Politique




AES – CEDEAO : l’inévitable divorce

L’adoption le 6 juillet 2024 à Niamey du traité instituant la Confédération « Alliance des États du Sahel », regroupant le Burkina…

L’adoption le 6 juillet 2024 à Niamey du traité instituant la Confédération « Alliance des États du Sahel », regroupant le Burkina Faso, le Mali et le Niger, lors du 1er sommet des Chefs d’États de l’Alliance, marque une étape décisive dans la séparation des trois pays d’avec la CEDEAO. Même si le bloc sous-régional ouest-africain s’active toujours pour leur retour au sein de la Communauté, le divorce entre les deux entités semble de plus en plus inévitable et pourrait bouleverser les dynamiques d’intégration politique et institutionnelle en Afrique de l’ouest.

C’était attendu depuis quelques mois. Le 1er sommet des Chefs d’États des pays membres de l’Alliance des États du Sahel, tenu à Niamey le 6 juillet, a consacré la naissance de la Confédération « AES » entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, après la volonté commune des trois pays, en septembre 2023, de mettre en place une architecture de défense collective.

« Les Chefs d’États ont décidé de franchir une étape supplémentaire vers une intégration plus poussée entre les pays membres. À cet effet, ils ont adopté le traité instituant une Confédération entre le Burkina Faso, la République du Mali et la République du Niger, dénommée Confédération « Alliance des États du Sahel », en abrégé Confédération AES », indique le communiqué final du sommet.

Outre la concrétisation de la Confédération, les trois chefs d’États, le Capitaine Ibrahim Traoré, le Colonel Assimi Goïta et le Général Abdourahamane Tiani, ont souligné la nécessité d’une coordination de l’action diplomatique ainsi que l’importance de parler d’une seule voix et celle de mutualiser leurs moyens en vue de mettre en place des projets structurants et intégrateurs dans des secteurs stratégiques, tels qu’entre autres l’agriculture et la sécurité alimentaire, l’énergie et les mines, la communication et les télécommunications, ainsi que l’éducation et la formation professionnelle. Ils ont par ailleurs décidé de la création d’une Banque d’investissement de l’AES et de la mise en place d’un fonds de stabilisation.

Rupture presque consommée

Alors qu’en parallèle au sommet des Chefs d’États des pays membres de l’AES le 65ème sommet ordinaire des Chefs d’États et de gouvernements de la CEDEAO, tenu le 7 juillet 2024 à Abuja, aurait pu définitivement prendre acte du retrait annoncé des pays de l’AES, les dirigeants de l’institution ouest-africaine ont décidé de poursuivre la dynamique de discussion avec les trois pays concernés en vue d’éviter leur départ du bloc sous-régional.

En reconnaissant le « manque de progrès dans les interactions avec les autorités des trois pays », la Conférence des Chefs d’États et de gouvernements de la CEDEAO a décidé d’entamer une « approche plus vigoureuse » et a désigné le Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye, en collaboration avec son homologue togolais Faure Gnassingbé, comme facilitateur de la CEDEAO dans les discussions de la Communauté avec l’AES.

Pour Bassirou Diomaye Faye, qui avait déjà rencontré les Présidents de transition Goïta et Traoré lors de sa visite au Mali et au Burkina Faso le 30 mai dernier, le retrait des pays de l’AES de la CEDEAO serait « le pire des scénarios et une grande blessure au panafricanisme que les pères fondateurs nous ont légué et que nous avons la responsabilité historique de sauvegarder et de transmettre aux générations futures ».

Mais si le Président sénégalais affiche son optimisme par rapport à un rapprochement des positions d’ici la fin du délai du « préavis » de retrait, la plupart des analystes jugent infimes les chances d’un retour des pays de l’AES au sein de la CEDEAO. D’ailleurs, pour les militaires aux commandes de la Confédération AES, comme souligné pendant les prises de paroles et consigné dans le communiqué final, le retrait de la CEDEAO est « irrévocable et sans délai ».

« Par rapport à la CEDEAO, nos Chefs d’États ont été très clairs à Niamey en indiquant que le retrait des trois pays de la CEDEAO est irrévocable et qu’à partir de cet instant nous devons cesser de regarder dans le rétroviseur », a clamé lundi à la télévision nationale le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Abdoulaye Diop.

Selon Boubacar Bocoum, analyste politique au Centre d’études stratégiques Sénè, la voie prise par les dirigeants des pays de l’AES est un chemin de non-retour, parce que, soutient-il, la CEDEAO a été arrogante envers ces trois pays et a montré son incapacité à aller vers un une intégration économique.

« Nous ne sommes pas isolés, ni sortis de l’esprit de fédéralisme et de solidarité entre les peuples prônés par les pères fondateurs de la CEDEAO. L’AES, au contraire, est l’embryon d’une nouvelle CEDEAO, propulseuse des États Unis d’Afrique », affirme-t-il.

Quelle cohabitation ?

Si les dirigeants de l’AES et de la CEDEAO sont loin d’un compromis pouvant permettre un maintien du Burkina Faso, du Mali et du Niger dans la communauté sous-régionale ouest africaine, ils sont conscients, d’un côté comme de l’autre, de la nécessité d’une cohabitation pacifique entre deux blocs partageant le même espace géographique.

« Nous restons ouverts à un travail avec nos voisins et d’autres organisations, avec lesquelles nous partageons cet espace et avec lesquelles nous sommes condamnés à vivre. Nous allons devoir maintenir les discussions avec les autres pour avancer », a déclaré le ministre Abdoulaye Diop. « Dans tous les cas, dans un processus d’intégration, il y a des gains et des pertes pour tout le monde. Mais nous devons travailler à en minimiser l’impact pour nos populations et c’est à cela que s’attèlent nos autorités », a assuré le Chef de la diplomatie malienne.

La Conférence des Chefs d’États et de gouvernements de la CEDEAO, parallèlement à la mission de facilitation assignée au Président Diomaye Faye, qui sera épaulé par le Président Faure Gnassingbé, se prépare aussi au changement de nature des relations de l’institution avec les pays membres de la Confédération AES après l’effectivité de leur retrait, en janvier 2025. Ainsi, les dirigeants ouest-africains ont demandé à la Commission d’élaborer un plan d’urgence prospectif à leur intention pour « faire face à toutes les éventualités dans les relations avec les pays de l’AES », en tenant compte des exigences de l’article 91 du Traité révisé de la CEDEAO de 1993.

Parmi les conséquences du retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CEDEAO, le Président de la Commission de la CEDEAO, Omar  Alieu Touray, avait  évoqué, lors de l’ouverture du sommet d’Abuja du 7 juillet, l’éventualité pour les ressortissants des trois pays de devoir mener des démarches en vue de l’obtention d’un visa avant de voyager dans la sous-région et la fin pour eux du bénéfice des facilités de la CEDEAO pour résider ou créer librement des entreprises dans les différents pays où ils seraient alors soumis à diverses lois nationales.

Pour l’analyste Ousmane Bamba, modérateur du « Forum du Kenoudougou », de telles mesures, si elles venaient à être prises par les pays de la CEDEAO, vont entraîner de facto le principe de réciprocité du côté des pays de la Confédération AES.

« On peut divorcer en sauvant les meubles. Nous avons intérêt à nous entendre », glisse-t-il, prenant l’exemple sur l’importance de l’espace aérien de l’AES pour les vols de la sous-région vers l’Europe, dont l’imposition d’un contournement entraînerait un véritable renchérissement des billets d’avion.

Le sociologue Bréhima Ely Dicko souligne pour sa part la nécessité d’aller vers des accords en termes de relecture du protocole de libre circulation des personnes et des biens de la CEDEAO, 84% des Maliens vivant à l’étranger étant installés dans les pays de la CEDEAO. « Si nous sortons de la CEDEAO, il faut aller vers des accords avec les pays membres pour que nos populations qui résident dans ces pays ne soient pas victimes des mesures que la CEDEAO pourrait être amenée à prendre », alerte-t-il.