnel normal.

Les inondations de l’année écoulée ont été particulièrement meurtrières et dévastatrices, causant de nombreuses pertes en vies humaines et des dégâts matériels importants. Ces catastrophes ont dévoilé la vulnérabilité des infrastructures et l’urgence de mesures préventives pour éviter la répétition de tels drames.

Par ailleurs, force est de reconnaître qu’aujourd’hui les conditions de vie des Maliens ont connu une certaine détérioration, exacerbée par une crise énergétique persistante. Malgré le lancement de projets de centrales solaires, la demande en électricité dépasse largement l’offre, entraînant des coupures fréquentes. En dépit des annonces fortes, le bout du tunnel est encore lointain. Cette situation, combinée à la hausse du coût de la vie, a conduit à des mouvements sociaux et à des annonces de grèves dans divers secteurs.

Ainsi, l’année 2025 s’annonce décisive pour le pays. Les défis à relever incluent l’amélioration de la sécurité, la stabilisation économique, la mise en place d’infrastructures résilientes face aux aléas climatiques et la satisfaction des aspirations démocratiques de la population. La communauté nationale attend avec impatience des actions concrètes pour surmonter ces obstacles et construire un avenir plus serein.

2025 : Année électorale ?

Alors qu’elle était initialement prévue pour février 2024, l’élection présidentielle destinée à mettre fin à la Transition a été reportée sine die en septembre 2023. Plus d’une année après ce « léger report », pour des « raisons techniques », aucune nouvelle date n’a été communiquée par le gouvernement de transition. Cependant, certains signaux laissent à penser que ce scrutin, marquant le retour à l’ordre constitutionnel au Mali, pourrait se tenir au cours de l’année 2025.

Depuis quelques semaines, des évolutions semblent se dessiner concernant l’organisation de cette élection présidentielle dans les mois à venir. Dans une lettre de cadrage remise au Premier ministre Abdoulaye Maïga le 27 novembre 2024, le Président de la Transition a exhorté la nouvelle équipe gouvernementale à créer les conditions nécessaires « pour des élections transparentes et apaisées », lesquelles devront mettre fin à la Transition.

Lors de la cérémonie solennelle de rentrée des cours et tribunaux 2024 – 2025, qu’il a présidée le 26 décembre dernier, le Général d’armée Assimi Goïta a réitéré son appel au gouvernement pour qu’il mobilise les moyens matériels, financiers et humains nécessaires à la bonne organisation des futurs scrutins, seul gage d’un retour apaisé et sécurisé à l’ordre constitutionnel.

Dans cette dynamique, le Premier ministre a relancé le Cadre de concertation entre le gouvernement, les partis politiques et la société civile lors de deux rencontres tenues les 5 et 6 décembre 2024, suite à sa visite à l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE) le 2 décembre.

Axées sur la présentation du point d’étape de la révision annuelle des listes électorales de 2024, ces rencontres ont vu plusieurs questions relatives à l’organisation des élections être également abordées lors des échanges.

« Nous allons faire l’effort d’aller vite, mais nous veillerons à ne pas confondre vitesse et précipitation. Nous ne pouvons pas nous permettre d’aller vers une crise post électorale. C’est pourquoi le Chef de l’État insiste sur la création des conditions nécessaires », a déclaré le Chef du gouvernement.

Budget électoral : Un gage ?

Le 19 décembre 2024, le Conseil national de transition (CNT) a adopté la Loi des finances 2025, confirmant les fonds destinés à l’organisation des élections, aux organismes spécialisés et aux départements ministériels, pour un montant de 80,750 milliards de francs CFA, dont 6,093 milliards pour l’AIGE et 17,297 milliards pour les nouveaux organes établis par la Constitution du 22 juillet 2023.

Après un retrait de la Loi des finances en 2024, la réapparition des dépenses électorales dans le budget de 2025 est perçue par plusieurs observateurs comme un signe positif pour la tenue de l’élection présidentielle cette année. Cependant, certains acteurs politiques, bien qu’ils saluent la prévision des dépenses électorales, demeurent prudents.

« Le fait de voir les dépenses relatives à l’organisation des élections mentionnées dans la Loi de finances est une bonne chose, mais ce n’est pas une garantie suffisante », affirme Alhassane Abba, Secrétaire général de la Convergence pour le développement du Mali (CODEM). « Tant que nous ne serons pas convoqués pour échanger en tant que classe politique sur la tenue des élections, nous demeurerons inquiets et sceptiques », poursuit-il.

Hamidou Doumbia, Secrétaire politique du parti Yelema, partage cet avis. Pour lui, au-delà de l’adoption du budget, il faut un chronogramme clair, avec des dates fixées pour les élections et un engagement ferme des autorités de la Transition.

« En 2021, les dépenses électorales étaient déjà inscrites dans le budget. Pourtant, les élections n’ont pas eu lieu. Il y a eu ensuite deux prolongations de la Transition. Cela ne peut donc pas être une garantie », affirme M. Doumbia.

Signaux positifs

En plus de l’adoption par le CNT de la Loi des finances 2025 prévoyant un budget pour les élections, l’AIGE s’active également. L’organe chargé de l’organisation des élections a commencé en décembre une série de formations pour les membres de ses coordinations dans toutes les régions du pays.

L’objectif est de renforcer leurs capacités, notamment en ce qui concerne la centralisation des résultats des scrutins et la collaboration entre l’AIGE, les partis politiques, la société civile et le ministère de l’Administration territoriale.

Déjà en juillet dernier, quelques jours après la levée de la suspension des activités des partis politiques, l’AIGE avait convié la classe politique et les acteurs de la société civile pour faire le point sur ses avancées dans la préparation des futures échéances électorales.

Pour Soumaïla Lah, enseignant-chercheur et analyste politique, l’activité actuelle de l’AIGE sur le terrain et ses contacts réguliers avec les partis politiques pour aborder les questions électorales et trouver un consensus à ce sujet sont des indicateurs de la tenue des élections en 2025.

Deux autres facteurs soutiennent son analyse : la Loi de finances 2025 qui prévoit une enveloppe pour les élections et la création d’un ministère délégué auprès du Premier ministre, chargé des Réformes politiques et du soutien au processus électoral.

« Je pense que le processus pour l’organisation des élections est enclenché. La grande inconnue reste la participation ou non du Président de la Transition à ces élections », indique M. Lah.

Par ailleurs, la libération le 5 décembre 2024 des 11 leaders politiques issus de la Coalition des partis signataires de la Déclaration du 31 mars 2024, arrêtés en juin dernier, est perçue comme une volonté des autorités de la Transition d’apaiser le climat politique, favorisant ainsi les échanges avec la classe politique pour l’organisation d’élections pacifiques.

Cependant, pour Youssouf Sissoko, journaliste et analyste politique, même si ces signaux montrent que les autorités sont en bonne voie pour organiser les élections en 2025, « rien ne garantit véritablement la tenue de ces élections pour l’heure ». Selon le politologue Bréhima Mamadou Koné, au-delà de la volonté politique apparente des autorités d’aller aux élections, seul un chronogramme électoral clair pourrait dissiper les doutes entourant la tenue du scrutin présidentiel en 2025.

Silence intriguant

Alors que beaucoup s’attendaient à une annonce sur la tenue des élections en 2025 dans son discours de Nouvel an, le Président de la Transition n’a pas abordé la question lors de son adresse à la Nation du 31 décembre 2024.

Ce silence sur la question électorale remet-il en cause tous les autres signaux tendant vers l’organisation de l’élection présidentielle en 2025 ?

« Le fait que rien n’ait été dit à ce sujet laisse perplexe. Il est évident que l’écrasante majorité des Maliens attend la fin de la transition et des élections pour le retour à l’ordre constitutionnel de notre pays », a réagi l’ancien Premier ministre Moussa Mara.

Pour un autre acteur politique qui a requis l’anonymat, cela indique simplement que les militaires au pouvoir ne sont pas prêts à organiser les élections dans les mois à venir.

« Ce silence du Président sur le sujet des élections lors de son discours du Nouvel an est inquiétant. Cela signifie que malgré les signaux envoyés depuis un certain temps pour la tenue des élections, les autorités de la Transition n’ont pas encore réellement tranché sur le timing », conclut notre interlocuteur.

Mohamed Kenouvi

AGEFAU : Le Rapport du BVG dénonce une gestion financière entachée d’irrégularités

Dans son rapport publié en décembre 2024, le Bureau du Vérificateur Général (BVG) révèle des irrégularités significatives dans la gestion de l’Agence de Gestion du Fonds d’Accès Universel (AGEFAU) entre 2020 et 2023. Cette agence, créée en 2016 pour réduire la fracture numérique au Mali, a géré d’importants montants financiers au cours de cette période, mais plusieurs anomalies ont été constatées.

 

Le rapport indique que l’AGEFAU a perçu un total de 49,83 milliards de FCFA entre 2020 et 2023, selon les états financiers. Cependant, les dépenses exécutées durant cette période s’élèvent à seulement 25,29 milliards de FCFA, ce qui soulève des questions sur l’utilisation du reste des fonds.

 

Parmi les irrégularités financières majeures, un prêt de 20 milliards de FCFA a été irrégulièrement octroyé au Trésor Public pour répondre à la pandémie de COVID-19. Ce prêt, utilisé pour payer des salaires et non remboursé à ce jour, dépasse les attributions légales de l’AGEFAU.

 

Le rapport mentionne également des dépenses injustifiées, notamment 12,77 millions de FCFA pour des abonnements téléphoniques, bien que les salariés bénéficient déjà d’indemnités pour téléphone incluses dans leurs salaires. Par ailleurs, une perte de 409,31 millions de FCFA a été constatée en raison d’un taux contractuel non respecté par une banque partenaire. Ce montant a été récupéré après intervention du BVG.

 

Les dépenses de missions officielles ont également fait l’objet de critiques. Deux missions ont donné lieu à des paiements qualifiés d’indus au profit du Président du Conseil d’Administration, pour un total de 34,77 millions de FCFA, largement au-dessus des plafonds autorisés.

 

Enfin, le BVG note un retard dans le reversement de 92,57 millions de FCFA de redevances Radio-TV à l’Office de Radio et Télévision du Mali (ORTM). Ce montant a été régularisé après vérification, mais cette situation reflète un défaut de gestion persistant.

 

Ces irrégularités compromettent la mission fondamentale de l’AGEFAU, qui est de promouvoir l’accès universel aux TIC. Le BVG recommande des réformes urgentes, incluant le renforcement des mécanismes de contrôle et le respect strict des cadres réglementaires en vigueur.

 

 

La crise climatique est aussi une crise inflationniste

Ces dernières années, l’inflation mondiale a poussé les prix des denrées alimentaires, de l’énergie et des produits de base à des niveaux sans précédent. En conséquence, l’augmentation du coût de la vie a dominé les débats politiques dans le monde entier, mais surtout dans les pays du G20. Avant l’élection présidentielle de cette année aux États-Unis, par exemple, 41 % des Américains ont cité l’inflation comme leur principal problème économique.

 

La forte inflation risque d’éclipser une autre crise urgente : le réchauffement climatique. Pourtant, la hausse des prix et le changement climatique sont étroitement liés. Les conditions météorologiques extrêmes endommagent les cultures, gâchent les récoltes et font grimper les prix des denrées alimentaires, et leur impact s’accentue à mesure que les vagues de chaleur, les sécheresses et les inondations deviennent plus fréquentes et plus intenses. Ces événements perturbent également les chaînes d’approvisionnement et la production d’énergie, faisant grimper le prix d’autres biens essentiels.

 

Les pressions inflationnistes induites par le climat sont particulièrement aiguës en Afrique et en Amérique latine, où l’alimentation représente une part importante des dépenses des ménages. Par exemple, une grande sécheresse exacerbée par El Niño a fait grimper le prix des denrées de base au Malawi, au Mozambique, en Zambie et au Zimbabwe au début de cette année, ce qui a provoqué une crise de la faim. En revanche, les ménages des pays plus riches ont tendance à consacrer une part moins importante de leurs revenus à l’alimentation et sont donc mieux protégés.

 

Les discussions sur le changement climatique négligent souvent les conséquences économiques de ce phénomène sur les populations vulnérables et la façon dont il aggrave les inégalités, en se concentrant plutôt sur la croissance verte et les réductions d’émissions. Mais l’inflation perturbant de plus en plus la stabilité économique, ce bilan ne peut plus être ignoré. Les changements climatiques ont fait grimper les prix des oranges au Brésil, du cacao en Afrique de l’Ouest et du café au Viêt Nam. Une étude récente de l’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact du climat et de la Banque centrale européenne estime que la hausse des températures pourrait entraîner une augmentation de l’inflation alimentaire de 3,2 points de pourcentage par an, l’inflation globale augmentant de 1,18 point de pourcentage par an d’ici à 2035.

 

Plutôt que d’être traité uniquement comme une question environnementale, le changement climatique doit être au cœur de la politique économique. Les autorités fiscales et monétaires devraient intégrer les risques climatiques immédiats et à long terme dans leurs prévisions et politiques d’inflation, comme elles le font déjà pour les « risques de transition » liés au passage à une économie à faible émission de carbone. Certaines institutions ont commencé à s’adapter. La Banque de réserve sud-africaine a reconnu l‘importance de comprendre les risques climatiques. Depuis 2018, la Banque centrale du Costa Rica a intégré l‘impact du réchauffement climatique dans ses modèles économiques.

 

Les banques centrales et les ministères des finances devraient également travailler avec les organisations climatiques pour créer des solutions pratiques qui aident à amortir les économies des chocs interdépendants des conditions météorologiques extrêmes, de l’inflation galopante et de l’insécurité alimentaire. Par exemple, l’African Climate Foundation (où travaille l’un d’entre nous) a développé des plateformes d’investissement dans l’adaptation et la résilience (ARIP), qui utilisent des analyses avancées combinant des données climatiques et météorologiques, des modèles biophysiques et des modèles à l’échelle de l’économie pour faciliter l’investissement et la hiérarchisation des politiques – une approche plus complète pour renforcer la résilience.

 

Le FAC a utilisé un ARIP au Malawi l’année dernière, après que le pays ait été dévasté par le cyclone cyclone tropical le plus long Freddy, le jamais enregistré. L’utilisation de cet outil financier a permis aux décideurs politiques de d’identifier des solutions durables pour atténuer les dommages économiques causés par le cyclone tout en protégeant les industries clés et en renforçant la stabilité financière.

 

D’autres groupes de réflexion sur le climat poursuivent des objectifs similaires. L’Iniciativa Climática de México pousse les décideurs politiques à prendre en compte les risques climatiques dans la planification économique, tandis que l’Institut pour le climat et la société au Brésil a appelé à des plans de protection sociale et à des politiques sensibles au climat pour protéger les communautés à faibles revenus des conséquences économiques des conditions météorologiques extrêmes.

 

La collaboration régionale est tout aussi importante, car elle permettrait aux pays d’Afrique et d’Amérique latine d’élaborer et de partager des politiques économiques spécifiquement adaptées à leurs vulnérabilités climatiques et de soutenir les communautés les plus exposées. Des initiatives telles que la plateforme régionale des ministères de l’économie et des finances sur le changement climatique de la Banque interaméricaine de développement peuvent servir de modèle pour de tels efforts.

 

Au niveau mondial, il est essentiel de renforcer la coordination entre les institutions climatiques et économiques. Des outils tels que le mécanisme d’ajustement aux frontières pour le carbone de l’Union européenne soulignent la nécessité d’une conception minutieuse des politiques afin d’atténuer les effets négatifs – dans ce cas, des coûts plus élevés pour les consommateurs des pays en développement. Le Brésil, qui accueillera l’année prochaine le sommet des BRICS et la conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP30), et l’Afrique du Sud, qui préside actuellement le G20, ont une occasion unique de redéfinir l’agenda économique mondial, en défendant des politiques qui s’attaquent à la double crise de l’inflation et du réchauffement climatique.

 

L’absence d’action collective et décisive pourrait aggraver les inégalités, éroder la stabilité économique et mettre en péril les objectifs climatiques. Mais si les décideurs politiques développent des solutions innovantes qui comblent le fossé entre les stratégies climatiques et économiques, ils peuvent réduire les risques immédiats de conditions météorologiques extrêmes et favoriser la stabilité et la résilience à long terme. Alors que l’inflation et la planète se réchauffent, le besoin de politiques intégrées et équitables n’a jamais été aussi urgent.

 

Mónica Araya, Distinguished Fellow chez ClimateWorks, est directrice du conseil d’administration du Natural Resource Governance Institute. Saliem Fakir est fondateur et directeur exécutif de l’African Climate Foundation.

 

Project Syndicate, 2024.
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La fausse promesse de l’exploitation minière « responsable »

Au mois de juillet, le gouvernement de la Serbie a rétabli les permis relatifs aux projets d’extraction de lithium de Rio Tinto, après les avoir annulés en 2022 à la suite de manifestations populaires. Ce rétablissement a provoqué de nouvelles manifestations, plusieurs milliers de personnes étant descendues dans les rues de Belgrade pour exprimer leur opposition à une mine susceptible de constituer une menace pour les sources d’eau et la santé publique. Rio Tinto avait en effet déjà fait preuve par le passé d’une volonté de contourner les réglementations environnementales du pays.

 

Rio Tinto présente un long passé de violations présumées des droits de l’homme ainsi que de contamination et de mauvaise gestion de l’eau dans ses mines à travers le monde. Le problème ne se limite cependant pas à Rio Tinto : la corruption et la négligence sont monnaie courante dans l’industrie minière. La société Glencore a été condamnée par un juge américain à s’acquitter d’une amende de 700 millions $ pour avoir mis en place et appliqué pendant une dizaine d’années un système de corruption de responsables publics dans plusieurs pays. De même, le géant minier BHP et son partenaire brésilien Vale sont pris dans des batailles juridiques liées à la rupture du barrage de résidus miniers de Fundão – la plus grave catastrophe environnementale survenue au Brésil.

 

L’Union européenne prévoyant d’accroître son extraction minière intérieure de matériaux essentiels à la transition écologique ainsi qu’à de nombreuses technologies de défense et à divers produits numériques, les dirigeants politiques et les populations entendent s’assurer du caractère durable de cette démarche. C’est la raison pour laquelle le Conseil international des mines et métaux (ICMM) – une organisation que Rio Tinto a contribué à créer, qui inclut également Glencore, Vale et BHP – et plusieurs autres acteurs majeurs de l’industrie travaillent à l’élaboration d’une norme mondiale, dans le cadre de l’initiative pour une norme consolidée relative à l’exploitation minière (CMSI), permettant de certifier la production responsable des minéraux. Compte tenu de leurs antécédents, est-il raisonnable de confier à ces géants de l’industrie minière l’élaboration des règles censées leur imposer de rendre des comptes ?

 

Les normes et certifications volontaires ne constituent pas une nouveauté. Elles existent dans une multitude de secteurs, de l’agriculture jusqu’au bâtiment, et l’industrie minière connaît déjà de nombreuses initiatives de ce type. Les quatre organisations qui mènent la CMSI – l’ICMM, l’Association minière du Canada, le Conseil mondial de l’or, et Copper Mark – disposent en effet chacune de leur propre cadre de garantie.

 

Plusieurs évaluations relatives à ces programmes volontaires, conduites par Germanwatch, Mercedes-Benz et d’autres, révèlent que la plupart d’entre eux manquent en réalité de transparence, de rigueur, de contrôle, et qu’ils ne permettent pas d’assurer la mise en œuvre des contraintes. Autrement dit, ces programmes constituent une forme sophistiquée de greenwashing. Au mois de février, l’organisation Lead the Charge a publié une évaluation des programmes de garantie et d’accréditation par des tiers dans le secteur des matières premières, examinant chacun d’entre eux en fonction d’un ensemble de critères minimum de crédibilité. Constat révélateur, la procédure de l’ICMM pour la validation des prévisions de performance satisfaisait à seulement 16 % des critères.

 

Ces chiffres peu glorieux se traduisent par des conséquences concrètes pour les populations autochtones, les travailleurs et les communautés locales. D’après le Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’homme, les sociétés membres de l’ICMM, qu’elles soient directement détenues en propriété ou qu’elles participent à des coentreprises, représentent plus de la moitié des 20 entreprises responsables de la majorité des violations présumées des droits de l’homme dans l’exploitation minière des minéraux essentiels.

 

Dirigeants politiques et institutions financières injectent des milliards de dollars dans des projets miniers à travers le monde sur la base de certifications volontaires semblables à la CMSI actuellement proposée. La loi de l’UE sur les matières premières critiques se fonde par exemple sur ces garanties pour déterminer si les entreprises s’approvisionnent en matières premières de façon responsable. De même, 78 % des constructeurs automobiles évalués dans le cadre de l’étude de l’organisation Lead the Charge déclarent s’appuyer sur ces éléments pour prendre des décisions en matière d’approvisionnement – en particulier à mesure que l’adoption des véhicules électriques s’accélère.

 

Une récente analyse de la proposition de CMSI, menée par des groupes autochtones, des organisations de la société civile et des experts politiques, met en évidence plusieurs lacunes dans ce cadre, susceptibles de nuire aux communautés, et, aspect important, de présenter des risques pour les constructeurs automobiles. La norme se décompose en trois niveaux : pratiques de base, pratiques satisfaisantes, et pratiques optimales. Or, les exigences imposées au niveau basique – précisons d’ailleurs que les entreprises sont autorisées à opérer en dessous de ce seuil durant le processus de garantie – ne sont pas alignées sur les lois internationales, les normes juridiques ou les principes généralement reconnus, tels que les normes de performance de la Société financière internationale (IFC). Les sociétés minières ne seront par conséquent pas dans l’obligation de remédier aux violations graves des droits de l’homme, ce qui pourrait plus en aval exposer les constructeurs automobiles à des sanctions.

 

Par ailleurs, le projet de norme ne protège pas le droit des populations autochtones – qui subissent un préjudice disproportionné du fait de l’exploitation minière – au consentement libre, préalable et éclairé, qui accompagne leur droit de gouverner leurs territoires et leurs ressources, ainsi que leur droit à l’autodétermination. La préservation de ce droit doit constituer une exigence minimale au niveau des pratiques de base. Or, l’idée même que le respect des droits fondamentaux puisse faire l’objet d’une décomposition en différents niveaux de performance illustre toute la défaillance de l’élaboration de la CMSI. Une telle approche infligerait encore davantage de préjudices aux communautés autochtones, dans la mesure où plus de la moitié des minéraux critiques se situent sur leurs terres ou à proximité.

 

L’ICMM et ses partenaires, dont les sociétés membres du groupe consultatif de la CMSI telles que BWM et Tesla, auront beau fournir tous les efforts pour présenter cette norme comme l’instrument d’une exploitation minière responsable, il ne s’agit de rien de plus que d’une tentative du secteur de présenter un visage propre et écologique au public. Si elle aboutit, la CMSI renforcera tout simplement la puissance et l’influence de géants miniers tels que Rio Tinto, Glencore et BHP, et leur permettra d’agir impunément tout en présentant de fausses garanties à l’ensemble des principales parties prenantes.

 

Loin de favoriser une transition énergétique juste, la CSMI permettrait aux industries extractives de privilégier le profit au détriment de la qualité de l’air et de l’eau, des droits de l’homme ainsi que d’une planète vivable, tout en exposant les constructeurs automobiles, les États et les investisseurs à un risque d’atteinte à leur réputation. Compte tenu de l’augmentation de la demande de minerais essentiels à la transition énergétique, il est plus important que jamais de fixer des exigences élevées dans l’élaboration de règles solides et applicables au sein du secteur minier.

 

Chelsea Hodgkins est conseillère principale dans le cadre du programme climatique de Public Citizen sur la question des véhicules électriques.

 

Project Syndicate, 2024.
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45ᵉ édition du Sabre National au Niger : Aba détrône Issaka Issaka

La 45ᵉ édition du Sabre National de lutte traditionnelle, également connue sous le nom de « Kokowa », s’est achevée en apothéose, ce samedi 28 décembre, à Dosso, au sud-ouest du Niger, à environ 140 km à l’est de Niamey. Un lot de surprises et de rebondissements était au rendez-vous.

L’événement phare de la culture sportive nigérienne a vu la consécration de Aba, qui a réussi l’exploit de détrôner le sextuple champion en titre, Kadri Abdou, alias Issaka Issaka. Il enlève ainsi le Sabre National et empoche la somme de 12 millions de FCFA.

Tout au long de la compétition, Aba a démontré une maîtrise technique et une détermination exemplaire, enchaînant les victoires face à des adversaires de haut calibre. Sa performance en finale, où il a affronté et vaincu Issaka Issaka, a été particulièrement remarquable, mettant fin à une série de trois sacres consécutifs de ce dernier.

Le Sabre National est bien plus qu’une simple compétition sportive au Niger. Il s’agit d’un événement culturel majeur qui rassemble les différentes régions du pays, mettant en avant la richesse des traditions et l’esprit de cohésion nationale. Chaque édition est l’occasion pour les lutteurs de se mesurer dans un esprit de fair-play, tout en honorant les valeurs ancestrales de courage et de persévérance.

Cette édition a été marquée par l’introduction d’un nouveau code de la lutte, visant à rendre les combats plus fluides et équitables. Ces réformes, initiées par le ministère de la Jeunesse, de la Culture, des Arts et des Sports, ont pour objectif de préserver l’intégrité de la discipline et d’assurer des affrontements incontestables, reflétant le véritable talent des participants.

Malgré sa défaite, Issaka Issaka demeure une figure emblématique de la lutte nigérienne. Son palmarès impressionnant et sa longévité au sommet témoignent de son exceptionnel talent. Cette défaite pourrait bien être une source de motivation supplémentaire pour lui, en vue de reconquérir le titre lors des prochaines éditions.

 

 

Trump ne peut pas arrêter la dédollarisation

Pendant la campagne présidentielle américaine, Donald Trump s’est engagé à rendre la dédollarisation – les efforts visant à réduire la dépendance mondiale à l’égard du billet vert – trop coûteuse pour être envisagée, en promettant d’imposer des droits de douane de 100 % aux pays qui la mettraient en œuvre. Mais une telle mesure, qui s’inscrit dans le cadre d’un programme tarifaire plus important, que le président élu semble déterminé à mettre en œuvre, ne contribuerait guère à enrayer la chute du dollar.

 

Le billet vert reste le moyen d’échange le plus important et la réserve de valeur la plus efficace. Cela en fait la monnaie préférée pour le commerce et la finance internationaux, ainsi que pour les réserves de change détenues par les banques centrales, afin de garantir un approvisionnement régulier en importations et de se prémunir contre les crises monétaires et l’instabilité macroéconomique. Mais à mesure que le centre de gravité de l’économie mondiale se déplace vers l’est, la dédollarisation s’accélère.

 

La part du dollar dans les réserves de change est passée d’un pic de 72 % en 2002 à 59 % en 2023, sous l’effet d’une demande accrue de monnaies de réserve non traditionnelles, en particulier le renminbi chinois. En outre, l’année dernière, un cinquième du commerce mondial du pétrole s’est effectué dans d’autres monnaies que le dollar. Jusqu’alors, le dollar était quasiment la seule devise utilisée.

 

Plusieurs facteurs ont contribué à cette évolution. Les pays du Sud sont devenus les moteurs de la croissance économique mondiale, modifiant la dynamique du commerce mondial et des marchés de l’énergie. Un monde de plus en plus multipolaire a ouvert une nouvelle ère de concurrence monétaire, tandis que les innovations technologiques et financières ont rendu moins coûteux et plus efficace le règlement en monnaie locale (LCS, d’après l’acronyme anglais) pour les échanges bilatéraux.

 

Trump, apparemment conscient des énormes avantages économiques et géopolitiques que confère aux États-Unis le statut du dollar en tant que principale monnaie de réserve mondiale, voudrait mettre un terme à ce processus. Après tout, les États-Unis sont l’un des rares pays de l’économie mondiale hautement intégrée à disposer encore d’une souveraineté monétaire effective, c’est-à-dire de la capacité de fixer et d’atteindre ses objectifs de politique économique et monétaire sans tenir compte des autres pays.

 

Au contraire, au fur et à mesure que le marché de l’eurodollar est devenu l’épine dorsale d’un système monétaire international privatisé, de plus en plus de pays ont émis de la dette souveraine libellée en dollars, augmentant ainsi leur dépendance à l’égard du billet vert. En 2011, le président chinois de l’époque, Hu Jintao, l’a dit clairement : « La politique monétaire des États-Unis a un impact majeur sur la liquidité mondiale et les flux de capitaux, et par conséquent, la liquidité du dollar américain doit être maintenue à un niveau raisonnable et stable. »

 

Bien qu’une étude récente de la Banque fédérale de réserve de New York désigne l’éloignement géopolitique des États-Unis et les sanctions financières comme les principaux moteurs de la baisse de la demande de dollars américains, la dédollarisation n’est pas due exclusivement, ni même en grande partie, à la dépendance excessive des États-Unis à l’égard du dollar en tant qu’instrument de politique étrangère. Au contraire, de nombreux gouvernements encouragent l’utilisation d’instruments libellés dans leur unité de compte nationale, afin de profiter des gains associés à l’existence d’une monnaie internationale.

 

L’intégration monétaire de l’Europe en est peut-être l’exemple le plus probant. Elle a donné naissance à l’euro, qui occupe aujourd’hui une place de choix derrière le dollar, représentant environ 20 % des réserves mondiales et plus de la moitié des exportations de l’Union européenne dans le monde. En 2022, environ 52 % des biens importés par l’Union européenne en provenance de pays tiers et environ 59 % des biens exportés par l’Union européenne vers ces pays étaient facturés en euros.

 

Suivant les traces de l’UE, les pays du Sud tirent parti des nouvelles technologies pour promouvoir l’utilisation des LCS dans les échanges bilatéraux, ce qui peut atténuer les contraintes liées à la balance des paiements et soutenir la croissance économique. La Chine, par exemple, a développé son propre système de paiement interbancaire transfrontalier. Elle a établi des lignes de swap bilatérales avec près de 40 banques centrales étrangères et elle a réussi à faire libeller les contrats pétroliers en renminbi. L’année dernière, Total Énergies et la China National Offshore Oil Corporation ont conclu le premier achat de gaz naturel liquéfié en renminbi par l’intermédiaire du Shanghai Petroleum and Natural Gas Exchange.

 

En 2022, la Reserve Bank of India a mis en place un mécanisme permettant de régler les échanges internationaux en roupies, ce qui pourrait permettre d’économiser environ 30 milliards de dollars en sorties de devises si on l’utilisait pour les importations de pétrole russe. Parmi les pays du groupe Brics+ (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Égypte, Éthiopie, Iran et Émirats Arabes Unis), les échanges commerciaux réglés en monnaie nationale auraient dépassé ceux en dollars. Les investissements transfrontaliers en monnaie locale devraient augmenter également. La nouvelle banque de développement des Brics fera passer ses prêts en monnaie locale d’environ 22 % à 30 % d’ici 2026, afin d’atténuer l’impact des fluctuations des taux de change et d’éliminer les goulets d’étranglement en matière de trésorerie, dans le cadre du financement de projets.

 

Pour les économies émergentes et en développement, la dédollarisation peut également atténuer les retombées négatives de la politique de la Réserve fédérale américaine. Le dernier cycle de resserrement agressif de la Fed a exacerbé l’instabilité macroéconomique et freiné la croissance, piégeant de plus en plus de pays dans des revenus moyens et empêchant la convergence des revenus au niveau mondial. Comme le montrent les recherches du Fonds monétaire international, un arrêt soudain des flux de capitaux vers une économie de marché émergente entraîne une baisse moyenne de 4,5 % de la croissance du PIB cette année-là, et de 2,2 % l’année suivante.

 

La dédollarisation peut également réduire la nécessité de constituer des réserves, une forme d’assurance contre les chocs extérieurs et la volatilité financière qui implique des coûts d’opportunité considérables pour les économies émergentes et en développement. Les autorités monétaires de ces pays pourraient à la place investir dans des actifs à plus haut rendement, générant ainsi plus de ressources pour relever les défis du développement, y compris les investissements qui renforcent la résilience au changement climatique.

 

Les réserves de précaution sont particulièrement préjudiciables pour les pays à faible revenu, qui présentent des risques de crédit plus élevés et des écarts de taux d’intérêt plus importants, car elles impliquent souvent des opérations de portage inversées. Le Bangladesh détient actuellement un montant record de 46,4 milliards de dollars de réserves de devises à faible rendement pour stabiliser le taka, tout en payant plus de 8 % d’intérêts sur ses obligations souveraines.

 

Le prix Nobel d’économie Joseph E. Stiglitz a estimé le coût annuel de la thésaurisation des réserves pour les pays en développement à plus de 300 milliards de dollars, soit 2 % de leur PIB combiné, au milieu des années 2000. Ce chiffre est sans aucun doute plus élevé aujourd’hui, compte tenu de l’augmentation des réserves excédentaires et du nombre croissant de pays aux mauvaises notes de crédit qui ont accès aux marchés financiers internationaux.

 

Certes, la dédollarisation sert également de protection contre les sanctions financières américaines, qui devraient proliférer sous Trump. Mais les innombrables autres avantages d’une telle politique, notamment en termes de gestion macroéconomique et de croissance, sont énormes et l’emporteront probablement sur les coûts des tarifs douaniers de rétorsion que Trump a promis d’imposer à ses concurrents en matière de devises.

 

Le processus pourrait être lent. De puissantes externalités de réseau, associées à profondeur et à la liquidité des marchés financiers américains, ont rendu difficile de déloger le dollar, même si l’Amérique a perdu son statut de première économie commerciale du monde il y a plus d’une décennie. Mais le passage à des monnaies de réserve non traditionnelles dans un système économique de plus en plus multipolaire et l’importance croissante de l’utilisation transfrontalière des monnaies nationales, pour alimenter la croissance et parvenir à une convergence des revenus au niveau mondial, laissent penser que la dédollarisation va se poursuivre. Et un tsunami de droits de douane et de sanctions sous la prochaine administration américaine ne manquera pas d’y contribuer.

 

Hippolyte Fofack, ancien économiste en chef de la Banque africaine d’import-export, est membre du Réseau des solutions pour le développement durable de l’université de Columbia, associé de recherche au Centre d’études africaines de l’université de Harvard, membre éminent de la Fédération mondiale des conseils de compétitivité et membre de l’Académie africaine des sciences.

 

 Project Syndicate, 2024.
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Un nouveau pacte pour les pays en voie de développement

La récente reconstitution des ressources de l’Association internationale de développement (IDA) de la Banque mondiale, pour un montant record de 100 milliards $, constitue une étape majeure. Bien que le montant final soit inférieur aux 120 milliards $ qu’un certain nombre de dirigeants africains et moi-même avions réclamés au mois d’avril, lors du sommet IDA21 de Nairobi sur la reconstitution des ressources de l’institution, il s’agit d’une avancée cruciale. Ces nouveaux financements constituent un espoir pour plusieurs millions de personnes, et témoignent de la détermination de nos partenaires mondiaux à relever les défis immenses auxquels nous sommes confrontés.

 

Le sommet de Nairobi a non seulement souligné l’importance de l’IDA pour le financement du développement, mais également attiré l’attention sur le rôle central de l’Afrique dans la résolution des crises mondiales telles que le changement climatique. Depuis des années, l’IDA constitue une bouée de sauvetage pour de nombreux pays, apportant les financements concessionnels à long terme indispensables à ces pays pour investir dans des secteurs essentiels tels que la santé, l’éducation et les infrastructures. Réactive face aux crises, et capable de mobiliser 4 dollars sur les marchés financiers pour chaque dollar versé par les donateurs, l’IDA a prouvé sa valeur en tant que multiplicateur de force.

 

Les défis auxquels nous sommes confrontés nécessitent cependant une réponse plus audacieuse encore. Selon la Banque mondiale, le service de la dette extérieure des pays en voie de développement a atteint l’an dernier un coût astronomique de 1 400 milliards $, un chiffre qui vient éclipser les engagements même les plus ambitieux en matière de financement de la lutte contre le changement climatique. Le fardeau de la dette de l’Afrique est devenu un véritable obstacle au développement durable ainsi qu’à la résilience climatique, les paiements d’intérêts élevés détournant les ressources loin d’investissements pourtant essentiels dans la santé, l’éducation et les infrastructures.

 

Comme je l’ai souligné lors du sommet de Nairobi, cette réalité perpétue un cercle vicieux de vulnérabilité, aggravé par l’escalade des effets du changement climatique. Rien que l’année dernière, l’Afrique de l’Est a subi des inondations dévastatrices qui ont provoqué le déplacement de milliers de personnes et détruit des infrastructures vitales, tandis que des sécheresses persistantes dans le sud du continent ont paralysé la production agricole en Zambie et au Zimbabwe. Dans l’ouest et le centre de l’Afrique, les inondations ont fait des ravages au Nigeria, au Niger et au Tchad, déplaçant des communautés entières, et submergeant les terres agricoles.

 

Pendant ce temps, la désertification continue d’empiéter sur les terres arables, menaçant la sécurité alimentaire dans des pays tels que le Mali, tandis que des vagues de chaleur extrêmes mettent à rude épreuve les systèmes énergétiques dans certaines parties de l’Afrique du Nord. Perturbant vies humaines, moyens de subsistance et économies sur l’ensemble du continent, ces crises accentuent la nécessité de financements concessionnels à la hauteur du défi.

 

Alors que les négociations sur le nouvel objectif collectif quantifié (NOCQ) durant la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP29) de cette année avaient insisté sur l’urgence de mobiliser 1 300 milliards $ de financements climatiques chaque année d’ici 2035, les délégués ont finalement échoué, les engagements ayant atteint seulement 300 milliards $. Pour l’Afrique, ce résultat illustre la persistance d’inégalités dans les financements mondiaux, et souligne la nécessité pour des institutions telles que l’IDA de jouer un rôle encore plus important pour combler les insuffisances.

 

La simultanéité entre la reconstitution des ressources de l’IDA et l’adoption du NOCQ n’est pas surprenante, toutes deux visant à garantir les ressources nécessaires à la progression du développement durable. La reconstitution des ressources de l’IDA à hauteur de 100 milliards $ doit être mise à profit pour obtenir un impact maximal, notamment afin de répondre à la nécessité pour les pays vulnérables d’investir dans la résilience climatique.

 

Le monde ne pourra pas atteindre son objectif de zéro émission nette d’ici le milieu du siècle sans la pleine participation de l’Afrique. Au moyen d’investissements suffisants dans nos ressources énergétiques renouvelables, les Africains peuvent œuvrer au premier plan de l’agenda mondial de la décarbonation, tout en fournissant de l’électricité aux 600 millions d’habitants du continent qui n’y ont toujours pas accès.

 

Un certain nombre de dirigeants africains et moi-même félicitons l’IDA pour l’accent qu’elle continue de placer sur les solutions innovantes telles que les swaps dette-climat, et pour son soutien à une croissance positive pour le climat. Notre transformation économique nécessite cependant un engagement mondial collectif en faveur de réformes structurelles. Nous devons accomplir davantage pour tirer parti des droits de tirage spéciaux (l’actif de réserve du Fonds monétaire international), pour réaffecter les subventions aux combustibles fossiles, ainsi que pour renforcer la capacité de prêt des banques multilatérales de développement. Comme je l’ai rappelé à Nairobi, la recommandation du Groupe d’experts indépendants du G20 consistant à multiplier par trois la capacité de financement de l’IDA, pour la porter à 279 milliards $ d’ici 2030, demeure un objectif judicieux et nécessaire.

 

Adoptée l’an dernier lors du Sommet africain sur le climat, la Déclaration de Nairobi offre une feuille de route aligner le financement du développement sur l’action climatique. En nous concentrant sur les initiatives africaines, en tirant parti de notre vaste potentiel en matière d’énergies renouvelables, et en stimulant l’industrialisation, nous pouvons créer des millions d’emplois tout en garantissant un avenir durable pour le continent.

 

L’Afrique est prête à jouer son rôle. Nous sommes déterminés à respecter la discipline budgétaire ainsi qu’à améliorer la gouvernance, afin d’instaurer un environnement propice à l’investissement et au développement durable. Pour y parvenir, nous aurons cependant besoin que nos partenaires mondiaux accompagnent cet engagement par leur soutien et leur collaboration, ce qui signifiera notamment dépasser les niveaux actuels de reconstitution des ressources de l’IDA lors des prochains cycles de financement.

 

Pour nous tous en Afrique, la récente levée de 100 milliards $ constitue une étape, pas une destination. Ensemble, nous devons nous appuyer sur la dynamique créée cette année pour faire en sorte que l’IDA et le NOCQ honorent leur promesse de financements équitables, efficaces et accessibles. Il ne tient qu’à nous de transformer les défis d’aujourd’hui en opportunités pour assurer un avenir prospère à tous les Africains.

 

William Ruto est président de la République du Kenya, et président du Comité des chefs d’État et de gouvernement africains sur le changement climatique.

 

Project Syndicate, 2024.
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Super League : Rebaptisé et remodelé, le projet refait surface

Trois ans après avoir présenté un projet visant à révolutionner le football européen, qui avait suscité une vive hostilité, la Super League revient dans une nouvelle version de la compétition.

Initiée en 2021 par Florentino Pérez, le Président du Real Madrid, avec le soutien de certains des plus grands clubs européens, la Super League visait à créer un tournoi fermé réunissant les équipes les plus prestigieuses du Vieux Continent, dans le but d’accroître les revenus générés par le football de club au plus haut niveau.

Cependant, elle avait rencontré une vive opposition de la part de l’UEFA et de certaines fédérations nationales. Malgré l’abandon du projet par plusieurs clubs fondateurs sous la pression, la Super League fait aujourd’hui son grand retour.

En effet, la structure promotrice du projet, A22 Sports Management, a annoncé le 17 décembre 2024 avoir présenté un nouveau format à la FIFA et à l’UEFA en vue d’obtenir une reconnaissance officielle.

Elle s’appuie notamment sur l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de décembre 2023 qui avait jugé que les règles imposées par la FIFA et l’UEFA concernant la création de compétitions étaient contraires au droit de l’Union européenne.

96 équipes réparties dans 4 ligues

Rebaptisé « Unify League », le projet prévoit la création de quatre nouvelles compétitions : Star, Gold, Blue et Union. Les deux premières regrouperaient 16 équipes et seraient réservées aux meilleurs clubs du continent. Ceux-ci seraient réparties en 2 groupes de 8, avec au programme 14 rencontres (7 à domicile et 7 à l’extérieur). Les 4 premiers de chaque groupe se qualifieraient pour des quarts de finale disputés en aller-retour et donnant accès à un Final Four.

Quant aux compétitions Blue et Union, elles adopteraient un format légèrement différent, avec 4 groupes de 8 équipes. Seuls les premiers de chaque groupe se qualifieraient à l’issue de 14 matchs, pour participer à un Final Four, là aussi.

Différence notable par rapport au projet polémique de 2021 : cette fois-ci, les équipes se qualifieraient pour les différentes compétitions en fonction de leurs résultats dans leurs championnats nationaux respectifs. Au total, ce sont 96 clubs de 55 pays différents qui seraient appelés à participer chaque saison.

Mohamed Kenouvi

La Chine en difficulté face à la société de consommation

 Les prouesses de la Chine en matière d’ingénierie sont tout simplement extraordinaires. Qu’il s’agisse d’infrastructures de classe mondiale, de villes respectueuses de l’environnement, de systèmes spatiaux ou de trains à grande vitesse, l’impressionnante accumulation par la Chine de capital physique de pointe a joué un rôle prépondérant dans la conduite de son économie. Seulement voilà, les accomplissements de la Chine en matière d’ingénierie physique du côté de l’offre n’ont pas été transposables aux efforts d’ingénierie sociale du côté de la demande, notamment dans la stimulation de la demande des consommateurs.

 

Ce décalage s’explique par la nature du système politique chinois moderne, qui place l’accent sur la stabilité et le contrôle. Si cette orientation a permis au pays de devenir le « producteur ultime » de la planète, elle n’a pas su révéler l’ADN du consommateur chinois. L’ingénierie sociale au travers du diktat de l’État s’inscrit en net contraste avec l’esprit individualiste, libre et basé sur l’incitation, qui façonne le comportement humain et les modèles de consommation en Occident. La part de la consommation des ménages dans le PIB chinois demeurant inférieure à 40 %, contre environ 65 % dans les économies développées, le discours de longue date de la Chine autour d’un rééquilibrage axé sur la consommation n’a produit que peu de résultats visibles.

L’expérience américaine, telle que la décrit John Kenneth Galbraith dans son ouvrage intitulé The Affluent Society, déchiffre l’ADN d’une société de consommation, qui présente pour principales caractéristiques la mobilité ascendante des revenus et des richesses, la communication et la diffusion de l’information de manière ouverte, l’individualisme et la liberté de choix, la réduction de l’inégalité des modes de vie, les transferts de richesses intergénérationnels, et enfin la possibilité d’élire des représentants politiques. Le consumérisme occidental constitue ainsi en grande partie une aspiration.

Une question fondamentale se pose alors : le système politique chinois est-il incompatible avec la culture de consommation moderne ? Cette question apparaît d’autant plus pertinente que le nouveau techno-autoritarisme chinois semble s’inscrire à l’encontre des libertés fondamentales sur lesquelles repose le consumérisme. Les récentes avancées technologiques appliquées en Chine (notamment en matière de reconnaissance faciale et autres formes de surveillance), associées à un système de crédit social ainsi qu’à une censure renforcée, sont quasiment antithétiques à la société de consommation telle que nous la connaissons en Occident.

En fin de compte, il est beaucoup plus facile de mobiliser l’appareil d’État pour exercer une influence sur les producteurs que de permettre aux libertés fondamentales de conférer du pouvoir aux consommateurs. C’était déjà vrai durant les premières années de la République populaire, lorsque les producteurs chinois étaient soumis au contrôle strict de la Commission étatique de planification, et ça l’est encore aujourd’hui, le centre de gravité de la puissance économique chinoise ne se situant plus du côté d’un secteur privé autrefois dynamique et entreprenant, mais désormais du côté des entreprises d’État.

Le resserrement des contrôles étatiques sur la société chinoise au cours de la dernière décennie s’inscrit particulièrement en contradiction avec l’objectif de l’État consistant à stimuler la consommation. En 2013, peu après son arrivée au pouvoir, le président Xi Jinping a lancé une campagne d’éducation autour de la « ligne de masse » afin de lutter contre quatre « mauvaises habitudes » – le formalisme, la bureaucratie, l’hédonisme et l’extravagance – qu’il considérait comme les principales sources de décadence sociale et de corruption du Parti communiste chinois. Cet effort, initialement considéré comme une ramification de la campagne anti-corruption de Xi, a depuis acquis une dynamique qui lui est propre.

En 2021, Xi a insisté sur ces mauvaises habitudes en prenant des mesures de répression réglementaires à l’encontre des sociétés de plateformes Internet, mesures qui ont ciblé non seulement des entrepreneurs chinois tels que Jack Ma, fondateur d’Alibaba, mais également les prétendus excès de style de vie associés aux jeux vidéo, à la musique en ligne, à la culture des fans de célébrités et aux cours particuliers. Une telle ingénierie sociale dirigée par l’État témoigne du peu de tolérance des autorités chinoises pour le sentiment de possibilités et l’optimisme qui s’inscrivent dans l’ADN des sociétés de consommation occidentales.

Un autre exemple de ce décalage entre l’ambition et l’état d’esprit réglementaire s’observe dans les tentatives chinoises répétées de résolution des vents contraires démographiques à l’origine d’une diminution de la main-d’œuvre qui devrait se poursuivre jusqu’à la fin de ce siècle, en raison de l’héritage de la politique de l’enfant unique, désormais abandonnée. Le gouvernement chinois a récemment annoncé un certain nombre de mesures visant à stimuler les taux de natalité, parmi lesquelles une amélioration de l’accompagnement à la maternité et des capacités de garde d’enfant, ainsi que d’autres efforts consistant à bâtir une société propice à la natalité. Il ne s’agit toutefois que de la dernière d’une série de campagnes de ce type, après l’adoption de la politique des deux enfants en 2015, puis de la politique des trois enfants en 2021.

Malgré ces efforts, le taux de fécondité de la Chine demeure bien inférieur au taux de renouvellement démographique, qui s’élève à 2,1 naissances vivantes par femme en âge de procréer. Les sondages révèlent deux raisons à cela : inquiétudes face à l’augmentation importante des dépenses liées à l’éducation des enfants, et enracinement profond de l’idée de famille peu nombreuse dans les normes culturelles. Ce second aspect souligne la dimension comportementale du problème, à savoir le fait qu’une génération de jeunes Chinois se soit habituée aux familles à enfant unique. Cette résistance intrinsèquement humaine aux tentatives étatiques de coercition dans la planification des naissances intervient également lorsqu’il s’agit pour Pékin d’élaborer une stratégie d’accroissement de la demande des consommateurs.

Pour libérer le potentiel de consommation de la Chine, la clé consiste à transformer la peur en confiance, une transition qui nécessite un changement fondamental dans l’état d’esprit qui façonne la prise de décisions des ménages. Or, c’est précisément sur ce point que l’État se heurte à des obstacles. L’incitation du comportement humain est radicalement différente de l’exercice consistant à imposer aux banques étatiques d’accroître les prêts aux projets d’infrastructure, ou à ordonner aux entreprises d’État d’investir dans l’immobilier.

Certes, je formule ici un point de vue occidental sur un problème chinois, et l’expérience m’a enseigné la nécessité d’aborder ce type de problèmes du point de vue de la Chine elle-même. Il n’en demeure pas moins que l’accroissement de la consommation touche à l’essence même de l’expérience humaine : peut-il exister une culture de la consommation florissante présentant des caractéristiques chinoises qui s’inscrivent en contradiction avec la philosophie d’aspiration qui sous-tend les sociétés occidentales ?

La solution ultime au problème de sous-consommation chronique de la Chine pourrait bien dépendre de ces considérations profondes sur le comportement humain. Une récente réunion de la Conférence centrale sur le travail économique de la Chine semble annoncer de nouvelles grandes mesures à venir pour stimuler la consommation. Or, si les autorités chinoises restent déterminées à renforcer le contrôle sur les normes sociales et l’esprit humain, elles auront beau appliquer toutes les mesures de relance imaginables – qu’il s’agisse de programmes de reprise d’équipements ou de réformes du filet de sécurité sociale – ces mesures risquent de ne produire aucun résultat.

 

Stephen S. Roach, membre du corps enseignant de l’Université de Yale, et ancien président de Morgan Stanley Asie, est l’auteur des ouvrages intitulés Unbalanced : The Codependency of America and China (Yale University Press, 2014) et Accidental Conflict : America, China, and the Clash of False Narratives (Yale University Press, 2022).

 

Project Syndicate, 2024.
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Cheick Tidiane Seck : « Il faut mettre en exergue notre histoire »

African glory est un film documentaire qui retrace la vie de l’Empereur mandingue Aboubakari II réalisé par Thierry Bugaud. Cheick Tidiane Seck, qui compose la musique du film, dans lequel il joue aussi le rôle du père de l’Empereur, nous parle de ce projet, qu’il a porté et qui le passionne.

Parlez-nous du projet African glory ?

Je n’avais pas la fibre du cinéma, pas du tout. Mes aînés, Cheick Oumar Sissoko, Sotigui Kouyaté et Sidiki Bakaba, étaient des références en la matière. Depuis l’adolescence, l’histoire d’un de nos ancêtres, Aboubakari II, m’a toujours intrigué. Appelé Mandé Boukari, il est parti pour les Amériques et n’est jamais revenu. Cela a continué à susciter ma curiosité bien avant que j’aille enseigner aux États-Unis. Là-bas, on enseignait cette histoire, qui est la nôtre. J’ai cherché le livre de Pathé Diagne contenant les preuves scientifiques. C’est Aimé Césaire qui m’avait dédicacé ce livre et c’était ma première victoire en tant que musicien, plus qu’un Grammy, vu la dimension d’Aimé Césaire.

Et le film est né…

C’est ce livre que Thierry Bugaud, le réalisateur du film, a lu. Je pense que cela a été le déclic, même s’il y avait également pensé. Nous avons commencé à réfléchir à des stratégies. J’avais pensé à un opéra mandingue. À défaut de cela, nous avons envisagé un film sur la vie d’Aboubakari II. Il a dit oui et c’est comme cela que c’est parti. Je lui ai présenté Youssouf Tata Cissé, Djibril Tamsir Niane et bien d’autres personnalités. Auparavant, j’avais présenté le projet à plusieurs cinéastes africains, mais cela n’avait pas fonctionné. Je ne les blâme pas. La plupart du temps, quand ils se présentent avec des histoires africaines, les décideurs ne se manifestent pas. Nous en sommes victimes et il est nécessaire de le dénoncer. Mais cela n’enlève rien à l’engagement et à la sincérité de Thierry Bugaud. Nous avons rencontré les Ulémas pour avoir leur bénédiction et ainsi pu réaliser le film.

D’autres projets documentaires dans le même sens sont-ils prévus ?

Thierry Bugaud vient de signer pour quatre saisons avec Canal+ pour continuer de faire des séries documentaires sur Aboubakari, Touramakan, Kankou Moussa, Soundjata, etc. Ensuite, il y aura Shaka Zulu, la Reine Pokou, etc. Il y a des histoires qu’il faut mettre à la disposition du grand public. C’est important, c’est notre ossature qui nous donne de la force. À 73 ans, je puise ma force dans nos ancêtres, je crois en eux. Ils nous incitent à mettre en lumière leur vécu pour la postérité. C’est pourquoi il faut mettre en exergue notre histoire.

Enregistrement des naissances : De lents progrès

L’enregistrement des naissances a connu une augmentation, bien qu’il reste des défis à relever. En effet, 13% des enfants au Mali ne sont pas enregistrés à la naissance, selon le rapport de l’UNICEF intitulé « Un bon départ dans la vie ».

Cette situation prive des millions de filles et de garçons d’une identité juridique, les exposant ainsi à des vulnérabilités. C’est pourquoi le Comité des droits de l’enfant incite les autorités à adopter des mesures telles que la numérisation des enregistrements ou des dispositions spécifiques concernant les enfants réfugiés et les déplacés internes.

Dans son état des lieux de l’enregistrement des naissances dans le monde, l’UNICEF estime que plus de 500 millions d’enfants âgés de moins de 5 ans ont été enregistrés à la naissance au cours des cinq dernières années. Bien que le taux mondial d’enregistrement des naissances ait atteint 77%, contre 75% en 2019, environ 150 millions d’enfants de moins de 5 ans n’ont pas été déclarés et demeurent invisibles pour les systèmes gouvernementaux, selon le fonds.

Par ailleurs, plus de 50 millions d’enfants dont la naissance a été déclarée ne possèdent pas d’acte de naissance. Cet acte fondamental garantit pourtant à l’enfant une reconnaissance juridique, lui conférant une protection contre les mauvais traitements et l’exploitation, ainsi que l’accès à des droits essentiels, tels que l’éducation et la santé.

Redoubler d’efforts

Si l’UNICEF se félicite des progrès réalisés, l’organisation invite les décideurs à redoubler d’efforts afin que chaque enfant, partout dans le monde, soit enregistré à la naissance. Les progrès et les améliorations varient considérablement dans les régions d’Afrique subsaharienne. Alors que l’Afrique australe enregistre un taux de 88%, l’Afrique de l’Ouest a connu la meilleure amélioration en 15 ans, atteignant un taux de 63%, tandis que l’Afrique de l’Est est à la traîne avec seulement 41%.

Au Mali, 87% des enfants de moins d’un an sont enregistrés à la naissance. Bien que cette amélioration soit significative, elle présente des disparités qui nécessitent un suivi pour relever les défis restants. Depuis 2022, l’UNICEF accompagne les initiatives du gouvernement pour numériser l’enregistrement des naissances. Ce processus a connu des avancées grâce à l’approbation d’un projet de plateforme regroupant les principaux événements de l’état-civil (naissance, mariage, décès). Cette plateforme, conçue après consultation des parties prenantes du système des faits d’état-civil, constitue la première entièrement dédiée, répondant aux besoins des usagers et aux normes internationales ainsi qu’au cadre légal. Le système pilote a été mis en place dans 10 zones regroupant les centres d’état-civil, les structures de santé et les tribunaux. Selon le représentant de l’UNICEF au Mali, cette étape permettra d’accélérer les efforts vers l’enregistrement universel.

Dr. Bakary Sambe « La militarisation excessive ne garantit pas une sécurité durable : l’implication des communautés locales est essentielle »

Dr. Bakary Sambe, président-fondateur du Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies, dirige un think tank spécialisé dans les questions de paix et de sécurité en Afrique. Avec des bureaux à Dakar, Niamey et Bamako, l’institut s’appuie sur des recherches scientifiques pour inspirer les politiques publiques et fournir un appui stratégique aux gouvernements et partenaires internationaux. Actif dans la diplomatie préventive et la résolution des conflits au Sahel, il aborde des enjeux liés à la montée du terrorisme, aux stratégies de lutte des États sahéliens, à l’implication des communautés locales, et aux impacts de la désinformation sur la stabilité régionale.

Dans cette interview, Dr. Sambe analyse l’évolution des menaces terroristes au Sahel, les approches adoptées par les États, ainsi que l’importance d’une collaboration avec les communautés et d’une approche holistique face aux défis sécuritaires actuels.

Comment décririez-vous l’évolution de la menace terroriste au Sahel ces dernières années, notamment en ce qui concerne les stratégies adoptées par les groupes extrémistes ?

Les groupes terroristes ont évolué dans leur stratégie depuis le débordement de l’épicentre du Nord du Mali vers le Centre d’où la menace s’est beaucoup communautarisée. Aujourd’hui, la présence djihadiste se présente de la manière suivante, il y a ISWAP à travers Boko Haram, l’état islamique, Islamic State West African Province, donc au Nigéria, qui opère aujourd’hui sur le bassin du lac Tchad, concernant aussi bien le Nigéria, le Niger, le nord du Cameroun et le Tchad dans les régions de Bol, Bagassola, autour du lac. Il y a aussi la présence de l’état islamique au Sahel, qui était l’état islamique au Grand Sahara et qui s’est transformé en état islamique au Sahel depuis mars 2022, avec un redéploiement plus assidu dans le Liptako Gourma, dans les zones des trois frontières communes au Mali, au Niger et au Burkina Faso et qui essaie d’avancer, mais qui a eu beaucoup de mal par rapport au JNIM, groupe de soutien à l’islam musulman de Iyad Ag Ghali, branche d’Al-Qaïda, qui contrôle les vastes zones à partir de Tombouctou, jusqu’à aujourd’hui dans l’est du Burkina Faso. Maintenant, il y a une stratégie de localisation de ce djihad-là, avec la Katiba Macina qui est la frange la plus active du JNIM aujourd’hui et qui avance dans la région de Kayes et qui opère depuis le centre du Mali, mais aussi d’autres katibas comme la Katiba Hanifa qui opère au Bénin. Et aujourd’hui, il y a la crainte d’une jonction entre les groupes qui se développent au Niger, mais aussi au nord du Bénin à partir du département de l’Alibori et jusqu’au Borgou, qui est une région au nord du Bénin, mais qui est connectée aujourd’hui aux réalités du Nigéria, où se développe un type de djihadisme mêlant activités criminelles et attaques terroristes, notamment dans le nord-ouest du Nigéria, dans les états comme Jigawa, etc. Les récentes manifestations d’une violence extrême dans le Nord-Ouest du Nigeria notamment avec le nouveau groupe Lukurawa n’augurent pas d’une accalmie.

Quelle est votre évaluation des différentes stratégies mises en œuvre par les États sahéliens, comme le Niger, le Mali et le Burkina Faso, pour lutter contre le terrorisme ? Quelles approches ont montré des résultats probants ?

La première approche était de combiner efforts nationaux et interventions étrangères dans le cadre d’une coopération sécuritaire qui n’a pas porté ses fruits que ce soit au Mali, au Burkina Faso ou encore au Niger. Cela ressemblait à une sous-traitance de la sécurité dans laquelle les résultats étaient vraiment mitigés. Aujourd’hui avec le rejet de ces coopérations notamment avec la France et le recours à la Russie, les défis restent encore nombreux malgré une politique d’acquisition de matériel militaire plus facile qu’auparavant et un meilleur équipement des armées. Le fait d’établir une coopération plus soutenue entre les trois pays qui sont devenus l’AES suite aux profonds désaccords avec la CEDEAO après les coups d’État militaires, avait redonné un certain espoir notamment en termes de synergie et une meilleure coordination de la lutte avec le partage des mêmes défis transfrontaliers autour du Liptako Gourma. Avec des résultats au Nord du Mali malgré les difficultés dans la zone de Ménaka dues surtout aux rivalités entre les groupes terroristes, Bamako devrait mieux intégrer la nature évolutive de la menace et éviter une radicalisation de certaines communautés. Le Niger semble avoir des difficultés dans le Tillabéri tandis que la Burkina Faso peine à reprendre le contrôle de grandes parties du territoire malgré le réarmement des troupes et l’intervention des VDP. Je pense que les trois pays de l’AES devraient mieux intégrer les dynamiques communautaires dans l’élaboration des stratégies et sur certains aspects de la lutte collaborer avec des pays voisins même s’ils ne sont pas de leur organisation mais partageant les mêmes défis.

Dans quelle mesure l’implication des communautés locales est-elle cruciale dans la lutte contre le terrorisme, et comment les États peuvent-ils renforcer cette collaboration ?

On a vu que la militarisation à outrance de la lutte bien qu’elle aide à gérer les impératifs sécuritaires et les urgences n’installe pas une sécurité durable. La menace n’est plus exogène ; elle est secrétée par conjonction de facteurs internes sur lesquels les éléments extérieurs se greffent pour profiter de l’instabilité par l’instrumentalisation des griefs. Une réelle approche sécurité humaine s’impose. A la différence des approches classiques qui placent l’État et les forces de sécurité au cœur de tout dispositif, l’approche sécurité humaine permettrait de réduire le fossé grandissant entre FDS et populations locales et les communautés qui sont au cœur des solutions durables. La Mali avait initié le principe du dialogue inter-malien et l’implication des communautés malgré l’opposition de certains partenaires qui était contre. Aujourd’hui, malgré les avancées au Mord mitigée par la situation du Centre, le Mali devrait saisir davantage les possibilités qu’offrent les mécanismes traditionnels et endogènes basés sur le dialogue et l’implication des communautés. Cela aiderait les autorités à faciliter l’appropriation des mesures sécuritaires par les communautés et donc leur engagement auprès des forces de sécurité. Mais il va falloir un changement progressif de paradigme qui n’est pas évident.

Vous avez souligné que la désinformation constitue une menace réelle pour la sécurité au Sahel. Pouvez-vous expliquer comment la désinformation influence la stabilité de la région et quelles mesures pourraient être prises pour la contrer ?

 Les fake news, fausses nouvelles ou informations non vérifiées distillées sur les réseaux sociaux, le poids des influenceurs sur l’opinion publique, la course au scoop et au buzz, sont autant d’éléments aggravant les effets incontrôlés de la démocratisation de la diffusion et de l’accès à l’information à l’heure du numérique. Les pays du Sahel qui, en plus, d’absence de cadres normatifs ou de régulation, font face à ce flux d’informations et à sa manipulation par divers acteurs. Tout cela dans un contexte d’incertitudes et de tensions politiques internes, de menaces sécuritaires mais aussi d’escalades sur le plan diplomatique. Récemment, de fausses informations ont failli déclencher des émeutes au Mali et dans d’autres pays de la région sur fonds de lutte contre le terrorisme et de contestation des présences militaires étrangères. Maintenant, cette désinformation perturbe le travail des forces de sécurité et de défense, les mets en danger comme elle provoque et attise parfois des conflits intercommunautaires dans beaucoup de pays de la région. Le terrain malien est depuis peu le laboratoire d’expérimentation de toutes formes de communication d’influence. Dans un contexte d’insécurité et d’instabilité politique, la désinformation revêt plusieurs formes et se cache derrière bien des campagnes de communication bien ciblées. La période de la transition avec la montée de diverses formes de contestation des dominations sur fond d’escalades diplomatiques et de guerre de positionnement de nouvelles puissances est particulièrement propice à ce phénomène. Mais en accentuant la guerre informationnelle on est en train de jouer avec le feu. La lutte contre la désinformation est un enjeu de sécurité et de stabilité pour les pays du Sahel. En présence d’une crise et d’une angoisse des populations les tentatives de manipulations de l’opinion à travers les réseaux sociaux et les différents médias peut compromettre les politiques publiques et même la crédibilité des institutions ; ce qui représente une menace grave contre la viabilité des États, du système démocratique, de la paix et de la sécurité au Sahel. Dans ce contexte de rivalités internationales, il faudra que nos pays réfléchissent à des solutions locales pour faire face à ce phénomène qui constitue une réelle menace à la stabilité.

Quel est votre point de vue sur l’impact des interventions militaires étrangères dans la région, notamment celles de la France et des Nations Unies, sur la dynamique sécuritaire au Sahel ?

Vous savez, la sous-traitance de la sécurité n’a jamais été une solution durable et quel que soit le partenaire. La coopération internationale est par ailleurs une nécessité car les défis sont transnationaux. Il y a des bases militaires étrangères dans les pays qui sont parmi les plus souverains comme l’Allemagne mais aussi au Qatar avec la présence américaine ; l’une des plus importantes. L’essentiel c’est la définition des termes de la coopération et de son contenu, dans le respect des intérêt de chacune des parties. Mais l’Afrique devrait davantage compter sur la coopération régionale et surtout la réactivation des cadres régionaux et penser à une meilleure mutualisation des capacités. C’est pour cela, au niveau sous-régional, on devrait vite sortir de la crise entre les pays membres de l’AES et de la CEDEAO pour faire face ensemble aux défis sécuritaires que nous avons en commun.

On observe une extension de l’insécurité du Sahel vers les pays côtiers du Golfe de Guinée. Quelles leçons ces pays peuvent-ils tirer des expériences sahéliennes pour éviter les mêmes erreurs dans la lutte contre le terrorisme ?

Les pays côtiers doivent veiller à ne pas être emportés par l’élan de victoires militaires partielles et temporaires au point de réveiller les sentiments communautaires qui alimenteront les cellules terroristes locales de demain. On pourrait dire que le contre-terrorisme classique certes, semble avoir les faveurs des partenaires internationaux. Cependant il ne s’attaque qu’aux symptômes d’un mal déjà profond, à un résultat qu’est même le fait terroriste. Toutefois, il s’avère impuissant face aux racines de ce mal qui se déclinent en plusieurs fléaux. Ils ont pour noms, entre autres, la pauvreté, le mal-développement, la mal-gouvernance, les injustices et les griefs entretenus sur certains groupes ethniques et populations par une reproduction des imaginaires nés de l’époque coloniale et reproduits par les Etats postcoloniaux sur des populations entières auxquelles on n’offre que la répression comme réponse. De même, au Sahel, toutes les tentatives infructueuses de privatiser la gestion sécuritaire par le biais de milices d’autodéfense ont, de manière contreproductive, abouti à la stigmatisation de populations qui, frustrées et instrumentalisées, sont finalement allées grossir les rangs de l’Etat islamique au Grand Sahara et d’autres groupes terroristes qui n’ont même plus besoin de l’idéologie djihadiste pour recruter massivement. Différente du contre-terrorisme, la prévention de l’extrémisme violent s’attaque aux causes structurelles de la radicalisation et des frustrations. Cette dimension ne devrait pas être perdue de vue. Sa prise en compte devra passer par la définition préalable des questions les plus urgentes à gérer selon les pays ainsi que de l’environnement extérieur à prendre nécessairement en compte. La conquête des cœurs par le renforcement du sentiment d’appartenance nationale des citoyens des zones transfrontalières et les investissements massifs sur le désenclavement s’avèrent plus durable que de leur imposer des conditions draconiennes de sécurité donnant l’impression d’un Etat à visage répressif. Une plus grande présence de l’État protecteur dont l’interface doit être des forces de défense et de sécurité ayant gagné la confiance des populations et la bataille du renseignement humain, participera du travail de prévention dans une démarche holistique et inclusive.

Quels sont, selon vous, les principaux défis à anticiper dans les prochaines années concernant la sécurité au Sahel, et quelles stratégies devraient être adoptées pour y faire face efficacement ?

Deux des plus grandes préoccupations pour nos États dans les années vont être la communautarisation du terrorisme et la détérioration des rapports entre les États centraux et les communautés locales qui profitent aux groupes terroristes. En fait la stratégie d’AQMI, dans la région semble, aujourd’hui, tourner autour de la création de zones d’instabilité et de l’instrumentalisation des conflits intercommunautaires comme ceux liés au pastoralisme en profitant de la frustration des communautés due aux travers de la lutte contre le terrorisme et des bavures des armées nationales. L’instabilité politique permet à AQMI de prospérer en cherchant surtout des terrains propices aux alliances avec les communautés « persécutées » où il peut y avoir des couveuses locales. Les terroristes ont réussi à se présenter, désormais, comme des protecteurs des populations locales en proie à l’insécurité. Malgré la réadaptation annoncée de la coopération sécuritaire par des pays comme la France, les Etats de la région et leurs partenaires internationaux s’embourbent dans la militarisation à outrance, une fausse solution, elle-même partie intégrante du problème. La dure réalité est que, selon la forme actuelle de la coopération militaire, nos armées s’entraînent en y mettant beaucoup d’énergies et de moyens à des formes de batailles qu’elles n’ont que peu de chance à livrer. Cette stratégie dans laquelle on s’entête en négligeant la part du dialogue avec les communautés avait déjà largement montré ses insuffisances en face de la menace asymétrique. Les États de la région semblent vouloir compenser les échecs de leurs forces de défense et de sécurité par une stratégie qui dresse des milices d’auto-défense et les volontaires contre des communautés ostracisées tout en créant les conditions de recrutements massifs dans ces mêmes communautés. Le fait est qu’à chaque fois que ces armées déclarent, triomphalistes, avoir ratissé telles zones et neutralisé des terroristes, elles sèment, en même temps, les graines des futures conflits intercommunautaires qui embraseront davantage la région.

Dans quelle mesure les répercussions de la crise syrienne, notamment la dispersion des combattants étrangers et les flux d’armes, pourrait-elle aggraver l’instabilité sécuritaire au Sahel et influencer les stratégies des groupes terroristes locaux ?

La conquête de la Syrie aujourd’hui par Hayat Tahrir al-Sham, qui a renversé Bachar Assad, pourrait avoir des implications lointaines en Afrique, d’autant plus que déjà la Syrie était la base à partir de laquelle s’organisait beaucoup de logistique pour la Russie vers le Sahel, le recrutement de mercenaires comme ceux dont certains ont parlé au Niger par exemple etc. Mais aussi c’était un dispositif important pour la Russie, notamment avec les bases militaires de Tartous et de Lattaquié. Et aujourd’hui, je pense que cette situation va priver quand même la Russie de quelques moyens si elle n’arrive pas à négocier avec les nouvelles autorités qui ont pris le pouvoir à Damas, ça va la priver d’une base logistique assez importante qui lui permettrait de se déployer aussi bien en Ukraine qu’au Sahel. Maintenant, sur le terrain en Syrie, le groupe Hayat Tahrir al-Sham est un groupe qui au début est né sur les flancs de l’État islamique avec Jabhat al-Nusra, mais qui a évolué vers l’Al-Qaïda, ce qui pourrait présager un lien entre ces djihadistes et l’Al-Qaïda. Mais au Sahel Al-Qaïda a changé complètement de stratégie, ils ne sont plus dans des stratégies globalistes et globalisantes, ce sont des formes de régionalisation de la stratégie sur le continent africain et dans le Sahel de manière générale. C’est le JNIM qui y est actif, qui est une part de l’Al-Qaïda, mais qui fonctionne de manière très autonome avec des Katibas qui sont ancrés dans les communautés, comme la Katiba Macina qui prend de l’importance. On le voit aujourd’hui, c’est ainsi que l’Al-Qaïda, à travers le JNIM, arrive à avancer au Burkina Faso, mais aussi dans les pays côtiers. Mais je pense que ça peut avoir des implications plutôt lointaines et pas directes pour l’instant. Mais il est sûr que si la guerre en Ukraine venait à prendre fin surtout avec le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, nous serons dans l’expectative sur la place que va désormais occuper le Sahel dans la stratégie russe.

Les garanties publiques stimuleraient l’industrie verte européenne

 Au cours des deux dernières années, l’Union européenne a fait du développement de son secteur des technologies propres une priorité absolue. Comme l’a souligné la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ce secteur est essentiel à la compétitivité économique, à la sécurité énergétique et au leadership industriel de l’Union.

L’UE possède un avantage en matière d’innovation dans plusieurs technologies propres, de l’hydrogène vert au stockage de l’énergie à long terme. Mais il est difficile de commercialiser ces technologies sur le continent. Un déficit d’investissement d’environ 50 milliards d’euros (52 milliards de dollars) doit être comblé pour fabriquer, d’ici à 2030, au moins 40 % des dispositifs solaires et éoliens, des batteries, des pompes à chaleur, des électrolyseurs d’hydrogène et des technologies de captage et de stockage du carbone que l’UE doit déployer.

Lors de la présentation de son récent rapport historique sur la compétitivité européenne, l’ancien premier ministre italien Mario Draghi a succinctement résumé le problème : « Il y a trop d’obstacles à la commercialisation des innovations et à leur mise à l’échelle dans l’Union européenne« . En particulier, l’UE doit développer de nouvelles méthodes de production et de nouvelles méthodes de financement de la construction d’usines « premières dans leur genre », qui nécessitent de longs délais de mise en œuvre, l’accès à de grandes quantités de capitaux et une main-d’œuvre hautement qualifiée.

Les États-Unis et la Chine, reconnaissant que les industries vertes peuvent générer des emplois et de la prospérité, ont canalisé des milliards de dollars dans ces secteurs. La loi sur la réduction de l’inflation du président américain Joe Biden, qui offre des crédits d’impôt pour la production nationale de technologies propres, devrait débloquer plus de 3 000 milliards de dollars d‘investissements privés au cours de la prochaine décennie, selon une analyse de Goldman Sachs. La Chine, pour sa part, a largement subventionné son industrie solaire, entre autres.

L’UE n’a pas la puissance de feu fiscale de la Chine et des États-Unis. Ainsi, au lieu de construire ces industries par le biais de subventions généreuses et d’incitations fiscales, les décideurs politiques européens doivent utiliser les fonds publics de manière à attirer les capitaux privés. C’est là que les garanties publiques entrent en jeu.

Les clients attendent souvent des entreprises qui vendent des technologies non éprouvées à l’échelle commerciale qu’elles offrent des garanties étendues au cas où le produit ne fonctionnerait pas comme annoncé. Ces garanties sont appuyées par des garanties bancaires, pour lesquelles les entreprises sont tenues de détenir un nantissement complet. Or, les entreprises de technologies propres ont besoin de niveaux d’investissement relativement élevés pour développer et étendre leurs activités, et le fait de détenir de grandes quantités de liquidités en guise de garantie bloque des capitaux qui pourraient être mieux utilisés pour construire des installations supplémentaires, embaucher et former des travailleurs et honorer les commandes des clients.

Pour alléger ce fardeau, le secteur public pourrait fournir des contre-garanties, en promettant de rembourser une partie de tout paiement effectué par une banque à un client. Les experts du secteur ont préconisé cet instrument comme moyen de décarboniser les industries à forte consommation d’énergie et de réduire les risques d’investissement dans les technologies propres. Il figure également en bonne place dans le rapport qui invite l’UE à accroître sensiblement « l’utilisation des garanties […] pour soutenir les secteurs stratégiques de l’économie« .

Les garanties publiques se sont déjà avérées efficaces pour développer l’innovation dans le domaine des technologies propres en Europe. En 2022, Bpifrance, la banque publique d’investissement française, a garanti un financement de 51 millions d’euros à Verkor, un fabricant français de batteries. Cette garantie a permis à Verkor d’obtenir des investissements privés et un engagement de Renault à s’approvisionner en batteries pour véhicules électriques auprès de l’entreprise, ce qui lui a permis de lancer la construction de sa première gigafactory, à Dunkerque.

Ces garanties sont très efficaces, chaque euro d’argent public débloquant jusqu’à des milliers d’euros de fonds de roulement pour les innovateurs. Par exemple, un mécanisme de garantie de 5 milliards d’euros créé par la Banque européenne d’investissement pour les entreprises du secteur éolien soutiendra jusqu’à 80 milliards d’euros de nouveaux investissements dans cette importante source d’énergie renouvelable.

En outre, l’argent du contribuable n’est dépensé que si une demande d’indemnisation est présentée, ce qui, d’après les données disponibles, est rare. La Chambre de commerce internationale estime que le taux de perte moyen pour les garanties se situe entre 0,2 % et 1,7 %. Si le risque est plus élevé pour les technologies innovantes, il vaut la peine d’être pris pour soutenir des solutions climatiques susceptibles de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de créer des emplois verts et de futures recettes fiscales.

Une évolution positive est que la BEI a proposé un instrument de contre-garantie de 500 millions d’euros pour les entreprises de technologies propres, en attendant l’approbation de son conseil d’administration au début de l’année 2025. Si la BEI concrétise cette promesse, certaines des entreprises européennes les plus prometteuses dans le domaine des technologies propres atteindront probablement la viabilité financière, ce qui favorisera la compétitivité économique de l’Union et constituera une aubaine pour la planète.

 

Doris Hafenbradl est directeur de la technologie et directeur général d’Electrochaea, une startup qui propose une solution de stockage de l’énergie sous forme de méthane.

 

 Project Syndicate, 2024.
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